L'homélie du dimanche (prochain)

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27 septembre 2020

Suis-je le vigneron de mon frère ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Suis-je le vigneron de mon frère ?

Homélie pour le 27° Dimanche du temps ordinaire / Année A
04/10/2020

Cf. également :

Jésus face à la violence mimétique
Les sans-dents, pierre angulaire
Vendange, vent d’anges

« Tiens mon p’tit gars : va donc chercher une fillette à la cave ! »

Suis-je le vigneron de mon frère ? dans Communauté spirituelle formats-bouteilles-vins-de-loireDans le pays du muscadet nantais, aucune ambiguïté sur ce genre de demande ! Tout le monde sait qu’une fillette est une petite bouteille (37,5 cl environ) qu’on sort pour accompagner les petits gâteaux du coin, typiquement des Mouzillons. Lorsque mon grand-père demandait une fillette, c’est tout l’amour de ses vignes qui pétillait dans ses yeux. Mouzillon, Vallet, Clisson : combien de fois ne nous a-t-il pas emmenés voir et expliquer le travail de la vigne tout au long de l’année ? Émonder, tailler, relever les bois, sulfater, soigner les maladies… Chacun des cousin(e)s a fait au moins une fois les vendanges dans ces rangs de Melon de Bourgogne pour le muscadet, de Folle Blanche pour le Gros Plant, et un peu de Gamay pour du rouge maison. Des centaines de saisonniers venaient du sud se faire embaucher en septembre dans tout le pays nantais. On cueillait les grappes à la main, avec de lourdes hottes de bois ou de plastique dans le dos. Je me souviens encore du pressoir en bois où nous foulions le raisin avec nos pieds, riant de faire éclater les pulpes bien mûres, éclaboussant nos jambes avec le moût, ce jus sucré qui coulait dans la rigole vers la cuve. Puis on pressait avec la presse hydraulique. Puis il fallait à la fourche retourner la râpe  ainsi obtenue pour une seconde presse, afin de ne rien perdre. Les repas du soir avec tous les travailleurs étaient bien arrosés ! L’art du vigneron se transformait ensuite en art de la vinification : ajouter de la levure pour démarrer la fermentation en cuve, laisser macérer, ‘coller’ avec du blanc d’œuf, parfois chaptaliser lorsque le degré d’alcool de la vendange était trop faible, mettre en fûts, tirer le vin, le mettre en bouteilles, coller les belles étiquettes avec la fière devise toute biblique choisie par mon grand-père : « Si scire ! gusta et vide ! » (« Si tu savais ! Goûte et vois ! »).
Puis nous guettions la cérémonie de la pipette, pour savoir quand mettre en bouteilles : il enlevait soigneusement la bonde tonneau après tonneau, plongeant la pipette, levant son pouce pour verser un fond de muscadet dans un verre, et dégustait en claquant la langue avant de proclamer son verdict.

Du cep à la fillette, la vigne c’est vraiment tout un monde ! Plus qu’une industrie, c’est une culture, un vocabulaire, des traditions, un savoir-faire, une identité et finalement une manière de voir la vie et l’univers.

 

La vigne de Canaan

36-Chala-Hleha care dans Communauté spirituellePas étonnant qu’Israël ait choisi de sculpter une énorme grappe de vigne sur le fronton du Temple de Jérusalem. Cette grappe rappelle bien sûr celle, géante, que les deux explorateurs envoyés par Moïse en Canaan rapportèrent avec eux (Nb 13,23), décrivant « un pays où coule le lait et le miel » (Ex 33,3). La vigne devint alors un symbole de la Terre promise, du royaume de Dieu qu’Israël accepta de servir et d’incarner dans l’Alliance.

Pas étonnant qu’Isaïe ait ensuite chanté la vigne comme le symbole de l’amour de Dieu pour son peuple ! Notre première lecture (Is 5, 1-7) le célèbre avec tendresse :

« Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins… »

C’est sans doute en regardant cette vigne en entrant dans le Temple de Jérusalem (Mt 21,23) que Jésus a eu l’inspiration pour imaginer la parabole dite des vignerons homicides de ce dimanche (Mt 21, 33–46). Curieuse parabole d’ailleurs, dont la conclusion par Jésus (versets 42–43) ne cadre pas tout à fait avec celle qu’en tire Matthieu. En effet, Matthieu semble voir dans la parabole la condamnation de l’aveuglement des grands prêtres et des pharisiens (verset 45). Alors que Jésus parle de l’ensemble du peuple à qui la vigne – le royaume de Dieu – a été confiée : « le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné un peuple qui en produira les fruits ».

Voilà donc une autre harmonique d’interprétation de cette parabole. On lit souvent dans ce texte – à raison – l’histoire d’Israël, avec ses infidélités, l’envoi des prophètes et finalement du Fils unique. On y voit également Jésus se préparant à entrer dans sa Passion : c’est lui « l’héritier », « jeté hors de la vigne » (le Golgotha était à l’extérieur des remparts de Jérusalem), puis tué. Éliminé par les bâtisseurs, Jésus deviendra la « pierre d’angle » de l’Église, nouveau Peuple de Dieu à qui l’héritage du Fils est entièrement partagé, gratuitement. On peut au passage méditer sur l’héritage, coutume humaine que Dieu reprend à son compte en la retournant : il offre sa divinité en héritage (c’est pour cela que nous appelons Testaments les deux collections de livres avant et après Jésus), alors que les premiers vignerons voulaient la prendre par la force. Toujours le péché des origines : prendre le fruit au lieu de le recevoir…

Toutes ces interprétations et bien d’autres encore sont justes et fécondes. Mais attardons-nous sur la piste évoquée par Jésus : cultiver la vigne pour lui faire produire du fruit, ce qui rejoint l’amour du pays du muscadet…

 

Le Care de la vigne
L’enjeu pour Jésus en ce verset 43 est bien la responsabilité du Peuple de Dieu pour faire produire du fruit [1]. Comment ? En faisant attention les uns aux autres, en développant de vraies relations fraternelles, en faisant grandir entre nous une communion qui vient de Dieu. Greffés sur le Christ (Rm 6,5), nous formons un même cep, une même vigne, dont les fruits ont étonné le monde palestinien et romain : « voyez comme ils s’aiment ! » [2]. Produire les fruits de la vigne n’est pas accumuler de bonnes œuvres comme un écolier entassant les bons points autrefois. Ce n’est pas non plus construire des cathédrales sublimes (car il n’en restera pas pierre sur pierre), ni même instaurer une théocratie pour soi-disant faire régner le Christ sur la société. Non : les fruits à produire relèvent plutôt de ce que l’on appelle aujourd’hui le Care : prendre soin les uns des autres, avec sollicitude et bienveillance [3].

41c6fU6mupL._SX303_BO1,204,203,200_ vigneLes théories ou philosophies dites « du care » trouvent leur origine dans une étude publiée par Carol Gilligan en 1982 aux Etats-Unis [4]. Celle-ci met en évidence, à travers une enquête de psychologie morale, que les critères de décision morale ne sont pas les mêmes chez les hommes et chez les femmes. Là où les premiers privilégient une logique de calcul et la référence aux droits, les femmes préfèrent la valeur de la relation, s’orientant d’après ce qui peut conforter les relations interpersonnelles, développer les interactions sociales. C’est à partir de cette observation que Gilligan établit le nouveau paradigme moral du care comme « capacité à prendre soin d’autrui », « souci prioritaire des rapports avec autrui ».

Joan Tronto, philosophe américaine, définit ainsi le care : « activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie » [5]

Elle distingue quatre phases du care, auquel correspondent quatre types de relations à l’autre :

caring about : se soucier de.
Cela demande de l’écoute, de la capacité à se décentrer de soi-même, notamment pour se soucier des plus petits, des sans-voix que personne n’entend. L’option préférentielle pour les pauvres s’enracine dans cette responsabilité morale : avoir le souci des « pierres rejetées par les bâtisseurs ».

- taking care of : prendre en charge, agir en vue de répondre aux besoins identifiés.
Il s’agit là d’être efficace, de façon très pragmatique. Si le monde par exemple ne sert qu’à entretenir une population dans l’assistance, alors prendre en charge ses besoins exigera d’arrêter l’aumône pour parier sur l’éducation. Le taking care est un ensemble de moyens pour parvenir à une fin, pour réellement produire des fruits, car c’est la récolte qui compte et non les généreuses paroles ou intentions. Faire produire des fruits demande donc à l’Église de développer des compétences quasi professionnelles, des solutions nouvelles et audacieuses, bref d’avoir de vrais résultats plutôt que de se réfugier dans une liturgie hors du monde ou une aumône uniquement émotionnelle.

- care giving : prendre soin, au plus près des personnes.
C’est toute l’importance du contact direct, en touchant le corps de l’autre, au lieu de traiter de programmes abstraits et de sommes d’argent anonymes. Mère Teresa prit un seau et un sari pour aller consoler, caresser, apaiser les mourants des trottoirs de Calcutta. Elle n’en démordra pas : « ici vous touchez le corps du Christ », a-t-elle fait écrire sur les murs de la salle recueillant ces silhouettes déchirées et malades.

- care receiving : recevoir le soin.
Pour le donneur, c’est l’obligation morale d’évaluer comment le soin a été reçu, perçu, intégré ou non. Car le risque est grand de se faire plaisir en prenant soin, au lieu de correspondre vraiment aux besoins de l’autre. Sa réponse – positive, négative, ou même sa non-réponse – est un critère d’évaluation de la réussite du care.

La philosophie du care est féconde pour nous aider à saisir l’enjeu de notre parabole : faire produire du fruit pour le royaume de Dieu passe par cette attention, ce soin, ce souci, cette responsabilité les uns envers les autres.

« Quel art il faudrait pour mener à sa destination, faire venir à maturation, la vigne de Dieu, l’âme de notre prochain. Les mots que nous lui dirions devraient être le vent qui passe parmi les feuilles des ceps, léger, doux, bon pour le fruit. Nos yeux devraient avoir pour lui la chaude lumière du soleil, du jour, éloignant la peur, rendant meuble la terre autour des plans qui lèveraient vers la clarté, encourageant le fruit à croître, à murir, lui apportant son miel, son goût accompli, le moment venu. Nos mains, nos gestes devraient avoir la douceur d’une pluie matinale, de la rosée humectant le feuillage. C’est ainsi que nous devrions veiller à la maturation l’un de l’autre dans la vigne du Seigneur » [6].

 

Suis-je le vigneron de mon frère ?

Prévues pour le milieu du mois d'août, les vendanges ont besoin de nombreux saisonniers pour cueillir et porter les grappes de raisins des vignes du Jura.Beaucoup de gens religieux, très préoccupés de leur relation à Dieu, voire de leur salut, s’interrogeront comme Caïn dans la Genèse : suis-je le vigneron de mon frère ? Pourquoi faudrait-il que je m’intéresse à ceux qui ne sont pas intéressants ? que je soigne ceux qui sont perdus pour la société ? que j’offre une seconde chance à ceux qui les ont déjà toutes gaspillées ? que je me batte pour ceux qui se sont résignés ?

Et pourtant la vigne ne nous est confiée que sous condition de produire de belles grappes gorgées de soleil, promesses d’une joie coulant à flot. Et ces fruits sont d’abord les relations de justice et de paix, d’amour et de vérité que nous saurons construire entre tous. Sinon, individuellement ou collectivement, le royaume de Dieu nous sera enlevé pour être donné à un peuple qui en produira les fruits. L’avertissement vaut pour chacun(e) de nous !

En méditant sur les lectures de ce dimanche, passons en revue les relations qui sont les nôtres actuellement pour voir si elles cochent les quatre cases de la philosophie du care : se soucier de, prendre en charge, soigner au plus près, évaluer grâce à la réception par l’autre… Nul doute que la vendange sera belle si nous prenons soin de notre entourage avec la passion du vigneron !

 


[1]. « Comme la vigne désigne non le peuple historique Israël, mais le royaume de Dieu, les vignerons ne sont vraisemblablement pas les chefs mais l’ensemble d’Israël ». (Note m de la TOB sur le verset 41)

[2]. Tertullien (II-III° siècle), Apologétique, n° 39 §7.

[3]. La présentation ci-après suit l’article d’Agata Zielinski : « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », dans la revue « Études » 2010/12, Tome 413, pp. 631-641.

[4]. Carol Gilligan, In a different voice, Harvard University Press, 1982  (Une Voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, Champs Essais, 2008).

[5]. Joan Tronto, Un Monde vulnérable. Pour une politique du care, Éditions La Découverte, 2009.

[6]. Eugen Drewermann, Quand le ciel touche la terre, Stock, 1994, p.91.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël » (Is 5, 1-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais.
Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne ! Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? Eh bien, je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie.
La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris.

PSAUME
(Ps 79 (80), 9-12, 13-14, 15-16a, 19-20)
R/ La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. (cf. Is 5, 7a)

La vigne que tu as prise à l’Égypte,
tu la replantes en chassant des nations.
Elle étendait ses sarments jusqu’à la mer,
et ses rejets, jusqu’au Fleuve.

Pourquoi as-tu percé sa clôture ?
Tous les passants y grappillent en chemin ;
le sanglier des forêts la ravage
et les bêtes des champs la broutent.

Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !
Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ;
que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés.

DEUXIÈME LECTURE
« Mettez cela en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous » (Ph 4, 6-9)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous.

ÉVANGILE
« Il louera la vigne à d’autres vignerons » (Mt 21, 33-43)
Alléluia. Alléluia.C’est moi qui vous ai choisis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, dit le Seigneur. Alléluia. (cf. Jn 15, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘Ils respecteront mon fils.’ Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !’ Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :c’est là l’œuvre du Seigneur,la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »
Patrick BRAUD

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20 septembre 2020

L’évangile de la seconde chance

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’évangile de la seconde chance

Homélie pour le 26° Dimanche du temps ordinaire / Année A
27/09/2020

Cf. également :
Justice punitive vs justice restaurative
Changer de regard sur ceux qui disent non
Les collabos et les putains
Rameaux, kénose et relèvement

La société française est-elle plus violente qu’avant ?
Ensauvagement, incivilités, faits divers sanglants, procès Charlie Hebdo… : la fin de l’été a été marquée en France par une résurgence de la question sécuritaire, qui vient juste après les inquiétudes autour du Covid et de l’explosion du chômage annoncée. Comme souvent, la proximité d’élections explique en partie cette surenchère sécuritaire que les médias amplifient avec délices. Car, si l’on compare notre début de siècle avec le siècle précédent et ses 231 millions de morts violentes [1], nous vivons une période presque paisible… Jean-François Dortier, sociologue et directeur de la publication du magazine Sciences Humaines, distingue cinq formes de violence sociale [2] : la guerre / la violence d’État / la criminalité / la violence domestique / la violence verbale. Les trois premières formes de violence sont manifestement en régression au XXI° siècle jusqu’à présent. Les deux dernières formes de violence – verbale et domestique – sont maintenant mises en lumière et mieux mesurées qu’auparavant, mais on ne sait pas ce qu’elles représentaient quantitativement au siècle précédent. Le bilan est donc clair : notre société est beaucoup moins marquée par la violence qu’avant, mais certains ont intérêt à faire croire le contraire.

L’instrumentalisation du sentiment d’insécurité n’est pas nouvelle. Elle nourrit dans l’opinion des avis de plus en plus durs au sujet de la condamnation des coupables. Ainsi, un récent sondage indique que 55% des français sont pour le rétablissement de la peine de mort ! Or l’Évangile de ce dimanche (Mt 21, 28-32) prend à rebrousse-poil ces jugements à l’emporte-pièce : le premier fils apparemment rebelle sera finalement plus obéissant que son frère, les publicains et les prostituées précéderont les gens très religieux dans le royaume de Dieu, et « le méchant qui se détourne de sa méchanceté sauvera sa vie » (comme l’écrit Ézéchiel dans la première lecture : Ez 18, 25–28).

 

Punir et haïr les coupables ?

L’évangile de la seconde chance dans Communauté spirituelle 41Dab6544KL._SX313_BO1,204,203,200_Michel Foucault a bien montré que les sociétés modernes s’organisent pour « surveiller et punir ». Pratiquant une mauvaise lecture de la loi du talion, beaucoup voudraient faire souffrir les coupables à hauteur de ce qu’ils ont infligé à leurs victimes. Comme c’est impossible, même en tuant des assassins (cf. le procès des attentats contre Charlie Hebdo), il ne reste que la haine envers les criminels, et la volonté farouche de les punir, de se venger, de les voir souffrir autant qu’ils ont fait souffrir. « Criminels un jour, criminels toujours » : cette conviction si populaire est inhumaine et dangereuse…

Pourtant, un père de famille touché dans la chair de sa chair par les attentats a su montrer un autre chemin : « vous n’aurez pas ma haine » (Antoine Leiris). Tant qu’on demeure dans la haine, impossible d’accorder une seconde chance à l’agresseur. La prison ne sert alors qu’à punir, ou soi-disant protéger la société le temps de l’emprisonnement. Sauf que toutes les études montrent que la récidive se nourrit du passage en prison, qui ne protège alors qu’un temps, préparant hélas un ‘après’ encore plus violent [3]. La justice punitive peut être utile pour faire prendre conscience aux coupables de la gravité de leurs actes, mais elle ne peut suffire à retrouver la paix. Il faut la conjuguer avec une justice restauratrice du lien social entre agresseurs, victimes et société.

La justice de Dieu dans la Bible est dite salvifique justement à cause de cela : elle vise la transformation du non en oui, du méchant en juste, des collabos en résistants, des prostituées en dames de cœur.

 

La lettre écarlate
Ne pas accorder de seconde chance à ces coupables revient à reproduire les vieilles pratiques par lesquelles on clouait littéralement les criminels au pilori en place publique. Ainsi la flétrissure, châtiment royal qui marquait au fer rouge le coupable devant le village réuni pour l’occasion. En France, ce fer chauffé au rouge avait la forme d’une fleur de lys, puis au XVIII° siècle d’une lettre : V pour voleur, M pour marchand, GAL pour galérien. Napoléon y rajoutera le T pour travaux forcés, D pour déporté, F pour faussaire. Nul doute que l’étoile juive imposée par les nazis s’inscrit dans ce droit-fil du mépris public dû aux supposés coupables, réduits à leur flétrissure.

La lettre écarlate - couverture livre occasionUn roman américain a rendu célèbre cette lettre écarlate qui marquait à jamais les pécheurs aux yeux de tous. Vers 1642, Hester Pryne se voit condamnée à porter toujours sur son corsage une lettre rouge : A, pour l’adultère qui a donné naissance à Pearl, dont elle persiste à cacher le nom du père. Cela se passe dans la communauté très puritaine de Boston, où les premiers colons veulent imposer une morale biblique fondamentaliste et hypocrite. Or le père de Pearl n’est autre que… le pasteur de la communauté, celui-là même qui prêche la rigueur morale au nom de Dieu ! Nathaniel Hawthorne, l’auteur du roman, est né en 1804 à Salem, dont la tristement célèbre chasse aux sorcières de 1694 l’avait marqué par son intransigeance soi-disant religieuse, devenue folle et meurtrière.

La lettre écarlate condamne à jamais Esther à vivre en rebut de la communauté. Aucune rédemption. Aucune possibilité de réintégration. Un châtiment à perpétuité en somme, sans remise de peine. Alors, elle coud un fil d’or autour de cette lettre A qui l’expose au mépris public, comme si elle pressentait l’Évangile de ce jour : les adultères précéderont les époux fidèles dans le royaume de Dieu (mais qui peut se prétendre toujours fidèle ?)…

Marquer au fer rouge, stigmatiser par une lettre écarlate infamante, ne pas offrir de seconde chance, c’est faire mentir Dieu qui désire la conversion du méchant, le oui du fils rebelle, la réintégration de tous « ceux qui suivent une autre route », comme le chantait Brassens.

 

Méchant, fils rebelle, putains et collabos
Entendons bien nos lectures de ce Dimanche : ce n’est pas la méchanceté que loue Dieu dans Ézéchiel, c’est la capacité du méchant à se détourner du mal commis. Et qui n’en commet jamais ? Ce n’est pas le « non » adolescent et rebelle du premier fils que Jésus propose en exemple, mais sa capacité à réfléchir, à revenir sur une mauvaise décision pour finalement aller travailler à la vigne. Ce n’est pas la collaboration avec l’occupant romain que Jésus fait entrer en premier dans le royaume de Dieu, mais la capacité de Zachée à l’accueillir et à changer sa pratique professionnelle à cause de lui. Ce n’est pas la prostitution que Jésus valide faisant entrer les prostituées en premier, c’est la capacité de cette « femme de la ville, une pécheresse » (Luc 7,36–50) à mouiller ses pieds de ses larmes en les embrassant et en y versant du parfum.

41KE8PVH6BL._SX286_BO1,204,203,200_ chance dans Communauté spirituelleOn retrouve là la distinction si fondamentale entre le péché et le pécheur : le péché est à condamner, le pécheur à sauver.

Les plus grands pécheurs sentent bien au fond d’eux-mêmes qu’ils se détruisent. Parce qu’ils ont plus à gagner que les autres, ils écoutent le Christ avec plus d’intensité, car leur enjeu est plus important que les gens bien soi-disant impeccables. Voilà pourquoi les premiers à suivre Jésus sont souvent des candidats à la deuxième chance : esclaves de Rome, dockers de Corinthe, prostituées de Capharnaüm, des Lévy et des Zachée, des Marie de Magdala et des possédées, bref une fange pas très reluisante aux yeux des juifs pieux et religieux.

Aujourd’hui encore, un criminel comme Jacques Fesch se convertit avant de monter sur l’échafaud ; une institutrice pour école dorée d’enfants riches en Inde part avec un sari et un seau recueillir les mourants de Calcutta ; le sensuel et sectaire Augustin change de vie en lisant l’Évangile ; l’ex khmer rouge Duch (Kang Kek Iew) ayant dirigé le camp d’extermination S 21 (13 000 détenus torturés puis exécutés) lit la Bible et se convertit en prison ; Léo le tortionnaire nazi de Maïti Girtanner lui téléphone 40 ans après pour lui demander pardon. « Même les bourreaux ont une âme », écrira-t-elle.

Ce n’est pas par hasard si Jésus est mort sur le bois de la croix – l’équivalent de la lettre écarlate à son époque – entouré de deux bandits assez criminels pour mériter cette sentence romaine infamante. La prophétie de Jésus : « les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume des cieux » se réalise le soir du Vendredi Saint, avec l’entrée en premier d’un des deux criminels en croix : « aujourd’hui, tu seras avec moi on paradis ».

 

Seconde chance à tous les étages
Qui serions-nous alors pour refuser aux autres ce que Dieu lui-même accorde aux méchants, aux rebelles, aux putains et aux collabos ?

Accorder une deuxième chance à ceux qui nous ont fait mal n’est pas de la faiblesse, ni même un calcul social : c’est de notre ressemblance avec Dieu qu’il s’agit, car c’est l’image de Dieu en nous qui nous fait voir le bourreau autrement que sous l’angle de la punition et de la vengeance.

Dans un couple, accorder une seconde chance à l’autre – à son couple – peut devenir une bouleversante expérience de pardon après une infidélité, un éloignement, une blessure. Brel ne chantait-il pas : « on a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux » ? Tant de couples volent en éclats à la première incompréhension grave ! Mais tant d’autres peuvent témoigner que leur relation est plus forte et plus vraie après avoir traversé l’orage. À condition de ne pas enfermer l’autre dans ce qu’il a un jour commis. À condition de se remettre en question pour comprendre. Faire la vérité, chercher une issue, proposer de repartir sur d’autres bases : la relation amoureuse n’en finit pas de se réinventer en reconstruisant patiemment le lien fragile.

Au travail, la deuxième chance évangélique se traduira notamment par ce que le management appelle le droit à l’erreur. Si une entreprise veut favoriser l’initiative, la créativité, et finalement la performance de ses employés, elle a intérêt à leur laisser carte blanche au maximum, quitte à ce qu’il y ait beaucoup d’erreurs et d’échecs. Ainsi Google laisse régulièrement une journée libre à ses salariés, sans charge de travail précise, pour qu’ils puissent poursuivre des études, des projets, des chantiers qui les passionnent. La seule exigence de ce « Fedex Day » est de rendre compte (Fedex) à l’équipe de ce que chacun a essayé, cherché, expérimenté, trouvé ou non. Nombre d’innovations de Google viennent de là, car les passionnés explorent des pistes inédites, originales, que l’encadrement n’aurait jamais pu produire. Se tromper est alors le chemin normal pour inventer : le droit à l’erreur est écrit noir sur blanc, pour que chacun puisse risquer des chemins nouveaux sans avoir peur. Bien sûr, persévérer dans l’erreur là comme ailleurs ne sera pas admis à la longue ! Mais savoir qu’on aura une seconde chance est une condition de réussite de l’apprentissage et de l’innovation. Et Jésus parlera même d’accorder 77×7 fois cette nouvelle chance… !

Entre nations également, la seconde chance évangélique a prouvé sa pertinence. Tant que le vainqueur d’une guerre veut humilier le vaincu, l’infernal cercle des vengeances-représailles se reproduit sans fin. C’est la victoire de Napoléon à Iéna en 1806 qui prépare la revanche prussienne de 1870, puis celle allemande de 1914, puis celle de 1939. Il a fallu De Gaulle-Adenauer, avec l’aide du plan Marshall, pour qu’enfin cette spirale infernale soit brisée et que le couple franco-allemand devienne un des moteurs de l’Europe. De même au Rwanda, après l’épouvantable génocide ayant fait 800 000 morts en 1994, la commission nationale de réconciliation entre Hutus et Tutsis, dans laquelle les Églises participent activement, offre une seconde chance à la coexistence ethnique, pour que ne revienne jamais la folie raciste.

 

L’évangile de la seconde chance
La promesse de Jésus sur les publicains et prostituées est donc une bonne nouvelle (= évangile en grec) pour tous (car qui ne l’est jamais ?). Si l’on revient à l’Évangile, la figure la plus aboutie de la deuxième chance est bien le bon larron. L’anti-type en est sans doute Judas : ayant cru à une révolution politique (façon Khmer rouge), ayant trahi, il n’a pas cru que le Christ pourrait à nouveau lui proposer son amitié. Là où Pierre par trois fois confessait aimer Jésus malgré son triple reniement, Judas désespère d’avoir une seconde chance. Son suicide traduit sa conviction que la porte du royaume des cieux lui est fermée, alors qu’elle est pourtant promise à des renégats comme lui par Jésus lui-même.

Puisque les lectures de ce dimanche mettent à l’honneur les méchants, les rebelles, les putains et les collabos lorsqu’ils accueillent le royaume de Dieu, changeons de regard sur ceux qui aujourd’hui sont marqués d’une lettre écarlate aux yeux de tous.

À l’image du Christ, offrons-leur une deuxième chance.
Ce qui revient d’ailleurs à nous l’offrir à nous-même…

 


[3]. En France, 80 000 personnes sortent de prison tous les ans. Après plusieurs années passées derrière les barreaux, beaucoup ont du mal à retrouver un logement, un emploi ou simplement une vie normale. Livrés à eux-mêmes, ces ex-détenus sont trop souvent menés vers la récidive. 63% d’entre eux ont été recondamnés dans les 5 ans après leur première sortie de prison.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, il sauvera sa vie » (Ez 18, 25-28)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. »

 

PSAUME
(Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)
R/ Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse. (Ps 24, 6a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 1-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens

Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

 

ÉVANGILE
« S’étant repenti, il y alla » (Mt 21, 28-32)
Alléluia. Alléluia.Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’ Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’ Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’ et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »
Patrick BRAUD

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13 septembre 2020

Dieu trop-compréhensible

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu trop-compréhensible

Homélie pour le 25° Dimanche du temps ordinaire / Année A
20/09/2020

Cf. également :
Le contrat ou la grâce ?
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
Premiers de cordée façon Jésus
Un festin par-dessus le marché

« Ne cherche pas à comprendre… »
- « Tu ne peux pas comprendre. C’est un mystère ».
Cette réponse assénée avec autorité par ma prof de caté autrefois me laissait à chaque fois insatisfait. Comment ! ? Il n’y aurait rien à comprendre dans le mystère de la Trinité ? dans le mystère eucharistique ? Dieu serait-il incompréhensible ? L’intelligence humaine devrait-elle abdiquer pour être capable d’adorer le Créateur ?

Une lecture trop rapide des textes de ce dimanche pourrait conforter ceux qui veulent ainsi mettre Dieu hors d’atteinte de l’homme.
Isaïe ne fait-il pas dire à Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées » ? C’est donc qu’il faudrait s’incliner sans comprendre, se soumettre sans protester ?
Et Matthieu ne décrit-il pas un patron incompréhensible qui paye les ouvriers de la onzième heure autant que ceux de la première ? Une telle injustice serait à mettre uniquement sur le compte du bon vouloir patronal qui fait ce qu’il veut sans avoir de comptes à rendre à personne : « n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens » ?

 

La dérive du Mektoub
Le durcissement de ce genre d’argumentation a déjà fait tant de dégâts par le passé ! Au nom de la transcendance divine, on a casé Dieu dans les failles de la raison, en se disant que là au moins il serait à l’abri. Jusqu’à justifier l’injustifiable : ‘si Dieu permet le malheur innocent, c’est qu’il a ses raisons ; si nous ne comprenons pas son action, c’est normal et il n’y a qu’à accepter, car Dieu est plus grand que nous’. On n’est pas loin du Mektoub musulman, c’est-à-dire de l’idée que la soumission au destin décidé par Dieu est la seule voie possible, sans pouvoir ni le comprendre ni le maîtriser. Dire que Dieu est incompréhensible conduit la plupart du temps à la résignation et au fatalisme. Et cela fournit à l’homme de beaux motifs de révolte. La controverse sur le tremblement de terre de Lisbonne au XVIII° siècle en est un bon exemple. Voltaire fournira dans son pamphlet une base solide à l’athéisme européen des siècles suivants. Le premier novembre 1755 en effet, le tremblement de terre de Lisbonne avec ses 30 000 morts provoque un choc considérable sur la sensibilité philosophique du XVIII° siècle et Voltaire, en particulier, restera obsédé par cette catastrophe. À ce moment-là, Voltaire s’éloigne définitivement des théories optimistes (Leibniz : « tout est bien » car Dieu organise « le meilleur des mondes possibles » même si nous ne comprenons rien à sa sagesse). Il ne supporte plus que l’on cherche à nier le mal ou à la justifier par l’incompréhensibilité divine.

Poème sur le désastre de LisbonnePOÈME sur le DÉSASTRE DE LISBONNE ou EXAMEN DE CET AXIOME : ‘TOUT EST BIEN’.

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »
[…]
« Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire. »
[…]
Ou l’homme est né coupable, et Dieu punit sa race,
Ou ce maître absolu de l’être et de l’espace,
Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent,
De ses premiers décrets suit l’éternel torrent.

Loger Dieu dans les trous de notre connaissance, c’est le condamner à reculer à chaque fois que celle-ci avance. Autrefois, on organisait des rogations grandioses pour demander la pluie à Dieu lors d’une sécheresse : qui oserait le faire en France aujourd’hui (à part une poignée de catholiques traditionnels) ? Autrefois on croyait que les médailles miraculeuses épargnaient du choléra et de la peste : qui serait assez fou pour remplacer le masque par une médaille en période de Covid ? Récemment, certains essayaient de sauver Dieu-créateur en le mettant dans le big-bang, ou bien juste avant : mais si le big-bang s’avère n’être lui-même que la suite logique d’un big Crunch antérieur (Stephen Hawking), va-t-on déplacer encore l’acte créateur de quelques milliards d’années en arrière ? Et puis, comment pourrait-on renoncer à comprendre la Shoah et l’horreur des milliers de morts du XX° siècle sous prétexte que « les voies de Dieu sont impénétrables » ?

Si l’on en revient à nos lectures de ce dimanche, elles n’appellent pas à la grandeur de Dieu pour justifier l’injustifiable, mais au contraire pour justifier l’infinie miséricorde divine qui n’a rien à voir avec la vengeance ou même la justice humaines. Le chapitre 55 du livre d’Isaïe est situé entre la déclaration d’amour du Seigneur à Jérusalem pour la restaurer après l’Exil (chapitre 54) et la promesse d’y accueillir même les étrangers non juifs lorsqu’elle sera restaurée (chapitre 56) : les chemins de Dieu « qui ne sont pas comme ceux des hommes » sont donc des chemins de retour d’Exil et d’ouverture à l’universel, alors que les juifs désespéraient de revenir à Jérusalem, et qu’ils restaient encore fascinés par une identité fermée, excluant les étrangers de l’Alliance.

Quant à Mathieu et sa parabole des ouvriers de la 11° heure, il annonce une générosité divine certes surprenante – voire injuste – aux yeux des premiers, mais si bouleversante pour les derniers embauchés.

Dieu ne se révèle pas incompréhensible dans ces textes : il agit sans commune mesure avec nos raisonnements humains étriqués. Il est incommensurable plus qu’incompréhensible.

Au lieu d’opposer Dieu et raison, on devrait plutôt dire que Dieu est trop-compréhensible : plus je m’aventure en lui, plus je découvre qu’il y a bien plus encore à explorer. Dès que j’ai compris quelque chose de lui, je dois aussitôt le barrer ou le mettre de côté pour comprendre le contraire ou le tout autre. Les mystiques médiévaux ne témoignent-t-ils pas que Dieu est la coïncidence des contraires ? [1]

L’infinie distance entre Dieu et l’homme ne réside pas dans une impossibilité d’aller de l’un à l’autre (cf. l’échelle de Jacob), mais dans celle d’épuiser la richesse de l’un ou de l’autre. Ce n’est pas l’absurde ni l’incompréhensible qui caractérise Dieu, mais l’excès de signification, la plénitude de sens qui déborde toute théorie humaine sans pour autant la condamner.

 

La polysémie de l’Écriture
Prenons un exemple de cet excès de sens : la polysémie (pluralité de sens) de l’Écriture.
La parabole des ouvriers de la 11° heure peut donner lieu à une multitude d’interprétations. Si vous la lisez avec les lunettes de l’historien, vous y devinerez entre les lignes la situation au I° siècle des païens fraîchement convertis au Christ par rapport aux juifs devenus chrétiens : Mathieu demande qu’on les traite à égalité, alors que les juifs pourraient se targuer d’observer l’Alliance bien avant eux. Si vous chaussez les lunettes du psychologue, vous y lirez la chance de se convertir à tout âge de la vie. Qu’on soit baptisé à 20 ans ou à 70 ans ne confère aucun privilège ! On n’est jamais trop vieux pour rejoindre les ouvriers envoyés à la vigne. Si vous êtes moralistes, vous entendrez l’appel à résister à la jalousie, à la concupiscence qui est le vice faisant chuter les premiers en derniers. Au lieu de se réjouir du salaire des derniers, ils se comparent, ils veulent avoir plus, et cela les ferme à l’accueil du don qui leur est fait à eux aussi (la pièce d’argent). Si vous êtes économistes, vous serez sensibles à l’importance qu’a le travail ici pour humaniser le monde : le chômage est dégradant, et le maître de la vigne ne cesse de sortir de lui-même pour embaucher, ce qui est bien la responsabilité économique première. D’ailleurs, si vous êtes bibliste, ce verbe sortir résonnera en vous comme l’indice d’un Exode divin, d’un Exil où Dieu visite l’homme pour son salut, comme Moïse est sorti de son palais pour voir la misère de son peuple. Si vous êtes juriste, vous vous passionnez pour la dialectique du contrat et du don qui est à l’œuvre dans la parabole. Si vous êtes théologien, c’est la primauté de la grâce sur le droit qui nourrira votre méditation. Si vous êtes un peu tout cela et plus encore, alors vous n’en finirez pas d’explorer les harmoniques de ces quelques lignes vous ouvrant des perspectives de plus en plus vertigineuses.

Lire aux éclats par OuakninLes rabbins parlent d’une lecture infinie de la Torah parce qu’aucune interprétation ne peut prétendre enclore l’intégralité de sa richesse, et parce que plusieurs interprétations apparemment contradictoires peuvent coexister. L’évêque Grégoire de Nysse (IV° siècle) prolongeait cette intuition de la nécessaire polysémie de l’Écriture en la comparant à une source inépuisable :

Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu’il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu’il a été capable d’y découvrir une seule chose parmi bien d’autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l’épuiser, qu’il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s’attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.

Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d’absorber peu à peu. » Grégoire de Nysse (Homélie sur le Cantique des Cantiques)

Dieu trop-compréhensible est à l’image de cette source : plus on vient y boire, plus elle étanche notre soif, et plus elle suscite en nous d’autres soifs, d’autres désirs, et ceci à l’infini… Ainsi, « de commencements en commencements, par d’éternels commencements qui n’auront jamais de fin » (Grégoire de Nysse), nous pourrons sans cesse entrer dans le mystère de Dieu qui se révèle toujours plus grand que ce que nous aurons commencé à comprendre de lui.

 

Les noms divins
Un autre indice de l’excès du compréhensible en Dieu est la multitude des noms divins dans la Bible : « Adonaï » ; « Elohim » ; El Shaddai ; ‘El ‘Elyôn. Il est également « Sabaoth », « le Saint », « le Rocher », « l’Éternel », Berger, Justice, Amour, Père…

Pourtant, Moïse nous a appris à ne pas prononcer le Nom de Dieu, le Tétragramme : YHWH. Pour justement préserver sa transcendance, son altérité radicale. C’est donc qu’il nous faut à la fois accueillir Dieu comme le Tout-Autre et décliner son infinie différence en des termes familiers. Le Coran a précieusement recueilli cette tradition juive en égrenant le chapelet des 99 noms d’Allah tout en proclamant qu’il est l’Unique, au-dessus de tout. Quant aux chrétiens, ils reconnaissent en Jésus ce Dieu caché ; ils contemplent dans le crucifié le Père invisible ; ils croient que cet homme est le médiateur par qui nous pouvons communier avec Dieu en plénitude.

Dire que Dieu est trop-compréhensible n’est pas le rabaisser à ce que l’homme pourrait connaître de lui, ni lui enlever son caractère caché et ineffable. Car son incompréhensibilité réside justement dans le fait qu’il suscite une infinité de compréhensions possibles tout en les excédant toutes. Il est bien « l’Au-delà de tout » (Grégoire de Naziance), mais tout nous parle de lui.

Dieu est dans l’excès, toujours offert, jamais atteint ; toujours désiré, jamais possédé ; incompréhensible et compréhensible à la fois.

St Anselme plaidait pour que l’intelligence puisse rendre raison de la foi : « fides quaerens intellectum », et St Augustin pour que les deux quêtes humaines fassent système : « croire pour comprendre et comprendre pour croire ».

Loin d’éteindre l’intelligence humaine, le mystère qu’est Dieu la stimule et lui ouvre des horizons reculant sans cesse.

 

La quête inachevée de la science (et de l’amour)
Karl Popper: La quete inacheveeUne autre piste pour évoquer l’excès du compréhensible en Dieu est le mouvement même de la science moderne. Karl Popper (1902-1994) a bien montré que la recherche scientifique est par nature inachevée, car le réel excède toujours les représentations scientifiques. Les plus belles théories seront tôt ou tard contestées et remplacées par d’autres, plus puissantes. Une fois un problème résolu, éventuellement par une théorie, « nous nous efforçons aussi de prévoir les nouveaux problèmes que soulève notre théorie ». Et, ajoute-t-il, « la tâche est infinie et ne peut jamais être achevée ». Les théories progressent grâce à un jeu de tests sévères qui éliminent les fausses théories. La nouvelle théorie est celle qui résiste le mieux, provisoirement, à ces tests expérimentaux. Elle a un pouvoir explicatif plus grand que l’ancienne, qu’elle inclut d’ailleurs en temps qu’approximation (ex : Einstein incluant Newton). La science ne peut atteindre la vérité. Toute théorie est provisoire : c’est une quête inachevée de la vérité. La science vise certes la réalité des choses, mais elle ne peut donner qu’une approximation de la réalité. Elle indique avec certitude ce qui est faux, mais non ce qui est vrai.
Thomas Kühn (1922-1996) a mis en évidence les changements de paradigmes qui permettent d’élargir ou de changer radicalement notre vision du monde, de Newton à Einstein, de Maxwell à Planck…
Nul scientifique n’oserait plus affirmer aujourd’hui ce que le chimiste Berthelot fanfaronnait au XIX° siècle :« le monde est désormais sans mystère ». Au contraire, la science se fait humble, sachant qu’elle ne sait pas grand-chose, et que toute découverte soulève cent questions encore plus passionnantes !

La quête inachevée qu’est la science par nature nous donne alors une idée de ce qu’est la vie en Dieu : de trouvailles en découvertes, d’inventions géniales en progrès fulgurants, le mouvement de la quête scientifique vers le réel ressemble étrangement au mouvement de ceux qui cherchent Dieu de l’intérieur, le comprenant toujours plus tout en voyant leur ignorance s’accroître sans cesse…

C’est également le mouvement de la bien-aimée en quête de son bien-aimé dans le Cantique des cantiques… 

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins » : que l’Esprit du Christ mette nos pas sur les chemins de Dieu, et nous deviendrons des pèlerins du trop-compréhensible

 


[1]coincidentia oppositorum (Nicolas de Cues ; 1401 – 1464). Selon lui, en passant à la limite, la raison est obligée de changer de régime, en passant du principe de non-contradiction à celui de la « coïncidence des opposés ». Un polygone inscrit dans un cercle finit par exemple par devenir le cercle lui-même, et donc une figure sans côté (un non-polygone), à mesure que le nombre de côtés augmente (quadrature du cercle). Dieu se conçoit comme fin infinie, limite illimitée, distinction indistincte, la coincidentia oppositorum ouvrant, seule, la voie d’accès à l’infini.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;invoquez-le tant qu’il est proche.Que le méchant abandonne son chemin,et l’homme perfide, ses pensées !Qu’il revienne vers le Seigneurqui lui montrera sa miséricorde,vers notre Dieuqui est riche en pardon.Car mes pensées ne sont pas vos pensées,et vos chemins ne sont pas mes chemins,oracle du Seigneur.Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins,et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

 

PSAUME
(Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18)
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent. (cf. Ps 144, 18a)

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères,soit que je vive, soit que je meure,le Christ sera glorifié dans mon corps.En effet, pour moi, vivre c’est le Christ,et mourir est un avantage.Mais si, en vivant en ce monde,j’arrive à faire un travail utile,je ne sais plus comment choisir.Je me sens pris entre les deux :je désire partirpour être avec le Christ,car c’est bien préférable ;mais, à cause de vous, demeurer en ce mondeest encore plus nécessaire.
Quant à vous,ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ.

ÉVANGILE
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 1-16)
Alléluia. Alléluia.La bonté du Seigneur est pour tous,sa tendresse, pour toutes ses œuvres :tous acclameront sa justice.Alléluia. (cf. Ps 144, 9.7b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là,Jésus disait cette parabole à ses disciples :« Le royaume des Cieux est comparableau maître d’un domaine qui sortit dès le matinafin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,et il les envoya à sa vigne.Sorti vers neuf heures,il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.Et à ceux-là, il dit :Allez à ma vigne, vous aussi,et je vous donnerai ce qui est juste.’Ils y allèrent.Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,et fit de même.Vers cinq heures, il sortit encore,en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :Pourquoi êtes-vous restés là,toute la journée, sans rien faire ?’Ils lui répondirent :Parce que personne ne nous a embauchés.’Il leur dit :Allez à ma vigne, vous aussi.’
Le soir venu,le maître de la vigne dit à son intendant :Appelle les ouvriers et distribue le salaire,en commençant par les dernierspour finir par les premiers.’Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrentet reçurent chacun une pièce d’un denier.Quand vint le tour des premiers,ils pensaient recevoir davantage,mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.En la recevant,ils récriminaient contre le maître du domaine :Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,et tu les traites à l’égal de nous,qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?Prends ce qui te revient, et va-t’en.Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?Ou alors ton regard est-il mauvaisparce que moi, je suis bon ?’
C’est ainsi que les derniers seront premiers,et les premiers seront derniers. »
 Patrick BRAUD

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9 septembre 2020

Covid : Ce dont j’ai le plus peur, c’est la peur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 19 min

Comte-Sponville et l’idéologie du panmédicalisme

Le philosophe André Comte-Sponville continue de dénoncer le « panmédicalisme » (laisser le médical décider de la vie sociale) qui s’est emparé de la société. Il relit les Essais de Montaigne (1533-1592) à travers son Dictionnaire amoureux qui lui est consacré.

Montaigne, vivant à l’époque des guerres de religion et de la peste, peut nous aider à ne pas avoir peur de la Covid 19.

Car la santé est un bien (comme la richesse), non une valeur. Faire de la santé la valeur suprême à cause de cette crise est donc extrêmement dangereux : les valeurs suprêmes sont la justice, la vérité, l’amour, le courage… pas la santé.

Montaigne écrit : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant ». Autrement dit : la mort fait partie de la vie !

« Ce dont j’ai le plus peur, c’est la peur ».

Il y a plus de 600 000 morts par an en France; le Coronavirus en fera environ 35 000 (dont la plupart âgés de plus de 70 ans), soit 5% des morts habituelles.

Une interview qui invite à ne pas sacrifier les jeunes générations à la santé des plus vieux (ce qui ne dispense pas de l’obligation de les accompagner/soigner) ….

 

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