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26 janvier 2020

Chandeleur : les relevailles de Marie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Chandeleur : les relevailles de Marie

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur au Temple / Année A
02/02/2020

Cf. également :

Chandeleur et Vie Religieuse : vos Vœux nous Intéressent
S’endormir en paix
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Lumière des nations

Les crêpes faciles de la chandeleur- « La fête des crêpes » ! ! !
Les yeux de Léa pétillaient déjà du plaisir de voir blondir la pâte dans la poêle, puis de l’enduire de confiture ou de Nutella… Elle était sûre de sa réponse, Léa, quand ses parents lui ont demandé ce qu’était la Chandeleur. Du haut de ses neuf ans, pas de doute : les crêpes méritent bien leur fête spéciale !

Bien sûr il y a du vrai puisque la forme ronde des crêpes fait penser au disque solaire dont les Anciens fêtaient le renouveau début février. L’Église a essayé – avec succès – de christianiser ces festivités romaines ou barbares marquant la fin de l’hiver et le début des semailles. Mais les racines de la Chandeleur sont d’abord juives. Impossible de l’oublier avec l’évangile de ce 2 février qui pour une fois tombe un dimanche, 40 jours après Noël. Jésus y est présenté comme « la lumière des nations », selon la belle expression reprise par Vatican II pour son document majeur sur l’Église (Lumen Gentium). Marie y joue également un grand rôle : c’est le temps de sa « purification », et on lui annonce qu’un glaive lui transpercera le cœur.

Quel intérêt pour nous de continuer à commémorer ces rituels aujourd’hui oubliés ? Quelle actualité peuvent avoir ces versets parlant de Marie montant à Jérusalem son premier-né dans les bras, avec Joseph à ses côtés ?

 

La judéité de Marie et la nôtre

La PRÉSENTATION de JÉSUS au TEMPLE et la PURIFICATION de MARIE 111Marie accomplit ici deux prescriptions de la loi de Moïse : la purification pour elle (Lv 12), et l’offrande du premier-né pour Jésus (Ex 13, 1-16). En effet, toute femme juive ayant accouché était déclaré légalement « impure » pendant 40 jours, le temps pour elle de se remettre de l’événement, qui la dispensait des obligations habituelles mais la coupait ainsi de la communauté. Pour la loi, impureté n’est pas péché : c’est un état de vie qui empêche la pleine communion avec Israël. Le rituel de la purification – essentiellement une bénédiction d’un Cohen au Temple – marque symboliquement la fin du temps de l’accouchement, et réintègre pleinement la jeune maman dans la vie sociale et religieuse de sa communauté. Le fait que Marie observe scrupuleusement cette obligation rituelle montre combien toute sa vie de famille était emplie de l’amour de la Loi. Quoique sans péché, elle accomplit sa purification sans hésitation, éduquant son fils dans cet esprit d’accomplissement et non de destruction de la Loi. « Je suis venu accomplir, non abolir » (Mt 5,17).

Elle observe également ce que cette même Loi juive demande pour son fils : la circoncision le 8° jour, puis la présentation au Temple le 40° jour. Quel dommage que la réforme liturgique ne nous fasse plus fêter la circoncision (Brit Mila en hébreu [1]) de Jésus ! Car vous pressentez que l’enjeu de tous ces rappels est de nous garder greffés sur l’olivier juif (comme dit Paul en Rm 11), de ne jamais renier nos racines, et de repousser au loin tout démon d’antisémitisme qui hélas a pu prospérer naguère dans les rangs chrétiens. Pourtant Vatican II a écrit des choses admirables sur nos relations avec nos « frères aînés », dans sa déclaration Nostra Aetate. Fêter la circoncision de Jésus – comme les Orientaux continuent de le faire – oblige à prendre en compte sa judéité, et nous rapproche d’ailleurs en même temps de nos cousins musulmans qui la pratiquent toujours en fidélité à Moïse et Abraham. Fêter sa Présentation au Temple nous rappelle que Jésus a été sujet de la Loi juive, l’observant de tout cœur avant de l’accomplir radicalement en la dépassant.

Impossible d’être antisémite donc si on célèbre la Chandeleur comme la manifestation aux nations de la « gloire d’Israël » venant illuminer « ceux qui gisent dans l’ombre de la mort ». Si un jour des vents mauvais revenaient en Europe ou ailleurs, charriant leur lot de haine  envers les juifs, les chrétiens devraient être en première ligne pour défendre ce peuple qui est celui de leur Messie et de sa mère tant vénérée…

Le rôle social des relevailles

Une autre actualité de la Chandeleur réside dans le rôle joué par ces 40 jours après l’accouchement et avant la purification. On appelait autrefois relevailles cette fête qui marquait la fin d’une période familiale chamboulée par l’arrivée d’un enfant. La mère se relevait enfin de son lit et des soins si accaparants prodigués nuit et jour au bébé nouveau-né. Grande sagesse en réalité que de ménager ainsi des sas temporels pour s’accoutumer à une réalité nouvelle ! Il en reste quelque chose dans le congé maternité/paternité que la loi prévoit en France pour justement donner aux parents le temps d’apprivoiser leurs nouveaux rythmes de vie, leurs nouvelles obligations découlant de la naissance. Les femmes en parlent bien mieux que les hommes :

« Ça y est, bébé était là !
Puis les premières heures et les premiers jours se sont écoulés, avec les hauts et les bas que connaissent les toutes jeunes mamans, les remous de l’allaitement, les montagnes russes hormonales et les apprentissages nécessaires autour du nouveau-né. Une nouvelle page s’ouvre, et pourtant, chaque maman pourra en témoigner, dans ce temps juste après la naissance, nous sommes encore entre deux eaux, entre deux identités qui se chevauchent, presque entre deux corps, celui de la grossesse et celui de maintenant, éprouvée par la naissance, et notre nouvelle et unique préoccupation : entièrement tournée vers ce nouvel être à aimer, à protéger, et à rencontrer.

Dans ce temps de vulnérabilité, de transformation et d’apprentissages, je crois que les femmes et les parents ont plus que jamais besoin de soutien et d’accompagnement, de s’entendre dire que tout va bien, qu’ils font bien, qu’ils peuvent s’écouter, et se faire confiance.

Puis, une semaine passe, encore une autre, et petit à petit, les parents, les mères trouvent, ou plutôt créent, de nouveaux repères, de nouvelles habitudes, un nouvel équilibre. Le temps de la rencontre, le temps de la naissance, se ferme pour laisser la place à une nouvelle étape, qui s’ouvre en grand et se déploie devant nous: celui de la vie avec un bébé.

Ce temps, entre deux, peut être doux, remuant, chaotique, exalté, inspirant, fatigant, bouleversant, lumineux, il peut devenir un souvenir heureux ou être une marque de notre nouvel héroïsme de mère, mais, quelle que soit la façon dont nous le vivons, ce temps est unique, et nous nous en souviendrons probablement toujours. […] » [2]

Les relevailles ont formellement disparu de notre France urbanisée, mais l’importance  sociale d’une période d’accompagnement particulier juste après l’accouchement demeure. On pourrait avec audace faire le parallèle avec l’autre période – symétrique – après la mort d’un proche. La période de deuil d’autrefois avec ses signes extérieurs (catafalques sur le devant des maisons, brassard au bras, habits noirs etc.) a pratiquement disparu, mais pas le besoin de « faire son deuil » comme on dit, ce qui demande du temps, de la patience, de l’affection des proches etc.

Fêter les relevailles de Marie, c’est se souvenir que toute naissance nous rend fragiles, et qu’il nous faut du temps pour apprivoiser la vie soudainement présente, comme il nous faut du temps pour apprivoiser l’absence soudainement définitive… Réinventer des rituels sociaux et religieux pour consacrer ces périodes si particulières, pour en célébrer la fin lorsqu’on peut réintégrer pleinement la vie sociale ordinaire, serait fort utile.

 

Le glaive et la méditation

Une troisième dimension de la Chandeleur réside dans les paroles vieux Syméon à Marie : « un glaive de transpercera le cœur ». Bigre : drôle de cadeau pour une fête au Temple ! Marie vient chercher la joie en consacrant son premier-né à Dieu comme autrefois les hébreux avant la nuit de l’Exode. Et voilà qu’on lui gâche la fête avec cette annonce de malheur, terrible prédiction qui a dû angoisser Marie serrant son fils en se demandant ce que pourrait bien être ce glaive si cruel. Les commentateurs essaient d’adoucir cette effrayante annonce faite à Marie en évoquant le symbolisme du glaive dans la Bible, qui renvoie autant à la Parole de Dieu tranchante et coupante qu’à une épée militaire. Paul, l’apôtre représenté glaive à la main par nos statues, décrit en effet la puissance quasi-chirurgicale de la Parole de Dieu : « vivante, en effet, est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4,12).

Aujourd'hui 15 sept. : Fête de Notre-Dame des Douleurs Jc3a9sus-nice_-_c3a9glise_saint-jacques-le-majeur_-_chapelle_saint-joseph_-2

Syméon semble suivre ce fil, car il met en relation le glaive avec « la révélation des pensées de beaucoup ». Comme le scalpel sépare les chairs, la Parole de Dieu incarnée en Jésus va révéler l’iniquité et le mal habitant le cœur de beaucoup, qui vont se mettre à le haïr, le tourner en dérision, jusqu’à l’éliminer physiquement.
Noël n’est décidément pas une fête sucrée, avec son cycle se terminant sur cette prophétie inquiétante !
C’est donc que présenter Jésus au monde nous expose comme Marie à recevoir des coups de glaive douloureux, à endurer l’exclusion dont Jésus sera marqué.
La Tradition a reconnu ce glaive dans le coup de lance dont un soldat a transpercé le cœur de Jésus sur la croix (Jn 19,34). Nul doute que Marie en a été intimement et profondément blessée. Nul doute que Marie a partagé la déréliction de son fils sur le bois du gibet. « Notre-Dame des douleurs » a eu son cœur transpercé par les insultes, les crachats, les coups de fouet et les clous qui atteignaient son fils.

Chandeleur : les relevailles de Marie dans Communauté spirituelle 220px-Santa_Maria_degli_Scalzi_%28Venice%29_-_E._Meyring_Estasi_su_santa_Teresa_di_Ges%C3%B9Depuis, la tradition spirituelle a inventé le mot transverbération pour décrire ce phénomène mystique où par exemple Sainte Thérèse d’Avila est comme blessée au cœur par l’amour de Dieu, jusqu’à en être affectée physiquement. Si un jour vous avez été étreint à l’oppression par la contemplation de l’amour de Dieu pour nous – que ce soit dans l’oraison, la liturgie, l’art ou les Écritures – alors vous savez de quoi Thérèse parle en évoquant son cœur transpercé. Seuls les cœurs durs comme la pierre ne se laissent jamais atteindre par la souffrance des autres ou la beauté du monde…

Marie ne s’est pas laissé déstabiliser cependant par cette prophétie énigmatique de Syméon. Elle est rentrée chez elle avec Joseph, et l’épisode de Jésus resté au Temple de Jérusalem à l’âge de douze ans lors d’un pèlerinage familial nous livre le secret de la paix de Marie malgré tous ces imprévus : elle « conservait toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19). Autrement dit, elle ne cessait de les garder présentes à son esprit pour s’y préparer et se préparer elle-même à soutenir Jésus le moment venu.

Le glaive et la méditation vont de pair pour Marie : ruminer les événements, les plus joyeux comme les plus douloureux, ruminer les parole entendues à la lumière des Écritures peut nous aider comme elle à accueillir ce qui nous arrive sans perdre cœur.

Fêtons la Chandeleur, cierge à la main, crêpes pas loin, les yeux rivés sur la jeune femme juive portant la lumière du monde dans ses bras…

 

 


[1]. « L’alliance par la coupure », en hébreu. Il est intéressant de noter que le tranchant passe d’abord dans le corps de Jésus avant d’être annoncé dans le cœur de Marie.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre du prophète Malachie

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent ; ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice. Alors, l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois.

PSAUME

(Ps 23 (24), 7, 8, 9, 10)
R/ C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;c’est lui, le roi de gloire. (Ps 23, 10bc)

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;
c’est lui, le roi de gloire.

DEUXIÈME LECTURE

« Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves. Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham. Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

ÉVANGILE

« Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia.Lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. Alléluia. (Lc 2, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculinsera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterellesou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick Braud

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19 janvier 2020

De l’ordre de Nazareth au désordre de Capharnaüm

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

De l’ordre de Nazareth au désordre de Capharnaüm

Homélie pour le 3° dimanche du Temps Ordinaire / Année A
26/01/2020

Cf. également :

L’épervier de la fraternité
Descendre habiter aux carrefours des peuples
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli

Quitter ses parents, ses lieux d’enfance, déménager, faire les premiers choix d’une vie d’adulte : chacun de nous a fait ces passages, choisis ou subis, et nous pouvons mesurer combien ces choix nous façonnent. Choisir son travail (quand on le peut !), son habitation, ses amis, son style de vie : nous l’avons peut-être faits plusieurs fois déjà, au gré des embauches, des mariages, des séparations, des situations financières changeantes…
Comment le Christ a-t-il traversé ces étapes si importantes ? Peut-il nous aider à les aborder autrement ?

Notre texte d’évangile (Mt 4, 12-23) nous donne quelques éléments. Jésus quitte Nazareth pour aller s’installer à Capharnaüm juste avant de débuter sa vie publique, faite de prédication et d’itinérance autour du lac de Galilée. Il a 30 ans environ. Il est donc temps, grand temps pour lui de faire des choix ! Jusque-là, il est resté dans les jupons de sa mère pourrait-on dire, car on suppose que Joseph est décédé rapidement après son mariage avec Marie, parce que beaucoup plus âgé qu’elle. C’est sans doute pour protéger sa mère restée veuve que ce grand fils unique est resté si longtemps dans la maison familiale de Nazareth, qui plus est sans se marier lui-même. Normalement, il aurait dû fonder sa propre famille dans le village dès l’âge de 18 ans, et il serait sagement resté à Nazareth en exerçant le métier de son père tout en protégeant sa mère. Et voici que d’une part il reste célibataire (fait assez rare et intrigant à l’époque pour ne pas avoir était inventé par les évangélistes), et que d’autre part il quitte aujourd’hui Nazareth pour aller s’établir ailleurs. Où ? À Capharnaüm, ville relativement importante au bord du lac de Galilée, où se croisaient plusieurs routes très fréquentées, apportant leur lot de populations bigarrées ; ville militaire ou les garnisons romaines rajoutaient au bazar ambiant leurs beuveries, la fréquentation des prostituées etc.

Bizarre que Jésus ait choisi ce port si agité pour y jeter l’ancre… Et en même temps c’est très significatif de sa volonté de faire corps avec l’humanité dans toutes ses composantes. La tradition raconte qu’il n’a pas acheté ni loué sa propre maison, mais qu’il est allé loger chez Simon Pierre, où il était comme chez lui, « à la maison »(Mc 2,1 ; 3,20). C’est là qu’il guérit la belle-mère de Simon (première diaconesse !) (Mc 1, 30-31). C’est dans la synagogue de Capharnaüm qu’il prononce le célèbre discours sur le pain de vie (Jn 6). Et c’est là que la foule le presse au point de déborder la maison de Pierre de toutes parts, si bien qu’il faut enlever une partie du toit pour descendre le brancard d’un paralytique au milieu de ce tohu-bohu (Mc 2, 1-12). C’est ce qui a donné le nom de Capharnaüm à nos propres amoncellements en désordre, nos fouillis inextricables, à l’image de la foule autour de Jésus à Capharnaüm [1]. Ce faisant, il prend des risques, car tous ne sont pas prêts à le recevoir comme le Messie annoncé. Ce n’est pas la solution de facilité ! Jésus pleurera sur sa ville de Capharnaüm comme il l’a fait pour Jérusalem :« Et toi, Capharnaüm, seras-tu donc élevée jusqu’au ciel ? Non, tu descendras jusqu’au séjour des morts ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, cette ville serait encore là aujourd’hui. » (Mt 11, 23)

Faisons un détour par l’étymologie des deux villes : Nazareth et Capharnaüm, pour mieux mesurer les enjeux du déménagement de Jésus, les choix qu’il pose au début de sa vie publique.

Le nom de Nazareth pourrait provenir de trois étymologies différentes :

-    Nazareth dériverait de la racine nasard qui signifie en hébreu « celui qui observe », « celui qui garde », hypothétique témoignage de la situation du village établi à une altitude de 400 m, surplombant la plaine d’Esdraelon et les routes commerciales la traversant. Une origine araméenne dérivant du mot naserat qui désigne une « tour de garde » pourrait aller dans le même sens. L’hébreu nāșar pourrait également, dans sa forme passive, signifier « protégée », « préservée », en référence à l’implantation isolée du site. Une interprétation de la même racine est parfois proposée comme « celui qui observe [la Loi] ».

-    Une autre approche propose la racine netzer , le « rameau » ou le « surgeon », dans le sens de « la Branche [qui portera le fruit] » ou encore le « rejeton » (d’Israël), en référence une prophétie d’Isaïe (11,1) affirmant :« un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines ». Cette référence témoignerait de l’espérance des fondateurs de Nazareth – des colons de retour d’exil babylonien et se réclamant de la lignée de David – d’y voir naître ce « rejeton » messianique promis à un avenir glorieux.

-    Une troisième hypothèse relie Nazareth à la racine araméenne nzr qui signifie « vœu », qui pourrait alors témoigner des vœux caractérisant les pratiques d’une communauté de Nazirs – des ascètes « qui se vouent [à Dieu] » – qui aurait fondé la localité.

Le qualificatif « nazaréen » – parfois traduit « nazôréen » ou « nazarénien » – se retrouve à 19 reprises sous la double orthographe « nazôraios » (Ναζωραος) ou «nazarènos »(Ναζαρηνός), essentiellement pour préciser le nom de Jésus.

L’origine du nom de Capharnaüm (Kefar-nahum) est plus clairement identifiée. En hébreu, Kefar signifie village et Nahum est l’un des douze petits prophètes, dont le nom évoque la compassion, la consolation. C’est dans ce « village de la compassion, de la consolation » que Jésus vient s’installer après avoir quitté Nazareth. À l’époque, c’est une ville animée de 1 500 habitants, avec des marchands, des pêcheurs et une garnison romaine. Jésus y choisit ses premiers disciples, Simon (devenu Pierre) et son frère André, Jacques et son frère Jean, tous les quatre pêcheurs (Mt 4,13-22), puis Matthieu, un collecteur d’impôts.
Par la suite, Capharnaüm fut assez malmenée par le temps. Gravement endommagée par un gros tremblement de terre au VIII° siècle, la cité est reconstruite un peu plus loin mais finit par décliner peu à peu avant d’être abandonnée dans les siècles qui suivirent. Il faut attendre 1838 pour qu’elle soit redécouverte grâce à un archéologue américain, Edward Robinson, spécialiste en géographie biblique.
Transformée en lieu de culte et d’assemblée après la résurrection de Jésus, la maison de Pierre devient l’église domestique de Capharnaüm (du latin domus ecclesia, terme qui désigne les premiers lieux de culte chrétiens, souvent dans des demeures privées). Après la deuxième moitié du quatrième siècle, c’est tout un complexe religieux qui s’organise autour de la maison. De nombreux pèlerins, parfois venus de très loin s’y rendent. Les fouilles ont fait apparaître plus d’une centaine de graffitis en grec, en syriaque, en araméen et en latin contenant les noms de Jésus, de Pierre et des expressions liturgiques. Aujourd’hui, Capharnaüm fait partie des visites incontournables des circuits de pèlerinages en Terre Sainte.

Comparons ces deux étymologies : Jésus est donc passé de la ville de l’observation (Nazareth) à une ville de l’action (Capharnaüm). Là il était observateur de la Loi, ici il en sera le réformateur, « pour accomplir les Écritures ». Là il était soumis à ses parents (Lc 2,51), ici il est libre d’inventer un mode de vie itinérante, fréquentant tous les milieux sociaux, se mélangeant à toutes les populaces. Là il approuvait l’ordre de la Loi, il l’observait de tout cœur. Ici il plonge dans le désordre de Capharnaüm, s’affranchissant peu à peu de la dureté de la Loi au gré de ses rencontres pour apporter la compassion et la miséricorde dont Capharnaüm est le nom. Là il se préparait à incarner le rameau de Jessé attendu depuis si longtemps. Ici il devient le Messie qui guérit, qui libère, le mystérieux pain de vie livrant sa chair pour le salut de tous… Là il était protégé, à l’abri, préservé des foules comme le signifiait le nom du site de Nazareth ; ici il est exposé, livré à toutes les populations, immergé dans la petite mondialisation qui fait grouiller Capharnaüm de toutes les effervescences de l’époque.

Jésus de Capharnaüm ne renie rien de Jésus de Nazareth : il l’accomplit, au travers des ruptures inévitables qui traduisent pourtant sa fidélité la plus profonde à l’espérance de ses parents et des villageois de Nazareth.

N’aurions-nous pas nous aussi de tels passages à franchir ? Passer de l’observation à l’action, de l’intégrité à la compassion, de l’ordre de la Loi au désordre de l’amour, de l’héritage à la réforme, de la soumission à la libre invention de soi, d’une vie protégée à une vie exposée, de la propriété personnelle à la communauté des biens, de talents cachés à une prise de risques publique pour guérir, libérer, prêcher, rencontrer ?

Nous n’avons jamais fini de passer de Nazareth à Capharnaüm, puis bientôt à Jérusalem…

Puisse l’Esprit qui a poussé Jésus à sortir de Nazareth nous pousser également à nous établir dans les Capharnaüm de notre temps, parcourant les lieux nouveaux où nos contemporains se rassemblent, commercent, se réjouissent, souffrent et espèrent.

 


[1]. C’est ce que l’on appelle une antonomase, une figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme nom commun ou inversement.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

Dans la Galilée des nations le peuple a vu se lever une grande lumière (Is 8, 23b – 9, 3)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane.

 

PSAUME

(Ps 26 (27), 1, 4abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut. (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur,
la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie.

Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

DEUXIÈME LECTURE

« Tenez tous le même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous » (1 Co 1, 10-13.17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : ayez tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions. Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités. Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « Moi, j’appartiens à Apollos », ou bien : « Moi, j’appartiens à Pierre », ou bien : « Moi, j’appartiens au Christ ». Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ.

 

ÉVANGILE

Il vint habiter à Capharnaüm pour que soit accomplie la parole d’Isaïe (Mt 4, 12-23)
Alléluia. Alléluia.Jésus proclamait l’Évangile du Royaume, et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe : Pays de Zabulon et pays de Nephtali,route de la mer et pays au-delà du Jourdain,Galilée des nations !Le peuple qui habitait dans les ténèbresa vu une grande lumière.Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort,une lumière s’est levée. À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela. Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Patrick Braud

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12 janvier 2020

Alors Clarice, les agneaux se sont tus ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Alors Clarice, les agneaux se sont tus ?

Homélie pour le 2° dimanche du Temps Ordinaire / Année A
12/01/2020

Cf. également :

Lumière des nations
Révéler le mystère de l’autre
Pour une vie inspirée
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?

Alors Clarice, les agneaux se sont tus ?

Le Silence des agneauxC’est la dernière réplique d’Hannibal Lecter à l’inspectrice du FBI qu’il a aidé dans l’identification du meurtrier en série qu’elle poursuivait. La jeune Clarice Starling (Jodi Foster) est en effet hantée dans ses nuits par les cris quasi-humains des agneaux qu’on égorgeait dans la ferme paternelle. L’effrayant psychopathe mais néanmoins brillant psychiatre Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) avait tout de suite décelé de sa cellule qu’il y avait une faille béante dans la vie de cette jeune femme. Il monnaye la confession de Clarice contre des renseignements sur celui qu’elle veut arrêter (sinistrement surnommé Buffalo Bill, car il découpe la peau de ses victimes) avant qu’il ne massacre une autre fille récemment kidnappée. Elle accepte de lui ouvrir ses cauchemars, et il parvient à la guérir en faisant le rapprochement avec le meurtre de son père, shérif du comté, mort en service, sacrifié sur l’autel de la sécurité de la communauté. Quand on sait que les agneaux qu’on égorge hurlent comme des enfants, il y a largement de quoi traumatiser n’importe qui. Et quand ces cris nous hantent la nuit ou nous réveillent le matin, on peut imaginer à quel point ça rend fou et ce qu’on pourrait donner pour avoir un peu de paix. Alors Clarice se raconte. Et, de fait, « le silence des agneaux » revient pour Clarice à la fin, alors qu’Hannibal arrive à s’échapper de manière spectaculaire et sanglante.

Évidemment, Jean le Baptiste n’a pas vu ce film culte (de 1991) ! Il ne peut mettre cette dose d’horreur et de guérison tout à la fois dans l’expression « agneau de Dieu » par laquelle il désigne son cousin au Jourdain (Jn 1, 29-34). Mais, comme tous les juifs pratiquants, il a vu l’abattoir du Temple de Jérusalem fonctionner à plein régime dans des flots de sang lors des fêtes pascales ou du Yom Kippour notamment. Il a peut-être encore à l’oreille les bêlements apeurés de ces petits de quelques mois, trop proches du hurlement humain pour les oublier vite… Mettre fin à ces rituels meurtriers où de jeunes vies sont sacrifiées soi-disant ‘au nom de Dieu’, voilà une tâche messianique que Jean-Baptiste annonce bientôt réalisée en Jésus. « Voici l’agneau de Dieu » : en substituant la personne de Jésus à l’animal rituel, le prophète du Jourdain accomplit l’intériorisation largement commencée par les autres prophètes avant lui. Ce n’est pas quelque chose d’extérieur à soi qu’il convient d’offrir à Dieu, mais soi-même. Rien ne sert d’égorger des agneaux lors de la Pâque juive, des moutons lors de l’Aïd musulmane, comme l’exprime le psaume de ce dimanche : « tu n’as voulu ni sacrifice ni holocauste. Alors j’ai dit : voici, je viens pour faire ta volonté » (Ps 40,7 ; He 10,8). Certes le gigot pascal aux flageolets demeure le plat familial de ralliement pour le dimanche de Pâques, lointain souvenir du sacrifice des agneaux durant la nuit de l’Exode, dont le sang marquait le linteau des portes juives à épargner. D’ailleurs, les juifs continuent encore à mettre dans leur assiette symbolique du Seder Pessah un os d’agneau rôti, en mémoire de la nuit de l’Exode, à côté des herbes amères, de la compote, du pain azyme etc. Et les musulmans continuent d’égorger le mouton en souvenir de l’animal substitué à Isaac (Ismaël selon eux) pour exprimer la soumission d’Abraham à la volonté divine.

La substitution est inverse en christianisme : pas besoin d’égorger des brebis, des agneaux ou des bœufs comme dans les religions animistes, juive ou musulmane, car c’est à l’homme de s’offrir lui-même en présent à Dieu, sans se défausser sur un animal ou une offrande extérieure. L214 appréciera ce refus d’instrumentaliser un animal à des fins religieuses ! Comme l’exprimera Jésus avec des mots si simples : « aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12, 28-34). En tant qu’agneau de Dieu, Jésus conteste radicalement tous les systèmes religieux (ou politiques) qui mettent à mort d’autres vivants pour obtenir le salut, au lieu d’inviter chacun à faire mourir en lui ses pulsions inhumaines.

C’est le même mouvement d’intériorisation qui guide Jésus lorsqu’il déclare tous les aliments purs (le porc, les volailles ou les reptiles interdites par la cacherout), car c’est du dedans et non du dehors que provient l’impureté des pensées, des paroles, du désir :

« Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. […]
Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? » C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments.
Il leur dit encore : « Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur.
Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. » (Mc 7, 15-23)

« Voici l’agneau de Dieu » sonne donc le glas des systèmes sacrificiels où il faudrait tuer un autre un autre – animal ou humain – pour se rapprocher de l’absolu.

Jean-Baptiste ajoute que cet agneau de Dieu « enlève le péché du monde ». Il y a sans doute superposition dans ses paroles de l’agneau pascal avec le bouc émissaire, cet animal à qui l’on imposait les mains pour le charger de tous les péchés commis par Israël, avant de l’envoyer au désert, séparant ainsi symboliquement le peuple des péchés qu’il avait commis, lui permettant de retrouver sa sainteté originelle (Lv 16). Dans sa Passion, le Christ a revêtu l’humiliation et la dérision réservées aux pires criminels et aux séditieux les plus dangereux aux yeux des Romains. Sur le bois de la croix, « il a été fait péché pour nous » (2 Co 5,21), il incarnait le péché aux yeux des passants. C’est comme s’il s’identifiait à tous les pécheurs de tous les temps, comme s’il portait le péché du monde sur ses épaules avec le patibulum de la croix infamante. Il dénonce le mécanisme du bouc émissaire comme proprement infernal.

Il est bien « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », mis à l’écart comme le bouc émissaire, mais faisant corps avec les pécheurs pour les introduire au cœur de la communion divine. Une sainteté par communion, non par séparation. Unis au Christ, ses amis – quel que soit leur péché – goûterons à l’intimité d’amour qui l’unit à son Père dans l’Esprit. Le bon larron en est témoin. Jean-Baptiste également, dont le texte assure par deux fois qu’il est prêt à témoigner en faveur de Jésus dans le procès qui l’oppose au monde :

« Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

C’est donc que nous pouvons nous aussi – nous devons – prendre parti pour les innocents injustement massacrés, témoigner pour ceux qu’on accuse de tous les péchés par peur de les trouver en soi.

Témoigner pour ces chrétiens d’Orient que l’islam opprime (on pense aux chrétiens de Gaza interdits de célébration de Noël à Bethléem, ou aux centaines de milliers de chrétiens persécutés ou exilés d’Irak, d’Iran, du Liban etc. à cause de l’arrogance islamique).

Témoigner pour ces 220 000 enfants non-nés chaque année en France, sous couvert de Droits de l’homme ou de progrès social.

Témoigner devant les puissants en faveur des plus pauvres facilement sacrifiables sur l’autel du progrès néolibéral.

Témoigner pour le respect de toute vie, de toute dignité, des arbres aux animaux jusqu’aux plus fragiles d’entre nous.

Proclamer que Jésus de Nazareth est « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » nous engage à la suite de Jean-Baptiste à déposer comme témoin des innocents à la barre des procès qu’on leur intente. Quitte à prendre des risques pour cela. Quitte à y laisser la vie. Le martyre éthique de Jean-Baptiste nous avertit : appeler mal ce qui est mal peut nous coûter cher, mais notre vocation prophétique nous pousse à ne pas se taire, à crier comme Jean au désert : « voici l’agneau de Dieu ! » Si nous nous taisons, les pierres crieront à notre place… (Lc 19,40).

Et Jésus ?

À la différence des agneaux de Clarice qui hurlaient dans sa mémoire, il n’ouvre pas la bouche lorsqu’il est injustement condamné et supplicié. Par son silence devant ses bourreaux, il apporte en lui une paix que rien ne peut troubler. Par son amour de ses ennemis, il offre une réconciliation qui fera taire la haine. Par sa non-violence, il désarme la fureur des persécuteurs d’aujourd’hui. Par sa victoire sur la mort, il éteint les cris hantant le passé de ceux qui ont fait le mal.

Isaïe l’avait pressenti :

« Devant Dieu, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris.
[…] Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. […]
C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. » (Is 53, 2-12)

Cet agneau de Dieu peut exorciser les frayeurs terrifiantes qui peuplent nos regrets, nos remords, nos péchés les plus impardonnables.

Alors, cher(e) lecteur(rice), les agneaux de tes cauchemars se sont tus ?…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 3.5-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

 

PSAUME

(Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd)
R/ Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté. (cf. Ps 39, 8a.9a)

D’un grand espoir j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.

Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice,
tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime,
alors j’ai dit : « Voici, je viens. »

Dans le livre, est écrit pour moi
ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime :
ta loi me tient aux entrailles.

Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
J’ai dit ton amour et ta vérité
à la grande assemblée.

DEUXIÈME LECTURE

« À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ » (1 Co 1, 1-3)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus, et Sosthène notre frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.
À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.

 

ÉVANGILE

« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29-34)
Alléluia. Alléluia.« Le Verbe s’est fait chair, il a établi parmi nous sa demeure. À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » Alléluia. (cf. Jn 1, 14a.12a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Patrick Braud

 

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5 janvier 2020

La voix de la résilience

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La voix de la résilience 

Homélie pour le Baptême du Seigneur / Année A
12/01/2020

Cf. également :
Jésus, un somewhere de la périphérie
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation
Yardén : le descendeur
Rameaux, kénose et relèvement
Il a été compté avec les pécheurs

Je sais par elle que je suis vivant

« Une léproserie… Au sens le plus navrant, le plus odieux du terme… Des hommes qui ne font rien, auxquels on ne fait rien et qui tournent en rond dans leur cour, dans leur cage… Des hommes seuls. Pis : abandonnés. Pour qui tout est déjà silence et nuit.
L’un d’eux pourtant – un seul – a gardé les yeux clairs. Il sait sourire et, lorsqu’on lui offre quelque chose, dire merci. L’un d’eux – un seul – est demeuré un homme.
La religieuse voulut connaître la cause de ce miracle. Ce qui le retenait à la vie… Elle le surveilla. Et elle vit que chaque jour, par-dessus le mur si haut, si dur, un visage apparaissait. Un petit bout de visage de femme, gros comme le poing, et qui souriait. L’homme était là, attendant de recevoir ce sourire, le pain de sa force et de son espoir… Il souriait à son tour et le visage disparaissait. Alors, il recommençait son attente jusqu’au lendemain.
Lorsque le missionnaire les surprit : « C’est ma femme », dit-il simplement. Et après un silence : « Avant que je vienne ici, elle m’a soigné en cachette. Avec tout ce qu’elle a pu trouver. Un féticheur lui avait fourni une pommade. Elle m’en enduisait chaque jour la figure… sauf un petit coin. Juste assez pour y poser ses lèvres… Mais ce fut en vain. Alors on m’a ramassé. Mais elle m’a suivi. Et lorsque chaque jour je la vois, je sais par elle que je suis vivant… » [1].

Il suffit d’un visage aimant pour que cet homme ne se laisse pas submerger par la mise à l’écart sociale et affective qu’entraînait la lèpre autrefois en Afrique. Plongé dans l’enfer de cette maladie effrayante qui engloutissait le présent et l’avenir des lépreux, il trouvait – lui seul – la force de résister grâce à cette visite quotidienne le maintenant dans le monde des vivants.


La voix de la résilience

C’est sans doute une expérience de ce type que Jésus a faite, immergé dans les eaux du Jourdain par Jean le Baptiste. En prenant place dans la file des pécheurs sur les rives du fleuve, en attendant l’ablution rituelle, Jésus s’identifie à eux, alors qu’il n’a jamais commis le péché. Lui, le Saint de Dieu, fait corps avec les pécheurs pour leur communiquer sa sainteté, comme par osmose. En étant immergé sous l’eau, il figure symboliquement sa Passion où il sera submergé par la haine et la violence qui se déchaîneront contre lui. Où  trouvera-t-il la force de résister à ce déferlement du mal ? D’où lui viendra sa résilience ? Ce terme récent s’applique si bien au condamné qui traversera l’injustice d’un procès bâclé, la souffrance du fouet et des clous, la dérision de la foule avide de déchéance, l’abandon de ses amis – voire de Dieu lui-même – sans pourtant se laisser détruire par ce tsunami pestilentiel.

Résilience est un mot inventé par le psychiatre britannique John Bowlby dans les années 50, et popularisé en France dans les années 90 par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik pour décrire la capacité de résistance qu’a un être humain de refuser d’être broyé par le malheur, la détresse, la douleur. Est résilient celui qui développe en lui une force intérieure pour traverser l’épreuve – quelle que soit sa nature – sans en être détruit, parfois même en en sortant plus fort qu’avant.


Résister à la submersion

Les Pères de l’Église disait qu’au Jourdain Jésus a été plongé dans « l’océan pestilentiel du péché » pour ensuite remonter de ces abîmes en tenant par la main les pécheurs qui s’y trouvent. Il est « descendu aux enfers » nous dit le Credo, pour en ouvrir la porte et laisser s’échapper ceux qui en étaient prisonniers. Cette plongée aux enfers est si effrayante qu’il en a sué du sang et de l’eau à Gethsémani.

Comment a-t-il fait pour résister à tout cela alors que tout espoir semblait perdu ? Pour espérer alors que tous l’avaient abandonné ? Pour aimer et pardonner jusqu’au bout alors qu’on le rayait du monde des vivants avec mépris et dérision ? La réponse est sans doute dans cet épisode du baptême au Jourdain. Il y fait l’expérience éblouissante d’être aimé d’une manière unique et inconditionnelle : « Tu es mon fils bien-aimé. En toi j’ai mis tout mon amour ». Cette voix intérieure entendue une fois lui suffira pour aller au bout de sa mission, quoi qu’il arrive.

« Il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui » : tel le visage de la femme aimée et aimante qui maintenait le lépreux vivant, l’Esprit-colombe lui signifie une relation de communion à son Père que rien, pas même les accusations des hommes, leurs calomnies, leur injustice, leur violence, ne pourra détruire. La résilience de Jésus vient de là, de sa communion unique à quelqu’un d’Autre. Son centre de gravité est en Dieu, que rien ne peut déstabiliser. Son assurance (parresia  en grec) pour interpeller les religieux et les puissants vient de là : ‘je sais d’où je parle. Peu m’importe vos menaces politiques ou judiciaires, je parle au Nom d’un Autre’.

Le baptême au Jourdain joue pour Jésus un rôle équivalent à la Transfiguration pour Pierre, Jacques et Jean : grâce à ce moment de fulgurance étincelante, ils redescendront du Mont Thabor avec la clé de déchiffrement de la Passion : cet homme aujourd’hui transfiguré, demain défiguré, est la manifestation visible de l’infini invisible, le Fils du Père. L’Esprit de Pentecôte – langues de feu cette fois-ci – leur fera souvenir de ce moment de grâce où le vrai visage du Christ leur est apparu. Ils comprendront alors que l’affreuse Passion n’a pas pu enlever de cet homme la gloire qui l’habitait, que son  identification sur la croix aux pécheurs n’a pas atteint sa beauté, que les crachats, les insultes et le tombeau n’ont pu altérer son identité de Fils bien-aimé.


Que la force soit avec vous ! 

Et vous ? Quelle sera la source de votre résilience ? Quelle colombe plane sur vos projets, vos engagements, vos prises de risque ? Sur quelle voix intérieure allez-vous vous appuyer lorsque tout va mal ? Se lancer dans l’aventure de la vie commune sans avoir connu de tels éblouissements à deux est dangereux. S’affronter aux puissants sans cette petite voix intérieure est suicidaire. Annoncer l’Évangile sans la colombe de l’Esprit perchée sur son épaule n’est que vanité.

resilienceVotre baptême au Jourdain prendra peut-être pour vous l’apparence d’une retraite dans le silence d’un monastère, ou bien d’un bouleversement total devant la splendeur du monde, d’une lecture biblique illuminant soudain un horizon de vie, d’une communion amicale ou amoureuse où perce une communion bien plus grande encore etc.

La plupart du temps, la voix ou la colombe demeure notre secret, invisible aux yeux des autres. Dans l’Évangile de Luc 3, 21-22, Jésus seul entend cette voix et perçoit « comme une colombe ». Mais il est intéressant de noter que Matthieu 3, 13-17 en ce dimanche nous livre une autre version que Luc : pour lui, tous sont témoins de la manifestation divine (théophanie) au Jourdain : « voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »  Et Jean 1,33 précise que le Baptiste peut l’attester : « Jean porta son témoignage en disant: ‘J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui’. » 

C’est donc que parfois, les autres qui ont vu et entendu peuvent nous rappeler ce qu’ils ont perçu de nous-mêmes, qui leur garantit notre identité et notre qualité. Notre réassurance dans la difficulté peut venir de ces témoins qui sauront nous remettre en mémoire la source de nos combats au moment où nous défaillons. Il est même stratégique pour nous de pouvoir compter sur de tels alliés : lorsque l’adversité s’acharne, lorsque nos adversaires semblent gagner, ces alliés trouveront les mots pour nous redire de la part d’un Autre : « tu es son fils bien-aimé, en toi repose tout son amour ». Autrement dit, ce sont parfois les autres qui détiennent des clés de notre résilience, pour peu qu’ils nous les redonnent lorsque c’est nécessaire. Un peu comme des coaches sportifs savent rappeler à leur champion ce qu’il porte en lui, ce qu’il a déjà été capable de réaliser, au moment où il doute de lui-même.

Symétriquement, nous pouvons être cette voix et cette colombe pour des compagnons de route dont nous avons perçu la grandeur et la dignité, même à leur insu. Il nous appartient de témoigner en leur faveur devant les hommes, et de leur rappeler à eux-mêmes ce que nous avons perçu d’eux dans ces moments de grâce ou l’autre nous est révélé tel qu’il est.

La voix et la colombe sont les pitons d’escalade solidement fichée dans la roche qui permettent à l’alpiniste d’assurer sa course sans avoir peur de la chute. Faites l’inventaire de ces points d’appui indéfectibles qui sont les vôtres, des paroles et des visages qui vous ont révélé votre véritable identité et confirmé dans votre droit à l’existence : « tu es mon fils bien-aimé… »

Par ces paroles et ces visages, nous savons que nous sommes vivants. Et nous émergeons du Jourdain avec la promesse d’émerger à nouveau de toute submersion, quelle qu’elle soit. Que cette espérance nourrisse notre courage et notre résilience au mal !

 


[1]. Raoul Follereau, La seule vérité c’est d’aimer, Édition Flammarion, 1996.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Voici mon serviteur, qui a toute ma faveur » (Is 42, 1-4.6-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; aux nations, il proclamera le droit. Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois.
 Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations : tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et, de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres. »

PSAUME

(Ps 28 (29), 1-2, 3ac-4, 3b.9c-10)
R/ Le Seigneur bénit son peuple en lui donnant la paix. (Ps 28, 11b)

Rendez au Seigneur, vous, les dieux,
rendez au Seigneur gloire et puissance.
Rendez au Seigneur la gloire de son nom,
adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.

La voix du Seigneur domine les eaux,
le Seigneur domine la masse des eaux.
Voix du Seigneur dans sa force,
voix du Seigneur qui éblouit.

Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre,
Et tous dans son temple s’écrient : « Gloire ! »
Au déluge le Seigneur a siégé ;
il siège, le Seigneur, il est roi pour toujours !

DEUXIÈME LECTURE

« Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint » (Ac 10, 34-38)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée, chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. Telle est la parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous. Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. »

ÉVANGILE

« Dès que Jésus fut baptisé, il vit l’Esprit de Dieu venir sur lui » (Mt 3, 13-17)
Alléluia. Alléluia.Aujourd’hui, le ciel s’est ouvert, l’Esprit descend sur Jésus, et la voix du Père domine les eaux : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ! » Alléluia. (cf. Mt 3, 16-17, Ps 28, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Alors paraît Jésus. Il était venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean, pour être baptisé par lui. Jean voulait l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. » Alors Jean le laisse faire.
Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »
Patrick Braud

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