L’Apocalypse, version écolo, façon Greta
Homélie du 1° dimanche de l’Avent / Année A
01/12/2019
Cf. également :
Encore un Avent…
Bonne année !
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?
La limaille et l’aimant
Le syndrome du hamster
Greta, ou la fin du monde en couettes
Le visage de Greta Thunberg est fascinant. Elle a les traits ronds et purs de Tintin, et ce n’est peut-être pas pour rien que notre héroïne porte le nom du personnage de Hergé dans son état civil complet : Greta Tintin Eleonora Ernman Thunberg. Comme Tintin, elle incarne la jeunesse et le courage, elle n’a pas peur de s’adresser d’égal à égal aux puissants et elle prétend sauver le monde. Une sainte laïque ? Dans La Révolution des Saints (1965 ; trad. fr. Belin, 1987), le philosophe Michael Walzer a montré comment le radicalisme politique moderne, celui des mouvements et des partis révolutionnaires, était né au moment de la Révolution anglaise du XVIIe siècle avec l’apparition d’un nouvel acteur politique, celui du « saint puritain ». Se considérant comme un élu, détaché des anciennes solidarités, il développe un zèle activiste inédit : il a le sentiment d’agir pour répondre à un appel, il veut échapper à l’angoisse de la damnation grâce à l’action disciplinée dans le monde. Philo Magazine, article « La croisade de Greta Thunberg », Novembre 2019.
Cet article de la revue « Philosophie Magazine » pointe de manière fort intelligente la sécularisation des thèmes apocalyptiques traversant l’écologie contemporaine. Les textes de ce dimanche parlent bien de la fin des temps : « il arrivera dans les derniers jours… » (Isaïe 12,1–5). « C’est le moment, l’heure est venue… » (Rm 12,11–14). « Ainsi en sera-t-il lors de la venue du fils de l’homme… » (Mt 24,37–44). Mais les différences avec les prophéties de Greta Thunberg sautent aux yeux : Jésus parle de sa venue et non d’événements naturels ; il annonce un monde nouveau et non l’effondrement de l’humanité ; il prêche l’espérance et non la peur.
La sécularisation de l’Apocalypse
Déjà au XIX° siècle, les grandes idéologies socialistes avaient repris les thèmes bibliques apocalyptiques pour les transposer à l’évolution de la classe ouvrière. Le capitalisme allait bientôt s’écrouler sous le poids de ses contradictions, crise économique après crise économique, prophétisait le jeune Karl Marx, nourri de sa culture biblique. D’ailleurs, les communistes ont fait de lui un prophète, et la nouvelle religion avait ses saints et ses saintes, comme Louise Michel surnommée la « vierge rouge » de la commune de Paris (1870) et tant d’autres figures révolutionnaires [1]. Le messianisme politique marxiste prenait ainsi le relais du messianisme chrétien, en voulant réaliser ici-bas le royaume de justice et de paix que le Christ annonçait.
Ces idéologies ont implosé avec la chute du mur de Berlin en 1989, commémorée récemment, et la dislocation de l’empire soviétique qui s’en est suivi. On oublie d’ailleurs trop souvent le rôle joué par Jean-Paul II dans la dénonciation du mensonge soviétique et de sa violence meurtrière. Revanche de l’Évangile sur « Le Capital » en quelque sorte…
Aujourd’hui, il n’y a plus guère que deux grandes idéologies pour prendre le relais de la contestation anticapitaliste qu’incarnait le socialisme autrefois : l’islam et l’écologie. L’islam propose une vision politique, une société alternative aux démocraties occidentales, fondée sur la charia et non sur la liberté individuelle, sur le Coran et non les Droits de l’homme, la soumission structurant toute la vie sociale. Les jeunes occidentaux ne semblent pas prêts d’épouser facilement cette idéologie politico-religieuse. Alors ils se tournent massivement vers le seul courant de pensée qui leur paraît crédible : l’écologie. Ou plutôt les écologies, tant les courants et conceptions d’un juste équilibre entre humanité et planète sont nombreux !
Luc Ferry en son temps en avait distingué trois :
• le mouvement environnementaliste, de nature démocratique, vise la protection des intérêts bien compris de l’homme à travers la protection de la nature, qui n’a pas de valeur intrinsèque mais dont la destruction fait courir un danger à l’homme ;
• la seconde tendance, utilitariste, considère que la souffrance animale doit être prise en compte moralement, comme l’est la souffrance humaine. Dès lors les animaux deviennent des sujets de droit, ce qui est la justification utilisée par certains des mouvements de « libération animale » ;
• la troisième attribue des droits à la nature elle-même, y compris sous ses formes non animales. Ferry rattache à cette tendance le courant de l’écologie profonde ainsi que les idées des philosophes Hans Jonas et Michel Serres.
Le Nouvel Ordre écologique, L’arbre, l’animal et l’homme, Luc Ferry, Grasset, 1992.
Nul doute que Greta Thunberg se rattache plutôt au troisième courant, parfois appelé la deep ecology par les Américains. Cette écologie prophétise l’écroulement (collapse) de notre civilisation sur elle-même, comme autrefois Marx pour le capitalisme. Elle en vient à considérer l’homme comme le problème et non la solution, et pense survie de la planète avant développement humain. Les collapsologues utilisent les mêmes images terrifiantes que l’Apocalypse pour prédire le déferlement de catastrophes naturelles qui vont s’abattre sur notre monde à cause de l’activité humaine.
L’absence d’altérité
À force de souligner la continuité entre toutes les formes du vivant, de l’arbre à l’homme, la collapsologie s’enferme dans un principe d’immanence, où tout est déjà contenu dans tout : il ne peut rien arriver de neuf sinon l’aboutissement final de la logique économique et industrielle actuelle en effondrement quasi-total. Antihumanistes, ces courants annoncent la fin du monde sans s’attarder à la fin du mois (selon l’expression qui a fleuri sur les manifestations des gilets jaunes). Il n’y a pas de salut à attendre d’un autre ; il n’y a pas d’autres logiques à respecter que celle (supposée) de la Nature quasi déifiée. C’est le même monde qui doit rester identique à lui-même sous peine d’engloutir l’homme comme un détail insignifiant et éphémère. C’est un raisonnement finalement très conservateur, qui ne veut pas penser d’autres évolutions possibles, notamment grâce à l’intelligence humaine, sa capacité d’adaptation, ou même celle de la nature, qui en a connu d’autres !
Or Jésus parle d’un monde autre – celui de la Résurrection – et non de la fin de ce monde. Il évoque sa venue, promesse de renouvellement et non de destruction. Il rappelle que l’engloutissement du déluge du temps de Noé a marqué l’émergence d’une Alliance nouvelle (cf. l’arc-en-ciel) avec une humanité renouvelée.
Prêcher la peur ou l’espérance ?
Pas de salut venant de l’homme ou de Dieu dans la contestation écologique radicale donc.
La deuxième différence – majeure – avec l’apocalyptique biblique réside dans le levier choisi pour transformer le monde.
Comme les « saints puritains », Greta Thunberg admet voir le monde « principalement en noir ou blanc » et est venue à la politique par vocation personnelle. À 15 ans, sous le coup de la découverte de la menace climatique, elle a traversé une dépression, arrêtant de s’alimenter, d’aller à l’école et même de parler. Sa rhétorique retrouve les intonations de cette tradition. S’adressant au Parlement européen à Strasbourg, elle entend saisir ses interlocuteurs d’effroi : « Je veux vous faire paniquer. » À l’ONU, c’est la culpabilité qu’elle mobilise : « Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan. […] Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. » Parfois, ses discours prennent la forme de sermons : « Si vous comprenez vraiment la situation, tout en continuant d’échouer, c’est que vous êtes mauvais, et ça, je refuse de le penser. » Tandis qu’elle n’hésite pas à se faire menaçante si une réforme radicale n’était pas engagée : « Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais ! Nous ne vous laisserons pas vous en sortir. » Quant à l’enjeu, il engage « notre survie » et il a l’urgence d’une guerre. Si nous étions vraiment conscients de notre responsabilité, affirme Greta Thunberg, « nous ne parlerions jamais de rien d’autre, comme si c’était une guerre mondiale qui était en cours ». Face à ce retour de la figure de la sainteté en politique, on ne sait pas trop si l’on doit se réjouir que les jeunes renouent avec le radicalisme ou si l’on doit s’inquiéter de la forme puritaine que prend ce retour.
Philo Magazine, article « La croisade de Greta Thunberg », Novembre 2019.
La tonalité des avertissements bibliques est de nature totalement opposée. Les textes de ce dimanche en donnent quelques exemples : « de leurs épées ils forgeront des socs, et de leurs lances des faucilles. Jamais plus nation contre nation ne lèvera l’épée ; on ne se fera plus la guerre » (1° lecture). On ne peut pas dire qu’Isaïe cherche à terroriser son auditoire ! Il cherche au contraire à réveiller l’espérance du peuple dans un monde autre, pacifique et juste. De même Paul dans la 2° lecture interprète la venue du Christ comme une chance et non une menace : « le salut est plus près de nous qu’à l’époque où nous devenions croyants. Le jour est tout proche ». Quant à Jésus il ne cherche pas à faire peur, mais à réveiller la conscience de l’homme : « veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient ».
L’espérance est un levier plus puissant que la peur, et plus intelligent. L’écologie dite punitive se fourvoie lorsqu’elle met la sanction au-dessus de l’éducation. L’écologie « terrifiante » se trompe également parce qu’elle noircit les scénarios à venir décrivant les conséquences de l’économie contemporaine. Toute tempête devient un signe annonciateur de la fin des temps ; la fonte des glaciers engendre des submersions marines catastrophiques ; les tsunamis ou autres éruptions volcaniques se multiplient, les évolutions climatiques également, multipliant les exodes, les sécheresses, les famines, et les guerres qui vont avec. Telle une pensée magique (que Karl Popper aurait qualifiée d’infalsifiable, car voulant échapper à la contradiction), la collapsologie interprète tout phénomène naturel anormal comme une confirmation de sa thèse…
D’autres écologies sont possibles
Pourtant, tous les écologistes ne raisonnent pas ainsi, heureusement ! Citons comme seul exemple Aurélien Brulé, qui au lieu de vouloir faire peur à tous entreprend de protéger les forêts… en les rachetant !
Basé depuis plus de vingt ans à Bornéo en Indonésie, Aurélien Brulé, alias Chanee, un Franco-Indonésien de 40 ans, est un écologiste de terrain. Son quotidien se partage entre le centre de préservation des gibbons – le plus petit des grands singes – qu’il a créé au beau milieu de la forêt de Bornéo, le sauvetage d’animaux aussi divers que des singes, des panthères, des cobras ou des crocodiles, et Kalaweit, l’association qu’il a fondée (www.kalaweit.org). C’est avec Kalaweit que Chanee a décidé de combattre les compagnies d’huile de palme en achetant des hectares de forêt pour protéger les animaux et les mettre à l’abri de la déforestation et du braconnage. Une méthode très peu utilisée par les ONG écologistes, qui peut surprendre, mais qui est en train de prouver son efficacité. Chanee tient chaque semaine une chronique dans l’émission « Vivement dimanche » présentée par Michel Drucker, sur France 2. Il poste également de nombreuses vidéos de ses actions sur sa chaîne YouTube : Chanee Kalaweit.
Utiliser la logique de l’économie de marché pour sauver l’économie de marché n’est sans doute pas impossible. Un peu comme le rachat des esclaves autrefois préparait les mentalités à l’abandon de l’esclavage, cette protection immédiate et surprenante des forêts primaires menacées peut préparer les consciences à d’autres investissements, d’autres rentabilités, d’autres énergies.
La majorité des catholiques n’attend plus guère le retour du Christ en gloire au jour du Jugement dernier ! Malgré la récitation du Credo le dimanche, rares sont les pratiquants qui intègrent cette venue comme un principe structurant de leur foi. La plupart confondent la venue du Christ avec leur mort individuelle ! Or l’espérance chrétienne est bien plus grande que la seule attente d’une survie individuelle : c’est un monde entièrement renouvelé que nous attendons, « des cieux nouveaux et une terre nouvelle », où la résurrection de tous en Christ instaurera des modes de relation inédits et indescriptibles, au-delà de toutes nos représentations humaines. C’est la grandeur de cette espérance qui nous permettra d’écouter le meilleur des aspirations écologiques d’aujourd’hui sans jamais aplatir cette espérance aux prédictions culpabilisantes ou terrifiantes qui prolifèrent.
Soyons témoins de cette espérance, qui nourrit notre amour de la planète comme compagne de route de l’humanité, alliée et amie de son développement intégral.
[1]. Une autre femme est également connue sous le terme de « vierge rouge du socialisme » : Marta Desrumeaux (1897-1982), communiste du Nord, syndicaliste CGT et résistante (déportée 3 ans à Ravensbrück), l’une des seize premières femmes représentantes parlementaires en France en 1945.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
Le Seigneur rassemble toutes les nations dans la paix éternelle du royaume de Dieu (Is 2, 1-5)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Parole d’Isaïe, – ce qu’il a vu au sujet de Juda et de Jérusalem.
Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : « Venez ! montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. » Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur.
Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre.
Venez, maison de Jacob ! Marchons à la lumière du Seigneur.
PSAUME
(Ps 121 (122), 1-2, 3-4ab, 4cd-5, 6-7, 8-9)
R/ Dans la joie, nous irons à la maison du Seigneur. (cf. Ps 121, 1)
Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem !
Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un !
C’est là que montent les tribus,
les tribus du Seigneur.
C’est là qu’Israël doit rendre grâce
au nom du Seigneur.
C’est là le siège du droit,
le siège de la maison de David.
Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment !
Que la paix règne dans tes murs,
le bonheur dans tes palais ! »
À cause de mes frères et de mes proches,
je dirai : « Paix sur toi ! »
À cause de la maison du Seigneur notre Dieu,
je désire ton bien.
DEUXIÈME LECTURE
« Le salut est plus près de nous » (Rm 13, 11-14a)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, vous le savez : c’est le moment, l’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ.
ÉVANGILE
Veillez pour être prêts (Mt 24, 37-44)
Alléluia. Alléluia.Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Patrick BRAUD
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