Zachée, ou l’éloge de la curiosité
Zachée, ou l’éloge de la curiosité
Homélie du 31° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
03/11/2019
Cf. également :
La puissance, donc la pitié
Zachée-culbuto
Zachée : le juste, l’incisé et la figue
Baladez-vous début septembre dans les rues du X° ou XVIII° arrondissement de Paris. Vous y entendrez des rumeurs, des sonorités étranges. Si vous continuez votre chemin, vous manquerez quelque chose ! Si vous faites un crochet de quelques rues pour voir ce qui se passe, vous tomberez sur un somptueux spectacle, haut en couleurs et en images. Des éclats de noix de coco sur la route, l’odeur de l’encens et du jasmin qui embaume les narines, le son assourdissant des tambours… Comme à son habitude, la traditionnelle fête de Ganesh a mis en éveil les sens de milliers de personnes (50 000 environ en 2019) à Paris. Le dépaysement est total. Chaque année, la communauté hindoue organise un gigantesque défilé pour rendre hommage à leur divinité la plus populaire : Ganesh, le dieu à tête d’éléphant.
Ce teasing culturel parisien vous donnera alors peut-être l’envie d’aller voir sur place d’autres façons d’honorer d’autres dieux, d’autres coutumes pour d’autres fêtes, d’autres costumes pour d’autres climats. La soif de voyager a pour aiguillon la curiosité, ce joli défaut qui nous ouvre à des horizons inconnus. Comment vivent les Africains dans leur brousse rouge latérite ? Quels rituels pratiquent les chinois devant l’autel de leurs ancêtres à la maison ? Que disent les temples égyptiens des 3000 ans d’une civilisation éblouissante avant J.-C. ? Avec l’abaissement du coût des voyages, le trafic aérien mondial ne cesse de croître : il est passé de quelques millions de passagers en 1950 à 3,3 milliards en 2014, la barre du milliard de passagers ayant été franchie en 1987. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO) estime que le nombre de passagers aériens atteindra les 6 milliards d’ici 2030. Ce n’est pas sans conséquences écologiques hélas ! Mais cela reflète l’appétit de découverte qui semble bien consubstantiel à l’esprit humain.
Loin d’être le vilain défaut stigmatisé par la morale traditionnelle, la curiosité est également à l’honneur dans la Bible. Celle de Moïse par exemple est célèbre : s’il n’avait pas fait un détour, intrigué par un buisson en flammes, il n’aurait pas révélé au monde YHWH, l’Unique et le Tout-autre. Dans l’Évangile de ce dimanche (Lc 19, 1-10), c’est la curiosité de Zachée qui mérite d’être louée. Il voit la foule s’amasser à Jéricho sur le passage d’un prophète, puissant dit-on. Intrigué par ce brouhaha et la réputation de cet homme, il prend des risques pour satisfaire sa curiosité : qui est ce Jésus de Nazareth ? Pourrait-il faire quelque chose pour moi ?
Alors, « pour voir » (comme on dirait au poker !) il prend le risque de se mélanger à la foule, lui qui est mal vu du peuple à cause de sa corruption et des pots-de-vin encaissés comme fonctionnaire du Trésor public romain. Il grimpe dans un sycomore, à cause de sa petite taille, et cela l’expose encore plus aux regards de ceux qu’ils dépouillent jour après jour. N’empêche : cela vaut la peine, pense-t-il, car je suis curieux de voir et d’entendre ce prophète. La suite du texte lui donnera raison : sa curiosité risquée paiera. Jésus le distinguera entre tous, s’invitera chez lui, réalisant ainsi ses rêves de réintégration sociale au-delà de ce qu’il imaginait.
En allant au bout de sa curiosité, en s’impliquant lui-même, Zachée s’offre par avance à la transformation qui peut surgir de la découverte de l’inconnu. À la différence du roi Hérode : lui aussi était curieux de savoir qui était le nouveau-né de Bethléem, et c’est à porter à son crédit. Mais il ne bouge pas de son trône ni de Jérusalem. Il envoie les mages à sa place, et ce sont les mages qui seront transformés, repartant « par un autre chemin » qui évite Hérode. Telle est la curiosité qui reste « mondaine », qui ne s’implique pas corps et âme dans la rencontre de l’étrange. La curiosité peut rester superficielle, immobile. Celle de Zachée est active et profonde. La curiosité de salon nourrit les bavardages et fait bruisser les réseaux sociaux. La curiosité du cœur expose celui qui est intrigué et le met en mouvement.
Il y a d’ailleurs une troisième curiosité dans le Nouveau Testament, celle de Paul à Athènes : il découvre les dieux grecs à travers leurs statues dans l’Acropole et la ville ; il fait l’effort d’essayer de comprendre cette culture de l’intérieur alors que ce n’est pas la sienne. Il s’appuie sur ce qu’il a découvert du Dieu inconnu célébré par les Grecs pour leur annoncer la résurrection.
Nul doute que cette curiosité fut aussi celle de Jésus ! Pendant 30 ans à Nazareth, il a observé la nature et les hommes, les boissons et les semailles, les oiseaux du ciel et les métiers du village, les yeux grands ouverts à la manière des enfants découvrant le monde. Ses paraboles en témoignent, qui reprennent tous ces éléments pour leur donner une densité infinie.
Où en sommes-nous de notre curiosité ? Qu’avons-nous faim et soif de découvrir encore ? Sommes-nous déjà si blasés que nul voyage ne nous tente plus, que nulle autre religion ne nous intéresse ? Avons-nous déjà fait le plein d’amis au point de ne plus ouvrir nos cercles habituels ? Le salut offert en Christ trouve dans la curiosité tous azimuts un terreau formidable, tout préparé à l’accueil de la grâce. Les catéchistes le constatent avec émerveillement : il y a des périodes de l’enfance où l’intelligence et le cœur de l’enfant ont soif de découvrir de nouveaux récits, images et rituels sur Dieu. Ils ne savent pas prier à la manière des adultes et ne demandent qu’à apprendre. Ils veulent qu’on leur raconte les histoires de la Bible, celle de Jésus, un film, une bande dessinée, un jeu… : tout ce qui leur ouvrira les portes d’univers insoupçonnés. Avec le temps, ils deviendront peut-être critiques, captifs des seuls écrans de jeu, finalement peu intéressés. Mais chacun connaît cette période où il a soif de connaître tous les possibles, de les expérimenter, d’en savoir plus sur ces questions étranges et fascinantes qu’on peut poser au caté plus qu’ailleurs. Les catéchistes aiment bien les appeler « les curieux de Dieu », tant ce moteur est le point d’appui d’une catéchèse réussie. On a même publié une « Bible des curieux de Dieu » à leur intention, où leur imaginaire pourra aller puiser des figures légendaires comme Samson ou Esther, des histoires fabuleuses comme l’Exode ou la Création, des mines pour la réflexion comme les paraboles de Jésus etc.
Zachée, par sa petite taille, n’avait sans doute pas tout à fait perdu sa curiosité d’enfant, et cela l’a sauvé !
Si Jésus nous invite à « changer pour devenir comme des enfants » (Mt 18, 1-4), c’est notamment pour maintenir vivante en nous la curiosité des enfants de Dieu.
Par la lecture, les voyages, les rencontres, ou les documentaires à la télévision, le surf sur Internet avec ses multiples découvertes inattendues (curiosité et sérendipité sont liées), les détours à effectuer pour aller voir ce qui est étrange à nos yeux sont innombrables : nous pouvons jusqu’à notre dernier souffle faire pétiller dans nos yeux la joie enfantine du cadeau-surprise à déballer avec impatience…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Tu as pitié de tous les hommes, parce que tu aimes tout ce qui existe » (Sg 11, 22 – 12, 2)
Lecture du livre de la Sagesse
Seigneur, le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. Comment aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment serait-il resté vivant, si tu ne l’avais pas appelé ? En fait, tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître qui aimes les vivants, toi dont le souffle impérissable les anime tous. Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal et croient en toi, Seigneur.
PSAUME
(Ps 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! (Ps 144, 1)
Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.
Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.
Le Seigneur est vrai en tout ce qu’il dit,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.
DEUXIÈME LECTURE
« Le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous, et vous en lui » (2 Th 1, 11 – 2, 2)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, nous prions pour vous à tout moment afin que notre Dieu vous trouve dignes de l’appel qu’il vous a adressé ; par sa puissance, qu’il vous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez, et qu’il rende active votre foi. Ainsi, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous, et vous en lui, selon la grâce de notre Dieu et du Seigneur Jésus Christ. Frères, nous avons une demande à vous faire à propos de la venue de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui : si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. »
ÉVANGILE
« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 1-10)
Alléluia. Alléluia.Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle. Alléluia. (Jn 3, 16)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. » Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
Patrick BRAUD