Foi de moutarde !
Foi de moutarde !
Homélie du 27° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
06/10/2019
Cf. également :
Les deux serviteurs inutiles
L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Entre dans la joie de ton maître
Restez en tenue de service
Jesus as a servant leader
Agents de service
Une bonne moutarde à l’ancienne, avec de gros grains et une pâte onctueuse et ferme : imaginez-la sur une andouillette de Troyes, une pièce de bœuf grillé, ou dans la sauce salade faite maison. Immédiatement, un bouquet de saveurs vous reviendra en mémoire, mariant la force et le goût, la couleur et la consistance. Jésus savait bien que parler de moutarde dans une parabole susciterait ce genre d’émotion chez ses auditeurs, et il ne s’en prive pas ! C’est sa manière à lui de rendre concret ce qui demeure insaisissable : la foi.
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde (sénevé), vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. » (Lc 17, 5-7)
Ce faisant, il innove. Car l’Ancien Testament ne parlait jamais de cette humble graine appelée également sénevé, ni le reste du Nouveau Testament d’ailleurs. Les seules occurrences de cette graine sont dans cette parabole dans Matthieu et dans Luc. Il fallait son regard d’enfant de Nazareth, d’adolescent se promenant dans les champs de Galilée pour remarquer ces tiges velues et feuillues aux propriétés bien intéressantes à cultiver dans son potager. En choisissant d’accrocher la foi à ces graines plutôt qu’à une idée ou un concept, Jésus pratique d’instinct une pensée concrète qui parle d’expérience aux paysans, aux ruraux qui sont la majorité de ses contemporains. L’avantage de ces paraboles très simples est qu’elles constituent un réservoir inépuisable d’interprétations. Les citadins que nous sommes devenus en 2000 ans continuent à voir dans cette comparaison un lien entre foi et saveurs, mais aussi entre foi et croissance, foi et guérison, jusqu’à penser l’effet papillon de la foi (au sens de la théorie du chaos).
Croire et croître
Le premier effet de la parabole est visuel, saisissant : de la bille noire minuscule qui se coince entre deux dents à la belle plante potagère haute de 1 m à 3 m, quelle croissance spectaculaire ! Qui pourrait croire qu’un tel potentiel de vitalité est concentré dans le point de départ si infime ? La loi de croissance organique qui préside au développement de cette graine peut devenir le principe de notre propre croissance spirituelle. Très peu de foi suffit pour grandir.
En français, dire, je crois peux avoir les deux significations, à un accent près : je fais confiance (fides = foi, confiance) ou : je grandis, je déploie toutes les potentialités de mon être (je croîs, du verbe croître = se développer). Me confier à Dieu a pour résultat immédiat de faire pousser en moi les qualités utiles aux autres (les oiseaux du ciel) : hauteur de vue, saveurs, protection des petits (ombre reposante) etc.
Je relisais récemment la vie d’Armand Marquiset, fondateur de l’association des Petits Frères des Pauvres et de Frères des Hommes. Il aura suffi d’un éblouissement intérieur à Notre Dame de Paris en juin 1936 pour que cet homme, seul au début, déploie après la guerre un immense réseau de solidarité et de chaleur humaine auprès des « vieillards » isolés comme on disait à l’époque. Aujourd’hui, les Petits Frères des Pauvres représentent un réseau de plus de 12 000 bénévoles qui visitent chaque semaine 36 000 personnes âgées isolées. Plus de 600 salariés organisent des séjours de vacances, des réveillons de Noël, des sorties culturelles, du relogement etc. Voilà une histoire de graine de moutarde qui a soulevé des montagnes pour faire reculer la solitude et l’isolement, obtenir des fonds, être déclarée grande cause nationale en 1996 etc.
Oui, s’en remettre à Dieu avec confiance c’est grandir, et réussir ses projets selon son cœur au-delà de toute espérance !
Croire et guérir
Un autre usage de la plante moutarde était médicinal à l’époque de Jésus. Ses feuilles sont riches en vitamine C, et constituent un bon tonic printanier et un bon dépuratif. On l’a employée pour soigner la bronchite et autres affections respiratoires ; et surtout, ses graines ont des propriétés répulsives qui font merveille en cataplasme de choc.
Comparer la foi à une graine plante de moutarde, c’est donc lier de manière naturelle croire et guérir. Comme un cataplasme appliqué sur les zones douloureuses, la foi réchauffe et assouplit nos raideurs personnelles, nos congestions spirituelles.
On oublie que le mot salut vient de la même racine que le mot santé. L’impératif latin Salve (deuxième personne de l’impératif) signifie : « Porte-toi bien » ; il a donné le mot salut, qui souhaite la bonne santé à quelqu’un.
Le salut au temps de Jésus désigne indissociablement la santé de l’âme et du corps. L’histoire de la petite graine de moutarde nous met sur la piste d’une foi qui guérit, ce que toutes les thérapies naturelles du bien-être et du développement personnel expérimentent à leur manière aujourd’hui. Nous avons un trésor dans notre tradition chrétienne : le corps humain est tout entier impliqué et concerné dans l’accueil du salut par la foi ! Peut-être cela nous aidera-t-il à avoir une pratique moins matérialiste de la médecine, sans pour autant tomber dans les dérives magiques de soi-disant guérisseurs en tout genre ?
Croire et goûter
Le goût si fort de la moutarde à l’ancienne se superpose immédiatement au nom de la plante moutarde : la foi est affaire de saveur ! Elle rehausse les joies simples de la vie. Elle donne un poids d’éternité à l’amitié partagée, à la communion amoureuse, au repas si délicat qu’il enchante les pupilles, au velouté du vin d’exception… Il y a un épicurisme chrétien qui, loin de mépriser la joie de la chair, lui donne une forme de plénitude, d’accomplissement étonnant. La vie a un autre goût lorsque l’on croit ! La moindre rencontre, la joie la plus humble, le plaisir le plus simple acquièrent une stature, une hauteur et une profondeur dont la disproportion graine de moutarde / plante adulte nous donne une faible idée. Tout peut être savouré avec une intensité élevée au carré lorsqu’on y entend les harmoniques du salut à venir…
L’effet papillon de la foi
On a déjà évoqué cette propriété stupéfiante des équations météorologiques de Konrad Lorentz (cf. L’effet papillon de la foi). Le battement d’ailes d’un papillon sur la côte est des États-Unis peut provoquer, par enchaînement successifs, une tornade sur la côte ouest ! Et c’est vrai que les plus petits leviers peuvent soulever des montagnes énormes, les plus petites graines engendrer des arbres immenses.
La Bible regorge d’exemples illustrant l’importance des petites choses [1]. Une petite pierre a fait tomber un géant; une petite coupe de cheveux a failli causer la perte du royaume ; un petit repas a coûté la vie à un prophète ; une petite mangeoire a changé la destinée de toute l’humanité ; un petit arrangement a provoqué la mort du Sauveur, pour qu’une toute petite graine de moutarde puisse déplacer des montagnes !
Ézéchiel prend l’image du petit rameau qui va devenir une demeure pour les oiseaux du ciel :
Ainsi parle le Seigneur, Yahvé : J’enlèverai, moi, la cime d’un grand cèdre, et je la placerai; j’arracherai du sommet de ses branches un tendre rameau, et je le planterai sur une montagne haute et élevée. Je le planterai sur une haute montagne d’Israël; il produira des branches et portera du fruit, il deviendra un cèdre magnifique. Les oiseaux de toute espèce reposeront sous lui, tout ce qui a des ailes reposera sous l’ombre de ses rameaux. (Ez 17, 22-23)
La Bible nous dit de « ne pas mépriser le jour des petits commencements », même un seul talent ; même cinq pains et deux petits poisons ; une mauvaise décision dans le Jardin d’Eden ; un petit bateau dans un déluge planétaire ; une petite tour de Babel, qui provoqua une confusion mondiale jusqu’à nos jours et d’innombrables guerres entre les nations de la terre ; une petite promesse faite à Abraham, qui fit tomber des bénédictions sur le monde entier ; un petit homme sur une montagne, qui transmit le Décalogue à toute la terre ; un petit garçon dans une bergerie, qui devint roi et contribua à changer le cours de l’histoire ; une petite mesure de farine et quelques gouttes d’huile, mélangées à de l’obéissance, qui permirent au prophète de Dieu, à son hôtesse et à son fils de survivre durant trois années de famine.
« Car ceux qui méprisaient le jour des faibles commencements se réjouiront […] » (Za 4,10)
Plus que jamais, nous pouvons croire à l’importance des commencements. Il nous faut pour cela « des veilleurs sur les remparts de Jérusalem », pour distinguer au loin ce qui vient, pour repérer comme Élie au Mont Carmel le nuage dans le ciel à peine plus gros que le point mais annonciateur de la pluie salvatrice. Il nous faut des planteurs de graines aussi minuscules que celle de la moutarde, qui feront confiance à leur pouvoir démultiplicateur.
Ne nous laissons donc pas fasciner par les colosses aux pieds d’argile (too big to fall pensait-on avant la crise financière de 2008). Small is beautiful pourrait être comme dans les années 80 un beau slogan à remettre à l’ordre du jour…
Terminons en citant deux autres usages de cette image de la graine de moutarde. L’un dans le Coran, qui reprend sa petitesse pour évoquer que rien n’échappe à Allah omniscient :
« À la résurrection, sur les balances justes, personne ne sera trompé du poids d’un grain de moutarde… Devant son tribunal, ce qui ne pèserait qu’un grain de moutarde, fût-il caché… au ciel ou sur la terre, sera produit par Dieu… »(Sourates 21.47 ; 31.16).
L’autre usage est dans le Catéchisme de l’Église catholique. Avec poésie, le court texte du Credo de Nicée-Constantinople est comparé à une graine de moutarde contenant tous les développements ultérieurs de la théologie et de la spiritualité :
CEC n° 186
Comme la semence de sénevé contient dans une toute petite graine un grand nombre de branches, de même ce résumé de la foi renferme-t-il en quelques paroles toute la connaissance de la vraie piété contenue dans l’Ancien et le Nouveau Testament (S. Cyrille de Jérusalem, catech. ill. 5,12).
Relisez donc la parabole de Jésus : vous ne verrez plus jamais votre pot de moutarde à l’ancienne comme avant !
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)
Lecture du livre du prophète Habacuc
Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.
PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur ! (cf. Ps 94, 8a.7d)
Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !
Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.
ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD