L'homélie du dimanche (prochain)

25 août 2019

Recevoir la première place

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Recevoir la première place

Homélie pour le 22° Dimanche du temps ordinaire / Année C
01/09/2019

Cf. également :

Plus humble que Dieu, tu meurs !
Dieu est le plus humble de tous les hommes
Un festin par-dessus le marché
Jesus as a servant leader
Du bon usage des leaders et du leadership
Quand Dieu appelle

Une promotion ? Non, merci !

avancement Sgen-CFDTGuillaume est un employé modèle, sur qui on peut compter. Il a de l’expertise et de l’expérience. Son hiérarchique le convoque dans son bureau et lui annonce :
- « Bonne nouvelle Guillaume : vous êtes promu chef d’atelier ! Nous pensons que vous avez bien mérité cet avancement. »
Silence gêné de Guillaume, qui reprend tout doucement la parole après quelques secondes de réflexion :
- « Chef, c’est pas pour moi. Tout ce que je veux, c’est rester dans mon métier actuel, avec mes collègues. Les responsabilités, c’est pas pour moi. Désolé. »
Ils seraient environ la moitié des salariés du privé à refuser comme Guillaume de devenir cadre (selon une étude de l’Association Pour l’Emploi des Cadres (APEC) en 2009), quitte à stagner dans leur carrière, voire même à préférer la rétrogradation ou la perte de statut à un poste ultra stressant. Les raisons sont multiples, mais la peur en fait partie : peur de quitter une situation maîtrisée et confortable, peur du flou du statut du cadre, peur de ne plus avoir d’horaires, d’être jugé sur le résultat des autres, de manager une équipe etc.

C’est pourtant une des conséquences surprenantes de la parabole de la dernière place imaginée par Jésus en ce dimanche (Lc 14, 1.7-14) :
« Quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

On a raison de se focaliser sur la pointe de la parabole : prendre la dernière place. Mais on aurait tort d’oublier le corollaire tout aussi exigeant : accepter d’être invité à monter plus haut lorsque le maître du repas m’y invite ! D’ailleurs le texte s’organise autour de ces deux oppositions : première / dernière place, et prendre / recevoir. Nous voyons bien ceux qui jouent des coudes pour occuper le premier rang dans tous les domaines. Ceux qui dans une association veulent être président, ceux qui tiennent à parler au micro pour qu’on les remarque, ceux qui n’arrivent pas à décrocher d’un mandat électif après tant d’années, ceux qui s’accrochent à leurs privilèges comme la place de parking à l’usine, le téléphone de fonction ou le rang dans l’organigramme… Ils sont hélas légion ceux qui prennent de force la place (relative) de premier dans les grandes ou des petites tâches. Même dans l’Église, certains se battent pour être nommés responsable de ceci ou de cela, et ensuite ils ne veulent plus laisser la place à personne d’autre ! C’est tellement visible que cela fait pitié…

À l’inverse, nous voyons beaucoup moins facilement ceux qui se cachent pour ne pas être appelés, ceux qui ont peur des responsabilités et ne veulent pas donner plus que maintenant. À tel point que nous avons perdu l’habitude, même en Église, d’appeler quelques-uns à monter plus haut au lieu de laisser certains s’accaparer une première place. Au lieu de discerner : ‘qui pouvons-nous appeler à devenir catéchiste ?’, nous préférons demander à la cantonade : ‘y a-t-il des volontaires pour faire le caté ?’, quitte à laisser  s’installer des personnes qui n’ont absolument pas le charisme requis…

 

Accepter de recevoir des responsabilités

N’est pas chef qui veut, mais qui y est appelé.

Qu'est-ce qu'un chef ?Cela devrait être la norme pour toute responsabilité, en Église comme ailleurs. D’ailleurs, nul n’a le droit de devenir prêtre ou évêque, même s’il le désire très fort. Il faut qu’il y soit appelé (par l’évêque, le pape). On ne se fait pas prêtre, on y est ordonné par quelqu’un d’autre.

Être invité à monter plus haut est la conséquence d’une humilité véritable.

On voudrait nous faire croire qu’il faudrait inévitablement beaucoup d’ego pour devenir un personnage politique, un élu, un responsable. C’est oublier Gandhi, Martin Luther King, Mandela et tant d’autres. C’est oublier Moïse, « l’homme le plus humble que la terre ait  porté » (Nb 12,3), à qui Dieu a dû forcer la main en quelque sorte pour le contraindre à prendre la tête de la révolte et de l’Exode, jusqu’à lui donner Aaron comme porte-parole puisque Moïse était bègue (Ex 4, 10-17) et donc non prédestiné à jouer les premiers rôles !

Ce serait oublier également que Jésus lui-même a pratiqué cet appel pour les Douze, pour Pierre en particulier, pour Paul ensuite. Ce serait oublier que Matthias ne demandait rien lorsque l’Église lui a demandé de prendre la place de Judas après Pâques (Ac 1, 15-26). Ce serait oublier que les Sept (diacres) n’étaient candidats à rien lorsqu’on est venu les chercher pour leur demander d’accepter le ministère des tables (Ac 6, 1-7).

L’humilité au cœur de notre parabole a donc un autre versant, tout aussi exigeant : accepter de recevoir des responsabilités, tout en restant humblement à la dernière place en son cœur.

 

Pour une culture de l’appel

Recevoir la première place dans Communauté spirituelle VOLVO-JAUNE-196x130Un ami travaillant dans l’entreprise franco-suédoise Volvo Trucks me racontait comment s’organise le travail dans leurs usines depuis plus de 30 ans. La production est répartie en plusieurs mini-usines, une vingtaine d’ouvriers environ, à qui on a confié assez d’autonomie pour gérer leurs clients, leurs fournisseurs, leurs commandes, leurs horaires etc. Pas plus de 20 ouvriers, sinon les liens deviennent impersonnels et la communication difficile. Une taille quasi familiale. Pour coordonner le travail au sein de cette mini-usine il faut un responsable d’équipe. Chez Volvo Trucks, ce n’est pas la hiérarchie qui le nomme, ni un  volontaire qui fait campagne. Non : c’est l’équipe qui délibère, qui discute du contenu de ce rôle, et qui vote pour élire celui ou celle qui sera leur responsable, pour un temps. Utopique ? Non, car cela marche depuis longtemps, dans une grande entreprise (plus de 100 000 salariés) et dans un secteur industriel (la fabrication de camions sophistiqués) qui ne tolère pas l’à-peu-près.

Une culture de l'appel pour la cause de l'ÉvangileIl est donc possible de pratiquer une culture de l’appel dans tous les domaines de notre vie. Cela suppose de dire non à ceux qui veulent s’arroger les premières places de leur propre initiative. Cela suppose de discerner qui inviter à monter plus haut. Cela suppose pour celui qui est appelé assez d’humilité pour ne pas se cacher en restant au fond, pour vaincre sa peur ou sa timidité, pour faire confiance à ceux qui l’appellent.

Ce serait une comédie que de prétexter une fausse humilité pour préserver sa tranquillité.
Ce serait enfouir son talent que de ne pas monter plus haut si on y est invité.
Ce serait déserter que d’abandonner aux ambitieux et aux carriéristes les responsabilités qu’ils dévoieront dans leur intérêt.

Jean Lévêque, carme de la Province de Paris, commente avec justesse [1] :

La dernière place, ce n’est pas une place où l’on cesse d’être soi-même, mais où l’on est humblement soi-même devant Dieu. Ce n’est pas une place où l’on se déprécie, mais où on apprécie toutes choses selon Dieu.
À la dernière place, on n’est pas au-dessous de tout, mais au service de tous.
On peut avoir de grandes responsabilités, beaucoup de relations, un travail aux avant-postes, et en même temps choisir la dernière place, quand on accepte d’œuvrer au poste que d’autres fuient, quand on continue à servir malgré les malveillances ou les incompréhensions, quand on reste en vue, exposé, disponible, alors qu’on voudrait se cacher et être un peu à soi-même.
On choisit la dernière place lorsqu’on choisit de ne pas se positionner par rapport aux autres comme celui ou celle qui a droit à des égards spéciaux, à une confiance particulière, comme celui ou celle  qui a déjà son petit carton sur la table de Dieu.
On opte pour la dernière place, la place modeste, quand on ne se donne pas à soi-même un rang parmi les frères, quand on se contente, sans amertume, de la place offerte par eux dans leur estime ou leur affection.

À la dernière place, on laisse au Maître toute l’initiative, pour le cas où il voudrait s’avancer en disant: « Mon ami, approche-toi, monte plus haut ! »
La dernière place, c’est celle où l’on se perd soi-même de vue, attentif que l’on est à ce que le Maître va dire ou va faire; c’est celle où l’on se contente de Jésus et de son amitié, sans frustrations, sans regrets, sans tristesse; c’est celle où l’on consent à être dérangeable, et où les projets de l’homme s’effacent toujours joyeusement derrière le projet de Dieu.
À la dernière place nous n’attendons plus d’être valorisés, sinon par le regard du Christ, ami et compagnon;  nous ne cherchons  plus à occuper un espace dans le souvenir ou les visées de qui que ce soit, hormis Dieu qui est pour nous le trésor et donc le lieu de notre cœur.
Nous nous trouvons tout heureux déjà d’avoir pu entrer et d’avoir part au festin, même en bout de table, puisque c’est la table du Seigneur.

 

Servant leader

Servant as Leader 600 x 600En management, le courant de pensée du servant leadership né dans les années 70 aux USA avec Robert K. Greenleaf met l’accent sur une double qualité qui caractérise les grands chefs. Le servant leader veut d’abord servir, c’est-à-dire faire grandir et se développer les autres. Parce qu’il veut que ce service soit fécond, il accepte de devenir leader si on lui propose, afin d’avoir les moyens de transformer le travail et son organisation dans le sens du service de tous. C’est parce qu’il est fondamentalement servant qu’on lui demande d’être leader, et non l’inverse. Leader parce que servant, et non servant parce que leader (the servant as leader, comme l’écrit Greenleaf, et non the leader as servant). Un chef qui voudrait faire semblant de devenir serviteur pour se légitimer sera vite démasqué. Un serviteur qui assume une promotion, des responsabilités en plus, parce qu’on a confiance dans sa capacité à servir le bien commun, celui-là sera considéré comme grand et légitime, alors qu’il reste humble et au service.

Le Christ n’a-t-il pas fait du lavement des pieds le paradigme de toute autorité ?

Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. (Jn 13, 13-17)

Ne soyons donc pas comme tous les ambitieux qui courent après les honneurs et les premières places. Au lieu de prendre, ce qui constitue le péché premier de la Genèse (la prédation), acceptons de recevoir, même si cela exige de monter sans cesse plus haut.

Car Marie nous chantait le 15 août dernier : « Déployant la force de son bras, Dieu disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles » (Lc 1, 51-52).

 


 

Lectures de la messe

Première lecture
« Il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur » (Si 3, 17-18.20.28-29)
Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. Grande est la puissance du Seigneur, et les humbles lui rendent gloire. La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui. Qui est sensé médite les maximes de la sagesse ; l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute.

Psaume
(Ps 67 (68), 4-5ac, 6-7ab, 10-11)
R/ Béni soit le Seigneur : il élève les humbles.
(cf. Lc 1, 52)

Les justes sont en fête, ils exultent ;
devant la face de Dieu ils dansent de joie.
Chantez pour Dieu, jouez pour son nom
Son nom est Le Seigneur ; dansez devant sa face.

Père des orphelins, défenseur des veuves,
tel est Dieu dans sa sainte demeure.
À l’isolé, Dieu accorde une maison ;
aux captifs, il rend la liberté.

Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse,
et quand il défaillait, toi, tu le soutenais.
Sur les lieux où campait ton troupeau,
tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre.

Deuxième lecture
« Vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant » (He 12, 18-19.22-24a)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, quand vous êtes venus vers Dieu, vous n’êtes pas venus vers une réalité palpable, embrasée par le feu, comme la montagne du Sinaï : pas d’obscurité, de ténèbres ni d’ouragan, pas de son de trompettes ni de paroles prononcées par cette voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre. Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des myriades d’anges en fête et vers l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux. Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous, et vers les esprits des justes amenés à la perfection. Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle.

Évangile
« Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14, 1.7-14)
Alléluia. Alléluia.
Prenez sur vous mon joug, dit le Seigneur ; devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur. Alléluia. (cf. Mt 11, 29ab)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »

Patrick BRAUD

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18 août 2019

Maigrir pour la porte étroite

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Maigrir pour la porte étroite

Homélie pour le 21° Dimanche du temps ordinaire / Année C
25/08/2019

Cf. également :

Qui aime bien châtie bien ?
Dieu aime les païens
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?
Prenez la porte
Le berger et la porte

Bethléem ou la loge

Maigrir pour la porte étroite dans Communauté spirituelle Porte-dentrC3A9e-de-la-Basilique-de-la-NativitC3A9-C3A0-BethlC3A9emSi vous avez un jour le bonheur d’aller à Bethléem, vous verrez l’étrange entrée de la basilique de la Nativité : une porte si basse qu’il faut se courber – voire se casser en deux pour les plus grands – si on veut la passer. C’est bien sûr un écho de notre parabole d’aujourd’hui (Lc 13, 22-30), qui appelle à l’humilité pour entrer dans le royaume des cieux :

Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »
Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.

Ainsi, qu’on soit prince ou qu’on soit gueux, la condition est la même pour entrer : se faire tout petit. L’effort sera plus important pour les « grands de ce monde », alors que les « petites gens » se faufileront aisément. Ce symbole est d’ailleurs repris dans le rite d’entrée dans la plupart des loges maçonniques. Pour les francs-maçons, la porte basse signifie qu’il faut demander à entrer dans la loge, demander d’acquérir le savoir et la sagesse, accepter d’être guidé pour progresser. Le glossaire général du symbolisme maçonnique nous indique que la « Porte du temple », placée entre les deux Colonnes, est un symbole particulièrement parlant et que, pour subir son Initiation, le Profane pénètre dans la Loge par la « Porte basse ». Le rituel maçonnique veut en effet que le candidat à l’Initiation soit obligé de se courber lors de sa première entrée dans la Loge. Bien que cette attitude puisse inciter à faire preuve d’humilité, il ne s’agit pas d’humilier le candidat, mais de lui signifier qu’il meurt à la vie profane pour renaître à une vie nouvelle.

 

Porte basse ou porte étroite ?

gros étroit dans Communauté spirituelleÀ vrai dire, le texte de Luc ne parle pas de porte basse, mais étroite.
Il n’y a que trois usages du mot « stenos »  (qui a donné sténodactylo etc.) = « étroit » dans toute la Bible, et c’est pour notre parabole (Mt 7,13.14 ; Lc 13,24). Cela ne contredit nullement l’humilité évoquée plus haut. Mais si franchir une porte basse demande se faire petit, passer une porte étroite demande de se faire… maigre ! Ce n’est pas tout à fait la même chose !

En fait, le gras dans la Bible a deux fonctions :

- sur les animaux offerts en sacrifice, il symbolise la part qui revient à Dieu. Comme la graisse fond sur l’autel brûlant pour couler dans le feu et finalement s’élever vers le ciel en fumée, ainsi une part de ce que nous possédons et consommons doit revenir à Dieu pour que nos biens ne nous empoisonnent pas, pour que nos possessions ne nous possèdent pas.

Dans le sacrifice de communion, on met à part la graisse des animaux offerts à Dieu. (Si 47,2)
Toute graisse revient au Seigneur. (Lévitique 3,16)

- sur les humains, le gras au contraire est signe d’idolâtrie, d’alourdissement du cœur, de domination des pauvres :

Dans mon peuple se trouvent des coupables aux aguets comme l’oiseleur accroupi, ils dressent des pièges et ils attrapent… des hommes. Tel un panier plein d’oiseaux, leurs maisons sont pleines de rapines : c’est ainsi qu’ils deviennent grands et riches, gras et reluisants. Ils battent le record du mal, ils ne respectent plus le droit, le droit de l’orphelin; et ils réussissent. Ils ne prennent pas en main la cause des pauvres. (Jérémie 5, 26-27)

Voici : pendant toute sa vie, le méchant se tourmente. […] C’est qu’il a levé la main contre Dieu, et qu’il a bravé le Puissant. C’est que la graisse a empâté son visage et le lard a alourdi ses reins. (Job 15, 20-27)

Le chapitre 3 du livre des Juges nous raconte que le roi de Moab asservit Israël pendant 18 ans. « C’était un homme très gros », précise le texte. Ehoud, de la tribu de Benjamin, se fit un poignard long de 50 cm environ pour pouvoir percer la graisse du tyran :

Ehoud dit:  » J’ai une parole de Dieu pour toi « , et le roi se leva de son siège. Ehoud étendit la main gauche, prit le poignard sur sa cuisse droite et l’enfonça dans le ventre du roi. Même la poignée entra après la lame et la graisse se referma sur la lame, car Ehoud n’avait pas retiré le poignard du ventre du roi;

Les psaumes relaient cette méfiance envers les gens dont la grasse opulence est suspecte :

Garde-moi comme la prunelle de l’œil, cache-moi à l’ombre de tes ailes, loin des méchants qui m’ont pillé et des ennemis mortels qui me cernent. Ils sont bouffis de graisse, leur bouche parle avec arrogance. (Ps 17, 8-10)

Des orgueilleux m’ont sali de leurs mensonges, moi, de tout cœur, j’observe tes préceptes. Leur cœur s’est figé comme de la graisse; moi, je me délecte de ta Loi. (Ps 119, 69-70)

De toute façon, il nous faut nous délester de la graisse qui nous empêcherait de passer la porte étroite ! On imagine mal Obélix ou Hercule Poirot réussir à passer une porte étroite comme une meurtrière…

 

Simplicité volontaire

L'ABC de la simplicité volontaire par BoisvertQue faut-il faire pour devenir aussi étroit que ce passage ? Un courant de pensée actuellement très vigoureux semble avoir entendu cet appel sur le plan de nos modes de vie. On l’appelle sobriété heureuse, frugalité, simplicité volontaire [1]. La simplicité volontaire est un mode de vie consistant à réduire volontairement sa consommation, ainsi que les impacts (sociaux, écologiques, personnels et collectifs…) de cette dernière.

Évidemment elle s’inscrit à contre-courant de l’économie libérale pour qui l’accumulation des biens, la course au ‘toujours plus’ est le fondement de la prospérité ! Réfréner son désir de posséder, réduire sa consommation pour ne pas s’épuiser dans une course sans fin ni épuiser la planète en la pillant toujours davantage : la simplicité volontaire cherche à rendre compatibles nos biens et le bien de tous (dont les générations futures), en essentialisant nos besoins, en respectant les équilibres naturels. Les chrétiens pourront s’intéresser à ces recherches nouvelles, car elles sont comme une harmonique de la porte étroite de ce dimanche.

 

Maigrir spirituellement

Porte étroiteUn peu comme la simplicité volontaire infléchit l’économie, l’image de la porte étroite peut infléchir notre vie spirituelle. Il s’agit bien de faire fondre nos excès comme la graisse des holocaustes. Il s’agit bien de nous délester de ce qui nous alourdit dans notre marche vers Dieu. Maigrir spirituellement pour passer la porte étroite nous appelle des conversions multiples :

 

- Nous libérer des ambitions dévorantes.

Le gras qui viendra obstruer le passage, c’est d’abord la convoitise, la boulimie. Que  chacun s’examine : quelles sont parmi mes ambitions celles qui m’épuisent parce qu’elles ne me correspondent pas vraiment ? Quels sont les rêves de réussite qui me font faire des folies ? qui sollicitent de moi une énergie au-delà du raisonnable ? qui atrophient mes autres réussites ? Quelle démesure (la fameuse hybris des Grecs) rend tel ou tel de mes projets insensé ?

Mais où s'arrêtera-t-il ?Nous connaissons tous des personnes qui deviennent amères ou frustrées à force de convoiter une promotion professionnelle, une réussite sociale, un niveau de vie qu’elles  n’atteindront jamais. Et il ne s’agit pas que de convoitises matérielles : même dans l’Église, certains ont des ambitions dévorantes (devenir évêque, cardinal, responsable de ceci ou de cela…) qui les corrompt et les épuise.

L’antidote est la simplicité du cœur prôné par les psaumes : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux. Je ne poursuis ni grand dessein ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse, comme un petit enfant tout contre sa mère » (Ps30). Thérèse de Lisieux a écrit des lignes extraordinaires sur cette « petite voie » de l’enfance spirituelle.

Car l’ambition mal placée est un Moloch qui dévore ses enfants. L’ambition authentiquement spirituelle serait plutôt du côté de l’aspiration à la sainteté, qui par définition s’accueille (Dieu seul est saint) et ne se conquiert pas

Cette libération des idoles vers lesquelles tout le monde se rue (Ps 15) est une affaire individuelle, et en même temps un enjeu de société : la course au PIB, à l’armement, au gaspillage énergétique, à l’individualisme forcené etc. font partie de cette graisse collective qui empêche une société de passer la porte étroite d’une vie commune respectueuse de chacun, de tous, de la planète, de l’avenir.

 

- M’accepter joyeusement tel que je suis.

s'accepter potentiel-infini.beAyant ainsi renoncé à la poursuite de chimères destructrices, je peux me réconcilier avec moi-même. Pas besoin de me rêver autre que ce que je suis (même si cela ne me dispense pas de travailler sur moi-même). Consentir à soi est la base de la sagesse. C’est le fameux « comme toi-même » de l’impératif du Lévitique (et du Christ) : « aime ton prochain comme toi-même ». Si je ne suis pas en paix avec moi-même, mon histoire, ma famille, mon corps, mes capacités de tous ordres, comment pourrais-je accepter l’autre en tant qu’autre ? Je reprocherai chez lui ce que je n’accepte pas chez moi. Un peu comme Cahuzac se voulait chevalier blanc de la fraude fiscale alors qu’il la pratiquait allègrement pour son propre compte… Un peu comme la grenouille de La Fontaine qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, et enfle jusqu’à éclater de convoitise !

Une certaine acceptation de soi, sans complaisance, nous permet de dégonfler les baudruches spirituelles autrement trop envahissantes.

 

- Nous délester du superflu, chacun et ensemble.

se-lib%C3%A9rer-du-superflu frugalitéIl n’y a rien de plus matériel que le spirituel ! Car la justesse de la relation à Dieu (dans son Esprit) va de pair avec une autre relation aux biens matériels. L’obésité de richesse a des conséquences spirituelles, et réciproquement. François d’Assise l’avait bien compris, qui demandait à ses frères d’épouser « Dame Pauvreté », afin d’être libres pour la mission (cf. Mt 10 : « n’emportez ni tunique, ni sandale de rechange… »). Dans les béguinages du nord de l’Europe, des milliers de femmes depuis le XII° siècle ont choisi un mode de vie communautaire remarquable, sobre et simple, chacune ayant sa maison, travaillant souvent à l’extérieur, partageant leurs biens ainsi que les prières et la vie fraternelle. Les oasis de paix au cœur des villes qu’elles ont construit se visitent toujours avec émotion et bonheur.

Au minimum, chacun aujourd’hui pourrait se poser les questions suivantes : qu’ai-je en trop ? De quoi ne me suis-je pas servi ou si peu depuis un an ? Pourrai-je le vendre, le louer, le partager, le donner ? Comment réduire mon empreinte carbone (transports, nourriture, énergie…) ? Qu’ai-je vraiment besoin de posséder en propre ?

Se délester du superflu est libératoire (et jubilatoire !) : l’énergie ainsi rendue disponible sera orientée vers d’autres buts bien plus humanisants.

Le superflu peut également relever de l’utilisation du temps : combien d’heures devant un écran chaque jour ? Combien de réunions professionnelles ou associatives inutiles ? Tout en laissant des plages de temps pour le repos et le ressourcement, quel est le superflu qui me distrait d’avoir le temps pour l’essentiel ?

On le voit : faire fondre ses graisses matérielles, temporelles et spirituelles demande un grand art du discernement, pour savoir distinguer l’essentiel du superflu, et trouver le courage de diminuer le second au profit du premier.

 

- Simplifier sa foi, sa prière, sa charité.

Jésus pouvait essentialiser les 613 commandements juifs en les ramenant à un seul. Paul limitait à trois les vertus importantes. Et les Pères de l’Église fondaient leur morale chrétienne sur la seule règle d’or (« Faites pour les autres tout ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous, car c’est là tout l’enseignement de la Loi et des prophètes » Mt 7,12).

Plus on avance vers la porte étroite, plus la foi se simplifie : loin des constructions alambiquées et obscures des théologiens scolastiques, à mille lieues des pensées ésotériques encombrées de symboles et de personnages imaginaires, la foi chrétienne tient en quelques convictions fortes. D’ailleurs la vérité en christianisme n’est pas un système d’énoncés ou de propositions à croire, mais c’est quelqu’un - le Vivant – en qui faire confiance.

Du coup la prière également se simplifie en avançant vers la porte étroite : pas besoin de rites compliqués, de liturgies hyper chargées, de mystérieux mantras à rabâcher, de longues retraites avec des gourous aux mille concepts. La relation de confiance à la source de tout amour engendre une prière toute simple : merci, pardon, s’il te plaît… Les psaumes en sont une belle école.

La charité n’a elle aussi pas besoin de s’enfler d’orgueil ou de calcul : se faufiler à travers l’étroit passage demandent d’abandonner aux autres ce qui nous empêche, et nous le faisons alors avec joie, sans avoir besoin de faire sonner de la trompette.

Me libérer des ambitions dévorantes, me délester de mon superflu, m’accepter joyeusement tel que je suis, simplifier ma foi /prière /charité : voilà au moins quatre pistes très concrètes, un quasi régime alimentaire pour maigrir spirituellement et devenir capable de se faufiler à travers la porte étroite.

Que vais-je choisir pour commencer cette semaine ?

Quel « régime » spirituel sur l’année à venir ?

 


[1]. On peut en trouver la trace dans les écrits de Léon Tolstoï, de John Ruskin (Unto This Last), Henry David Thoreau (Walden). Ce mode de vie est représenté, par exemple, par les abbayes contemplatives, par les franciscains ou encore les Communautés de l’Arche de Lanza del Vasto, inspiré par Gandhi, lui-même inspiré par Thoreau et Ruskin. On le retrouve aussi au Québec sous l’influence de penseurs comme Serge Mongeau et des éditions Écosociété.

 


Lectures de la messe

Première lecture
« De toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères » (Is 66, 18-21)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : connaissant leurs actions et leurs pensées, moi, je viens rassembler toutes les nations, de toute langue. Elles viendront et verront ma gloire : je mettrai chez elles un signe ! Et, du milieu d’elles, j’enverrai des rescapés vers les nations les plus éloignées, vers les îles lointaines qui n’ont rien entendu de ma renommée, qui n’ont pas vu ma gloire ; ma gloire, ces rescapés l’annonceront parmi les nations. Et, de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères, en offrande au Seigneur, sur des chevaux et des chariots, en litière, à dos de mulets et de dromadaires, jusqu’à ma montagne sainte, à Jérusalem, – dit le Seigneur. On les portera comme l’offrande qu’apportent les fils d’Israël, dans des vases purs, à la maison du Seigneur. Je prendrai même des prêtres et des lévites parmi eux, – dit le Seigneur.

Psaume
(Ps 116 (117), 1, 2)
R/ Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile. ou : Alléluia !
(Mc 16, 15)

Louez le Seigneur, tous les peuples ;
fêtez-le, tous les pays !

Son amour envers nous s’est montré le plus fort ;
éternelle est la fidélité du Seigneur !

Deuxième lecture
« Quand Dieu aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons » (He 12, 5-7.11-13)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, vous avez oublié cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils : Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches. Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils. Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice. C’est pourquoi, redressez les mains inertes et les genoux qui fléchissent, et rendez droits pour vos pieds les sentiers tortueux. Ainsi, celui qui boite ne se fera pas d’entorse ; bien plus, il sera guéri.

Évangile

« On viendra de l’orient et de l’occident prendre place au festin dans le royaume de Dieu » (Lc 13, 22-30)
Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, dit le Seigneur ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Alléluia. (Jn 14, 6)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant. Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’ Alors vous vous mettrez à dire : ‘Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.’ Il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.’ Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
Patrick BRAUD

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15 août 2019

La foi : combien de divisions ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La foi : combien de divisions ?

Homélie pour le 20° Dimanche du temps ordinaire / Année C
18/08/2019

Cf. également :

N’arrêtez pas vos jérémiades !
De l’art du renoncement
Les trois vertus trinitaires
Les djihadistes n’ont pas lu St Paul !

Vous aurez reconnu la transposition de la célèbre réplique de Staline en 1935 répondant à Pierre Laval qui lui demandait de respecter les libertés religieuses en URSS : « le Vatican, combien de divisions ? ». On sait combien l’avenir lui donnera tort.

« La foi : combien de divisions ? » : l’Évangile de ce dimanche (Lc 12, 49-53) permet cet autre jeu de mots associant foi et divisions non pas militaires mais sociales, car le Christ semble bien lier les deux de manière assez perturbante :

« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »

Voilà des versets dangereux dans la bouche d’un autre que Jésus. En leur nom, les Témoins de Jéhovah par exemple justifient la coupure familiale qu’ils imposent aux nouveaux convertis. Isoler des disciples de leurs proches pour mieux les retourner est une technique sectaire de manipulation mentale vieille comme le monde. Sous prétexte d’aller au bout de ses convictions politiques, religieuses ou autres, combien ont coupé les ponts d’avec leurs amis d’avant, leurs frères et sœurs, leurs proches ? Autrefois, les idéalistes rêvant de révolution plaquaient tout pour partir à Cuba (comme Régis Debray), Katmandou, Woodstock ou le Larzac. Maintenant, ils partent faire la guerre en Syrie pour Daesh, refusent de manger à la même table que les carnivores et militent à L214, vont rejoindre des groupes écologistes extrémistes avec des choix de vie les coupant radicalement des autres.

Bref, de tout temps, la foi divise.
La foi, ou les convictions fortes, si l’on préfère cette équivalence sécularisée. Ce qui peut nous rendre méfiants envers les gens ayant des idées très arrêtées…

Image intitulée Clean Rainbow Sandals Step 2À première lecture, on pourrait utiliser Jésus pour prêcher une telle radicalité. Les versets d’aujourd’hui annoncent la division familiale comme conséquence de la foi au Christ. Mais ailleurs, Jésus n’est pas plus tendre : « qui n’est pas avec moi est contre moi ». « Qui me préfère à son père, sa mère, ses frères et sœurs n’est pas digne de moi ». « Ne va pas enterrer ton père : laisse les morts enterrer leurs morts ». « Qui sont ma mère, mes frères et mes sœurs ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (sous-entendu : les autres ne font pas partie de ma vraie famille). « Si on ne vous accueille pas dans un village, secouez la poussière de vos pieds et partez ailleurs ». Etc.

Ceux qui veulent sélectionner dans le Nouveau Testament des paroles justifiant leur coupure d’avec les autres pourront en trouver une liste assez solide pour impressionner les nouveaux convertis.

Alors, la foi est-elle un facteur de division ?
On peut tenter d’apporter une réponse en plusieurs temps.

- Il est essentiel de lire le Nouveau Testament dans sa globalité, sans isoler les versets dangereux de leur contexte et du reste.
Car, hors la liste évoquée ci-dessus, l’ensemble du Nouveau Testament plaide courageusement pour ce qu’on appellerait aujourd’hui un vivre ensemble apaisé. L’amour des ennemis, la volonté tenace de Jésus de se mélanger aux impurs, aux catégories socialement méprisées, aux romains idolâtres lui a attiré les foudres des « purs », des pharisiens notamment dont le nom signifie justement « séparés » parce qu’ils habitent, mangent, s’habillent et prient à l’écart des autres. Il s’est battu pour réintégrer les lépreux, les aveugles, les handicapés de toutes sortes alors que la superstition religieuse voulait les garder hors du contact des autres. Ses paroles dures sont souvent contrebalancées par des paroles différentes : « Qui n’est pas contre moi est avec moi ». « Ne faites pas tomber le feu du ciel sur ceux qui ne vous accueillent pas ». « Honore ton père et ta mère ». « Laissez pousser ensemble le bon grain et l’ivraie » etc. Et plus tard, les apôtres exhorteront les chrétiens à vivre en paix avec tous, en respectant les autorités légitimes, sans causer d’autres troubles que l’annonce de la résurrection.

Les sectaires pratiquent toujours une lecture fondamentaliste et sélective de la Bible. C’est ainsi par exemple que des Églises réformées ont pu justifier bibliquement l’apartheid en Afrique du Sud pendant des décennies ! Fondamentalistes, ils prennent un verset au pied de la lettre, sans le situer dans son contexte. Sélectifs, ils rabâchent quelques versets  seulement, qu’ils isolent du reste pour justifier leur idéologie.

Il nous revient de ne pas sélectionner dans les Écritures ce qui va dans notre sens seulement, ce qui nous conforte dans nos convictions préétablies.

Il nous revient également de toujours situer un verset dans un ensemble, son contexte historique, social, les particularités de sa langue d’écriture, sous peine d’incohérence.

Un professeur d’exégèse aimait répéter : le plus important dans la Bible, c’est la reliure…

La foi : combien de divisions ? dans Communauté spirituelle 006_CAinsi nos versets ‘dangereux’ sont nettement plus compréhensibles quand on se souvient qu’ils ont été écrits dans les années 70 après Jésus-Christ : à ce moment-là, les persécutions juives et romaines battaient déjà leur plein, et menaçaient les fragiles communautés naissantes. Sous la pression de l’occupant romain, cherchant à éradiquer ce nouveau groupe juif un peu trop gênant, des pères dénonçaient des fils, des frères livraient des sœurs aux autorités, des amis se divisaient sur la résurrection de Jésus, avec des conséquences terribles car la prison et les fauves n’étaient jamais bien loin.

Dire que la foi chrétienne divise n’était pas alors un projet social ou politique, mais un constat historique douloureux. Jésus ne dit pas à ses disciples d’être des facteurs de division ; il les avertit qu’ils seront soumis à la division à cause de lui. C’est fort différent !

Et ce constat est toujours le nôtre : des minorités chrétiennes sont persécutées et ghettoïsées en 2019 à cause de leur foi un peu partout dans le monde, particulièrement  dans les pays fortement religieux, où la religion majoritaire ne tolère pas d’autres convictions que les siennes (ce que les Églises chrétiennes ont été capables de faire par le passé, hélas).

En France, malgré un certain bashing antichrétien (surtout parmi les gens des médias et de l’intelligentsia) la situation est plus paisible. Reste que la messe de minuit à Noël est devenue un facteur de discorde car elle divise la table familiale (quand autrefois tout le monde y allait en bloc, croyant ou non). Reste que des jeunes se voient mettre quasiment à la porte de chez eux lorsqu’ils disent demander le baptême, ou entrer au séminaire, ou vouloir devenir religieuse… La solitude des croyants au cœur de leur famille est réelle. Je connais un père de famille qui tous les dimanches matins depuis 40 ans va seul à l’église du quartier, parce que sa femme et ses enfants n’épousent pas ses convictions chrétiennes…

La foi divise donc : c’est un constat. Amer et douloureux.
Mais il faut tout de suite préciser : du côté des chrétiens au moins, la foi divise quand elle reste seule. Si l’on reste sur le seul registre des convictions, et si ces convictions sont assez fortes pour accepter de mourir pour elles, alors la vie commune avec ceux qui ne les partagent pas devient très difficile.

L'essence du ChristianismeFeuerbach avait déjà dénoncé au XIX° siècle le pouvoir clivant de la foi seule. Dans L’essence du christianisme (1841), il explicite les fondements de l’humanisme moderne, qui dénonce la foi en Dieu comme source d’intolérance. Son raisonnement est rigoureux, et hante encore aujourd’hui l’inconscient collectif européen : la foi seule est meurtrière. Car elle sépare les hommes en croyants et mécréants : divisions et conflits sont inéluctablement engendrés par les religions. L’athéisme pratique des européens puise ses racines dans cette méfiance envers la violence inhérente à la foi :

« La foi porte nécessairement à la haine, la haine à la persécution, dès que la puissance de la foi ne trouve pas de résistance, ne se brise pas contre une puissance étrangère, celle de l’amour, de l’humanité, du sentiment du droit. La foi, par elle-même, s’élève au-dessus des lois de la morale naturelle ; sa doctrine est la doctrine des devoirs envers Dieu, et le premier devoir est la foi. Autant Dieu est au-dessus de l’homme, autant les devoirs envers Dieu sont au-dessus des devoirs envers l’homme, et ces devoirs entrent nécessairement en collision les uns avec les autres. »

- C’est là qu’intervient pour les chrétiens le triptyque : foi/amour/espérance.
Car la foi sans amour n’est qu’idéologie. Avec l’amour, la foi permet de prier pour ceux qui nous font du mal, de ne pas rendre le mal pour le mal, de bénir ceux qui nous maudissent, et de considérer l’autre comme supérieur à soi. L’amour ne demande pas de se couper des autres, mais de les accepter tels qu’ils sont, comme je m’accepte tel que je suis. « Aime ton prochain comme toi-même » en quelque sorte !

Conjuguer foi et amour tempère l’ardeur des convictions pour l’ouvrir à l’accueil de l’autre, et structure le sentiment d’amitié/amour pour lui donner un contenu solide.

foi-espoir-amour-vinyle-autocollant-autocollant amour dans Communauté spirituelle

- Cela ne suffit cependant pas encore… Car les choses pourraient sembler figées : le croyant / le mécréant d’un côté, le fanatique / le raisonnable de l’autre. C’est là que l’espérance entre en jeu : elle fait bouger les lignes, elle introduit des degrés de liberté, elle dévoile de l’inachevé. Car l’espérance nous dit que rien n’est jamais figé, que la fin de l’histoire n’est pas écrite, que l’avenir – et notamment l’avenir en Dieu – nous réserve bien des surprises. Comment avoir un jugement définitif sur l’autre si j’espère qu’un jour « Dieu sera tout en tous » ? Comment camper sur mes positions si j’attends de « connaître comme je suis connu », confessant par là-même un non-savoir radical ? Comment exclure au nom de mes opinions si un verre d’eau fraîche donnée par le pire d’entre nous peut le sauver au Jugement dernier mieux que mes idées droites ? Comment rêver de vivre entre « purs » alors que Jésus sur la croix est assimilé aux bandits qui l’entourent, et promet à l’un d’entre eux le paradis ?

Avec l’espérance, la foi et l’amour ne voient pas le monde à partir des catégories humaines qui divisent et séparent, mais à partir de Dieu qui appelle l’humanité à la communion trinitaire, en formant une seule famille unie dans la diversité. Au regard de Dieu, nulle opposition ne peut se prétendre définitive ou radicale, nulle division n’est insurmontable, nulle partition n’a les promesses de l’éternité…

Pères de l'EgliseEpitre à DiognèteDans les premiers siècles, les chrétiens ont pratiqué joyeusement l’amour des ennemis alors qu’on les pourchassait. Ils ne se sont pas regroupés entre eux, ils n’ont pas exclu leur famille même si leur famille les excluait. Écoutons pour terminer ce que la célèbre Lettre à Diognète (II° siècle) disait de la fraternité qui unissait les premiers chrétiens aux autres citoyens, sans rien renier pourtant de leur conviction, jusqu’au martyre s’il le fallait :

Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine.
Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire.
Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie.

Que dépend-il de nous pour que la foi ne soit pas une source de division autour de nous ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ma mère, tu m’as enfanté homme de querelle pour tout le pays » (cf. Jr 15, 10) (Jr 38, 4-6.8-10)

Lecture du livre du prophète Jérémie
En ces jours-là, pendant le siège de Jérusalem, les princes qui tenaient Jérémie en prison dirent au roi Sédécias : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population. Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. » Le roi Sédécias répondit : « Il est entre vos mains, et le roi ne peut rien contre vous ! » Alors ils se saisirent de Jérémie et le jetèrent dans la citerne de Melkias, fils du roi, dans la cour de garde. On le descendit avec des cordes. Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau, mais de la boue, et Jérémie enfonça dans la boue. Ébed-Mélek sortit de la maison du roi et vint lui dire : « Monseigneur le roi, ce que ces gens-là ont fait au prophète Jérémie, c’est mal ! Ils l’ont jeté dans la citerne, il va y mourir de faim car on n’a plus de pain dans la ville ! » Alors le roi donna cet ordre à Ébed-Mélek l’Éthiopien : « Prends trente hommes avec toi, et fais remonter de la citerne le prophète Jérémie avant qu’il ne meure. »

Psaume
(Ps 39 (40), 2, 3, 4, 18)
R/ Seigneur, viens vite à mon secours !
(Ps 39, 14b)

D’un grand espoir,
j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
pour entendre mon cri.

Il m’a tiré de l’horreur du gouffre,
de la vase et de la boue ;
il m’a fait reprendre pied sur le roc,
il a raffermi mes pas.

Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.
Beaucoup d’hommes verront, ils craindront,
ils auront foi dans le Seigneur.

Je suis pauvre et malheureux,
mais le Seigneur pense à moi.
Tu es mon secours, mon libérateur :
mon Dieu, ne tarde pas !

Deuxième lecture
« Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » (He 12, 1-4)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, nous qui sommes entourés d’une immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu. Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché.

Évangile
« Je ne suis pas venu mettre la paix sur terre, mais bien plutôt la division » (Lc 12, 49-53)Alléluia. Alléluia. Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Patrick BRAUD

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11 août 2019

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Homélie pour la fête de l’Assomption / Année C
15/08/20149

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Le 15 Août est une bonne date pour se poser cette question !

Quelle place a Marie dans votre vie ? dans Communauté spirituelle gf15-0051-grand-format-l-assomption-de-la-vierge-marie-gf15-0051Il y a les réponses toutes faites : elle est la mère de Jésus, la Mère de Dieu, l’Immaculée Conception… Ces réponses sont toutes faites au sens où elles existent avant nous, formulées avec les mots de la Tradition. Elles sont justes théologiquement, mais elles ne sonneront pas vrai aux oreilles de votre auditeur si vous vous contentez de les réciter sans les personnaliser.

Quelle place a Marie dans votre vie ? C’est-à-dire : lui parlez-vous ? la priez-vous ? a-t-elle joué un rôle pour vous à certains moments précis ? vous inspire-t-elle et comment ? qui vous a parlé d’elle ? où ? quand ?

Des amis protestants que j’ai interrogés m’ont dit simplement : « pour moi, c’est une femme comme les autres. Une femme dont la foi était très grande, que j’admire à ce titre. Mais rien de plus de. Une femme comme les autres. Point-barre. »

Au moins, c’était clair ! Et cela n’empêche pas ces amis d’avoir une foi vivante et agissante. Quand ils me retournèrent la question, je réfléchis quelques secondes, sans savoir quel angle d’attaque choisir pour leur en parler. Et soudain m’est apparu en mémoire le visage – ou plutôt la moitié de visage – d’un homme, intimement lié à celui de Marie pour moi. Jean est un de ces malades que l’on emmenait régulièrement à Lourdes avec l’Hospitalité diocésaine. La règle d’or quand on est brancardier est de ne pas poser de questions intempestives ou gênantes aux malades sur l’origine de leur état de santé ou handicap : s’ils veulent ils en parlent, à qui ils veulent et quand ils veulent ; sinon ce qui prime c’est le partage des événements du jour avec eux, du petit déjeuner à la procession aux flambeaux. Après deux ou trois jours passés ainsi à partager avec bonheur le quotidien chargé de Lourdes, Jean me dit :

« Tu veux savoir pourquoi je n’ai plus qu’une moitié du visage ? »  Évidemment la question m’avait assailli, devant sa tête recousue de partout où les lunettes masquaient mal une orbite vide et une joue absente. Mon silence voulait dire oui, sans oser le dire.

« J’ai voulu me suicider. Mais le coup de fusil a dévié et m’a arraché tout le côté gauche du visage. Depuis j’ai changé. À Lourdes j’ai retrouvé le courage de vivre. Ici on n’est pas jugé. Chacun est accepté avec son fardeau, visible ou pas. Ici, devant la grotte, je fais provision de force pour toute l’année. »

La grande famille hospitalière

C’est cela – dis-je à mes amis protestants – : quand je pense à Marie, je pense à cet homme et à tous les blessés de la vie qui à Lourdes sont enfin honorés comme des frères et sœurs, à égalité avec tous. Le vrai miracle de Lourdes pour moi, c’est la révélation de la première place accordée à ceux qui d’habitude sont parqués dans nos mouroirs, nos établissements spécialisés, nos EHPAD, USLD, IME, ESAT, foyers long séjour et autres  acronymes les faisant disparaître de l’horizon des valides. Car c’est vraiment la cour des miracles à Lourdes : grâce à Marie et à sa petite Bernadette, les milliers de fauteuils roulants et les brancards concentrent sur quelques centaines de mètres carrés toute la misère humaine, physique et psychologique, soigneusement mise à l’écart hors de portée des gens normaux ailleurs. Du coup, Marie est d’abord pour moi celle grâce à qui les petits de ce monde sont reconnus. Grâce à elle, les pauvres ont enfin la première place. Lourdes anticipe cette Jérusalem céleste promise par le Christ. Fêter l’Assomption, c’est croire que Marie habite déjà cette ville fraternelle où elle attend Jean et tous les défigurés de ce monde pour partager avec eux la beauté et la dignité données par Dieu.

Quelle place à Marie dans notre vie ?

Une autre façon de poser la question serait : aimez-vous prier Marie ? avec elle ? comme elle ? Personnellement, je suis un peu gêné par ceux qui se veulent les champions du culte marial. Ils récitent des « Je vous salue Marie » à tout bout de champ, même lorsque cela n’est pas nécessaire (à la messe particulièrement, où 2000 ans de liturgie ne l’ont toujours pas prévu !), alors que le Magnificat fait partie de l’office des Vêpres chaque soir depuis des siècles. Ils portent ostensiblement leurs chapelets et le rabâchent (au sens dénoncé par Jésus) comme un mantra hypnotique ou une formule magique. Car Marie est souvent mélangée à des pratiques très intéressées relevant plus de la magie, voire de la superstition, que de la foi évangélique.

Vierge-Marie-1.jpgUne amie me demande de participer à une neuvaine de prière mariale pour que son mari guérisse de son cancer. Je lui ai dit : « tu sais, un cancer du foie, Marie n’y pourra rien. Mais je prierai pour lui afin qu’il soit entouré d’amour pour partir en paix et qu’il ait la force de mener ce combat sans désespérer. » Cette amie a mobilisé tout un réseau ‘très catho’ de groupe de prières demandant à Marie la guérison de son mari. Évidemment, le cancer du foie l’a emporté en quelques mois comme c’est la règle hélas. Mon amie m’a écrit : « je réfléchis sur la prière du Christ à Gethsémani : que ta volonté soit faite, et non la mienne. J’ai demandé la guérison pour mon mari, et c’est la mort qui est venue. Mon défi est maintenant de comprendre pour-quoi, en vue de quoi c’est arrivé. Je suis sûr qu’avec Dieu et Marie, quelque chose sortira de cette catastrophe. » J’ai entendu dans ses paroles l’écho de celles de Marie à Cana : « faites tout ce qui vous dira » (et non l’inverse…).

Chapelet dans des mains étreintesMon rapport personnel au chapelet est marqué par la mort de mes grands-parents. À l’époque, on veillait de longues heures auprès du défunt. La famille faisait venir les enfants près du corps pour l’embrasser, le toucher, avec des paroles douces et paisibles. À 8-10 ans, je me souviens du chapelet entrecroisé aux doigts de mon grand-père sur son lit funéraire. C’était l’un des premiers gestes que l’on faisait lorsque quelqu’un décédait : avant que la rigidité ne l’empêche, on allait chercher son chapelet, et on le faisait passer mystérieusement entre les mains croisées de telle façon qu’il devenait comme partie prenante, inséparable, soudé à ce corps d’où la vie venait de s’en aller imperceptiblement. Dans l’Antiquité, on mettait des pièces de monnaie sur les yeux du mort pour qu’ils puissent payer son passage du Styx au passeur Charon. Je ne connaissais pas cette coutume, mais je trouvais en effet que le chapelet était sûrement le laisser-passer le plus sûr pour mon grand-père, lui qui avait fait la guerre. Le lien marial incarné par cette chaîne d’argent et ces graines brillantes comme des bijoux étaient à mes yeux d’enfant le signe que la mort et la naissance devait bien être semblables…

Avec le temps, chacun de nous rationalise, s’instruit, et construit son propre discours sur Marie. Nous restons cependant marqués par ces personnes rencontrées, ces moments familiaux, ces événements éminemment personnels où Marie est devenue pour nous une figure, plus ou moins consciemment. Pour certains, cette initiation n’aura pas forcément été positive. Car on a au nom de Marie humilié des femmes en les confinant à des rôles  inférieurs, ou survalorisé un rôle maternel écrasant et étouffant, d’autant plus si la mère biologique a donné une très mauvaise image de la maternité. Il y a sans doute bien des blessures humaines à apaiser avant de plaquer des discours mariaux exaltés et irréalistes.

Reste qu’en cette fête de l’Assomption, savoir notre sœur en humanité déjà parvenue au terme du voyage nous réjouit et nous encourage : en regardant vers elle, le but n’est pas loin. Jean-Paul II nous le rappelait à Lourdes le 15 Août 2004 :

« Quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi; et là où je suis, vous y serez aussi », nous a dit Jésus (Jn 14, 3). Marie est le gage de l’accomplissement de la promesse du Christ. Son Assomption devient pour nous ‘un signe d’espérance assurée et de consolation’ » (Lumen Gentium n° 68).

Et vous, par quels visages, par quels prénoms, par quels événements pourriez-vous raconter et témoigner : voici quelle est la place de Marie dans ma vie ?

 

Messe du jour

Première lecture
« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire. Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

Psaume
(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)

R/ Debout, à la droite du Seigneur,
se tient la reine, toute parée d’or.
(cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

Deuxième lecture
« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

Évangile
« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia.
Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »  Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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