Noël : évangéliser le païen en nous
Noël : évangéliser le païen en nous
Homélie pour la fête de Noël / Année C
24/12/2018
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Le potlatch de Noël
La bienveillance de Noël
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Enfanter le Verbe en nous…
Bien sûr, « le petit Jésus » n’est pas né un 25 décembre, encore moins à minuit.
Bien sûr, la mise en scène des anges a été choisie par Luc parce qu’elle faisait partie du croyable disponible en Palestine il y a 2000 ans.
Bien sûr, l’étable de Bethléem ne ressemblait guère à nos crèches enguirlandées.
Bien sûr, le Père Noël n’a rien à voir avec Noël, sinon dans sa dimension commerciale. Et bien sûr il ne passe pas par la cheminée…
À force de raconter des histoires aux enfants, soi-disant pour les émerveiller, on transforme la Nativité en un événement magique qu’une fois adultes les enfants rangeront dans leurs souvenirs familiaux sans accorder beaucoup de crédit au contenu de cette légende improbable.
Pourtant François d’Assise a eu raison d’inventer la crèche au XIV° siècle pour que le petit peuple se réjouisse dans sa culture paysanne et rurale.
Pourtant la tradition de s’offrir des cadeaux peut être une belle préparation à accueillir le cadeau ultime quelle est la naissance du Verbe on nous.
Pourtant la Pastorale des santons de Provence constitue une formidable catéchèse où tous les métiers peuvent contribuer à l’œuvre de Dieu, où tous les costumes locaux s’intègrent à la procession des offrandes…
Ambigüe, polysémique, contrastée, cette fête de Noël nous parvient à travers une longue histoire d’évangélisation de l’Occident. Il y avait à l’origine les fêtes romaines « saturnales », en l’honneur du dieu Saturne qui aurait séjourné dans le Latium avant la fondation de Rome. L’inversion sociale des rôles faisait de ces réjouissances un espace de décompensation populaire : les esclaves avaient le droit de critiquer les maîtres et de leur commander, nombre d’interdits devenaient possibles en étant levés temporairement. À la fin des saturnales, on fêtait le solstice d’hiver (sol invictus) et la naissance de la divinité solaire Mithra, très célébrée aux I°-III° siècles.
L’Église naissante a très vite compris le parti qu’elle pouvait tirer en superposant le récit chrétien à ces récits païens. Sans choquer le peuple, on l’invitait à orienter ses coutumes vers le Christ, véritable soleil levant, vainqueur des ténèbres. Les conditions humbles et pauvres de la naissance de Jésus relayaient la soif de l’inversion sociale des saturnales (que ne renieraient pas les gilets jaunes ou bonnets rouges chez nous !). Mithra devenait une préfiguration du Christ, et son repas rituel trouvait son accomplissement dans l’eucharistie. En faisant naître Jésus le 25 décembre à minuit, l’Église chargeait Noël de toute cette symbolique solaire, divine, sociale venue du paganisme. Une conversion par accomplissement en quelque sorte.
Noël n’est pas la seule fête païenne à avoir été ainsi évangélisée. Les juifs avaient commencé bien avant ! Pentecôte était la fête agricole des prémices (premières récoltes) : elle est devenue la fête du don de la Torah. Pâque était une fête païenne du printemps et de son renouveau de vie. Après l’Exode, les juifs l’ont transformé en fête historique, mémorial du passage de l’esclavage à la liberté, programme toujours actuel. À la différence des Romains, le calendrier juif était lunaire et non solaire, et donc davantage marqué par le caractère « lunatique » du temps et du monde. Mais le jour juif commence le soir lorsque la nuit est tombée, pour se terminer dans la lumière de l’après-midi : il va de la nuit au jour, alors que le jour romain (le nôtre) va de la nuit à la nuit (mi-nuit) : l’espérance chrétienne née de la Résurrection du Christ n’a eu aucune peine à conserver ces rythmes lunaires pour sa liturgie, fixant la date de Pâques d’après la lune et commençant la célébration dès le samedi soir par la veillée pascale, ou en célébrant les fêtes dès les vêpres de la veille car le jour liturgique commence le soir etc.
Le réalisme ecclésial fait toujours partie de l’évangélisation pour nous aujourd’hui : plutôt que de combattre de front des traditions païennes en s’y opposant frontalement (ce que hélas nombre de missionnaires chrétiens ou musulmans ont fait en Afrique ou en Asie), mieux vaut les transformer de l’intérieur pour que le meilleur de ce qu’elles recèlent porte désormais le message évangélique.
Évidemment, la tâche semble ardue. Halloween, le Black Friday, les jouets de Noël, les soldes d’hiver… : comment lutter avec la puissance commerciale de ces rendez-vous païens éclipsant les fêtes chrétiennes ?
Païen est l’adjectif latin paganus, qui désigne le paysan, l’habitant des campagnes. Or, on l’a vu, la civilisation paysanne était liée par la terre à des divinités transposées de la nature. Il n’en est plus ainsi dans notre monde de mégalopoles où trois habitants sur 4 sont en ville. C’est l’urbain et non plus le païen qu’il nous faut évangéliser ! Mais quelles sont les légendes urbaines, les valeurs et croyances des villes sur lesquelles s’appuyer pour annoncer le Christ ? Serait-ce l’interdépendance mutuelle généralisée, puisque personne n’est autosuffisant en ville ? Ou bien l’interconnexion des services et des réseaux de relations ? Ou encore l’abondance de services et de vie culturelle que seul le nombre permet ? Ce travail reste à faire, sinon nous continuerons de prêcher un christianisme rural et païen à des gens qui ne le sont plus comme autrefois.
Dernier point enfin : cette fête de Noël nous invite à évangéliser le païen qui est en nous ! Pas seulement dans la culture ambiante, pas d’abord chez les autres, mais en chacun de nous. Car à l’intérieur de nous-mêmes, des zones entières sont encore asservies à des divinités multiples (rurales ou urbaines !), exprimant une soif d’absolu qui souvent se trompe de cible. Le culte des écrans, le culte de la performance économique, le culte du corps sculpté et parfait, le culte de l’apparence sociale… : les petits dieux modernes se bousculent pour capter notre énergie, notre soif spirituelle, nos ressources financières également !
Que chacun s’examine : quelle est la zone païenne qui en moi attend d’être évangélisée ? Comment lui faire porter la symbolique de Noël, naissance de Dieu en nous et de nous en Dieu ?
Messe de la nuit
Première lecture
« Un enfant nous est né » (Is 9, 1-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane. Et les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés.
Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir ; son nom est proclamé : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. » Et le pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin pour le trône de David et pour son règne qu’il établira, qu’il affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours. Il fera cela, l’amour jaloux du Seigneur de l’univers !
Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc)
R/ Aujourd’hui, un Sauveur nous est né : c’est le Christ, le Seigneur. (cf. Lc 2, 11)
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !
De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !
Joie au ciel ! Exulte la terre !
Les masses de la mer mugissent,
la campagne tout entière est en fête.
Les arbres des forêts dansent de joie
devant la face du Seigneur, car il vient,
car il vient pour juger la terre.
Il jugera le monde avec justice
et les peuples selon sa vérité !
Deuxième lecture
« La grâce de Dieu s’est manifestée pour tous les hommes » (Tt 2, 11-14)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Tite
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien.
Évangile
« Aujourd’hui vous est né un Sauveur » (Lc 2, 1-14) Alléluia. Alléluia.
Je vous annonce une grande joie : Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ! Alléluia. (cf. Lc 2, 10-11)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime.
Patrick BRAUD