L'homélie du dimanche (prochain)

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25 novembre 2018

Quand le cœur s’alourdit

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Quand le cœur s’alourdit


Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année C
04/12/2018

Cf. également :

Bonne année !
Sous le signe de la promesse

- Attends-moi ! Je n’en peux plus…
Éric traîne sa valise comme un boulet dans les couloirs du métro depuis l’immense tapis roulant de Montparnasse. Arrivé au sommet de l’escalier de la Gare de Lyon, il s’éponge le visage trempé de sueur.
- Ouf ! On est enfin arrivé.
– Pas tout à fait… Nos places sont en voiture deux, à l’extrémité du train, tout au bout de la deuxième rame du TGV.
– Non ! ? Quelle galère…
Effectivement, à cause de ses 130 kilos arrondis à la dizaine inférieure par bienveillance hier sur la balance, Éric a traîné sa valise sur la centaine de mètres du quai au compartiment comme un forçat sa brouette de cailloux à la fin d’une journée d’esclave. Son surpoids – maladif – est devenu un handicap pour tous les actes de la vie quotidienne : prendre le train, faire ses courses, marcher, monter ou descendre de voiture, gravir quelques marches d’escalier, prendre le métro… : toutes ces habitudes autrefois simples semblent lui être maintenant interdites, et peut-être dangereuses. L’alourdissement de son corps met en péril ses articulations (genoux, chevilles) son souffle, son cœur même.

Quand Jésus parle aujourd’hui d’un cœur qui s’alourdit, il faut transposer au domaine spirituel la surcharge pondérale qui ralentit et paralyse tant d’adultes en Occident. Si l’obésité physique est un problème de santé publique préoccupant, l’alourdissement du cœur est son pendant spirituel, et il n’est pas moins inquiétant.

Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet. (Lc 21,34)

Jésus cite deux poids qui peuvent nous handicaper au point de ne plus discerner sa venue en nous : l’alcoolisme et les soucis de la vie.

Pour l’alcoolisme, nul besoin hélas de développer : les ravages de cette maladie sont bien connus. Qu’il soit mondain chez les classes sociales aisées cherchant à se divertir (au sens pascalien du terme), ou qu’il soit ivresses récurrentes chez les classes sociales populaires noyant leur précarité dans l’alcool, l’alcoolisme est une figure de la perte de conscience qui nous empêche de voir ce qui nous arrive (au volant par exemple, c’est mortel !), d’être vraiment présents aux autres, de raisonner avec intelligence.

Arrêter de boire avec l'hypnose

Aux beuveries et à l’ivresse dont parle Jésus, on peut joindre les addictions modernes produisant des effets semblables : l’addiction aux écrans et au virtuel, la dépendance aux drogues douces et dures, les liens malsains à l’argent, au sexe, à la gloire etc. Nous mettons tant d’énergie à poursuivre des buts qui nous dominent en retour ! Nous nous attachons à des idoles qui nous privent de notre liberté.

Attendre le Christ suppose de nous désintoxiquer de nos addictions, aliénantes, plus radicalement qu’un drogué n’entre en sevrage, plus durablement qu’un alcoolique ne décide d’arrêter.

La deuxième cause de l’alourdissement de notre cœur cité par Jésus est plus pragmatique, plus ordinaire, moins effrayante que les excès d’alcool : les soucis de la vie. Il faut dire que les soucis de la vie, en ce moment, on les cumule : les factures de gaz et d’électricité qui s’envolent, le prix du carburant qui flambe, les pensions de retraite qui régressent, la fiscalité qui devient incompréhensible etc. Ajoutez-y les soucis de santé qui arrivent à l’improviste, les soucis de couple et de famille qui statistiquement touchent tout le monde tôt ou tard, de près ou de loin etc. et vous aurez raison de protester : « Jésus, la vie est dure. On a tellement de choses à porter, de proches sur lesquels veiller, de démarches à assumer ! On voudrait bien t’y voir, toi. Si tu avais une famille, des emprunts, un loyer, un boulot en pointillé, tu comprendrais… »

Protester ainsi contre le Christ est légitime. Les psaumes le font à longueur de chants. Exposer au Christ tout ce qui compose notre fardeau quotidien est le meilleur moyen pour qu’il s’en charge et nous procure le sien en échange : « venez à moi vous qui ployez sous le fardeau et je vous procurerai le repos ». « Prenez sur vous mon joug ; il est facile à porter. » Ce qui se joue dans ce dialogue intérieur, dans cette prière un peu rude où nous prenons le Christ à partie, c’est l’allégement de notre cœur. Peu à peu, même en râlant, nous déposons au pied du Christ nos fardeaux, nos jougs, nos soucis. Lui les prend sur ses épaules, ce qui ne veut pas dire qu’il faut attendre de solution magique ! Lui confier nos soucis de la vie signifie plutôt lui faire confiance pour que tout cela se dénoue, devienne vivable, pas après pas, jour après jour. C’est croire que la force de l’Esprit nous est donnée pour faire face, souci après ceci, sans perdre cœur. Un divorce à mener, un proche qui va mourir, un licenciement qui s’annonce : les soucis de la vie sont si graves qu’ils peuvent nous faire douter de l’amour de Dieu, nous éloigner de la paix intérieure que pourtant il nous donne dans ces situations-là.

À l’inverse, ceux pour qui tout va bien – au moins dans l’instant – sont peut-être davantage en péril spirituellement. Car la graisse du succès et de la réussite alourdit leur cœur, selon le constat des psaumes :

Les impies sont enfermés dans leur graisse, ils parlent, l’arrogance à la bouche. Ils marchent contre moi, maintenant (Ps 17,10)
L’orgueil est leur collier, la violence, le vêtement qui les couvre; la malice leur sort de la graisse, l’artifice leur déborde du cœur. (Ps 73,7)
Leur cœur est épais comme la graisse, moi, ta loi fait mes délices. (Ps 119,70)
Fils d’homme, jusqu’où s’alourdiront vos cœurs, pourquoi ce goût du rien, cette course à l’illusion? (Ps 4,1)

Résultat de recherche d'images pour "coeur graisse"

Ceux qui ont de l’argent sans compter, une famille sans problèmes, un travail rémunérateur et valorisant peuvent avoir la tentation de se passer de Dieu. Ils peuvent éteindre en eux la soif spirituelle (au moins l’alcoolisme révèle une autre soif !). Ils deviennent insensibles aux malheurs des autres qu’ils ne côtoient plus, qu’ils ne connaissent plus, car leur univers s’est séparé des autres classes sociales. Apparemment, tout va bien pour eux. Mais c’est eux que Jésus tance avec ses béatitudes cinglantes : « Malheureux, vous les riches. Malheureux êtes-vous si tout le monde dit du bien de vous ». « Insensés, vous comptez vos greniers pleins à ras bord, mais cette nuit même on va vous demander votre vie ! »

Pire que l’alcool ou les soucis de la vie, la réussite, la santé et la richesse peuvent aveugler et dévoyer les meilleurs d’entre nous. S’ils ne font pas régulièrement l’équivalent d’une cure de désintoxication, d’amaigrissement ou de simplification de leur existence, ils deviendront spirituellement des obèses, handicapés dans la quête de Dieu, incapables d’avoir soif de l’Évangile et de marcher vers le but ultime de toute histoire humaine.

Quelles sont les dépendances qui nous empêchent de désirer plus que la survie quotidienne ? Comment déposer au pied du Christ les « soucis de la vie » qui nous alourdissent en ce moment ?

Et si tout va bien pour vous, comment maintenir vivante la quête d’un au-delà de vos satisfactions actuelles ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »

Psaume
(Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14)
R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme, vers toi, mon Dieu.
(Ps 24, 1b-2)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.

Deuxième lecture
« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.
Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en prions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.

Évangile

« Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36) Alléluia. Alléluia.
Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD

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21 novembre 2018

Publication du recueil des homélies 2017-18

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Le nouveau recueil des homélies 2017-18 est paru !

 

Comme l’oued au désert

Homélies Année B / 2017-2018

Comme l'oued au désert

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En prévision de l’Année C qui débute Dimanche prochain 25 Novembre 2018, vous pouvez également commander les recueils des années liturgiques C précédentes : une mine d’idées par avance !

 

Comme une ancre jetée dans les cieux

Homélies Année C / 2015-2016

Couverture 2015-16

 

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L’effet papillon de la foi

Homélies Année C / 2012-2013

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Le bonheur illucide

Homélies Année C / 2009-2010

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18 novembre 2018

Le préfet le plus célèbre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Le préfet le plus célèbre

Homélie pour la fête du Christ-Roi / Année B
25/11/2018

Cf. également :
Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Les trois tentations du Christ en croix
La violence a besoin du mensonge
Divine surprise
Le Christ Roi fait de nous des huiles
Non-violence : la voie royale
Roi, à plus d’un titre
Un roi pour les pires


Chaque dimanche, plus d’un milliard de personnes récitent son nom sans le connaître. Il n’était qu’un obscur fonctionnaire d’une lointaine province agitée de l’empire romain. On n’a retrouvé de lui qu’une inscription sur une pierre à Césarée en Palestine, avec le nom de son maître Tibère. Pourtant, Pilate sert de repère à la foi chrétienne, au point de l’insérer dans le Credo comme un ancrage historique essentiel.

La fête du Christ-Roi (Jn 18, 33b-37) nous rend témoins du dialogue étonnant entre le prophète de Galilée et le préfet romain le plus célèbre de l’histoire. Qu’avons-nous à apprendre de Pilate ? En quoi éclaire-t-il la royauté du Jésus devenu la nôtre par le baptême ?


Qui était Ponce Pilate ?

Son nom le désigne comme membre de l’ordre équestre du sud de l’Italie, les Pontii (d’où Ponce), du clan des Samni. C’est à ces chevaliers que Rome confiait les préfectures des territoires perdus de l’empire. Son nom est peut-être la trace de son origine marine : Pontius = de la mer / Pilatus = armé (d’une lance).

Quoi qu’il en soit, on ne sait rien de lui avant qu’il soit nommé en Judée par Tibère (de 26 à 37). Là, il réside à Césarée de Philippe pour éviter la populace de Jérusalem et ses violences récurrentes. Il restera 11 ans à ce poste : longévité assez rare pour un préfet à l’époque, grâce à ses soutiens auprès de Tibère. Il se fait remarquer par un cynisme et une violence extrêmes. Il brave la fierté juive en installant des boucliers d’or avec des images de l’empereur dans Jérusalem (or la foi juive proscrit le culte des images). Devant l’indignation du peuple, il recule cette fois-ci. Mais sa main ne tremblera pas pour donner l’ordre de massacrer à coups de gourdins des manifestants juifs protestant contre le détournement de l’argent du Temple de Jérusalem pour faire construire un aqueduc [1]. Et sa répression sanglante d’un rassemblement de samaritains au monde Garizim fait tant de bruit que le légat voisin de Syrie, son hiérarchique, le déferrera à Rome pour être jugé. Mais Tibère meurt avant que Pilate n’arrive à Rome. Selon une tradition reprise par Eusèbe, il tomba en disgrâce sous le règne de Caligula et finit par se suicider, à Vienne (France) ou Lucerne (Suisse) selon des légendes peu crédibles (la tradition éthiopienne le fait mourir martyr à Rome, une fois converti au christianisme). On perd ensuite sa trace.

Tacite (Annales, XV, 44) fait mention de Pilate très brièvement en parlant des chrétiens : « Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus ».

Au total, les historiens comme Flavius Joseph ou Philon d’Alexandrie [2] font de lui un portrait beaucoup moins flatteur que les Évangiles. Pour les premiers chrétiens, il fallait en effet atténuer la responsabilité des Romains dans l’assassinat de Jésus si on voulait vivre en bonne intelligence avec eux partout dans l’empire [3]. Quitte à charger les autorités juives (ou le peuple entier pour Jean) d’une culpabilité beaucoup plus écrasante. Ce qui hélas sera à la source d’un antisémitisme ecclésial indigne de Jésus.

Ainsi le célèbre geste de Pilate qui « s’en lave les mains » après la clameur de la foule réclamant Barabbas plutôt que Jésus n’est guère crédible. Cette ablution rituelle est typiquement juive (Dt 21, 6-8) [4]  et on voit mal Pilate - qui justement veut ne rien avoir en commun avec les juifs (« est-ce que je suis juif, moi ? ») - adopter cette coutume religieuse pour lui-même, qui plus est dans l’exercice public de son autorité impériale romaine.

Bref, Pilate était un sale type, un fonctionnaire dur et inflexible, dont les chrétiens ont cherché à adoucir les traits pour ne pas compromettre leurs relations déjà précaires avec les autorités romaines (les persécutions commenceront très vite après la mort du Christ).

Tel qu’il est, cruel kapo à l’image retravaillée par la tradition orale chrétienne et la plume des évangélistes, Ponce Pilate nous intéresse cependant à plus d’un titre.


Une foi historique

Les journalistes : des Ponce Pilate ! dans Interventions de l'auteur pilateD’abord   on l’a dit   Pilate enracine solidement la foi chrétienne dans l’histoire. Impossible de réduire le christianisme à une théorie, une doctrine ou une idée lorsqu’on prononce la phrase : « crucifié pour nous sous Ponce Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau ». La foi chrétienne est d’abord constituée d’événements historiques. Viennent ensuite les interprétations, légitimement innombrables, qui feront la relecture de ces événements inépuisables pour y déceler la bonne nouvelle incarnée par ce juif de Palestine. Grâce à cette mention de Ponce Pilate, l’Église est sans cesse obligée de revenir à ces événements, de les mettre en relation avec les événements contemporains, empêchée ainsi de transformer sa foi en idéologie ou pure philosophie.

 

Questionner Jésus en direct

Le préfet le plus célèbre dans Communauté spirituelleInterroger Jésus est au départ de toute aventure spirituelle : qui es-tu ? Es-tu le roi des juifs ? La curiosité de Pilate est à mettre à son crédit. Il aurait pu se contenter de le faire exécuter comme tant d’autres, sans interrogatoire direct (ne parlons même pas de procès !). Mais non : il le fait appeler auprès de lui. C’est un détour qui commence comme le détour de Moïse pour observer le buisson en feu. Jésus est bien pour Pilate ce buisson insignifiant, mais capable d’enflammer Jérusalem avec sa prédication messianique. Prendre le temps d’interroger par soi-même ce qui trouble les autres est une attitude qui honore Pilate et qui devrait être la nôtre. Ne pas juger sur des buzz, des vidéos virales sur Youtube ou Facebook, fake news invérifiables, rumeurs, réputations sulfureuses, mais se faire une idée par soi-même.

 

 

Royauté ou vérité ?

Le dialogue qui s’ensuit dans l’entrevue Pilate/Jésus est quelque peu surréaliste. Tous deux ne parlent pas de la même chose. Pilate est obnubilé par la royauté, particulièrement intrigué par celle attribuée à Jésus. Il est pourtant le préfet de l’empereur, donc de celui qui était au-dessus de tous les rois. Un nouveau roi juif pourrait être une opportunité, ou peut-être une menace. Pilate souffre en quelque sorte du complexe Napoléon : établir à tout prix une autorité au-dessus des princes et rois aux alentours. Jésus quant à lui ne semble pas du tout intéressé par la royauté, mais par la vérité :

« C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ».

Étrange dialogue : le préfet de César fait face à l’Oint de Dieu, l’un avec ses gardes l’autre sans même un avocat (mais l’Esprit de Dieu est un merveilleux conseiller !), Pilate cherchant un roi et Jésus cherchant à manifester la vérité.

Arrivé à ce point du dialogue, Pilate semble décrocher : « qu’est-ce que la vérité ? », lance-t-il dubitatif, sans guère attendre de réponse. Sa longévité politique l’a rendu cynique : on peut tout justifier au nom de Rome, il faut être prêt à tout et son contraire pour demeurer au pouvoir.

La maladie dont souffrent nos sociétés démocratiques libérales pourrait bien trouver là  une de ses causes : le désintérêt de nos concitoyens vis-à-vis de la république, des élections, de notre personnel politique, repose sur une exaspération légitime. Les élus ne songent qu’à conserver le pouvoir et ne représentent plus ceux qui ont voté. Les faits divers et les sondages gouvernent davantage que la vision du bien commun. Ceux qui font les lois ne se préoccupent pas de vérité mais de « royauté », pour reprendre les termes du dialogue Pilate/Jésus, c’est-à-dire de se maintenir en place. Sans transcendance, le débat démocratique s’épuise en rapport de forces où les opinions publiques et les lobbys font oublier ce qui est au-dessus des intérêts particuliers. Et l’Europe fédérale de Bruxelles, qui voudrait incarner cette transcendance laïque, tombe elle-même dans le piège de la confiscation par quelques-uns du pouvoir appartenant à tous.

La royauté ou la vérité ?

Pilate ne s’aperçoit pas que sa question est mal posée. Il aurait dû demander : qui est la vérité ? Car la vérité n’est pas une chose. Ce faisant, ses yeux auraient contemplé devant lui la réponse vivante à sa quête intérieure. Car le prisonnier Jésus incarne paradoxalement la vérité sur l’homme dans sa dignité la plus profonde. C’est pourquoi Jean a – ironiquement - mis sur les lèvres de Pilate deux déclarations qui se révéleront prophétiques a posteriori :

- Ecce homo (« voici l’homme » Jn 19,5), car Jésus humilié non-violent et pardonnant est bien l’image de Dieu vivant en chacun de nous.

- La mention que Pilate a voulue sur le panneau attaché à la croix : « Jésus de Nazareth roi des juifs » (I. N. R. I.) est le titre royal, dérisoire vendredi, triomphal dimanche, qui convient à ce crucifié couronné d’épines (Jn 18,19).

Jésus ne revendique jamais pour lui-même ce titre royal. Il prêche bien un royaume, mais celui de son Père. Il cherchait à l’établir, mais dans les cœurs et pas dans l’administration  politique ; par la douceur et non par la violence. Ses armes sont l’esprit de service (le lavement des pieds), la guérison, la pauvreté volontaire, le combat contre le mal, toutes choses à l’opposé des moyens ordinaires par lesquels les royaumes se maintiennent, les républiques se défendent, les théocraties imposent leur loi. C’est pourquoi le royaume de Jésus (en réalité le royaume de Dieu qui lui est partagé comme à un fils) n’est pas de ce monde, et contestera toujours la prétention des politiques à établir le royaume de Dieu sur terre…

tableau montrant Ponce Pilate présentant Jésus de Nazareth aux habitants de Jérusalem


Ponce Pilate aurait dû écouter sa femme !

claudia1 Pilate dans Communauté spirituelleClaudia en effet a fait un songe, rapporte Jean (Mt 27,19), où elle a vu ce galiléen comme provenant d’auprès de Dieu. Elle le confie à son mari, qui en est peut-être troublé si réellement qu’il a cherché à sauver Jésus en recourant au subterfuge de cette coutume (non attestée historiquement) de la libération d’un prisonnier lors de la fête de Pâques.

Même les pires bourreaux ont auprès d’eux des conseillers, des messagers (des « anges ») – ici c’est une femme – qui les avertissent lorsqu’ils franchissent des seuils dans l’injustice et l’inhumanité. Tous ceux qui exercent le pouvoir – entreprise, collectivités locales, famille, association etc. – ont eux aussi ces voix à leurs côtés leur murmurant de faire attention à tel ou tel, car là cela va trop loin. S’ils n’écoutent pas ces messagers à leurs côtés, les tenants du pouvoir deviendront cyniques et cruels comme Pilate…


Les ambiguïtés de Pilate et les nôtres

Saint Joseph d'Arimathie vient demander à Pilate de lui donner le corps de Notre Seigneur après sa mort en CroixPour être complet, il faut saluer en finale la décision de Pilate de remettre le corps de Jésus à Joseph d’Arimathie, au lieu de le laisser exposé aux corbeaux pendant le sabbat. Mais en même temps, il accorde aux autorités juives le droit de placer des gardes autour du sépulcre de Jésus pour empêcher le vol de son cadavre.

Ambigu, Ponce Pilate l’aura été jusqu’au bout, préférant jouer sur tous les tableaux plutôt que de prendre parti pour la vérité, obnubilé par le pouvoir et sa conservation à tout prix. Machiavel n’a rien inventé…

S’il y a un peu de Ponce Pilate en nous, cela doit nous rendre vigilants sur ce qui nous guide : la royauté (le pouvoir) ou la vérité ?
Et Pilate peut également nous rendre vigilants sur nos ambiguïtés, provenant comme chez lui du désir de conserver à tout prix la maîtrise et le pouvoir, quitte à prendre « en même temps » les décisions les plus contradictoires.
Prenons garde à ce que, au nom du Christ-Roi, nous ne devenions pas les Pilate de nos proches…

 

 


[1]. « En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes.  Prenant la parole, il leur dit: « Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens? » (Lc 13, 1-2)

[2]. Philon affirme que Pilate se caractérisait par « sa vénalité, sa violence, ses vols, ses assauts, sa conduite abusive, ses fréquentes exécutions des prisonniers qui n’avaient pas été jugés, et sa férocité sans bornes » (Légation à Caïus 302).

[3]. Pilate est même rangé parmi les saints de l’Église éthiopienne et de l’Église copte ! Selon cette tradition, il se serait converti en secret au christianisme, sous l’influence de sa femme Claudia Procula (ou Claudia Procla ou Abroqla). Ils sont tous les deux fêtés le 25 juin. Les Églises grecques orthodoxes honorent seulement cette dernière sous le nom de Claudia Procula.

[4]. « Tous les anciens de la ville la plus proche de l’homme tué se laveront les mains dans le cours d’eau, sur la génisse abattue.  Ils prononceront ces paroles: « Nos mains n’ont pas versé ce sang et nos yeux n’ont rien vu.  Pardonne à Israël ton peuple, toi Yahvé qui l’as racheté, et ne laisse pas verser un sang innocent au milieu d’Israël ton peuple. Et ce sang leur sera pardonné. »

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Sa domination est une domination éternelle » (Dn 7, 13-14)

Lecture du livre du prophète Daniel

Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume
(Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5)
R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence.
(Ps 92, 1ab)

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

Deuxième lecture
« Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

Évangile
« C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37) Alléluia. Alléluia.

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD

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11 novembre 2018

Jésus, Fukuyama ou Huntington ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Jésus, Fukuyama ou Huntington ?

 

Homélie pour le 33° dimanche du temps ordinaire / Année B
18/11/2018

Cf. également :

La destruction créatrice selon l’Évangile
« Même pas peur »…
La « réserve eschatologique »
Lire les signes des temps


Croyez-vous en la fin de l’histoire ?

Cette question peut paraître étrange, et bien loin de vos préoccupations quotidiennes. C’est pourtant une question que soulève l’Évangile de ce dimanche (Mc 13, 24-32) :

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.

À la fin de chaque année liturgique, les récits apocalyptiques de la Bible nous obligent annuellement à sortir de notre train-train temporel : nous vivons comme si nous n’allions jamais mourir, nous vivons comme si l’univers n’allait jamais mourir, comme si aucun au-delà de l’histoire n’était envisageable. Or le Christ nous avertit : « le Fils de l’homme viendra, et le cosmos tout entier en sera transformé ». De même que nous espérons un au-delà de la mort individuelle pour chacun, de même nous attendons un au-delà de l’histoire collective pour tous, une Création nouvelle, un monde autre où Dieu sera tout en tous.

Cette espérance collective n’est plus naturelle à nos contemporains. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 signifiant la chute du communisme soviétique, la démocratie libérale à l’occidentale semble avoir gagné définitivement la partie. Plus aucun politique chez nous n’ose  prophétiser autre chose que la démocratie et l’économie de marché. Les seules alternatives crédibles à notre stade occidental de civilisation pourraient être l’islamisme et le curieux système chinois. Mais on voit mal tous les peuples de la terre aspirer à la charia ou désirer le régime si autoritaire du parti communiste chinois, même devenu capitaliste !

La Fin de l'histoire et le dernier homme par FukuyamaCette thèse de la démocratie libérale comme horizon indépassable désormais de nos sociétés humaines est celle d’un Américain, Francis Fukuyama, formulée en 1989 au lendemain de la chute du mur de Berlin [1]. Il y annonçait « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain ».

« Si nous en sommes à présent au point de ne pouvoir imaginer un monde substantiellement différent du nôtre, dans lequel aucun indice ne nous montre la possibilité d’une amélioration fondamentale de notre ordre courant, alors il nous faut prendre en considération la possibilité que l’histoire elle-même puisse être à sa fin ».

Après la fin de l’illusion communiste, il apparaît impossible, selon Fukuyama, d’imaginer un monde essentiellement différent du monde présent. Faute d’idéologie alternative crédible, l’avenir semble écrit, la démocratie libérale et l’économie de marché ont vocation à s’imposer partout à plus ou moins brève échéance. Ainsi le nombre des démocraties dans le monde est passé de 35 en 1974 (30% des pays du monde) à environ 120 en 2013 (60% du total), celles-ci, étant bien entendu loin d’être toutes parfaites.

La thèse de la fin de l’Histoire tient dans cette idée simple : la civilisation libérale, occidentale, est destinée à devenir universelle ; elle s’imposera à tous, pour toujours.

Dans L’Anticonformiste, Luc Ferry commente :

« De fait, nous ne sommes tout simplement plus capables ne serait-ce que d’imaginer un régime légitime autre que la démocratie. [...] [Fukuyama] suggère que les principes de légitimité auraient tous été plus ou moins explorés au fil de l’histoire, jusqu’à ce que le plus conforme aux exigences fondamentales de l’humanité s’impose à nous. [...] Si le colosse islamiste représente bien l’un des derniers « blocs » à résister à cette unification du monde, l’intégrisme ne pourra jamais se prévaloir de la même légitimité que le communisme. Ce dernier pouvait se penser comme une alternative universelle au capitalisme, potentiellement valable pour l’humanité tout entière, tandis que l’islamisme intégriste, lui, ne saurait nourrir une telle prétention » [2].

Fukuyama n’est pas naïf : il ne prédit pas l’absence de guerres, de crises économiques ou de conflits sociaux. Il formule tranquillement le souhait que désormais toutes les sociétés convergent vers le modèle de la démocratie de marché.

Les chrétiens qui adhéreraient à cette thèse seraient obligés « d’aplatir » leur espérance en l’amputant de toute attente radicalement différente. Tout au plus serions-nous chargés de corriger les excès, les abus, les inégalités de ce système, le seul à garantir liberté et prospérité pour le plus grand nombre. Une social-démocratie chrétienne en quelque sorte, où le ferment proprement révolutionnaire de l’Évangile serait anesthésié, neutralisé. On concéderait juste aux chrétiens le pouvoir de soigner les blessures psychologiques de chacun, mais pas question d’annoncer une société différente.

Fukuyama a réaffirmé son diagnostic récemment dans un article au Wall Street Journal : « à la fin de l’histoire il y a toujours la démocratie. 25 ans après la place Tiananmen et la chute du mur de Berlin, la démocratie libérale n’a toujours aucun concurrent réel » [3].

Face à ce nouvel impérialisme de l’Occident s’autoproclamant l’Oméga de l’histoire, l’islam  et la Chine sont peut-être les derniers contestataires (avec quelques autres résistances de la part des démocraties « illibérales » des pays de l’Est). La charia veut promouvoir le royaume de Dieu sur la terre – et non au-delà comme l’espèrent les chrétiens – en soumettant le monde entier, à commencer par un quartier, une commune, un État, à la volonté de Dieu censé être exprimée à la lettre dans le Coran. Cette idéologie intégraliste gagne du terrain, surtout en Afrique et dans les pays émergents, car elle prend le relais du communisme en dénonçant un Occident décadent et prétentieux, et en promettant une société enfin juste parce que gouvernée directement par Allah (un peu comme pour le PC soviétique avant 1989…).

Le Choc des civilisationsC’est ce qu’un autre penseur américain, pourfendeur de la thèse de Fukuyama, appelle le « choc des civilisations ». Pour Samuel Huntington en effet, l’aspiration à la démocratie libérale n’est pas universelle.

« Seule l’arrogance incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux s’occidentaliseront en consommant plus de produits occidentaux. Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides-vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. » [4]

Cette aspiration entre en conflit avec les liens ethniques et religieux qu’elle dissout dans le marché mondial. Car les identités locales, ethniques ou religieuses ne se laisseront pas facilement absorber par la globalisation marchande. Plus la mondialisation libérale progressera, plus des peuples refuseront de perdre leurs racines, plus les religions (islam, hindouisme, voire christianisme) refuseront d’être réduites à un vague sentiment privé sans un impact social.

« La résurgence religieuse à travers le monde est une réaction à la laïcisation, au relativisme moral et à la tolérance individuelle, et une réaffirmation des valeurs d’ordre, de discipline, de travail, d’entraide et de solidarité humaine. »
« Les conflits entre groupes issus de différentes civilisations sont en passe de devenir la donnée de base de la politique globale. »

Quant à l’alternative chinoise, si étonnante pour nos yeux occidentaux, elle fait semblant de se rallier au capitalisme, mais c’est peut-être pour mieux réaffirmer son caractère autoritaire et non démocratique une fois sa puissance d’antan retrouvée…

Alors, Fukuyama ou Huntington ?

Ce détour géopolitique n’est pas si loin qu’il y paraît de nos soucis quotidiens. Il suffit de voyager dans un État musulman ou en Chine pour se rendre compte que la question de l’évolution de nos voisins concerne directement notre style de vie, nos habitudes, notre culture, notre identité. Rêver que tous les peuples de la terre convergent vers notre modèle n’est pas réaliste, ni même souhaitable. Se résigner à l’inverse au conflit des civilisations est également dangereux. Car la démographie et la croyance sont deux armes que l’Occident ne possède plus. Et que faire contre un adversaire plus nombreux qui croirait que faire mourir l’impie est plus important que sa propre vie ? Et à l’inverse, quels occidentaux seraient prêts à mourir pour leur smartphone ou leur mode de vie ?

Jésus, Fukuyama ou Huntington ? dans Communauté spirituelle 41DJo-BoIqL._SX330_BO1,204,203,200_L’espérance de la venue du Fils de l’homme telle que la formule Jésus aujourd’hui nous libère de toute recherche de réalisation absolue du royaume de Dieu sur la terre. C’est la fameuse « réserve eschatologique » chère au théologien Jean-Baptiste Metz. Nous contestons à tout ordre établi la prétention de se proclamer stade ultime de l’évolution humaine. Nous annonçons un monde autre, qui ne sera pas fait de main d’homme, qui n’est pas l’aboutissement de nos efforts, mais don de Dieu au Jour ultime.

La fin de l’histoire selon nous n’appartient pas à l’histoire, mais à l’au-delà de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas une fin, mais le commencement d’un monde autre, une nouvelle Genèse  qui est déjà en germe dans toutes les initiatives d’amour vrai. La fin de l’histoire n’est pas notre mort individuelle, car notre espérance est bien plus grande qu’une simple survie individuelle. La venue du Fils de l’homme concerne tous les hommes, toute la Création, « depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel ». Aux XIX° et XX° siècles, beaucoup de chrétiens ont cru reconnaître quelques traits de cette espérance dans le marxisme alors triomphant. Ils se sont lourdement trompés. Ne faisons pas la même erreur en nous installant dans nos démocraties libérales d’Occident comme si elles étaient indépassables.

Il y aura d’autres républiques que la nôtre, et d’autres systèmes que la république.
Il y aura d’autres organisations sociales que la démocratie.
Il y aura d’autres performances économiques que celle du marché.
L’histoire n’est pas finie…

Sans nous soumettre à la charia inhumaine, sans non plus abdiquer devant la puissance chinoise en pleine ascension, sans nous replier sur des particularismes d’autrefois, nous aurons à imaginer des renouveaux incessants, des ruptures radicales, pour ne jamais figer la quête spirituelle et sociale de l’humanité.

Ne croyons pas ceux qui nous répètent qu’il n’y a pas d’autre choix que les leurs.
Ne suivons pas les faux prophètes d’apocalypse qui veulent nous précipiter dans les bras des extrémistes de tous bords.
Arrimons-nous solidement à cette ancre jetée dans les cieux (He 6,19) : « le Fils de l’homme viendra ». Cette espérance nous rendra libres de toute adoration des veaux d’or devant lesquels on voudrait que nous nous prosternions avec reconnaissance…

 


[1]. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, 1992. L’ouvrage s’inspire des thèses d’Alexandre Kojève.

[2]. Luc Ferry, L’Anticonformiste, 2011, Denoël, p. 268.

[3]. The Wall Street Journal, At the ‘End of History’ Still Stands Democracy. Twenty-five years after Tiananmen Square and the Berlin Wall’s fall, liberal democracy still has no real competitors, By Francis Fukuyama, June 6, 2014

[4]. Samuel Huntington, Le choc des civilisations (the clash of civilisations) (1996), Ed. Odile Jacob, 2007.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré » (Dn 12, 1-3)

Lecture du livre du prophète Daniel

 En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent, jusqu’à ce temps-ci. Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré, tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles. Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais.

Psaume
(Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)
R/ Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
(Ps 15, 1)

Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

Deuxième lecture
« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 11-14.18)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Dans l’ancienne Alliance, tout prêtre, chaque jour, se tenait debout dans le Lieu saint pour le service liturgique, et il offrait à maintes reprises les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais enlever les péchés.
Jésus Christ, au contraire, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds. Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie.  Or, quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour le péché.

Évangile

« Il rassemblera les élus des quatre coins du monde » (Mc 13, 24-32) Alléluia. Alléluia.
Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous pourrez vous tenir debout devant le Fils de l’homme. Alléluia. (cf. Lc 21, 36)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »
Patrick BRAUD

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