Les fous, les sages, et les simples
Les fous, les sages, et les simples
Homélie pour le 20° dimanche du temps ordinaire / Année B
19/08/2018
Cf. également :
La sobre ivresse de l’Esprit
Éternellement
Manquez, venez, quittez, servez
L’homme ne vit pas seulement de pain
Le pain perdu du Jeudi Saint
Les bonheurs de Sophie
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Le livre des Proverbes que nous lisons ce dimanche (Pr 9, 1-6) personnifie la Sagesse de manière unique dans la Bible. Il la décrit comme une grande dame (sa demeure à 7 colonnes ressemble plus à un palais qu’à une bicoque), généreuse (elle invite largement aux alentours), soucieuse de faire progresser ses contemporains sur le chemin de l’intelligence :
La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé sept colonnes. Elle a tué ses bêtes, et préparé son vin, puis a dressé la table. Elle a envoyé ses servantes, elle appelle sur les hauteurs de la cité : « Vous, étourdis, passez par ici ! » À qui manque de bon sens, elle dit : « Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé. Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence. »
Les commentateurs chrétiens ont tour à tour identifié Dame Sagesse avec le Christ et l’Esprit Saint. Les juifs maintiennent que c’est la sagesse divine, c’est-à-dire Dieu lui-même se manifestant aux hommes.
Le plus intéressant pour nous est la dimension très actuelle de cette figure de la sagesse. Beaucoup de nos contemporains en effet cherchent à explorer des voies nouvelles autour du bien-être, du développement personnel, de pratiques de méditation ou autres sagesses abordant l’unité humaine de façon non occidentale. D’autres s’engagent pour un développement durable, fait d’énergies alternatives et renouvelables, d’un mode de vie plus sobre, d’une production et d’une consommation raisonnées etc. Tous ceux-là pourront entendre l’appel de la Sagesse à un festin différent. Leur porte d’entrée dans le mystère de Dieu ne sera pas la Révélation, les Écritures ou l’Église, mais plutôt cette quête intérieure d’une existence savoureuse et conviviale. Le festin que leur prépare la Sagesse biblique les enchantera par la qualité des mets servis et la fraternité des convives !
Pour la Sagesse, il y a en gros trois catégories d’humains : les fous, les sages et les simples.
Les fous
Les fous sont ceux qui poursuivent des objectifs illusoires, qui courent après des chimères. Ils se vendent pour du vent sans s’en apercevoir. Ils sont également appelés insensés, car ils se privent de but véritable et leurs actions désordonnées n’ont aucune signification, sinon la recherche trompeuse de leur intérêt individuel.
La plupart du temps, les fous sont idolâtres, car c’est rendre un culte aux idoles que de s’étourdir dans les divertissements, ou de vouloir s’enrichir toujours plus, ou de tout sacrifier pour obtenir la gloire et la renommée. Ils sont en cela « stupides », « niais », voire « méchants ».
Le livre des Proverbes oppose Dame Folie à la Sagesse, quelques versets après notre première lecture :
Dame Folie est impulsive, niaise et ne connaissant rien !
Elle s’assied à la porte de sa maison, sur un trône, en haut de la cité, pour appeler les passants, ceux qui vont droit leur chemin.
« Qui est simple? Qu’il fasse un détour par ici! » À l’homme insensé elle dit:
« Les eaux dérobées sont douces, et savoureux le pain du mystère ! »
Or il ignore qu’il y a là des Ombres et que ses invités sont aux vallées du shéol. (Pr 9, 13-18)
L’opposition entre les deux est nette, malgré le parallélisme apparent : Dame Folie invite elle aussi, mais elle est seule, sans servantes. Elle invite avec clinquant et bling-bling (« elle est tapageuse »). Elle détourne les gens de leur droit chemin pour les tenter avec « des eaux dérobées » et des « mets clandestins ». La séduction d’un whisky de contrebande en pleine prohibition en quelque sorte ! Les insensés se laissent prendre au piège : ils se laissent attirer par l’obscurité et la mort des vaines idoles, sans le savoir.
Les sages
Les sages sont faciles à distinguer des fous : ils préfèrent l’humilité au clinquant, la sobriété à la démesure, la droiture en pleine lumière aux coups tordus dans l’ombre. En fait, les sages s’appuient sur leur confiance en Dieu pour affronter les épreuves et les adversaires. Ils savent que leur force n’est pas en eux, mais en Lui qui fait tout concourir au bien de ceux qu’il aime (Rm 8,28). Ils réfléchissent sur leurs échecs, ne s’enivrent pas de leurs réussites. Ils veulent transmettre à leurs enfants un trésor de vie plus qu’un héritage immobilier ou financier. Ils ont conscience de n’être qu’une poussière d’étoiles, ce que la Bible appelle « craindre le Seigneur », c’est-à-dire avoir conscience de sa transcendance et de notre petitesse.
Le recueil des proverbes attribués à Salomon qui commence en Pr 10 joue sans cesse de cette opposition entre le sage et le fou. Un exemple parmi tant d’autres : « un esprit sage accepte des préceptes, mais l’homme aux propos stupides court à sa perte » (Pr 10,8).
Les simples
Un troisième terme s’intercale pourtant entre le fou et le sage : le simple. C’est le public que Dame Sagesse cherche à inviter pour le faire progresser : « y a-t-il un homme simple ? qu’il vienne par ici ! ». Dame Folie vise également ce public, mais pour le perdre.
Les simples ne sont pas encore sages, mais ils ont déjà quitté leur folie antérieure s’ils en ont eu. Ils sont comme un champ en labours attendant les graines à faire germer. L’ivraie et le bon grain se le disputent. Mais la sagesse a une prédilection pour eux, car elle a tout à leur donner.
Les simples sont sans détour (en latin simple se dit simplex = sans pli, sans repli sur soi). Ils cherchent Dieu en toute chose, le « craignent » avec respect, comme l’écrit Pr 9,10 : « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ». Ils acceptent humblement de recevoir. Les événements heureux (cf. le roi Salomon, archétype de la sagesse de gouvernement) ou malheureux (cf. Job, sage confronté au malheur innocent) les font grandir, sans euphorie ni résignation. Les amis et même les ennemis les aident finalement à écouter la voix de Dieu en eux, et ils apprennent sans cesse : « qui aime l’éducation aime la science, qui déteste les avis est stupide » (Pr 12,1).
Peut-être Jésus pensait-il à eux dans sa première béatitude : « heureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3) ?
En tout cas, Jésus fait sûrement référence à notre passage de Pr 9,1-6 lorsqu’il imagine sa parabole des invités au festin des noces (Mt 22, 1-14). Le Roi envoie ses serviteurs comme la Sagesse ses servantes ; il fait en sorte que tout soit prêt pour le repas de noces comme la Sagesse. Les insensés refusent l’invitation, pour leur malheur. Les simples acceptent et remplissent la salle des fêtes du mariage.
Les trois en nous
Ne nous identifions pas trop vite à l’une de ces trois figures !
Il y a en chacun de nous un sage qui aime méditer sur ce qui le dépasse, un fou insensé qui se laisse étourdir par la vanité mondaine, et un simple en quête de mets délicieux…
La proportion de ces trois profils en nous évolue avec l’âge, les événements, les rencontres.
Appuyons-nous sur ce qui est simple pour progresser vers la sagesse en renonçant à nos folies personnelles !
Lectures de la messe
Première lecture
« Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé » (Pr 9, 1-6)
Lecture du livre des Proverbes
La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé sept colonnes. Elle a tué ses bêtes, et préparé son vin, puis a dressé la table. Elle a envoyé ses servantes, elle appelle sur les hauteurs de la cité : « Vous, étourdis, passez par ici ! » À qui manque de bon sens, elle dit : « Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé. Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence. »
Psaume
(Ps 33 (34), 2-3, 10-11, 12-13, 14-15)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9)
Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !
Saints du Seigneur, adorez-le :
rien ne manque à ceux qui le craignent.
Des riches ont tout perdu, ils ont faim ;
qui cherche le Seigneur ne manquera d’aucun bien.
Venez, mes fils, écoutez-moi,
que je vous enseigne la crainte du Seigneur.
Qui donc aime la vie
et désire les jours où il verra le bonheur ?
Garde ta langue du mal
et tes lèvres des paroles perfides.
Évite le mal, fais ce qui est bien,
poursuis la paix, recherche-la.
Deuxième lecture
« Comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur » (Ep 5, 15-20)
Lecture de la lettre de saint Paul aux Éphésiens
Frères, prenez bien garde à votre conduite : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. Ne soyez donc pas insensés, mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur. Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite ; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint. Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce à Dieu le Père.
Évangile
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58) Alléluia. Alléluia.
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui, dit le Seigneur. Alléluia. (Jn 6, 56)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD