L'homélie du dimanche (prochain)

25 juin 2018

Petite théologie du football

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Petite théologie du football


Homélie pour le 13° dimanche du temps ordinaire / Année B
01/07/2018

Cf. également :

La générosité de Dieu est la nôtre
Les matriochkas du 12
Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique
Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde


« Le football est un jeu très simple : 22 hommes courent après une balle pendant 90 mn, et à la fin ce sont les Allemands qui gagnent »
 : cette boutade de Gary Lineker (ancien international anglais) nous plonge d’emblée dans une atmosphère quasi-biblique pendant cette Coupe du Monde, avec cette notion de peuple élu que serait l’Allemagne (ou le Brésil) pour incarner le dieu football…

Puisque la coupe du monde de football bat son plein en Russie, essayons – comme nous l’avons fait pour le rugby – de reconsidérer quelques éléments de ce sport sous un éclairage philosophique et théologique.

Il y a d’abord tous les éléments communs aux sports en général. Et en premier lieu la ritualisation de la violence : plutôt que d’en venir aux mains entre bandes rivales, mieux vaut mettre en jeu la rivalité en la mettant en scène sur un terrain de manière régulée, régulière, et la ritualiser avec quelques-uns représentant tout le groupe. Le jeu de balle se pratique depuis environ 3000 ans, et on a des exemples célèbres où il a permis de désamorcer les conflits.
Petite théologie du football dans Communauté spirituellePar exemple au Mexique au XVI° siècle. Deux rois de la triple alliance aztèque Nezahualpilli (Roi de Texcoco) et Motecuzoma II (Roi de Tenochtitlan et empereur des aztèques) se sont livrés en 1519 un combat singulier : un partie de jeu de balle (jeu connu à Chichen Itza dans l’actuel Mexique depuis le VI° siècle av JC 
[1]). Le match-duel se termina par la victoire sans conteste du roi de Texcoco (pourtant moins puissant que l’empereur). Il fit passer la balle dans l’anneau scellé au mur, exploit suprême. L’empereur se retrouva contraint de céder au vœu de pacifisme du roi de Texcoco formulé avant le match en cas de victoire. Le récit du match se trouvait aussi bien dans les annales de Texcoco que de celle de Tenochtitlan.

Exorciser la violence en la ritualisant, en la codifiant, en la symbolisant est une fonction quasi religieuse. Les sacrements font-ils autrement autre chose dans la foi chrétienne que d’exorciser la mort par le baptême, la violence sacrificielle par l’eucharistie, la guerre des sexes par le mariage ?

Dans les sports collectifs il y a bien d’autres éléments qui relèvent du religieux.
On peut évoquer rapidement le désir de se dépasser, témoin de la transcendance qui habite en nous, la ferveur qui unit les supporters touche à la communion au sens le plus fort et le plus spirituel du terme (on sait que le sport est un opérateur de convivialité, autour d’un apéro entre le voisin, famille, amis ou d’un barbecue…). Les manifestations d’unité en 1998 en France lorsque nous avons été champions du monde sont encore dans toutes les mémoires. On peut évoquer encore l’apprentissage de l’échec et l’humilité qui en découle ; le rôle si important du juge arbitre, référence inconsciente au jugement dernier où chacun est sanctionné pour ses fautes et salué lorsqu’il atteint son but etc.

Essayons de repérer quelques éléments propres au football.

 

Une quasi-religion, plus populaire et universelle que les grandes religions

Le football parle à tous, mais avec prédilection aux plus pauvres. Il leur fait entendre une promesse de gloire, une fierté d’appartenance, une espérance de salut hors de la misère quotidienne. Comme avec la religion : ce qui fait dire au théologien protestant Paul Tillich que le football est une quasi-religion, populaire, mondiale. Par exemple, la Coupe du Monde de la FIFA 2014 a attiré plus de 3,2 milliards de téléspectateurs ; 1 milliard ont suivi tout ou partie de la finale selon les chiffres définitifs de la FIFA et de KantarSport… Quelle religion peut en dire autant ?

 

La main interdite
Curieuse, cette interdiction de toucher le ballon avec les mains !

argentine-1986-away-main-de-dieu-et-but-du-siecle coupe dans Communauté spirituelleC’est ce qui oblige chacun à déployer des trésors de virtuosité avec ses pieds, sa tête, ses genoux, sa poitrine. C’est comme si le rôle fondateur de l’interdit était discrètement rappelé, alors que jouer à la main est aussi désirable que le fruit de l’arbre de la Genèse ! Heureusement, Daniel Webb Ellis en 1823 transgressera cet interdit, et le rugby fera jouer tout le corps humain (mais avec d’autres interdits, comme l’en-avant ! Comme quoi on ne peut pas se passer d’interdit…).
Le gardien est le seul à être dispensé de cet interdit : joueur à part, situation unique dans les sports collectifs. Un peu comme les cohen (prêtres juifs) qui seuls avaient le droit de rentrer dans le parvis réservé et le sanctuaire. Le gardien est le seul à pouvoir mettre la main sur le ballon dans la surface de réparation. D’ailleurs, faire entrer la balle dans les filets adverses ne revient-il pas à prendre possession du Temple de Jérusalem comme le firent Nabuchodonosor et l’empire romain en leur temps ? Il s’agirait alors de déposséder le Dieu de l’autre de son prestige et de sa force.

 

La notion de réparation

shoot 2 goal ligue mondiale 2018 jeu de foot capture d'écran 2En Israël, il y avait des sacrifices d’animaux en guise de réparation d’une faute commise envers Dieu. En football, il y a une surface pour cela, dont le but tient lieu de Temple. Toute faute commise dans cet espace donne lieu à un penalty (pénalité en anglais) car sa gravité est proportionnelle à la proximité du lieu saint ! Le penalty est un peu le sacrifice de réparation après une grave entorse au règlement de la violence codifiée. La surface de réparation est le parvis symbolique où l’on sacrifie les animaux pour rétablir la paix avec Dieu.

 

 

Le génie individuel, ou le messianisme sécularisé

Un hat trick, ou coup du chapeau en françaisUn seul joueur peut renverser le cours d’un match. Le doublé d’un Antoine Griezmann, le coup du chapeau (triplé consécutif) d’un Christiano Ronaldo peuvent à eux seuls décider de l’issue incertaine d’un match. C’est comme si un seul individu, soudain revêtu de grâce (charisme en grec) et de talent, pouvait devenir le sauveur de son équipe, et finalement de son peuple. La nature même du sport et en particulier du football, où une carrière et une vie peuvent basculer grâce un but, semble propice au recours au sacré. Dans nul autre sport collectif le rôle de l’individuel n’est aussi décisif (sauf peut-être le basket-ball). Impossible par exemple pour un rugbyman de faire basculer à lui tout seul le score d’une partie. Même les buteurs fameux comme Wilkinson ont besoin que les autres joueurs poussent les autres à la faute pour pouvoir tranquillement enquiller pénalité sur pénalité. Et d’ailleurs justement, même ici, on retrouve les origines footballistiques du rugby, car ce sont des coups de pied arrêtés, et non des jeux de mains…

L’héroïsme qui distingue l’un des Onze d’une équipe de foot (les Douze moins Judas ?) comme le sauveur, le Messie de tous n’est pas loin du messianisme juif ou chrétien. Un seul homme, Jésus, peut en effet inverser le sort humain. Là où tous ont échoué depuis Adam, il a suffi que lui réussisse (par la croix) pour que tous deviennent vainqueurs en lui et grâce à lui. La concentration sur la figure d’un seul au milieu de tous a bien des affinités avec la mise à part du Christ comme seul sauveur, seul médiateur entre Dieu et les hommes (la fameuse main de Dieu de Maradona en est un exemple poussé à l’extrême !). Il y a donc quelque chose de christique dans la légende vivante qui entoure les héros du football, de Just Fontaine à Lionel Messi, en passant par Pelé et autres Zidane…

 

Un vecteur de l’identité nationale et de la communion entre les peuples

France 10 - T-shirt contrasté HommeÀ l’heure de la globalisation à tout-va, chanter l’hymne national (souvent guerrier) pour se démarquer de l’autre partie du stade qui chantera l’autre l’hymne national, c’est presque une provocation. Le thème de l’identité d’un peuple, renforcé par le drapeau, les couleurs du maillot (la Squadra azzura, les Bleus, les Oranges…) revient ici en force, incompressible, irrépressible. Seuls les nationaux jouent en coupe du monde : pas de mercenaires étrangers, pas d’équipe sans nation. Un pays riche comme le Qatar peut certes s’acheter des stars du ballon rond à coups de milliards pour les naturaliser ensuite, cela ne fait toujours pas une sélection nationale. Renforcer l’identité des participants tout en l’ouvrant à la différence, voilà une belle opération symbolique que le football réussit à merveille, quelquefois bien mieux que les religions établies.

 

Tout gamin de la rue a sa chance

Pelé - naissance d’une légendePelé est la figure de l’ascension sociale fulgurante que peut provoquer le football. Sans école ni formation préalable, un gamin de la rue qui sait d’instinct taper dans le ballon pourra peut-être avoir un avenir exceptionnel. Le football fait la promesse d’élever les humbles et d’offrir à leurs chances aux petits. Le Magnificat n’est pas loin ! Cette promesse n’est pas sans harmoniques évangéliques, même si l’Évangile la fait à tous et pas seulement à quelques vedettes. Reste que la possibilité d’inverser le cours d’une existence, autrement promise à la pauvreté, fait partie du pouvoir de séduction du football. Un peu comme le loto. L’espérance d’une vie meilleure est si fortement chevillée au corps que les pauvres admirent et adulent ceux qui réussissent grâce au football, en s’identifiant à eux. Or c’est également un rôle un des rôles sociaux de la religion que de promouvoir chaque membre de la communauté à une vie meilleure, sur tous les plans, même matériel. Les catholiques ont beaucoup pratiqué ce lien entre baptême et ascension sociale, notamment dans les pays de mission. Actuellement, dans les banlieues et les zones de pauvreté, ce sont plutôt les évangéliques qui relèvent ce défi toujours actuel.

 

La tentation superstitieuse

Plus que les autres sports, le football donne lieu à des manifestations publiques de religiosité étonnantes. Olivier Giroud, l’attaquant de l’équipe de France, s’est tatoué un psaume en latin sur le bras (« le Seigneur est mon Berger, je ne manque de rien »). Une foi affichée et assumée qui devrait engager aussi à l’extérieur des terrains de football…

 footballLe 6 juin 2016, le jeune brésilien Neymar, vainqueur de la ligue des champions avec le FC  Barcelone, revêt le bandeau « 100% Jésus » pour célébrer la victoire. Une inscription plus tard censurée par la FIFA dans une vidéo pour la cérémonie du ballon d’or. Après leur victoire en 2002, l’équipe brésilienne tout entière s’est agenouillée en cercle pour une prière collective intense. Quelques joueurs enlevaient leurs maillots pour laisser apparaître leur T-shirts où était écrit : « J’appartiens à Jésus » (« I belong to Jesus »). L’influence évangéliste sur ce genre de pratiques publiques est manifeste.

Le risque est grand d’utiliser Dieu pour la victoire. « Dieu avec nous » est hélas un vieux slogan que l’on peut trouver chez les meilleurs comme chez les pires. Instrumentaliser Dieu pour le succès a été le péché d’Israël : il croyait que Dieu sortait avec ses armées, et il a fallu une énorme défaite (1 Samuel 4) -  avec pourtant l’arche d’Alliance comme emblème – pour que le peuple redécouvre le commandement du Décalogue : « tu ne prononceras pas le Nom de ton Dieu en vain » (Dt 5,11). La superstition (ou la magie) consiste justement à invoquer des force invisibles pour expliquer ou favoriser le cours des évènements…

 

La tentation du divertissement

« Les hommes, ayant perdu le paradis, se mirent à courir après une balle. »

 rugbyCette citation attribuée à Blaise Pascal nous met sur la piste de l’utilisation du football comme divertissement, au sens pascalien du terme, c’est-à-dire quelque chose qui nous divertit, nous détourne de l’essentiel. Les pouvoirs publics utilisent le football et le sport comme force de légitimation (cf. Hitler et les jeux de Berlin, ou l’URSS et le dopage). Ils savent également que le peuple qui a la tête au football ne manifestera pas dans la rue, et oubliera ses problèmes le temps de la compétition et après. Les individus quant à eux vont chercher à s’étourdir dans l’euphorie des supporters, pour oublier leurs problèmes. Poutine en Russie ou Macron en France n’ont pas laissé passer cette occasion d’instrumentaliser la réussite de leur équipe nationale…

Cette vision pessimiste du plaisir des supporters est très puritaine ! Les catholiques préfèreront voir dans ce divertissement un jeu proprement humain, qui n’est pas sans rappeler le plaisir du jeu dont la Sagesse se délectait auprès du Créateur à l’origine du monde (Proverbes 8)…

 

La tentation du mercenaire

Le revers de cette médaille de réussite est le risque de vendre son âme au succès et à la richesse qui l’accompagne. Plus que tout autre sport, le football actuel est envahi par l’argent. Chaque année, le mercato fait monter le prix de transfert des joueurs pour les clubs à des sommets de plus en plus extravagants. La FIFA estime à 4 milliards d’€ le chiffre d’affaires à réaliser autour de la Coupe du Monde 2018, dont 2 milliards de bénéfices.

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En bon marxiste, Mélenchon s’en étonne : « comment voulez-vous que je me passionne pour un sport ou des smicards viennent applaudir des milliardaires ? » Devenir footballeur professionnel est un rêve d’enrichissement et de gloire qui hélas transforme la vie des milliers d’enfants, notamment africains, en long exil décevant à travers l’Europe. Pour ceux qui réussissent (en proportion assez rare), l’ascension est fulgurante. Des gamins de 18 ans se retrouvent à amasser des fortunes qui leur brûlent les doigts et leur tournent la tête. Certains deviennent délinquants, voire criminels ; la plupart flambent leur argent en voitures, boîtes de nuit, filles, alcool etc. Sur le terrain, ils ressemblent plus à des mercenaires qu’à des amoureux du ballon rond et d’une identité locale. Ils sont prêts à se vendre au plus offrant. Heureusement, le PSG avec l’argent du Qatar et ses stars si coûteuses ne vaut pas encore le Real Madrid entraîné par Zidane… Reste que le budget d’un club est proportionnel à son succès en Ligue 1 ou Ligue 2, et vice versa hélas. Le mythe du petit Poucet détrônant les pros se réalise de temps en temps en Coupe de France (Guingamp, les Herbiers…). Mais la dure loi de l’argent règne sur les performances des clubs.

Comment ne pas entendre le Christ tonner : « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ? » Ou bien saint Jacques : « malheur à vous les riches. Vos richesses sont pourries ». Quand taper dans un ballon permet à quelqu’un de gagner en un mois plus qu’un ouvrier pourra jamais économiser tout au long de sa vie, on se dit qu’il y a effectivement quelque chose de pourri au royaume du football…

Le pape François a reçu une délégation de footballeurs lundi au Vatican.

Ce ne sont là que quelques linéaments dans le désordre, quelques briques d’une relecture théologique bien incomplète, à affiner davantage.

L’important est dans l’acte même de prendre du recul sur le spectacle de la Coupe du monde qui nous est offert. L’important est de prendre le temps de réfléchir sur ce jeu et sur cet événement mondial : Dieu n’est certes pas absent des stades (le diable non plus !), de la ferveur qui unit des peuple pacifiquement, de l’envie sportive de se dépasser témoignant de la transcendance etc.

Posons un autre regard sur ces réjouissances : un regard de bienveillance qui cherche à discerner les vraies attentes de nos contemporains derrière les enthousiasmes faciles, agréables et fragiles.

 


[1]. On pense, en s’appuyant notamment sur les grandes fresques en bas-reliefs qui entourent le grand terrain de Chichen Itza au Mexique, que lors des grandes fêtes une équipe représentant les forces de l’inframonde (le monde souterrain où les morts se rendaient – symbolisées par des jaguars) affrontait une équipe représentant la lumière (sous la forme d’aigles) avec une balle en caoutchouc (ils maîtrisaient la vulcanisation). Le match pouvait s’étendre sur plus d’un jour et selon les explications des guides sur place, la tête du capitaine de l’équipe perdante était tranchée par le capitaine de l’équipe gagnante et son sang était répandu sur le sol. Les Mayas associaient le sang à la vie et pensaient qu’il permettait donc une fertilisation du sol, améliorant les récoltes. Pour les Mayas, c’était un grand honneur ; on versait la tête était ensuite empalée dans le mur prévu à cet effet juste à côté du stade de ce jeu de balle.

 

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24)

Lecture du livre de la Sagesse

Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie : on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir. La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité. C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ; ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui.

Psaume
(29 (30), 2.4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé. (29, 2a)

Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé,
tu m’épargnes les rires de l’ennemi.
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie.
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie.

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi,
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Ce que vous avez en abondance comblera les besoins des frères pauvres » (2Co 8, 7.9.13-15) 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, puisque vous avez tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement et l’amour qui vous vient de nous, qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux ! Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, il s’agit d’égalité. Dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins, afin que, réciproquement, ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins, et cela fera l’égalité, comme dit l’Écriture à propos de la manne : Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop, celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien.

Évangile
« Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! » (Mc 5, 21-43)
Alléluia. Alléluia. Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort ; il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer. Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie instamment : « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… – elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré – … cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui répondirent : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela. Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? » Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. » Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant. Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur. Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger.
Patrick BRAUD

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18 juin 2018

Dès le sein de ta mère…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Dès le sein de ta mère…


Homélie pour le 12° dimanche du temps ordinaire, fête de la Nativité de St Jean Baptiste / Année B
24/06/2018

Cf. également :

Personne dans la famille ne porte ce nom-là
Faites votre métier… autrement
Un présent caché
Révéler le mystère de l’autre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Le Verbe et la voix
Res et sacramentum
Éloge de la déontologie
Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires

 

Dès le sein de ta mère…

L’Irlande vient de voter par référendum ce 26 mai 2018 à plus de 66 % la légalisation de l’avortement. Bien sûr, cette décision historique est saluée en France et dans de nombreux pays occidentaux comme un progrès social. Et nos commentateurs sont persuadés qu’il y a là comme une loi de l’histoire, inexorable : plus les pays sont développés, plus ils pratiquent l’IVG ; plus ils sont démocratiques, plus ils autorisent, remboursent et banalisent l’acte d’avorter.

Les pro-avortement exultent à l\'annonce des résultats du référendum, le 26 mai à Dublin.

Soyons clairs : même si l’Église catholique se désole de ce résultat, elle doit absolument l’accepter. Car qui a le droit d’imposer sa morale aux autres ? De plus, elle devrait avec humilité mesurer le fossé qui s’est creusé entre la morale individuelle contemporaine et ses propres points de repères en la matière. C’est de sa responsabilité en grande partie : perte de confiance à cause des scandales multiples, règles morales trop rigides et mal argumentées, position d’autorité – des évêques notamment – qui frise à l’autoritarisme sur ces sujets familiaux etc.

Quand j'étais dans ton ventreReste que la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste en ce dimanche nous met sous les yeux des textes impossibles à édulcorer (Is 49, 1-6) :

« J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. […] Le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur… »

Pour le prophète Isaïe, il n’y a pas de discontinuité entre l’être humain qu’il est aujourd’hui et celui qu’il était dans le sein de sa mère !

Cette intuition spirituelle se voit aujourd’hui confirmée par la science : il n’y a aucune discontinuité biologique entre l’œuf fécondé, l’embryon, le fœtus et finalement l’enfant nouveau-né. La nature a programmé ce cycle pour qu’un enfant apparaisse sans qu’on puisse isoler l’instant où des cellules deviendraient soudain humaines alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant. 12 semaines, 14 semaines, un cœur qui bat ou un cerveau qui devient visible : qui peut dire le seuil où avant il y avait une chose et ou après il y aurait un être humain ? Aux yeux de Dieu, tel que la Bible nous le transmet, celui/celle qui est dans le ventre maternel n’est pas un sujet différent de l’homme mûr. Notre psaume 138 de ce jour le dit très simplement :

Dieu, c’est toi qui as créé mes reins,
qui m’as tissé dans le sein de ma mère. […]
Mes os n’étaient pas cachés pour toi
quand j’étais façonné dans le secret.

Plus tard, l’Incarnation du Verbe en Marie sera saluée par Gabriel et la tradition unanime comme le Messie rempli de l’Esprit saint dès sa conception en Marie.

« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit » (Mt 1,20).

La Visitation marquera un moment privilégié où la relation mère enfant à naître est bouleversante de communion : « l’enfant a tressailli d’allégresse au dedans de moi » (Lc 2,44) dira Élisabeth en parlant de Jean-Baptiste. La rencontre des deux cousines Marie et Élisabeth manifeste un lien entre ceux qu’elles portent en elles, Jésus et Jean-Baptiste. D’ailleurs, Jésus, Marie et Jean-Baptiste sont les trois seuls personnages du calendrier chrétien dont on fête la naissance. Pour les autres saints, on fête leur mort (leur naissance à la vie éternelle). La naissance et la vie avant la naissance de ces trois-là est donc particulièrement importante.

La liste des autres textes bibliques appelant au respect de la vie dès le ventre maternel est bien connue :

« Avant de t’avoir formé dans le sein de ta mère, je t’ai choisi ; et avant ta naissance, je t’ai consacré : je t’ai destiné à être prophète pour les peuples ». (Jérémie 1,5)

« Si des hommes, en se battant, heurtent une femme enceinte et causent un accouchement prématuré, mais sans qu’il y ait d’autre conséquence grave, l’auteur de l’accident devra payer une indemnité dont le montant sera fixé par le mari de la femme et approuvé par arbitrage. Mais s’il s’ensuit un dommage, tu feras payer vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, contusion pour contusion ». (Ex 21, 22-25)

« Dès qu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. » (Luc 1,41).

« Comme tu ne sais pas quel est le chemin du vent, ni comment se forment les os dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait tout. » (Ecclésiaste 11,5).

« Celui qui m’a créé dans le ventre de ma mère ne l’a-t-il pas créé ? Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel ? » (Job 31,15).

« Tes mains m’ont formé, elles m’ont créé, Elles m’ont fait tout entier… Et tu me détruirais! Souviens-toi que tu m’as façonné comme de l’argile; Voudrais-tu de nouveau me réduire en poussière? Ne m’as-tu pas coulé comme du lait? Ne m’as-tu pas caillé comme du fromage ? » (Job 10, 8-12)  

« Oui, tu m’as fait sortir du sein maternel, Tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère; Dès le sein maternel j’ai été sous ta garde, Dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu ». (Psaume 22, 9-10   )

Il y a encore plusieurs textes soulignant la continuité d’une vie personnelle avant et après la naissance: Genèse 25, 22-23 (même rivalité avant et après la naissance); Luc 1,15.41.44 (même ministère de Jean-Baptiste); Ps 139.13-16; Jérémie 1.5; 20.17-18; Job 10.18-19 etc.

Pratiquants en franceIl y a consensus entre croyants (juifs, musulmans, chrétiens) pour respecter la vie dès le sein maternel autant que possible [1], et également pour ne jamais mettre en danger la vie de la mère en cas de grossesse difficile. Il y a débat sur les cas de viol, inceste ou grave malformation physique ou mentale. Mais l’immense majorité des IVG ne concerne pas ces situations douloureuses. Le fait que les croyants soient minoritaires en Europe occidentale et aux USA sur cette question reflète leur  position minoritaire dans ces sociétés, et c’est finalement fort logique. C’est peut-être également parce que beaucoup de ceux qui se disent croyants ne suivent plus là-dessus leur Église, leurs rabbins, leurs imams. Ainsi en Irlande, 80 % de la population se déclarent catholique, avec une pratique de 40 % en moyenne. Ce n’est donc pas à cause d’une situation minoritaire que l’Église catholique n’a pas été suivie en Irlande lors du référendum sur l’avortement. C’est parce qu’un divorce a  éloigné le peuple des clercs, suite aux multiples scandales qui ont ruiné leur crédibilité, suite à des prises de position trop autoritaires et mal fondées.

En France ou ailleurs, être minoritaire demande d’accepter de l’être. On peut être en désaccord avec la pensée ambiante sur l’IVG sans chercher pour autant à imposer son point de vue à quiconque. Il suffit que chacun soit cohérent avec sa conscience pour lui-même. Le sort des enfants non-nés peut certes être un angle mort sociétal qui un jour sera donc dénoncé comme tel par tous. Et pour ceux qui croient que la vie intra-utérine possède tout de la dignité humaine, le fait qu’une grossesse sur cinq n’arrive pas à terme est un grand malheur, la généralisation de l’IVG résonne comme un signal social très grave.

En attendant, la liberté de choix permet aux croyants comme aux non-croyants d’être respectés dans leurs convictions, pour peu que l’objection de conscience et le débat sur le fond continuent à exister. Difficile donc de se réjouir du résultat de ce référendum irlandais ; difficile également de ne pas l’accepter démocratiquement.

Mieux vaudrait pour les catholiques notamment revoir leur discours sur la contraception en particulier et la sexualité en général. Mieux vaudrait réformer l’Église de l’intérieur pour qu’elle soit plus proche des pauvres et les petits.

Nous connaissons tous des personnes touchées de près ou de loin par un avortement, peut-être nous-mêmes directement. L’accueil inconditionnel et la miséricorde sans jugement doivent toujours être notre premier réflexe. Cela n’empêche pas de continuer à réfléchir, débattre, argumenter. La Bible, le Talmud  ou le Coran fournissent pour les croyants des points de repère clairs et exigeants. Les discussions scientifiques et philosophiques doivent permettre d’élargir ce débat à tous les hommes de bonne volonté. L’humanité a pu pendant des siècles pratiquer l’esclavage sans mauvaise conscience et se désintéresser de la souffrance animale. Il y a toujours un temps où les yeux s’ouvrent et où les comportements changent…

 


[1]. Cf. par exemple pour l’Église catholique le n° 2271  de son catéchisme : « Depuis le premier siècle, l’Église a affirmé la malice morale de tout avortement provoqué. Cet enseignement n’a pas changé. Il demeure invariable. L’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme une fin ou comme un moyen, est gravement contraire à la loi morale : ‘Tu ne tueras pas l’embryon par l’avortement et tu ne feras pas périr le nouveau-né’ (Didaché 2,2 cf. Barnabé, ep. 19,5 Épître à Diognète 5,5 Tertullien, apol. 9). Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, et l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit donc être sauvegardée avec soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables ( GS 51 ). »

 

Messe du jour
Première lecture
« Je fais de toi la lumière des nations » (Is 49, 1-6) 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Écoutez-moi, îles lointaines ! Peuples éloignés, soyez attentifs ! J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois. Il m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Et moi, je disais : « Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. » Et pourtant, mon droit subsistait auprès du Seigneur, ma récompense, auprès de mon Dieu. Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Psaume
(Ps 138 (139), 1-2.3b, 13-14ab, 14c-15ab)
R/ Je te rends grâce, ô mon Dieu, pour tant de merveilles. (cf. Ps 138, 14)

Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m’assois, quand je me lève ;
de très loin, tu pénètres mes pensées,
tous mes chemins te sont familiers.

C’est toi qui as créé mes reins,
qui m’as tissé dans le sein de ma mère.
Je reconnais devant toi le prodige,
l’être étonnant que je suis.

Étonnantes sont tes œuvres,
toute mon âme le sait.
Mes os n’étaient pas cachés pour toi
quand j’étais façonné dans le secret.

Deuxième lecture
« Jean le Baptiste a préparé l’avènement de Jésus » (Ac 13, 22-26)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, Paul disait aux Juifs : « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus, dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement en proclamant avant lui un baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. Au moment d’achever sa course, Jean disait : “Ce que vous pensez que je suis, je ne le suis pas. Mais le voici qui vient après moi, et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds.” Vous, frères, les fils de la lignée d’Abraham et ceux parmi vous qui craignent Dieu, c’est à nous que la parole du salut a été envoyée. »

Évangile
« Son nom est Jean » (Lc 1, 57-66.80)
Alléluia. Alléluia. Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant, en présence du Seigneur, et tu prépareras ses chemins. Alléluia. (Lc 1, 76)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l’enfant. Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère prit la parole et déclara : « Non, il s’appellera Jean. » On lui dit : « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! » On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler. Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : « Jean est son nom. » Et tout le monde en fut étonné. À l’instant même, sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu. La crainte saisit alors tous les gens du voisinage et, dans toute la région montagneuse de Judée, on racontait tous ces événements. Tous ceux qui les apprenaient les conservaient dans leur cœur et disaient : « Que sera donc cet enfant ? » En effet, la main du Seigneur était avec lui.
L’enfant grandissait et son esprit se fortifiait. Il alla vivre au désert jusqu’au jour où il se fit connaître à Israël.
Patrick BRAUD

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11 juin 2018

Un Royaume colibri, papillon, small, not big

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Un Royaume colibri, papillon, small, not big

Homélie pour le 11° dimanche du temps ordinaire / Année B
17/06/2018

Cf. également :

Le management du non-agir
L’ « effet papillon » de la foi
Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Le pourquoi et le comment


Small is beautiful [1]

Small Is Beautiful: Study Of Economics As If People Mattered   de E.F., Schumacher « Ce qui est petit est beau » : ce slogan des années 80 qui vantait les solutions des économies alternatives aurait pu être formulé par Jésus !

L’originalité de l’auteur de l’ouvrage est de soulever la question de la taille : « Nous sommes aujourd’hui victimes d’une idolâtrie quasi universelle du gigantisme. Il est donc nécessaire d’insister sur les vertus de la petitesse, quand il y a lieu. » Ainsi, il considère qu’une ville ne devrait pas dépasser 500 000 habitants. Il justifie aussi les petites structures en raison des rapports entre personnes : « Nous avons besoin (…) de petites unités, car l’action est une aventure éminemment personnelle, et l’on ne saurait être en relation, à tout moment, qu’avec un nombre très restreint de personnes. (…) S’il est vrai que tous les hommes sont frères, il n’en est pas moins vrai que, dans nos rapports personnels, nous ne pouvons vraiment fraterniser qu’avec quelques-uns seulement, à l’égard desquels nous sommes appelés à témoigner plus d’amour fraternel que nous le pourrions faire envers toute l’humanité ».

Avec sa parabole de la graine qui germe d’elle-même, et surtout celle de la minuscule graine de moutarde si prometteuse (Mc 4, 26-34), Jésus prend à contre-pied nos rêves de grandeur :

Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »

Aux yeux de Dieu, ce n’est pas le nombre de légions romaines qui compte, mais la poignée autour des Douze qui va mettre le feu spirituellement au bassin méditerranéen. Quand le roi David a voulu compter ses troupes pour être sûr de sa puissance contre l’ennemi, Dieu a frappé le peuple de la peste (2S 24, 9-17) : la vraie puissance naît de la confiance en Dieu, pas de ses propres forces.

Joab donna au roi le résultat du recensement : Israël comptait huit cent mille hommes capables de combattre, et Juda cinq cent mille hommes. Mais, lorsque David eut recensé le peuple, le cœur lui battit, et il dit au Seigneur : « Ce que je viens de faire est un grand péché ! Seigneur, pardonne cette faute à ton serviteur, car je me suis conduit comme un véritable insensé. »

« Le pape, combien de divisions ? » demandait ironiquement Staline. Or la chute du Mur de Berlin a confirmé que les bougies allumées par des résistants à l’Est étaient plus puissantes que les barbelés et les check-points.

 

Too big to fail

À l’inverse du Small is beautiful, un autre courant économique fait le constat pragmatique que certaines banques ou entreprises sont trop grosses pour que l’économie puisse courir le risque de les voir faire faillite. On qualifie également ces institutions financières de « structures d’importance systémique ».

Lors de la crise bancaire qui a suivi la crise des subprimes en 2008, certaines banques américaines (Morgan Stanley, Citigroup, etc.) ayant pris des risques inconsidérés ont été renflouées, par un système de prêt émis par la banque centrale américaine, la FED, afin de limiter les effets d’une chute du système bancaire au niveau mondial.

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Pourtant cette doctrine du « too big to fail » est largement démentie par les faits. Tout d’abord elle engendre ce qu’on appelle l’aléa moral : les fraudeurs, spéculateurs, corrompus et tricheurs en tout genre sont encouragés à faire n’importe quoi, puisque de toute façon les États couvriront leurs déficits éventuels, par peur de l’effet domino abattant les grandes institutions bancaires et économiques une à une.

Ensuite, la liste des grandes entreprises qui ont pourtant fini par disparaître s’allonge chaque année. Malgré la crise de 2008, de telles mauvaises habitudes sont hélas réapparues ; et de nombreux experts craignent une autre crise à venir, car le secteur bancaire n’a pas fondamentalement changé. On l’a au contraire dédouané  de sa responsabilité en rachetant massivement ses dettes et autres junk funds.

Citons quelques faillites célèbres :

- Enron : de l’eau dans le gaz
Le géant américain, créé en 1931 et renommé Enron en 1985, fut l’une des entreprises américaines avec la plus grosse capitalisation boursière. Cette société texane était spécialiste dans le gaz naturel et avait créé tout un système de courtage par lequel elle achetait et revendait de l’électricité. Et pourtant, ce géant de l’énergie américain n’existe plus aujourd’hui. En 2001, l’entreprise fut frappée par un scandale lorsque ses escroqueries ont été dévoilées. La faillite de l’entreprise s’explique par le fait qu’elle démontrait une croissance exceptionnelle de ses ventes tout en dissimulant l’explosion considérable de sa dette. Le 2 décembre 2001, l’entreprise annonce officiellement sa faillite et la perte de 65,6 milliards de dollars d’actifs ainsi que la dissolution de son auditeur Arthur Andersen, cinquième plus grande entreprise d’audit financier et comptable au monde.

- General Motors : la plus grosse faillite de l’automobile
General Motors, entreprise créée en 1908 à Détroit et véritable mastodonte de l’industrie automobile américaine et mondiale contrôlait plus d’une quinzaine de marques automobiles en 2000. Avec un premier risque de faillite en 2005, la sentence tombe le 1er juin 2009, à la suite de la crise de l’automobile qui avait rendu impossible le remboursement des dettes accumulées. L’entreprise qui détenait 91 milliards de dollars est placée sous la couverture du Chapitre 11 de la constitution américaine afin de nationaliser l’entreprise et la sauver de la banqueroute totale. Cette intervention de l’État américain permet à General Motors de se sortir de la plus grosse faillite d’entreprise du secteur automobile.

- WorldCom : les télécommunications à l’heure de la crise financière
Les plus grandes faillites d’entreprises sont souvent entachées de grandes fraudes ou escroqueries. WorldCom est fondée en 1983 par le canadien Bernard Ebbers dans le Mississipi et est introduite en Bourse en 1989. Mais, dès 2000 et afin de surmonter les difficultés de l’industrie des télécoms, certains cadres de la compagnie ont effectué des manipulations comptables frauduleuses pour masquer des pertes de revenus. Avec des actifs de plus de 103 milliards de dollars, comme General Motors, l’entreprise est placée sous le Chapitre 11. La faillite de l’entreprise a conduit à un plan de restructuration en 2003 et à un changement de nom pour marquer le coup. WorldCom se prénomme donc désormais MCI.

3208735545_1_8_XRFE4UH2 big dans Communauté spirituelle- Washington Mutual : quand la sixième banque américaine s’effondre
Washington Mutual était la plus grande caisse d’épargne des États-Unis. Créée en 1889, la société devient une institution financière 100 ans plus tard lors de son entrée en bourse au New York Stock Exchange. Bien évidemment, la crise financière de la fin des années 2000 a eu des répercussions énormes dans les faillites d’entreprises. Le 26 septembre 2008, pour son 119° anniversaire, la sixième banque américaine est placée sous la protection du Chapitre 11 alors qu’elle possédait des actifs de l’ordre de 327,9 milliards de dollars. L’entreprise est saisie en faillite et le transfert de ses actifs est ordonné vers son concurrent JP Morgan Chase par les autorités américaines.

- Lehman Brothers : lâchée par le gouvernement
Le numéro un des grandes faillites d’entreprises est sans surprise l’effondrement de Lehman Brothers. La banque d’investissement créée en 1850 a fait énormément parlé d’elle lors de sa disparition le 15 septembre 2008. Sa faillite a d’ailleurs lancé, selon les spécialistes, la crise financière mondiale née de la crise des « subprimes ». Selon le principe du « Too Big To Fail », l’entreprise aurait pu être placée sous le Chapitre 11, mais le gouvernement américain ne l’a pas sauvée pour autant. Lehman Brothers devint la plus grosse faillite d’entreprise de l’histoire économique, qui entraîna une crise mondiale sans précédent.

Bref, aucune banque ou entreprise n’est si grosse qu’elle ne puisse mourir un jour…

Les chrétiens ont ainsi vu s’écouler bien des géants qui les toisaient de haut : les religions païennes (penser au culte de Mitra par exemple, si répandu autrefois dans nos contrées), les hérésies (l’empire romain a bien failli être arien), les idéologies athées (dont le libéralisme est le dernier avatar encore vivant), les royaumes qui voulaient se substituer au royaume de Dieu etc. Il se pourrait bien que l’islam qui nous apparaît aujourd’hui comme un géant connaisse le même sort dans quelques siècles…

 

Le colosse aux pieds d’argile

Colosse pieds argileDans la Bible, le livre de Daniel raconte l’histoire célèbre du colosse aux pieds d’argile. Le prophète Daniel doit interpréter le songe du roi Nabuchodonosor : un colosse, symbole des dynasties dominant le Moyen-Orient tour à tour. Sa tête d’or représente Babylone, sa poitrine et ses bras l’empire perse, le ventre et les cuisses l’empire grec et plus particulièrement Alexandre le Grand qui a effectivement dominé toute la terre connue de l’époque. Le quatrième royaume, c’est Rome, laquelle a succédé à la Grèce comme puissance dominante de l’Antiquité. Mais ses pieds sont d’argile, si bien qu’il ne faudra pas grand-chose pour détruire sa base et faire basculer toute la monumentale statue.  Une petite pierre suffira pour faire tomber ces empires un à un.

« Ô roi, tu regardais, et tu voyais une grande statue ; cette statue était immense, et d’une splendeur extraordinaire; elle était debout devant toi, et son aspect était terrible. La tête de cette statue était d’or pur ; sa poitrine et ses bras étaient d’argent ; son ventre et ses cuisses étaient d’airain; ses jambes, de fer ; ses pieds, en partie de fer et en partie d’argile.
Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans le secours d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile de la statue, et les mit en pièces. Alors le fer, l’argile, l’airain, l’argent et l’or, furent brisés ensemble, et devinrent comme la balle qui s’échappe d’une aire en été ; le vent les emporta, et nulle trace n’en fut retrouvée. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne, et remplit toute la terre. Voilà le songe. » (Dn 2)

Ce qui est petit a sans doute plus d’avenir que ce qui écrase…

 

L’effet papillon

effet-papillon colibriLa graine de moutarde, si minuscule mais si puissante, est la version positive de ce que la théorie du chaos appelle l’effet papillon. Edward Lorenz, en étudiant les équations de la météo, a montré qu’il suffisait d’une infime variation dans les conditions initiales pour que les résultats des calculs soient complètement divergents. Ce qu’il a illustré en 1972 par la célèbre question : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » Eh bien, la réponse est oui !

La petite graine de moutarde de la foi peut soulever des montagnes, changer le cours de l’histoire, renverser les régimes, faire fleurir des déserts, développer des civilisations immenses…

L’effet colibri

Les tenants de la sobriété de vie et de l’auto-limitation ont une autre parabole qui n’est guère éloignée de celle de la graine de moutarde : une légende amérindienne raconte qu’un petit colibri se démenait seul pour éteindre un incendie de forêt goutte après goutte alors que tous les animaux étaient paralysés par la terreur. Au tatou qui lui faisait remarquer qu’il n’y arriverait jamais, le colibri répondit : « Je sais mais je fais ma part. »

Ce joli conte popularisé par Pierre Rabhi, agriculteur et essayiste, fondateur du mouvement des Colibris, est une référence pour de nombreux acteurs de la mouvance positive qui ont décidé eux aussi de faire leur part. L’application française Weeakt, citée dans « l’Atlas de la planète positive », est une version ludique de cette idée, elle propose de relever des défis écolos, des « akts », qui font gagner des points à sa ville. Nettoyer la route lors d’une balade à vélo (+ 10 points), refuser un sac plastique à la caisse (+ 20 points). Et petit à petit, le colibri fait son nid.

Si chaque colibri fait sa part pour éteindre l’incendie de la dévastation environnementale, les choses changeront. Si chaque graine de moutarde fait confiance à la puissance de vie que Dieu a déposée en elle, les oiseaux du ciel auront de quoi s’abriter pendant des siècles !

De quelque côté que l’on se tourne, l’Évangile prêché par Jésus nous invite à regarder ce qui naît plus que ce qui étouffe, ce qui est enfoui plus que ce qui domine, ce qui est humble plus que ce qui brille. D’où une tonalité résolument positive, pleine d’espérance : le bruit des colosses qui s’effondrent ne doit pas nous empêcher d’entendre les jeunes pousses si prometteuses.

Alors, changeons notre regard sur ce et ceux qui nous entourent : où seront les minuscules semences de fraternité, de justice, d’amour véritable ? Comment discerner, valoriser, encourager, nourrir et accompagner ces micro-initiatives qui vont dans le sens du royaume de Dieu si cher à Jésus de Nazareth ?

 


[1]. Ernst Friedrich Schumacher, Small is Beautiful – A Study of Economics as if People Mattered, Seuil, 1979

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Je relève l’arbre renversé » (Ez 17, 22-24)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige ; au sommet de sa ramure, j’en cueillerai une toute jeune, et je la planterai moi-même sur une montagne très élevée. Sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. »

Psaume
(91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)
R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce ! (cf. 91, 2a)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits.

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

Deuxième lecture
« Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2 Co 5, 6-10) 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps.

Évangile
« C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères » (Mc 4, 26-34) Alléluia. Alléluia.
La semence est la parole de Dieu ; le semeur est le Christ ; celui qui le trouve demeure pour toujours. Alléluia. (-) 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »

Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »

Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.
Patrick BRAUD

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4 juin 2018

Un psaume des profondeurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Un psaume des profondeurs


Homélie pour le 10° dimanche du temps ordinaire / Année B
10/06/2018

Cf. également :

Aimer nos familles « à partir de la fin »
Fêter la famille, multiforme et changeante
Familles, je vous aime?
L’homme, la femme, et Dieu au milieu
Le symbolisme des cendres

Il y a quelque chose du film Abyss ou Alien dans le psaume de ce dimanche. Une angoisse intense. Même si elle débouche sur une espérance renouvelée, la noirceur du début est telle que beaucoup de damnés de la terre s’y sont reconnus, croyants ou non. Ainsi Charles Baudelaire dans les Fleurs du mal (1857) : la détresse de son spleen le plonge dans un univers intérieur lunaire et aride. Il emprunte les mots et la tonalité du psaume 129 pour célébrer son désespoir :

XXX – De profundis clamavi

J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C’est un univers morne à l’horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème ;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C’est un pays plus nu que la terre polaire
– Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !

Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;

Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l’écheveau du temps lentement se dévide !

 Un psaume des profondeurs dans Communauté spirituelleAinsi Oscar Wilde : en 1897, il est en prison après quatorze mois de travaux forcés à cause de sa relation amoureuse avec Alfred Douglas (l’homosexualité est encore sévèrement punie au XIX° siècle). Dans une lettre magnifique de sincérité, il livre à son amant l’intime de sa vie. Son ami Robert Ross publiera sous le titre De profundis cette bouteille à la mer qui dérivera pendant des décennies alors qu’Oscar Wilde aura disparu :

« Je devais garder à tout prix l’Amour dans mon cœur. Si j’allais en prison sans Amour, que serait devenuemon Âme ? ». « Après la terrible sentence, quand j’étais en tenue de forçat et que les portes de la prison se sont refermées, je me suis assis parmi les ruines de ma merveilleuse vie, écrasé par l’angoisse, décontenancé par la terreur, étourdi par la douleur. Et pourtant, je ne te haïssais pas. Chaque jour, je me disais ‘Je dois garder l’Amour dans mon cœur aujourd’hui, sinon comment survivrais-je toute la journée ?’ »

D’ailleurs, le psaume 129 est devenu le psaume privilégié pour la liturgie des obsèques des chrétiens : sa tonalité pénitentielle, son évocation de la mort, son attente de l’aurore de la résurrection en ont fait un symbole de l’accompagnement des défunts, un peu comme le kaddish juif.

« Des profondeurs je crie vers toi Seigneur … »
Ces profondeurs sont celles de la mort, de la geôle, de la dépression, mais également de tous les abîmes qu’une existence nous fait traverser, tôt ou tard.

Quelles sont vos profondeurs à ce point inhumaines ? Quels vertiges vous ont arraché un cri, un silence, une douleur d’éloignement des autres, de vous-même, de Dieu… ? Si vous avez connu ces moments de déréliction, vous savez de quoi parle ce psaume. Il parle de sécheresse de l’âme, de larmes de solitude, des vagues de l’échec submergeant tout le reste, du sentiment d’absurdité remettant tout en cause… Un psaume de garde à vue, de séances de chimio, d’adieu un proche ; une prière quand tout semble perdu.

Bach en a fait une cantate presque paisible pourtant : « Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir ».

Car le cri du psaume n’est pas impersonnel : il est adressé à Dieu en personne, qu’il existe ou non. Il y a un je et un tu qui sauvent le psalmiste de l’enfermement sur lui-même. À la manière de Job qui crie à l’injustice en interpellant Dieu face-à-face, le De profundis est un dialogue intérieur, violent d’abord, puis apaisé, où l’angoisse de l’orant se change peu à peu en attente confiante, « plus qu’un veilleur n’attend l’aurore »

Si la postérité de ce psaume dépasse largement les frontières croyantes [1], c’est parce que ce que son humanité ne triche pas avec les émotions extrêmes qui nous plongent au plus obscur des détresses les plus effrayantes. Le Christ a connu cette déréliction : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il a sans aucun doute prié ce psaume 129 parmi les oliviers du jardin de Gethsémani. Il y a puisé de quoi affronter la terreur de la malédiction de la croix, lui le fils de Dieu séparé de son Père par ce châtiment l’assimilant aux sans-Dieu. Il a espéré lui aussi le « rachat » opéré par Dieu. Dans la Bible, le racheteur (goël en hébreu) et celui qui intervient alors que toutes les autres options sont épuisées ou impossibles. Dieu rachète son peuple quand Moïse trouve un passage improbable dans le désert. Il sauve Israël lorsque Cyrus décide de laisser le peuple revenir à Jérusalem, à la surprise générale. Il délivre les petits lorsqu’Ananias, Azarias et Misaël sont plongés dans les flammes sans en être dévorés. Il garantit à Daniel sa liberté dans la fosse aux lions. Il ouvre les portes de la prison d’où Pierre ne pouvait plus prêcher. Il assure à Marie une fécondité unique, plus encore que la promesse d’Isaac à Sarah ou de Samuel à Anne. Voilà comment Dieu « rachète » son peuple.

Dieu est le maître de l’impossible. Il peut faire surgir des fils d’Abraham à partir des pierres du chemin. Il peut ramener les captifs comme les oueds font ruisseler l’eau au désert en des torrents imprévisibles.

Voilà ce que chante la fin du psaume 129 : « mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur datant l’aurore. J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole ».

Celui qui chante ce psaume unit en une seule prière les deux extrêmes, en boucle : l’abîme et l’aurore promise, l’angoisse et l’espérance, la déréliction et l’attente du rachat. Celui qui voudrait aller trop vite à la fin du psaume ne sera pas audible. Celui qui s’arrêterait au début se noierait de douleur.

Chantons le De profundis quand rien ne semble sourire et quand l’aurore s’annonce, quand Dieu semble si loin et quand il nous rachète, quand nous nous sommes plus qu’un cri de souffrance et quand inexplicablement la paix nous est donnée…

 


[1]De profundis clamavi est le second mouvement de la symphonie n°3 (1946) d’Arthur Honegger, le premier mouvement de la symphonie nº 14 (1969) de Dmitri Chostakovitch, une œuvre pour chœur d’hommes, orgue, et percussion (1980) d’Arvo Pärt, le deuxième album studio du groupe de Death metal polonais Vader (1195), le 1er album (2000) du groupe polonais Cracow Klezmer Band, le premier live (enregistré en 2003) du groupe de black metal suédois Dark Funeral, une chanson du groupe punk Tulaviok etc.

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance » (Gn 3, 9-15)

Lecture du livre de la Genèse

Lorsqu’Adam eut mangé du fruit de l’arbre, le Seigneur Dieu l’appela et lui dit : « Où es-tu donc ? » Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. » Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ? » La femme répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé. » Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. »

Psaume
(129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)
R/ Près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. (129, 7bc)

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,
Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

Si tu retiens les fautes, Seigneur,
Seigneur, qui subsistera ?
Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

Deuxième lecture
« Nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons » (2 Co 4, 13 – 5, 1)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, l’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même Esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce, plus largement répandue dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes.

Évangile
« C’en est fini de Satan » (Mc 3, 20-35)
Alléluia. Alléluia. Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors, dit le Seigneur ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre, je les attirerai tous à moi. Alléluia. (Jn 12, 31b-32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus revint à la maison, où de nouveau la foule se rassembla, si bien qu’il n’était même pas possible de manger. Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui, car ils affirmaient : « Il a perdu la tête. »
Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient : « Il est possédé par Béelzéboul ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. » Les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole : « Comment Satan peut-il expulser Satan ? Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir. Si les gens d’une même maison se divisent entre eux, ces gens ne pourront pas tenir. Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il est divisé, il ne peut pas tenir ; c’en est fini de lui. Mais personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison. Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit : « Il est possédé par un esprit impur. »
Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font appeler. Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. » Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
Patrick BRAUD

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