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14 mai 2018

Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel


Homélie pour la fête de Pentecôte / Année B
13/05/18

 cf. également :

La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

 

Pharmacie

- Enlève ta main, malheureux ! Tu vas te faire du mal !

Le gamin avait escaladé le tabouret et tendait les mains vers l’armoire à pharmacie, en visant le flacon d’éther qui l’attirait sans savoir pourquoi. Surpris, il dégringole de son échafaudage improvisé et court se réfugier dans sa chambre. Ce n’est que plus tard, bien plus tard, qu’il comprit l’avertissement parental et l’interdiction qui s’en était suivie : pas touche à ces produits dangereux !

Il nous arrive ainsi, par ignorance ou par dépit, d’avoir de ces envies soudaines extrêmement périlleuses et d’autant plus attirantes. Cela frôle parfois la tentation suicidaire (cf. les addictions aux drogues diverses). S’il n’y a pas la voix adulte pour énoncer l’interdit et protéger l’enfant malgré lui, l’expérience peut vite tourner très mal.

C’est un peu ce que Dieu fait à Babel en intervenant avant qu’il ne soit trop tard, avant que les hommes ne se détruisent eux-mêmes en construisant cette tour. Car vouloir être comme des dieux en montant toujours plus haut ne peut conduire qu’à l’inhumanité des régimes totalitaires qui ont essayé cela. Des pharaons exploitant des milliers d’esclaves pour bâtir leur demeure funéraire jusqu’aux nazis rêvant d’unifier l’Europe sous la domination aryenne, la tour de Babel symbolise toutes les tentatives de l’histoire où l’homme a voulu se faire l’égal de Dieu en imposant un pouvoir unique.

Nos manuels d’histoire sont pleins de ces tentatives finalement suicidaires.

La liturgie de Pentecôte met en parallèle les deux événements de Pentecôte et Babel. La plupart du temps, on commente en opposant les deux textes. Babel c’est une langue unique, contre plusieurs langues à Pentecôte. Un projet humain de monter par ses seules forces (symbolisé par la tour), contre un projet divin de faire descendre l’Esprit sur toute chair. Bref, Pentecôte serait l’anti-Babel par excellence.

Pentecôte, ou l'accomplissement de Babel dans Communauté spirituelle 41QXWTTMZBLPas si sûr ! L’exégète François Marty a bien montré que la dispersion des bâtisseurs de la tour, munissant désormais chaque peuple de sa langue propre, était peut-être la bénédiction accordée par Dieu à ceux qui le cherchent comme ils le peuvent.

Comme pour le gamin tenté par la pharmacie en hauteur, Dieu est obligé d’intervenir pour empêcher la catastrophe. Il introduit le pluralisme, si cher au cœur de nos démocraties occidentales, par le passage d’une langue unique aux multiples langues vernaculaires. Il introduit l’échange, le commerce, les voyages, en dispersant l’humanité en une myriade de pays et de villes, au lieu de la seule Babel. Bref, il met  de l’altérité là où l’homme voulait le régime du même [1], à ses dépens. Dieu le Tout-Autre sauve sa créature faite à son image pour vivre de l’autre et non du même. C’est pourquoi la dispersion de Babel est une bénédiction et non un châtiment. L’apparition simultanée de langues multiples est une mesure de salut, non de confusion. La multiplication des peuples, des villes, nations et cultures préserve l’humanité du stérile entre-soi.

415cLR02uSL._SX301_BO1,204,203,200_ Babel dans Communauté spirituellePentecôte apparaît alors comme le prolongement, l’accomplissement de cette bénédiction de Babel. Toutes les langues de la Terre sont parlées par les apôtres. Toutes les cultures chantent les louanges de Dieu, chacune selon son génie propre. L’Esprit Saint assure lui-même la diversité de ces langues tout en les maintenant dans l’unité. Il prolonge ainsi entre les hommes sa mission au cœur de Dieu : unir les peuples et les cultures tout en les différenciant, comme il unit le Père et le Fils, sans séparation ni confusion.

Célébrer Pentecôte nous engage donc à rompre avec la tentation du même.

Aujourd’hui, cette tentation peut prendre le visage séduisant de l’hégémonie américaine : l’anglais omniprésent, le hamburger comme plat international, l’information sur les chaînes en continu… Ou bien de l’hégémonie numérique : l’obligation d’exister sur et par les réseaux sociaux, la dépendance aux écrans… Ou bien encore les effets de mode après lesquels tout le monde se rue : telle musique, tels vêtements etc. Il n’y a pas jusqu’à la morale qui ne devienne elle aussi monolithique : la pensée unique impose d’avoir les mêmes avis préfabriqués sur les grands sujets de société, et les dissidents sont vite accusés d’anti-modernisme s’ils osent émettre d’autres avis que la position officielle.

Les chrétiens sont pentecôtistes en ce sens qu’ils ne se résoudront jamais à une unité imposée d’en haut aux dépens des libertés individuelles ou locales. Se réclamer de Pentecôte, c’est combattre le règne du même pour faire advenir celui de la communion entre pairs, différents et égaux. Accomplir Babel, c’est détruire les tours qui veulent étouffer la diversité et le pluralisme. C’est restaurer la possibilité du débat, de l’échange, de la communion, en cultivant les points de vue différents. C’est orchestrer la symphonie des cultures en l’orientant vers la louange du Créateur.

Pentecôte !

Parce que nous sommes pentecôtistes, nous ne serons jamais les serviteurs serviles d’une pensée unique, d’un régime sans opposition, d’une religion d’État sans acceptation des différences religieuses… Des rois « très chrétiens » ont cru obéir à Dieu en éliminant les pensées différentes. Des États se disent encore musulmans, ou hindous, et tolèrent à peine – sinon pas du tout – les autres religions minoritaires chez eux. Des patrons peuvent se croire tout-puissants et imposer une vision unique dans leur entreprise. Des parents seront eux-mêmes despotiques en dissuadant leurs enfants de vivre autrement qu’eux ou en excluant les déviants. Bref, il y a mille et une manières de ne pas vivre selon l’Esprit de Pentecôte…

Soyons de ceux qui combattent le règne du même, pour promouvoir une authentique communion des langues, des cultures, des modes de vie légitimement différents dans nos familles, nos entreprises, et le monde entier.

 


[1]. Dans l’identité humaine, Paul Ricœur distinguait l’ipséité (ipse= soi-même en latin) de la mêmeté (idem = identique). L’ipséité est évolutive, souple, adaptative. La mêmeté est figée, rigide, s’arc-boutant sur la tradition et l’autorité descendante. Le règne du même est meurtrier car il empêche l’ipséité de déployer tous ses possibles.

 

 

Messe de la veille au soir

Première lecture
« On l’appela Babel, car c’est là que le Seigneur embrouilla la langue des habitants de toute la terre » (Gn 11, 1-9)

Lecture du livre de la Genèse

Toute la terre avait alors la même langue et les mêmes mots. Au cours de leurs déplacements du côté de l’orient, les hommes découvrirent une plaine en Mésopotamie, et s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! fabriquons des briques et mettons-les à cuire ! » Les briques leur servaient de pierres, et le bitume, de mortier. Ils dirent : « Allons ! bâtissons-nous une ville, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux. Faisons-nous un nom, pour ne pas être disséminés sur toute la surface de la terre. » Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et le Seigneur dit : « Ils sont un seul peuple, ils ont tous la même langue : s’ils commencent ainsi, rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront. Allons ! descendons, et là, embrouillons leur langue : qu’ils ne se comprennent plus les uns les autres. » De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre. Ils cessèrent donc de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela Babel, car c’est là que le Seigneur embrouilla la langue des habitants de toute la terre ; et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la surface de la terre.

Psaume

(103 (104), 1-2a, 24.35c, 27-28, 29bc-30)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
ou : Alléluia !  (Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Revêtu de magnificence,
tu as pour manteau la lumière !

Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
Tout cela, ta sagesse l’a fait ;
la terre s’emplit de tes biens.

Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture au temps voulu.

Tu donnes : eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre. 

Deuxième lecture
« L’Esprit intercède par des gémissements inexprimables » (Rm 8, 22-27)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ? Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance. Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.

Évangile

« Des fleuves d’eau vive couleront » (Jn 7, 37-39)
Alléluia. Alléluia.
Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.  (.)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Au jour solennel où se terminait la fête des Tentes, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié.
Patrick BRAUD

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