Le courage pascal
Le courage pascal
Homélie pour le 3° dimanche de Pâques / Année B
15/04/2018
Cf. également :
La parresia, ou l’audace de la foi
Reprocher pour se rapprocher
Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
La grâce de l’hospitalité
Bon foin ne suffit pas
N’avez-vous pas lu dans l’Écriture ?
L’événement sera notre maître intérieur
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Les lectures du temps pascal sont remplies des premières annonces de la résurrection de Jésus. Ces annonces sont appelées kérygmes, du nom grec kerussein qui signifie crier, proclamer, comme fait le héraut qui publie une nouvelle importante avec force tambour. La première lecture nous fait entendre le kérygme de Pierre, l’un des premiers, au peuple d’Israël stupéfait de la guérison d’un handicapé à la Belle Porte du Temple de Jérusalem. À bien y regarder, on peut déceler quatre étapes dans cette prédication de Pierre (à vrai dire la première étape est le signe opéré auparavant, qui intrigue la foule) qui peuvent nous inspirer aujourd’hui afin que nous puissions nous-mêmes annoncer la joie de Pâques autour de nous.
Première étape : dire courageusement la vérité.
Pierre commence par choisir habilement ses mots pour parler au peuple sur fond de bienveillance : « hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, le Dieu de nos pères… » Il tisse d’abord un lien d’identité commune avec ses auditeurs, en leur rappelant qu’ils font partie du même Israël, qu’ils ont les mêmes ancêtres dans la foi et donc le même Dieu, « le Dieu de nos pères ». ‘Nous sommes de la même famille’, commence-t-il par rappeler. C’est pour mieux préparer l’acte d’accusation en règle qu’il énonce juste après. Connaissant bien les risques qu’il encourt alors reprocher ainsi la mort de Jésus, Pierre fait courageusement le récit de sa Passion encore récente : « vous l’avez livré, vous l’avez renié, alors que Pilate voulait le relâcher, vous avez préféré gracier Barabbas, vous avez tué le Prince de la vie ». Terrible accusation qui ne peut provoquer que la haine ou la contrition. L’assurance (parresia) de Pierre lui vient de l’Esprit Saint à Pentecôte. Avouons qu’il en faut de l’assurance pour oser ainsi affronter une foule en lui révélant qu’elle a éliminé le Prince de la vie, rien moins que cela !
C’est donc qu’il y a des moments où dire la vérité, même terrible, est nécessaire. On peut cacher, tergiverser, calculer des discours plus policés ou des fenêtres de tir moins risquées. Pas quand il s’agit de la résurrection du Christ. Nous avons tous tendance à différer de telles mises au point éprouvantes, de telles opérations vérité où enfin on peut nommer les choses, appeler mal ce qui est mal et bien ce qui est bien. À force d’éviter la confrontation, le sel perd sa saveur, le témoignage disparaît derrière une fausse paix sociale ou familiale trompeuse. Mais reprocher permet de se rapprocher.
Ne pas dissimuler la vérité est le courage des apôtres. Il peut devenir le nôtre, au travail, en famille, entre amis. À condition de le faire sur fond de bienveillance comme Pierre, et de le faire suivre des étapes suivantes.
Deuxième étape : « vous avez agi dans l’ignorance ».
Le Nouveau Testament lie souvent l’ignorance et le mal. Pensez au Christ cloué sur le bois : « Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus semble convaincu que si quelqu’un réalisait vraiment la portée du mal qu’il commet, il ne le ferait pas. Les pires criminels sont ceux qui ne ressentent aucune empathie pour leurs victimes, qui ne peuvent ni ne veulent se mettre à leur place, et qui ne voient pas le mal commis. Si les Hutus avaient réalisé ce qu’ils faisaient, ils n’auraient pas sombré dans la folie du génocide des Tutsis. Si les djihadistes ressentaient la souffrance de leurs victimes, s’ils découvraient la présence de leur Dieu en elles, ils reculeraient, horrifiés d’avoir voulu honorer Dieu en le reniant ainsi. D’où la surprise annoncée par Jésus au Jugement dernier : « comment ? Tu étais nu et nous ne t’avons pas vêtu ? J’avais faim et soif et nous ne t’avons pas nourri ? » C’est par ignorance que le mal séduit et se perpétue.
René Girard a mis en évidence le rôle majeur de la révélation, du dévoilement « des choses cachées depuis la fondation du monde ». Tant que le mécanisme de la violence mimétique n’est pas démasqué, il se reproduit implacablement à l’insu de ceux qu’il manipule. Le sacrifice du Christ met en pleine lumière la logique du bouc émissaire et la désavoue à jamais. C’est le Saint, le Juste, le Prince de la vie que nous avons mis à mort, et non un criminel, et c’est ce qui se reproduit dans toute violence où l’ignorance de la dignité de la victime voile la conscience et fausse l’action de l’agresseur.
Proclamer Pâques, c’est dévoiler la source de la violence, c’est lever le voile d’ignorance qui aveugle les malfaiteurs de tous ordres.
« La vérité vous rendra libres », disait Jésus. Pierre fait l’expérience que la révélation de Pâques libère du mal en nous empêchant d’y adhérer, car désormais nous savons que Dieu s’identifie aux pauvres, que le Christ ne fait qu’un avec l’opprimé, que l’Esprit nous libère de la séduction du mal.
Troisième étape : s’appuyer sur les Écritures pour interpréter les événements.
Parlant à des juifs, Pierre sent bien que l’argument scripturaire va les toucher au cœur. De ce meurtre du Prince de la vie, Dieu fait surgir une promesse de résurrection pour chacun ! La Loi et les Prophètes l’annonçaient pour qui veut bien les lire à la lumière de Pâques.
C’est donc que revenir à la Bible pour déchiffrer ce qui nous arrive est déterminant. L’éclairage des Écritures pour interpréter les événements demeure indispensable, pour lever le voile d’ignorance qui nous aveugle.
Être libéré de l’adhésion à la violence demande de se nourrir des textes bibliques, semaine après semaine.
Quatrième étape : ouvrir un chemin d’avenir.
« Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu, pour que vos péchés soient effacés ». Pierre termine son kérygme en ouvrant la possibilité du salut, par le pardon, la réconciliation et la vie nouvelle en Dieu. Affronter la violence au nom de la vérité ne se fait pas pour détruire l’autre, mais au contraire pour le sauver, fut-il Hitler en personne. Parce que l’apôtre a éprouvé qu’il avait lui-même renié, trahi, abandonné, il peut tendre la main à ceux qui ont fait pire encore. L’annonce de Pâques n’est pas pour condamner, mais pour ouvrir un chemin possible. La résurrection du Christ dégage un horizon en même temps qu’elle dévoile le mal commis.
Voilà pourquoi le pardon, pardon des péchés reçu de Dieu, pardon accordé à son frère ou reçu de lui, est la plus belle preuve de la victoire de la vie sur la mort. Tout pardon véritable est une renaissance, de la victime comme du bourreau. À nous d’aller jusque-là pour fêter Pâques en plénitude…
Dire la vérité avec le courage, lever les voiles d’ignorance, s’appuyer sur les Écritures, être pardonné et pardonner : cette séquence du kérygme de Pierre peut devenir la nôtre, dans tous nos compartiments de vie.
Que l’Esprit du Ressuscité nous mette sur ce chemin pascal, et si nous y sommes déjà, qu’il nous y garde !
Lectures de la messe
Première lecture
« Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts » (Ac 3, 13-15.17-19)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, devant le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. »
Psaume (4, 2, 4.7, 9)
R/ Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! ou : Alléluia ! (4, 7b)
Quand je crie, réponds-moi,
Dieu, ma justice !
Toi qui me libères dans la détresse,
pitié pour moi, écoute ma prière !
Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle,
le Seigneur entend quand je crie vers lui.
Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »
Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage !
Dans la paix moi aussi,
je me couche et je dors,
car tu me donnes d’habiter, Seigneur,
seul, dans la confiance.
Deuxième lecture
« C’est lui qui obtient le pardon de nos péchés et de ceux du monde entier » (1 Jn 2, 1-5a)
Lecture de la première lettre de saint Jean
Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.
Évangile
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour » (Lc 24, 35-48)
Alléluia. Alléluia. Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore, lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »
Patrick BRAUD