Éloge de la responsabilité individuelle
Éloge de la responsabilité individuelle
Homélie du 32° Dimanche ordinaire / Année A
12/11/2017
Cf. également :
L’anti terreur nocturne
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie
Manquez, venez, quittez, servez
Épiphanie : la sagesse des nations
Les passages « néolibéraux » des Évangiles sont trop rares pour ne pas les saluer tout particulièrement ! En effet, la plupart du temps, on y parle de solidarité, partage, défense des plus faibles, justice pour les dominés etc. Mais voilà qu’ici, notre parabole des dix vierges conviées à la noce (Mt 25, 1-13) nous invite à la responsabilité individuelle, loin de toute assistance ou prise en charge mutuelle. Elle est, avec la parabole des talents, un point d’appui pour ceux qui développent la thèse de l’affinité élective (Max Weber) entre le christianisme et le capitalisme. Les grands thèmes du libéralisme sont de fait contenus dans l’attitude spirituelle des cinq vierges sages : sens de la prévoyance et du calcul, prise de risque et culture de l’initiative, récompense accordée à ceux qui la méritent, exclusion tout autant méritée pour les cinq vierges insensées que rien ne peut sauver, pas même la solidarité avec les autres devenue impossible.
Un des piliers du credo libéral est ce qu’on appelle l’individualisme méthodologique. C’est une méthode de raisonnement qui place l’individu au-dessus du groupe, et fait de chacun le responsable de son propre destin. Trop attendre des autres, c’est tuer le moteur de la création de richesses. Les plus radicaux pensent que les pauvres n’ont que ce qu’ils méritent, et il n’y a pas lieu de les aider. Au contraire, car ce serait fausser le cercle vertueux initiative <=> responsabilité individuelle qui offre à chacun des opportunités de se refaire après une mauvaise période. Les libéraux modérés légitimeront l’aide aux pauvres, à condition toutefois qu’elle ne les encourage pas à persévérer dans l’assistance, à condition que ceux qui travaillent gagnent toujours plus et mieux que ceux qui reçoivent des aides.
Notre parabole ne semble pas dire autre chose : les vierges insensées n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes ! Leur imprévoyance relève de leur seule responsabilité. Et appauvrir les cinq prévoyantes pour partager l’huile ne serait que généraliser la pénurie (comme autrefois dans l’empire soviétique) au lieu de créer de la richesse. Il y a des moments où le partage est impossible, et serait même injuste. Il y a des solidarités inefficaces qui conduisent à l’appauvrissement de tous. Certains comportements individuels ont des conséquences irréversibles : la salle des noces sera fermée à celles qui arriveront trop tard; elles se casseront le nez devant la porte fermée sans recours.
Évidemment, Jésus a imaginé cette parabole comme un avertissement salutaire, afin que cela ne se produise pas. Évidemment, cette histoire est spirituelle et non pas économique : elle concerne la venue du royaume des cieux et pas l’enrichissement de l’entreprise individuelle ! La différence est importante, car la réussite entrepreneuriale votée par les libéraux pourrait bien relever des fioles d’huile pas assez remplies… Les Pères de l’Église identifiaient l’huile des lampes avec la foi, les bonnes œuvres, la prière ou l’amour des Écritures, mais certainement pas avec l’initiative privée au sens capitalistique ! La provision d’huile relève davantage dans la bouche de Jésus de la vigilance spirituelle que du sens entrepreneurial. Les vierges sages sont celles qui vivent de l’unique nécessaire, et peuvent ainsi veiller de longues heures dans la nuit à attendre la venue du Christ sans épuiser leurs ressources intérieures. Les vierges folles vivent dans l’instant, l’éphémère, le superficiel, et gaspillent toutes leurs énergies à courir après les idoles environnantes (réussite, plaisir, paraître…). Quand vient le Christ-époux, elles réalisent soudain que leur lampe est vide pour aller à sa rencontre, c’est-à-dire qu’il leur faut complètement changer de vie, refaire le plein de leurs lampes pour répondre à l’invitation des noces. Petite cruauté de la parabole au passage : le détour par le marché (« allez plutôt chez les marchands pour acheter de l’huile ») ne suffira pas à les sauver, car ce sera trop tard. Comme quoi acheter ne permet pas d’ouvrir toutes les portes…
Il semble donc que transformer cette parabole (et les semblables) en plaidoyer pour le libéralisme soit vraiment abusif : instrumentaliser l’Écriture pour légitimer nos pratiques contemporaines est une imposture qui ne trompe que ceux qui y gagnent…
Reste que la responsabilité individuelle – spirituelle, pas économique – est au cœur de la sagesse enseignée par Jésus, ici comme ailleurs. « Amasser des trésors dans les cieux » relève d’une décision personnelle. Impossible de croire par procuration, en comptant sur les autres pour que tout s’arrange au dernier moment. Impossible de se convertir par procuration, comme tentaient de le faire les seigneurs autrefois qui payaient des pénitents pour faire des pèlerinages d’expiation à leur place. Impossible de laisser la générosité à d’autres sous prétexte de se consacrer à des réussites plus importantes. Impossible de se dire familier du Christ sans lire les Écritures, car « ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ » (St Jérôme).
Si cette huile multiforme (foi, conversion, générosité, prière, Écritures…) n’est pas le carburant de ma vie, alors je risque d’avoir brûlé tout mon potentiel au moment où justement j’en aurais le plus besoin pour aller à la rencontre du Christ et entrer avec lui dans la salle des noces. La parabole du jugement dernier de Mt 25 reprendra ce thème de la responsabilité personnelle inaliénable, avec plus d’emphase encore. Ceux qui ont brûlé d’amour du prochain iront à la droite du Père, les autres, irrémédiablement, constateront avec désolation qu’ils se sont placés de l’autre côté.
Encore une fois, insistons sur le fait que Jésus ne se résout pas à cette auto-exclusion dramatique. C’est plutôt un avertissement, afin que cela n’arrive pas : « veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure ».
Chacun de nous est responsable de sa vie spirituelle.
Personne ne peut veiller à votre place.
Personne ne pourra vous sauver malgré vous.
À vous et vous seul d’être assez prévoyant pour savoir de quelle huile alimenter votre lampe, et en quelle quantité…
LECTURES DE LA MESSE
Première lecture
« La Sagesse se laisse trouver par ceux qui la cherchent » (Sg 6, 12-16)
Lecture du livre de la Sagesse
La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas. Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première. Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Penser à elle est la perfection du discernement, et celui qui veille à cause d’elle sera bientôt délivré du souci. Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre.
Psaume
(Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8)
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu ! (cf. Ps 62, 2b)
Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.
Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !
Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Deuxième lecture
« Ceux qui sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui » (1 Th 4, 13-18)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci : nous les vivants, nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. Au signal donné par la voix de l’archange, et par la trompette divine, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux, à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur. Réconfortez-vous donc les uns les autres avec ce que je viens de dire.
Évangile
« Voici l’époux, sortez à sa rencontre » (Mt 25, 1-13) Alléluia. Alléluia.
Veillez, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra.
Alléluia. (cf. Mt 24, 42a.44)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’ Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : ‘Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.’ Les prévoyantes leur répondirent : ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’ Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’ Il leur répondit : ‘Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.’
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »
Patrick BRAUD