L'homélie du dimanche (prochain)

21 août 2017

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu

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Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu


Homélie pour le 21° Dimanche du temps ordinaire / Année A
27/08/2017

Cf. également :

Yardén : le descendeur
Les insignes du politique
Jesus as a servant leader
Une autre gouvernance
« Tous pourris » ?

 

Macron et Machiavel

On dit d’Emmanuel Macron que ses études sur Machiavel dans sa jeunesse l’ont fortement influencé. Et c’est d’ailleurs lui-même qui le confie au New York Times en 2014 lorsqu’il est nommé ministre de l’économie de François Hollande :

Le Prince« M. Macron a obtenu une maîtrise (DEA de philosophie à l’Université de Paris X Nanterre) après avoir concentré en partie ses études sur Machiavel, qui, dit-il avec un sourire, était une bonne base pour naviguer dans le microcosme politique parisien. (New York Times 06/10/2014) »

Pour Machiavel on le sait, ce n’est pas conquérir le pouvoir qui est le plus difficile, c’est le conserver (cf. les problèmes de Nicolas Maduro récemment au Vénézuela à la recherche des pleins pouvoirs pour se maintenir…). Et pour cela, tous les moyens sont bons ou presque, notamment trahir ses promesses :

« Il est sans doute très louable aux princes d’être fidèles à leurs engagements; mais parmi ceux de notre temps qu’on a vus faire de grandes choses, il en est peu qui se soient piqués de cette fidélité, et qui se soient fait un scrupule de tromper ceux qui reposaient en leur loyauté. » (Machiavel, Le prince)

Le pragmatisme ‘réaliste’ est alors la ligne de conduite de ceux qui se réclament du Florentin : non pas agir en fonction d’une morale ou d’un idéal transcendant (ce que préconisera Kant), mais s’adapter à chaque situation en y répondant tantôt par la ruse, tantôt par la force, ou la négociation, ou selon ce qui est possible à l’instant, même si cela contredit ce qui avait été dit ou fait auparavant.

 

Shebna et Éliakim

La première lecture de ce Dimanche met en scène ces deux personnages (Is 22, 19-23). Le gouverneur de Jérusalem, aurait dû lire Machiavel ! Shebna en effet, ivre du pouvoir qu’il avait conquis, s’est laissé emporter par sa soif de gloire (son hybris, disaient les Grecs) jusqu’à se faire construire un splendide tombeau personnel (avec l’argent public !) sur les hauteurs de Jérusalem. À la cour du roi de Jérusalem, le personnage le plus influent était le gouverneur ou mieux le maître du palais. Shebna, qui a utilisé sa situation pour s’enrichir et se pavaner, va être démis de son poste et remplacé par Éliakim qui agira en vrai serviteur. Tunique, écharpe et clefs sont les insignes du pouvoir. Les clefs, en particulier, donnent à ce maître du palais pouvoir sur les entrées et sorties auprès du roi.

De plus, Shebna n’a pas réussi à empêcher la prise de Jérusalem par les Assyriens (713-711). Logiquement, le nouveau pouvoir change d’administration pour y mettre des hommes à son service. Le prophète Isaïe interprète cette destitution comme une intervention divine, motivée par le manque d’humilité et de prévoyance de Shebna. Comme le chante notre psaume d’aujourd’hui (137) : « Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble. de loin, il reconnaît l’orgueilleux. » Notons quand même que Shebna a su rejoindre un poste inférieur avec sagesse. Ainsi, quelques années plus tard, lors de la négociation avec Sennachérib (701), Shebna n’est plus que secrétaire, mais il est toujours là  et il est nommé en second après Éliakim, le maître du palais. Fils de Hilcias, Éliakim est maître du palais sous le règne du roi de Juda Ézéchias (716-687). En 701 lors de l’invasion de la Judée par le roi d’Assyrie Sennachérib (705-681), il conduisit la délégation chargée par Ézéchias de négocier avec le chef des forces assyriennes les conditions de reddition de Jérusalem (2R18, 17-37).

Éliakim – lui – ne s’attribue pas sa mission : il la reçoit de Dieu, qui l’appelle à ce poste. Éliakim veut dire « Dieu a suscité ». Ce nom, ici, montre que le service du roi et du peuple, on ne se l’attribue pas. Il est confié : Dieu se choisit ses serviteurs. Éliakim sera un « père »: il s’agit des qualités d’attention à tous, de recherche du bien de tous, en particulier la nourriture et la paix, qui sont les qualités requises du roi. À travers les images de ce texte, on peut voir le Christ : le serviteur choisi, que Dieu a suscité, qui lui-même a choisi ses apôtres et son Église, nouvel Éliakim, lui à qui Dieu a remis le pouvoir, lui dont le jugement ouvre et ferme. Dans le « piquet » (ou « cheville » selon la traduction liturgique) enfoncé fermement dans le sol et qui « sera comme un trône de gloire pour la maison de son père », ne peut-on voir une lointaine annonce de la croix ?

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La responsabilité politique est ici vue comme une vocation, au sens propre : réponse à un appel (de Dieu). Ce n’est pas une stratégie individuelle ni un destin (fatum) attribué à une élite. La vocation politique a pour objectif essentiel de servir : « j’appellerai mon serviteur, Éliakim ».

La figure du servant-leader chère à Robert Greenleaf (et finalement à la Doctrine sociale de l’Église), incarnée au plus haut point en Jésus de Nazareth, plonge ici ses premières racines bibliques. Le leader authentique n’est pas celui qui sert sa propre gloire (le monument sur la hauteur) mais celle de son peuple (et de son Dieu en Israël). D’ailleurs, « il sera un père pour les habitants de Jérusalem ». Comme Dieu est Père, le rôle du prince est de faire grandir ceux qui lui ont été confiés, et non de conserver le pouvoir à tout prix comme l’enseigne Machiavel.

Bref, à l’inverse de l’immanentisme du Prince de Machiavel, Éliakim va incarner la figure de l’humble serviteur d’un Dieu infiniment plus grand que lui (cf. notre deuxième lecture Rm 11, 33-36) où Paul s’émerveille de la transcendance divine, « aux chemins impénétrables »).

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu dans Communauté spirituelle pierre02Son autorité également est reçue d’un autre, qui s’engage avec lui : « s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira ». C’est évidemment en écho à cette prophétie d’Isaïe que Matthieu dans son évangile de ce dimanche met dans la bouche de Jésus des paroles semblables destinées à Pierre : « tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». Le fameux pouvoir des clés confié par Jésus à Pierre (et à toute la communauté, faut-il le rappeler…. Cf. Mt 18,18 « tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié ») est l’actualisation spirituelle du pouvoir des clés confié par Dieu au gouverneur du palais de Jérusalem.

C’est donc que le pouvoir dans l’Église doit se conformer à cette même attitude de service qui caractérisait Éliakim. Il y eut bien sûr des papes et des cardinaux plus proches de Machiavel que d’Éliakim (les Borgia, des papes de l’Inquisition etc.). Mais il y eut plus encore des papes saints qui ont incarné l’idéal de l’autorité selon le cœur de Dieu par leur martyr, leur simplicité de vie, leur amour paternel, leur défense des plus faibles…

Êtes-vous plutôt Machiavel ou Kant ? Shebna ou Éliakim ? Borgia ou Pierre ?…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je mettrai sur mon épaule la clef de la maison de David » (Is 22, 19-23)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Parole du Seigneur adressé à Shebna le gouverneur : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place. Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. »

PSAUME
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6.8bc)
R/ Seigneur, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains. (cf. Ps 137, 8)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble.
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

DEUXIÈME LECTURE
« Tout est de lui, et par lui, et pour lui » (Rm 11, 33-36)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen.

ÉVANGILE
« Je te donnerai les clés du royaume des Cieux » (Mt 16, 13-20) Alléluia. Alléluia.
Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Alléluia. (Mt 16, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.
Patrick BRAUD

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