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13 août 2017

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 00 min

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter


Homélie pour la fête de l’Assomption / Année A
15/08/2017

Cf. également :

Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Si vous êtes déjà allés à Lourdes, Fatima, Czestochowa ou autre sanctuaire marial, vous avez sans doute éprouvé physiquement l’attachement des catholiques à Marie. Vous avez pu entendre ces dizaines de « Je vous salue Marie » répétés avec l’obstination des mantras orientaux. Mais vous aurez rarement entendu le Magnificat de l’Évangile de notre fête de l’Assomption (Lc 1, 39-56). Beaucoup moins populaire que le chapelet, le Magnificat fait pourtant partie intégrante de la prière quotidienne de l’Église (la liturgie des heures ou bréviaire). Chaque soir en effet, l’office de Vêpres ne se termine pas sans que moines, moniales, prêtres, religieuses et consacré(e)s ne reprennent les mots de Marie à Élisabeth rapportés par Luc. Chose remarquable : le « Je vous salue Marie » ne fait partie d’aucun office alors que le Magnificat est indissociablement soudé à l’action de grâces de Vêpres. Même l’antienne mariale après le dernier office du jour (Complies) reprend des hymnes mariales anciennes (Salve Regina, Regina caeli etc.) mais pas le « Je vous salue Marie ».

La conclusion à tirer de cela n’est bien sûr pas de dévaloriser l’Ave Maria, mais de revaloriser le Magnificat dans le cœur du peuple chrétien !

Le Magnificat présente l’avantage de rééquilibrer notre prière en priant Dieu avec Marie (et pas seulement en priant Marie comment on prie Dieu), d’être un trait d’union œcuménique (car protestants et orthodoxes le chantent de tout cœur avec nous), et de nous initier à la louange (car il ne comporte nulle trace de demande).

Le caractère œcuménique du Magnificat tient d’abord à sa nature scripturaire (alors que la deuxième partie de l’Ave Maria vient de la tradition catholique). Au lieu du chapelet, les orthodoxes ont la philocalie, la prière du cœur (« Seigneur Jésus, fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur ») répétée elle aussi comme à l’infini. Pour les protestants, il suffit de relire le très beau commentaire que Martin Luther a écrit sur Luc pour rappeler la place que ce texte a toujours eue et devrait toujours avoir dans la prière protestante. Luther admire et loue la foi de Marie, qui incarne selon lui au plus haut point la foi de l’Église dans l’action de Dieu ici-bas. Le parti pris pour les pauvres chanté par Marie soutient la marche des petits, et devrait faire réfléchir les riches et les puissants :

Magnificat Luther (nouvelle édition)« Le mot Magnificat est donc comme le titre d’un livre; il en indique aussitôt le contenu. De même, Marie indique par ce mot quel va être le contenu de son cantique, à savoir les hauts faits et les grandes œuvres de Dieu, propres à fortifier notre foi, à consoler tous les humbles et à effrayer tous les grands de la terre. C’est ce triple usage et bénéfice que nous devons reconnaître comme étant le but de ce cantique car la Vierge ne l’a pas chanté seulement pour elle, mais pour nous tous, afin de nous entraîner à le chanter à sa suite. »

On escamote trop souvent la dimension sociale de la prière mariale. On voudrait faire de l’attachement à Marie une dévotion privée, sentimentale, individuelle. Le Magnificat nous rappelle que l’option privilégiée pour les pauvres est indissociable de la figure de Marie et de la liturgie de l’Église. Marie, humble servante, inconnue jeune fille d’une contrée perdue incarne cet amour préférentiel de Dieu pour les pauvres et les sans-grades.

Le Magnificat pourrait/devrait donc rejoindre le Notre Père dans le canon des prières communes à toutes les Églises !

Dernier élément sur lequel insister aujourd’hui : la louange.

En français, le jeu de mots allitératif l’a fait éclater dès le début : mon âme exalte le Seigneur / exulte mon esprit en Dieu mon sauveur (les grammairiens parlent de paronymes pour ces deux verbes : ils sont proches à une voyelle près, sans être synonymes).

Exalter / exulter : laisser ces deux verbes s’entrechoquer et faire leur chemin en vous.

Quand avez-vous l’occasion d’exalter l’action de Dieu pour vous-même et pour d’autres ? Comme un chanteur faisant ses vocalises, nous avons besoin de nous entraîner à cette attitude spirituelle, peu naturelle en fait. Exalter quelqu’un, c’est proclamer qu’il est grand, qu’il fait bien toute chose, qu’il mérite notre gratitude. C’est donc un décentrement de soi, marquée par la particule ex : ex - alter (en dehors – vers le haut), comme dans l’autre verbe : ex – ulter.

La sortie de soi est caractéristique de l’action de l’Esprit Saint inspirant le Magnificat à Marie. Sortir de soi pour reconnaître l’autre – et ce que lui a fait (pas moi !) – pour laisser la joie me transformer au point de ne plus m’appartenir. Exulter de joie, c’est une transe de pleine conscience, fruit de la ‘sobre ivresse de l’Esprit’. Exulter de joie, c’est au-delà des mots décider d’habiter dans l’intimité divine, sans retenue.

Exalter et exulter s’impliquent mutuellement : dire du bien de l’autre libère la capacité de se réjouir sans jalousie, sans rivalité mimétique (dirait René Girard). Et réciproquement, laisser ruisseler une joie qui vient d’un autre, non de moi, permet de reconnaître et de magnifier la grandeur, la bonté de cette source de joie.

Entraînons-nous à exalter/exulter !

Dans les petites choses : exalter l’auteur d’un service reçu, d’un geste de compassion, de solidarité, exulter de joie par une musique, un paysage, un visage, une aventure physique ou intellectuelle…

Entraînons-nous également à exalter / exulter dans les moments importants de notre vie : dans l’épreuve (justement parce que Dieu – lui – est fidèle), dans nos choix décisifs.

ArrayEn chantant le Magnificat par nos lèvres ou dans notre cœur tous les soirs de cette semaine, laissons l’Esprit de Dieu comme en Marie nous entraîner progressivement à exalter/exulter, sans même nous en rendre compte [1].

Jusqu’à ce que cette respiration nous devienne aussi facile et naturelle que la respiration physique, comme le notait Luther avec finesse :

« La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu : au contraire, elle s’attache par le cœur, les pensées et tous les sens aux choses viles: elle les a sans relâche devant les yeux; c’est là l’image dont elle est pleine, et parce qu’elle a ces choses sous les yeux, elle ne peut pas se voir elle-même ni s’apercevoir qu’elle existe, et encore moins prendre conscience des choses élevées : c’est pourquoi, l’honneur et l’élévation lui échoient forcément à l’improviste et la surprennent forcément dans des pensées tout à fait étrangères à l’honneur et à l’élévation : c’est là ce que dit Luc .

La fausse humilité, en revanche, ne sait jamais qu’elle est orgueil (car, si elle le savait, elle deviendrait vite humble à la vue de ce vilain défaut); au contraire, elle s’attache par le cœur, la pensée et les sens aux choses élevées et les tient sans relâche sous ses yeux. » 

 


[1] .Cette exaltation / exultation devient alors illucide, c’est-à-dire non consciente d’elle-même, sans aucun repli possessif. Ce caractère illucide du Magnificat rejoint ce que Jésus disait du bonheur sur la montagne de Galilée… cf. Toussaint : le bonheur illucide. Savoir qu’on est heureux, c’est déjà ne plus l’être gratuitement. Savoir qu’on exalte / exulte, c’est déjà refermer la main cette louange / joie.

 

 

Messe du jour
Première lecture
« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
 Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

Psaume
(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur, se tient la reine, toute parée d’or. (cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

Deuxième lecture
« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

Évangile
« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
 Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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