Le doux zéphyr du mont Horeb
Le doux zéphyr du mont Horeb
Homélie pour le 19° dimanche du temps ordinaire / Année A
13/08/2017
Cf. également :
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Traverser la dépression : le chemin d’Elie
Je me souviens d’un moment privilégié avec mon père durant mes années collège, qui revenait assez souvent les matins où il n’était pas en déplacement professionnel. Nous nous retrouvions tous les deux autour lui de son bol de café fumant et moi d’un bol de chocolat crémeux. De larges tartines avec le beurre salé et la confiture maison complétaient le plaisir de ces dix minutes calmes et silencieuses où, entre hommes (ma mère était encore dans sa chambre), nous partagions le début du jour avec une complicité muette. Puis venait le moment que j’attendais, devenu rituel et sacré : la partie de baby-foot en cinq minutes, avec des joueurs en plastique rouge et jaune de moyenne qualité, mais qui face à mon père devenaient des alliés tournicotants et frappeurs puissants. Je voyais qu’il me laissait gagner en classe de sixième, mais que je devais veiller à ne pas marquer trop vite en troisième… Puis il m’emmenait au collège dans sa voiture et j’étais fier d’arriver devant mes camarades en lançant : « bonne journée papa ! » après la bise d’encouragement mutuel. Ce quart d’heure de trajet en voiture était toujours parsemé de réflexions, de remarques, de discussions où je devenais peu à peu son égal, sans jalousie ni domination.
Voilà ce que j’appellerais un doux zéphyr de l’enfance… De manière non spectaculaire, mais entêtée et obstinée, une proximité père-fils s’est construite autour de deux bols, d’un baby-foot et de 8 kms en voiture… Tous ceux qui peuvent raconter de tels souvenirs savent d’instinct ce dont la Bible veut parler en évoquant Élie au Mont Horeb : Dieu est dans la brise légère de ces bonheurs ordinaires, beaucoup plus que dans les claquements de cymbales de la réussite ou du drame !
Pour apprécier la portée de ce passage, il faut se souvenir d’un autre sommet : le mont Carmel, où Élie avait forcé la main à YHWH en l’obligeant à se manifester dans la puissance (lire le cycle d’Élie dans son intégralité en 1R 17-19). Élie avait défié les prophètes de Baal, les avait vaincus en utilisant un stratagème digne des plus grands magiciens (son eau qui s’enflamme toute seule ressemble fort à du pétrole ou équivalent…) et avait fait montre d’une cruauté barbare en passant ces prophètes au fil de l’épée (450, excusez du peu !). Le tout au nom de YHWH qui n’avait rien demandé ! Du coup, YHWH s’est fâché tout rouge d’être ainsi instrumentalisé sans qu’il ait donné son accord, et il fait rapidement descendre Élie du mont Carmel, poursuivi par Jézabel la reine « méchante ». Abandonné de tous malgré sa pseudo-victoire, Élie fait l’expérience de la faiblesse au désert, et il est obligé de demander à une femme – étrangère, pauvre et seule, la veuve de Sarepta – de le nourrir pour l’empêcher de mourir de faim. La démonstration de force militaire et de puissance magique avait donc échoué. Le miracle de l’huile et de la farine ne s’épuisant pas parce que partagés entre la veuve et Élie auraient dû le mettre sur la voie : Dieu n’est pas dans la victoire armée sur ses ennemis, mais dans l’humble don de ceux qui acceptent de ne pas posséder…
Alors le rendez-vous du mont Horeb va donner la clé de ce cycle de rivalité mimétique / victoire destructrice / désillusion dans la fuite / expérience du don gratuit. La clé de la puissance n’est pas l’élimination de l’autre mais le compagnonnage avec lui. Dieu n’est pas dans l’ouragan de nos triomphes militaires, contrairement à ce que croyaient tous les peuples environnants, mais dans le zéphyr tranquille et régulier de nos rencontres ordinaires (Chouraqui traduit, plus près du texte hébreu : « une voix, un silence subtil »).
Pour expérimenter cela, Élie est obligé de sortir de sa caverne. Platon utilisait ce mythe de la caverne pour décrire notre impossibilité à saisir autre chose que des ombres portées sur les parois du rocher. Le Livre des Rois fait sortir Élie de sa caverne, justement pour passer de la figure à la réalité, de la projection humaine à la rencontre de l’autre. C’est donc il nous faut quitter nos cavernes où nous nous contentons trop facilement des figures et des ombres imaginaires. Quitter nos fausses représentations de Dieu et de sa puissance, de l’homme et de sa grandeur. Quitter nos projections trop humaines sur un dieu radicalement autre. Le bruit du tonnerre, le souffle de l’ouragan sont utiles s’ils nous attirent au-dehors de nous-mêmes. La caresse de la brise légère prendra ensuite le relais pour nous révéler où se situe l’amour de Dieu dans notre histoire personnelle.
Dernier détail, et non des moindres, et l’un des plus commenté d’ailleurs : Élie ne peut voir Dieu que de dos, comme Moïse au Sinaï.
Ce n’est en effet qu’après coup, après avoir pris le recul de la méditation priante, de la relecture croyante, que tel événement, telle rencontre s’avère être authentiquement un moment avec Dieu. Bien des enthousiasmes flamboyants se sont éteints aussi rapidement qu’ils étaient venus : du coup de foudre amoureux à la transe religieuse, tant de moments clinquants se sont finalement révélés très décevants, superficiels, relativement creux.
À la suite d’Élie, notre travail prophétique est d’abandonner nos rêves de puissance trop humaine, de sortir de nos cavernes de pensée, et de nous exposer sans défense à la brise légère, à la voix silencieuse, c’est-à-dire de discerner le fil rouge de notre existence, sa cohérence interne avec Dieu au centre, toujours caché, de dos, toujours passant, tout près…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur » (1 R 19, 9a.11-13a)
Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.
PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14) R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)
J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.
Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.
Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.
DEUXIÈME LECTURE
« Pour les Juifs, mes frères, je souhaiterais être anathème » (Rm 9, 1-5)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.
ÉVANGILE
« Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (Mt 14, 22-33) Alléluia. Alléluia.
J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole. Alléluia. (cf. Ps 129, 5)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD