L'homélie du dimanche (prochain)

28 août 2017

Le serpent temporel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le serpent temporel

Homélie du 22° Dimanche du temps ordinaire / Année A
03/09/2017

Cf. également :
L’effet saumon
Le jeu du qui-perd-gagne
L’identité narrative : relire son histoire
L’événement sera notre maître intérieur
Bonne année !
Les trois dimensions de Pentecôte

Les thèmes des lectures de ce dimanche sont nombreux : les jérémiades du prophète devant avertir son peuple, le vrai culte spirituel selon saint Paul, Pierre traité de Satan, l’annonce de la Passion et de la venue ultime du Fils de l’homme, et l’insondable impératif : prendre sa croix, perdre sa vie…
Attachons-nous pour une fois au psaume 62 (63) de ce dimanche, tel que la liturgie  nous le livre :

Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

C’est un petit bijou mystique qui parle de quête, de soif, de désir, de faim et de louange.
Regardons plus précisément les temps des verbes du psaume, et la manière dont ils s’enchaînent :

 Ps62 Temps des verbesOn constate que l’orant navigue sans cesse entre passé / présent / futur mais pas dans l’ordre ! Il va du présent solitaire : « tu (absent) /je » et inquiet (« je te cherche ») au présent apaisé (« mon âme s’attache à toi, ta droite me soutient ») et amoureux (moi <=> toi).

Pour parcourir ce chemin d’apaisement et de communion, le psalmiste plonge dans le passé afin de trouver les traces de l’action de Dieu autrefois en sa faveur, puis il revient au présent pour déclarer son amour, laisse jaillir son désir de célébrer la louange de l’être aimé le reste de sa vie. Puis à nouveau il refait une incursion dans son histoire personnelle pour faire mémoire des moments où Dieu est venu à son secours, et revient ainsi apaisé à la jouissance de la présence de Dieu en lui, et de lui en Dieu.

Ce psaume a les accents du Cantique des cantiques (ou l’inverse !), car c’est la même quête qui pousse la bien-aimée vers son amant.

Pourtant, c’est sans doute un lévite qui l’a composé : « lever les mains » et le « festin » font allusion au sacrifice du Temple ; les « ailes » évoquent celles des chérubins dans le Saint des saints du Temple ; le « sanctuaire » (Temple) est le lieu où il contemple Dieu, où il reste des heures pendant son service à chercher et contempler… Ce n’est guère l’image que nous avons d’un lévite, fonctionnaire attaché aux cérémonies et services d’ordre du Temple de Jérusalem. Nous sommes plutôt habitués au lévite scrupuleux de la parabole de Jésus, qui évite le blessé sur la route pour ne pas devenir impur (Lc 10,32). Ou aux lévites venant avec les prêtres soumettre Jésus à une série de questions (« qui es-tu ? ») pour l’examiner sous toutes les coutures et lui tendre des pièges (Jn 1,19).

Eh bien non ! On peut être fonctionnaire et dévoré d’un feu intérieur ; on peut avoir le souci de construire de belles liturgies et les vivre au plus intime comme une quête amoureuse et passionnée. Eugen Drewermann opposait autrefois les « fonctionnaires de Dieu » (die Klëriker) à ceux qui au seuil de nos églises cherchent sans trouver des compagnons de questionnement. Il n’avait pas tort de souligner ce danger, mais notre lévite de ce dimanche nous rassure : le ‘service public de la religion’ n’est pas incompatible avec une authentique vie spirituelle, voire une bouleversante quête mystique en ce psaume 62 ! Bonne nouvelle pour tous les prêtres et agents pastoraux confrontés sur le terrain aux contraintes de ce service public de la religion : leur mission n’est pas obligatoirement usante, ils peuvent au contraire y trouver la source d’une aventure spirituelle intense…

Revenons à ce serpent temporel dont nous avons repéré la reptation dans le psaume : c’est d’une certaine manière la philosophie juive du temps qui s’y exprime. Non pas le temps cyclique des Grecs et autres civilisations polythéistes, avec le mythe de l’éternel retour auquel il faut sacrifier régulièrement pour rétablir l’harmonie originelle ou presque. Non pas le temps linéaire des Lumières, avec son mythe du Progrès qui a engendré tant de désillusions (dont le réchauffement climatique risque d’être la pire). Non : la conception juive du temps est très originale, irréductible aux autres. Elle s’appuie sur la mémoire du passé pour croire que Dieu agira à nouveau, et ainsi s’ancrer grâce à sa promesse dans un présent ouvert à l’intervention divine.

Notre psaume 62 (et bien d’autres) circule avec aisance entre le mémorial, la promesse, la confiance, à la manière des systèmes complexes se nourrissant de boucles rétroactives (feed-back) pour évoluer d’eux-mêmes.

Le christianisme assumera cette vision complexe du temps, avec un ajout  fondamental : l’eschatologie déjà réalisée en Jésus ressuscité. Pour le dire plus simplement : depuis que Dieu a ressuscité Jésus de Nazareth, le futur est déjà accompli, notre avenir est déjà réalisé en Christ. C’est donc de cet avenir que nous tirons force, courage et confiance afin d’affronter le présent, assuré par la mémoire du passé que Dieu est le même, hier aujourd’hui et demain.

Le festin dont parle le psaume 62 fait sûrement allusion aux festins d’animaux qu’engendraient les sacrifices de communion au Temple : on partageait les morceaux après l’offrande entre les membres de la famille et le prêtre. Il nous fait évidemment penser au festin eucharistique où notre espérance est « ancrée dans les cieux » (He 6,19). Dans l’eucharistie nous faisons mémoire de la Pâque du Christ, lui  qui est désormais au-devant de nous, assis à la droite de Dieu, d’où il peut nous accompagner dans nos combats actuels. Notre ‘serpent temporel’ chrétien ressemblerait alors plutôt à ceci :

Serpent temporel

C’est du futur eschatologique que nous viennent foi, espérance, et amour en s’appuyant sur la mémoire de ce que Dieu a fait pour nous, pour chacun. Ce n’est donc pas à la force des  poignets (mythe du Progrès) ni en soumission au destin (mythe de l’éternel retour) que nous construisons notre présent. Nous le recevons, gracieusement, de l’avenir auquel Dieu nous appelle et qui est déjà avec réalisé en Christ ressuscité nous  précédant en avant. Le passé n’a plus le dernier mot, comme dans la plupart des sciences humaines qui font du présent-futur la prolongation du passé (psychanalyse, économétrie, sociologie…). Il y a de l’imprévu, de l’évènementiel  qui surgit de l’avenir, radicalement imprédictible et irréductible à ce que nous connaissons déjà ou pouvons prévoir.

Cette grammaire des temps chrétienne se plogue bien fort bien avec celle du psaume 62 : il suffit d’ajouter cette note eschatologique où le futur (en Christ) in-forme (donne forme à) notre présent humain.

Les rabbins le disaient à leur manière : « souviens-toi de ton futur »

Que la quête amoureuse et mystique du psaume 62 devienne la nôtre.

Apprenez-le par cœur, il est fait pour cela. Vous vous surprendrez à laisser ses mots monter à vos lèvres lorsque le désir de vivre sera le plus intense, la soif de Dieu la plus inextinguible…

Lectures de la messe

Première lecture
« La parole du Seigneur attire sur moi l’insulte » (Jr 20, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.

Psaume
(Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu ! (cf. Ps 62, 2b)

Dieu, tu es mon Dieu,
 je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

Deuxième lecture
« Présentez votre corps en sacrifice vivant » (Rm 12, 1-2)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Évangile
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même » (Mt 16, 21-27)
Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
 Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »
Patrick BRAUD

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21 août 2017

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu


Homélie pour le 21° Dimanche du temps ordinaire / Année A
27/08/2017

Cf. également :

Yardén : le descendeur
Les insignes du politique
Jesus as a servant leader
Une autre gouvernance
« Tous pourris » ?

 

Macron et Machiavel

On dit d’Emmanuel Macron que ses études sur Machiavel dans sa jeunesse l’ont fortement influencé. Et c’est d’ailleurs lui-même qui le confie au New York Times en 2014 lorsqu’il est nommé ministre de l’économie de François Hollande :

Le Prince« M. Macron a obtenu une maîtrise (DEA de philosophie à l’Université de Paris X Nanterre) après avoir concentré en partie ses études sur Machiavel, qui, dit-il avec un sourire, était une bonne base pour naviguer dans le microcosme politique parisien. (New York Times 06/10/2014) »

Pour Machiavel on le sait, ce n’est pas conquérir le pouvoir qui est le plus difficile, c’est le conserver (cf. les problèmes de Nicolas Maduro récemment au Vénézuela à la recherche des pleins pouvoirs pour se maintenir…). Et pour cela, tous les moyens sont bons ou presque, notamment trahir ses promesses :

« Il est sans doute très louable aux princes d’être fidèles à leurs engagements; mais parmi ceux de notre temps qu’on a vus faire de grandes choses, il en est peu qui se soient piqués de cette fidélité, et qui se soient fait un scrupule de tromper ceux qui reposaient en leur loyauté. » (Machiavel, Le prince)

Le pragmatisme ‘réaliste’ est alors la ligne de conduite de ceux qui se réclament du Florentin : non pas agir en fonction d’une morale ou d’un idéal transcendant (ce que préconisera Kant), mais s’adapter à chaque situation en y répondant tantôt par la ruse, tantôt par la force, ou la négociation, ou selon ce qui est possible à l’instant, même si cela contredit ce qui avait été dit ou fait auparavant.

 

Shebna et Éliakim

La première lecture de ce Dimanche met en scène ces deux personnages (Is 22, 19-23). Le gouverneur de Jérusalem, aurait dû lire Machiavel ! Shebna en effet, ivre du pouvoir qu’il avait conquis, s’est laissé emporter par sa soif de gloire (son hybris, disaient les Grecs) jusqu’à se faire construire un splendide tombeau personnel (avec l’argent public !) sur les hauteurs de Jérusalem. À la cour du roi de Jérusalem, le personnage le plus influent était le gouverneur ou mieux le maître du palais. Shebna, qui a utilisé sa situation pour s’enrichir et se pavaner, va être démis de son poste et remplacé par Éliakim qui agira en vrai serviteur. Tunique, écharpe et clefs sont les insignes du pouvoir. Les clefs, en particulier, donnent à ce maître du palais pouvoir sur les entrées et sorties auprès du roi.

De plus, Shebna n’a pas réussi à empêcher la prise de Jérusalem par les Assyriens (713-711). Logiquement, le nouveau pouvoir change d’administration pour y mettre des hommes à son service. Le prophète Isaïe interprète cette destitution comme une intervention divine, motivée par le manque d’humilité et de prévoyance de Shebna. Comme le chante notre psaume d’aujourd’hui (137) : « Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble. de loin, il reconnaît l’orgueilleux. » Notons quand même que Shebna a su rejoindre un poste inférieur avec sagesse. Ainsi, quelques années plus tard, lors de la négociation avec Sennachérib (701), Shebna n’est plus que secrétaire, mais il est toujours là  et il est nommé en second après Éliakim, le maître du palais. Fils de Hilcias, Éliakim est maître du palais sous le règne du roi de Juda Ézéchias (716-687). En 701 lors de l’invasion de la Judée par le roi d’Assyrie Sennachérib (705-681), il conduisit la délégation chargée par Ézéchias de négocier avec le chef des forces assyriennes les conditions de reddition de Jérusalem (2R18, 17-37).

Éliakim – lui – ne s’attribue pas sa mission : il la reçoit de Dieu, qui l’appelle à ce poste. Éliakim veut dire « Dieu a suscité ». Ce nom, ici, montre que le service du roi et du peuple, on ne se l’attribue pas. Il est confié : Dieu se choisit ses serviteurs. Éliakim sera un « père »: il s’agit des qualités d’attention à tous, de recherche du bien de tous, en particulier la nourriture et la paix, qui sont les qualités requises du roi. À travers les images de ce texte, on peut voir le Christ : le serviteur choisi, que Dieu a suscité, qui lui-même a choisi ses apôtres et son Église, nouvel Éliakim, lui à qui Dieu a remis le pouvoir, lui dont le jugement ouvre et ferme. Dans le « piquet » (ou « cheville » selon la traduction liturgique) enfoncé fermement dans le sol et qui « sera comme un trône de gloire pour la maison de son père », ne peut-on voir une lointaine annonce de la croix ?

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La responsabilité politique est ici vue comme une vocation, au sens propre : réponse à un appel (de Dieu). Ce n’est pas une stratégie individuelle ni un destin (fatum) attribué à une élite. La vocation politique a pour objectif essentiel de servir : « j’appellerai mon serviteur, Éliakim ».

La figure du servant-leader chère à Robert Greenleaf (et finalement à la Doctrine sociale de l’Église), incarnée au plus haut point en Jésus de Nazareth, plonge ici ses premières racines bibliques. Le leader authentique n’est pas celui qui sert sa propre gloire (le monument sur la hauteur) mais celle de son peuple (et de son Dieu en Israël). D’ailleurs, « il sera un père pour les habitants de Jérusalem ». Comme Dieu est Père, le rôle du prince est de faire grandir ceux qui lui ont été confiés, et non de conserver le pouvoir à tout prix comme l’enseigne Machiavel.

Bref, à l’inverse de l’immanentisme du Prince de Machiavel, Éliakim va incarner la figure de l’humble serviteur d’un Dieu infiniment plus grand que lui (cf. notre deuxième lecture Rm 11, 33-36) où Paul s’émerveille de la transcendance divine, « aux chemins impénétrables »).

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu dans Communauté spirituelle pierre02Son autorité également est reçue d’un autre, qui s’engage avec lui : « s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira ». C’est évidemment en écho à cette prophétie d’Isaïe que Matthieu dans son évangile de ce dimanche met dans la bouche de Jésus des paroles semblables destinées à Pierre : « tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». Le fameux pouvoir des clés confié par Jésus à Pierre (et à toute la communauté, faut-il le rappeler…. Cf. Mt 18,18 « tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié ») est l’actualisation spirituelle du pouvoir des clés confié par Dieu au gouverneur du palais de Jérusalem.

C’est donc que le pouvoir dans l’Église doit se conformer à cette même attitude de service qui caractérisait Éliakim. Il y eut bien sûr des papes et des cardinaux plus proches de Machiavel que d’Éliakim (les Borgia, des papes de l’Inquisition etc.). Mais il y eut plus encore des papes saints qui ont incarné l’idéal de l’autorité selon le cœur de Dieu par leur martyr, leur simplicité de vie, leur amour paternel, leur défense des plus faibles…

Êtes-vous plutôt Machiavel ou Kant ? Shebna ou Éliakim ? Borgia ou Pierre ?…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je mettrai sur mon épaule la clef de la maison de David » (Is 22, 19-23)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Parole du Seigneur adressé à Shebna le gouverneur : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place. Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. »

PSAUME
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6.8bc)
R/ Seigneur, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains. (cf. Ps 137, 8)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble.
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

DEUXIÈME LECTURE
« Tout est de lui, et par lui, et pour lui » (Rm 11, 33-36)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen.

ÉVANGILE
« Je te donnerai les clés du royaume des Cieux » (Mt 16, 13-20) Alléluia. Alléluia.
Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Alléluia. (Mt 16, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.
Patrick BRAUD

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15 août 2017

Recevoir sa mission d’une inconnue étrangère

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 01 min

Recevoir sa mission d’une inconnue étrangère
Homélie pour le 20° Dimanche du temps ordinaire / Année A
20/08/2017

Cf. également :
Maison de prière pour tous les peuples
Lumière des nations
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?
Le Temple, la veuve, et la colère
Les sans-dents, pierre angulaire

Un consultant raconte un séminaire d’entreprise.
Le public était mélangé, des employés à la Direction Générale, et l’objectif était de refonder la raison d’être de l’entreprise (très tournée vers les articles de sport). 
Le consultant pose la question à tous : ‘à votre avis, quelle est la raison d’être de votre société ?’ Plus à l’aise en public, les dirigeants répondent en premier : ‘faire du profit’, ‘assurer notre pérennité’. Des managers complètent : ‘réaliser nos objectifs’, ‘garantir la satisfaction du client’… Le consultant fait la moue : ‘la raison d’être d’une entreprise, c’est ce qui fait que vous vous levez le matin avec énergie et envie pour aller au boulot’.
Une vendeuse lève timidement le doigt : ‘moi je suis passionnée de tir à l’arc, et mon objectif dans mon métier c’est de faire partager cette passion à mes clients’.
Petit silence. Avec humilité, les dirigeants prolongent : ‘finalement, c’est vrai. Le cash, les objectifs, les performances techniques ne sont que des moyens au service du but que nous venons d’entendre : partager notre passion du sport, tous les sports, avec le plus grand nombre’.
Depuis, centré sur sa raison d’être qui est le critère ultime des choix stratégiques techniques et économiques, ce groupe d’équipement sportif réputé (Décathlon) ne cesse de faire une belle croissance à deux chiffres chaque année. Car leurs choix sont simplifiés : tout ce qui va dans le sens de la raison d’être est permis, encouragé, valorisé. Tout ce qui y est contraire est éliminé. Et chacun peut/doit faire ce discernement à son niveau, individuellement et en équipe.

C’est un peu une révélation de ce type que Jésus vit dans l’évangile de la libanaise revendiquant les miettes pour les petits chiens (Mt 15, 21-28)… En effet, jusque-là, Jésus en bon juif qu’il était, croyait n’être envoyé qu’à son peuple, pour réformer sa foi, son Temple, ses pratiques. La conscience historique de Jésus de Nazareth était dans son humanité soumise aux mêmes lois psychologiques que la nôtre : il lui a fallu du temps pour réaliser qui il était, et quelle était sa mission. La rencontre avec cette libanaise constitue un tournant dans la conscience de Jésus : grâce à elle, à cause d’elle, il découvre stupéfait qu’en effet les étrangers ont droit eux aussi à la nourriture qu’il dispense aux juifs. Parce que cette femme a insisté, argumenté, parce qu’elle n’a pas lâché prise par amour pour sa fille, elle a provoqué en Jésus une prise de conscience de l’universalité de sa mission. Avant, il croyait n’être envoyé qu’aux « brebis perdues de la maison d’Israël ». Après, il reconnaît la foi de cette cananéenne et saura désormais que tous les peuples attendent de participer au repas messianique à sa table.

Recevoir sa mission d'une inconnue étrangère dans Communauté spirituelle C%C3%A9r%C3%A918

Notons deux ou trois traits au passage :

- C’est alors que Jésus se retire dans la région de Tyr et Sidon qu’il découvre l’ampleur de sa mission grâce à cette femme. On dirait aujourd’hui il a posé une semaine de congés payés avec son staff (les Douze), qu’il ressent le besoin de se mettre au vert avec eux, pour réfléchir à la suite des événements, se reposer.
C’est donc que nous avons besoin nous aussi de congés pour l’esprit, de retraits ponctuels, de prises de recul ailleurs pour faire le point et réfléchir sur notre mission.

illustration- C’est en terre étrangère, avec une femme étrangère (cananéenne = libanaise) que cette scène se passe. L’ailleurs du lieu aidera Jésus à découvrir l’ailleurs de sa mission. L’altérité du pays (le Liban actuel) lui est favorable pour prendre conscience d’une autre dimension de son identité et de sa mission. L’autre (la femme étrangère) lui révélera l’autre face cachée de sa feuille de route. L’inconnue (cananéenne) lui fera connaître la volonté de son Père pour tous, qu’il ne connaissait pas jusqu’alors ainsi.

- C’est une femme – et une non juive –  qui l’aide à progresser ! Si nous savons écouter les sans-grades, les moins considérés de nos entreprises, de nos communautés, ce sont eux qui nous apprendront finalement quelles sont les vraies priorités auxquelles nous atteler. C’est de la bouche de ceux qui ne comptent pas (les « sans dents » de Hollande où « les gens qui ne sont rien » de Macron) que nous pouvons apprendre le meilleur sur nous-mêmes.

- Le staff de Jésus (les Douze) joue malheureusement un rôle d’écran entre lui et cette femme. Elle les insupporte de ses cris et ils voudraient la chasser loin de Jésus.
C’est souvent le cas pour nous aussi : notre premier cercle de proches veut souvent nous éloigner de ceux qui ont pourtant un message à nous délivrer. Il est donc essentiel d’éduquer le regard de ce premier cercle sur les importuns et les gêneurs, sur les petits grains de sable qui heureusement viennent dévier la route trop vite tracée. Voilà pourquoi il nous faut éduquer nos proches pour qu’ils ne dressent pas d’écran involontaire entre nos équipes et nous.

Un peu comme les dirigeants de notre entreprise de sport du début ont eu l’humilité de recevoir leur raison d’être d’une simple vendeuse anonyme, Jésus a su recevoir la révélation de l’universalité de sa mission d’une femme, inconnue, étrangère (non-juive). Simple rencontre d’un jour (ils ne se reverront jamais), la cananéenne a pourtant transformé à jamais la vie du prophète de Nazareth, dilatant sa conscience d’être envoyé à tous.

Et nous ?

Couverture de Le roi sans fou - Le Roi sans fouChacun de nous a sa mission, ses missions : professionnelle, familiales, associative, amicale… Saurons-nous être à l’écoute de ce que des inconnus d’un jour, des étrangers loin de nos cercles habituels peuvent nous dire de nous-mêmes ? Prenons les moyens de recevoir notre mission des mains-mêmes de ceux vers qui nous sommes envoyés ?
Pour des dirigeants, cela implique d’avoir des remontées du terrain en direct, non filtrées par la cour des N-1 ou N-2. À l’instar du fou du roi qui avait le droit autrefois de critiquer vertement le monarque en public, véritable lanceur d’alerte indispensable à la bonne information du roi.
Pour des acteurs associatifs, c’est refonder sans cesse le but de l’association à partir des vrais besoins exprimés par les gens.
Pour tous, c’est savoir saisir à la volée ce qu’une remarque, un échange, une écoute d’une rencontre ponctuelle peut nous révéler de nous-mêmes.
Particulièrement en ces temps de congés, dans les Tyr et Sidon contemporains (plages, gîtes, randonnées…), soyons attentifs à ce que des contacts apparemment bien loin de nos préoccupations habituelles pourraient nous révéler de notre mission. Même dans le métro, au marché, dans une file d’attente…

Il suffit parfois d’être présent, juste présent, pour entendre une inconnue étrangère remettra en cause nos représentations d’avant.

Quels sont donc les petits chiens qui n’attendent que de manger les miettes tombant de notre table ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Les étrangers, je les conduirai à ma montagne sainte » (Is 56, 1.6-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur : Observez le droit, pratiquez la justice, car mon salut approche, il vient, et ma justice va se révéler.
 Les étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs, tous ceux qui observent le sabbat sans le profaner et tiennent ferme à mon alliance, je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de joie dans ma maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma maison s’appellera « Maison de prière pour tous les peuples. »

Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! (Ps 66, 4)

Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que ton visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture
sur la terre, tu conduis les nations.

La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

Deuxième lecture
« À l’égard d’Israël, les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 13-15.29-32)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, je vous le dis à vous, qui venez des nations païennes : dans la mesure où je suis moi-même apôtre des nations, j’honore mon ministère, mais dans l’espoir de rendre jaloux mes frères selon la chair, et d’en sauver quelques-uns. Si en effet le monde a été réconcilié avec Dieu quand ils ont été mis à l’écart, qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ? Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts !
 Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu, et maintenant, par suite de leur refus de croire, vous avez obtenu miséricorde ; de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire, par suite de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi. Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde.

Évangile
« Femme, grande est ta foi ! » (Mt 15, 21-28) Alléluia. Alléluia.
Jésus proclamait l’Évangile du Royaume, et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, partant de Génésareth, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
Patrick BRAUD

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13 août 2017

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 00 min

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter


Homélie pour la fête de l’Assomption / Année A
15/08/2017

Cf. également :

Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Si vous êtes déjà allés à Lourdes, Fatima, Czestochowa ou autre sanctuaire marial, vous avez sans doute éprouvé physiquement l’attachement des catholiques à Marie. Vous avez pu entendre ces dizaines de « Je vous salue Marie » répétés avec l’obstination des mantras orientaux. Mais vous aurez rarement entendu le Magnificat de l’Évangile de notre fête de l’Assomption (Lc 1, 39-56). Beaucoup moins populaire que le chapelet, le Magnificat fait pourtant partie intégrante de la prière quotidienne de l’Église (la liturgie des heures ou bréviaire). Chaque soir en effet, l’office de Vêpres ne se termine pas sans que moines, moniales, prêtres, religieuses et consacré(e)s ne reprennent les mots de Marie à Élisabeth rapportés par Luc. Chose remarquable : le « Je vous salue Marie » ne fait partie d’aucun office alors que le Magnificat est indissociablement soudé à l’action de grâces de Vêpres. Même l’antienne mariale après le dernier office du jour (Complies) reprend des hymnes mariales anciennes (Salve Regina, Regina caeli etc.) mais pas le « Je vous salue Marie ».

La conclusion à tirer de cela n’est bien sûr pas de dévaloriser l’Ave Maria, mais de revaloriser le Magnificat dans le cœur du peuple chrétien !

Le Magnificat présente l’avantage de rééquilibrer notre prière en priant Dieu avec Marie (et pas seulement en priant Marie comment on prie Dieu), d’être un trait d’union œcuménique (car protestants et orthodoxes le chantent de tout cœur avec nous), et de nous initier à la louange (car il ne comporte nulle trace de demande).

Le caractère œcuménique du Magnificat tient d’abord à sa nature scripturaire (alors que la deuxième partie de l’Ave Maria vient de la tradition catholique). Au lieu du chapelet, les orthodoxes ont la philocalie, la prière du cœur (« Seigneur Jésus, fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur ») répétée elle aussi comme à l’infini. Pour les protestants, il suffit de relire le très beau commentaire que Martin Luther a écrit sur Luc pour rappeler la place que ce texte a toujours eue et devrait toujours avoir dans la prière protestante. Luther admire et loue la foi de Marie, qui incarne selon lui au plus haut point la foi de l’Église dans l’action de Dieu ici-bas. Le parti pris pour les pauvres chanté par Marie soutient la marche des petits, et devrait faire réfléchir les riches et les puissants :

Magnificat Luther (nouvelle édition)« Le mot Magnificat est donc comme le titre d’un livre; il en indique aussitôt le contenu. De même, Marie indique par ce mot quel va être le contenu de son cantique, à savoir les hauts faits et les grandes œuvres de Dieu, propres à fortifier notre foi, à consoler tous les humbles et à effrayer tous les grands de la terre. C’est ce triple usage et bénéfice que nous devons reconnaître comme étant le but de ce cantique car la Vierge ne l’a pas chanté seulement pour elle, mais pour nous tous, afin de nous entraîner à le chanter à sa suite. »

On escamote trop souvent la dimension sociale de la prière mariale. On voudrait faire de l’attachement à Marie une dévotion privée, sentimentale, individuelle. Le Magnificat nous rappelle que l’option privilégiée pour les pauvres est indissociable de la figure de Marie et de la liturgie de l’Église. Marie, humble servante, inconnue jeune fille d’une contrée perdue incarne cet amour préférentiel de Dieu pour les pauvres et les sans-grades.

Le Magnificat pourrait/devrait donc rejoindre le Notre Père dans le canon des prières communes à toutes les Églises !

Dernier élément sur lequel insister aujourd’hui : la louange.

En français, le jeu de mots allitératif l’a fait éclater dès le début : mon âme exalte le Seigneur / exulte mon esprit en Dieu mon sauveur (les grammairiens parlent de paronymes pour ces deux verbes : ils sont proches à une voyelle près, sans être synonymes).

Exalter / exulter : laisser ces deux verbes s’entrechoquer et faire leur chemin en vous.

Quand avez-vous l’occasion d’exalter l’action de Dieu pour vous-même et pour d’autres ? Comme un chanteur faisant ses vocalises, nous avons besoin de nous entraîner à cette attitude spirituelle, peu naturelle en fait. Exalter quelqu’un, c’est proclamer qu’il est grand, qu’il fait bien toute chose, qu’il mérite notre gratitude. C’est donc un décentrement de soi, marquée par la particule ex : ex - alter (en dehors – vers le haut), comme dans l’autre verbe : ex – ulter.

La sortie de soi est caractéristique de l’action de l’Esprit Saint inspirant le Magnificat à Marie. Sortir de soi pour reconnaître l’autre – et ce que lui a fait (pas moi !) – pour laisser la joie me transformer au point de ne plus m’appartenir. Exulter de joie, c’est une transe de pleine conscience, fruit de la ‘sobre ivresse de l’Esprit’. Exulter de joie, c’est au-delà des mots décider d’habiter dans l’intimité divine, sans retenue.

Exalter et exulter s’impliquent mutuellement : dire du bien de l’autre libère la capacité de se réjouir sans jalousie, sans rivalité mimétique (dirait René Girard). Et réciproquement, laisser ruisseler une joie qui vient d’un autre, non de moi, permet de reconnaître et de magnifier la grandeur, la bonté de cette source de joie.

Entraînons-nous à exalter/exulter !

Dans les petites choses : exalter l’auteur d’un service reçu, d’un geste de compassion, de solidarité, exulter de joie par une musique, un paysage, un visage, une aventure physique ou intellectuelle…

Entraînons-nous également à exalter / exulter dans les moments importants de notre vie : dans l’épreuve (justement parce que Dieu – lui – est fidèle), dans nos choix décisifs.

ArrayEn chantant le Magnificat par nos lèvres ou dans notre cœur tous les soirs de cette semaine, laissons l’Esprit de Dieu comme en Marie nous entraîner progressivement à exalter/exulter, sans même nous en rendre compte [1].

Jusqu’à ce que cette respiration nous devienne aussi facile et naturelle que la respiration physique, comme le notait Luther avec finesse :

« La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu : au contraire, elle s’attache par le cœur, les pensées et tous les sens aux choses viles: elle les a sans relâche devant les yeux; c’est là l’image dont elle est pleine, et parce qu’elle a ces choses sous les yeux, elle ne peut pas se voir elle-même ni s’apercevoir qu’elle existe, et encore moins prendre conscience des choses élevées : c’est pourquoi, l’honneur et l’élévation lui échoient forcément à l’improviste et la surprennent forcément dans des pensées tout à fait étrangères à l’honneur et à l’élévation : c’est là ce que dit Luc .

La fausse humilité, en revanche, ne sait jamais qu’elle est orgueil (car, si elle le savait, elle deviendrait vite humble à la vue de ce vilain défaut); au contraire, elle s’attache par le cœur, la pensée et les sens aux choses élevées et les tient sans relâche sous ses yeux. » 

 


[1] .Cette exaltation / exultation devient alors illucide, c’est-à-dire non consciente d’elle-même, sans aucun repli possessif. Ce caractère illucide du Magnificat rejoint ce que Jésus disait du bonheur sur la montagne de Galilée… cf. Toussaint : le bonheur illucide. Savoir qu’on est heureux, c’est déjà ne plus l’être gratuitement. Savoir qu’on exalte / exulte, c’est déjà refermer la main cette louange / joie.

 

 

Messe du jour
Première lecture
« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
 Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

Psaume
(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur, se tient la reine, toute parée d’or. (cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

Deuxième lecture
« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

Évangile
« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
 Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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