À l’écart, transfiguré
À l’écart, transfiguré
Homélie pour le 18° dimanche du temps ordinaire / Année A
Fête de la Transfiguration 06/08/2017
Cf. également :
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
L’alliance entre les morceaux
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Dieu est un trou noir
Les congés d’été sont beaucoup l’occasion d’aller ailleurs : au bord de la mer en famille, sur les chemins de randonnée de montagne, dans des gîtes ruraux choisis avec soin sur Internet etc. Bien peu pourtant choisissent d’aller à l’écart. Beaucoup s’entasseront sur une plage bondée à marée haute, se regrouperont dans les stations offrant tous les services en altitude, se noieront dans la masse des campings ou des clubs Med ou autres formules collectives simplifiant le dépaysement en le massifiant.
Le Christ aujourd’hui nous invite à prendre de la hauteur en gravissant le Mont Thabor, et à nous mettre à l’écart, avec nos proches, comme il le fit pour Pierre, Jacques et Jean :
« Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne » (cf. Mt 17, 1-9)
Pas de transfiguration sans cette mise à l’écart temporaire.
Dieu qu’elle n’est pas naturelle cette mise à l’écart dans notre société actuelle ! La peur de la solitude semble pousser chacun à retrouver des compagnons, des convives, de la foule autour de lui. Cette angoisse du vide nous poursuit à travers les objets connectés qui font tellement partie de nous-mêmes qu’il nous est impensable de vivre sans eux, même en vacances. Le président de la République lui-même incarne cette hyper-connectivité, symbolisée par les deux smartphones placés à dessein sur la table de sa photo officielle trônant dans toutes les mairies de France. Deux smartphones, c’est un message fort ! C’est dire : ‘je ne suis jamais coupé de l’actualité, personnelle ou officielle, quelle qu’elle soit ; je ne débranche jamais, vous avez l’assurance que je suis toujours joignable, en contact avec les événements de ce monde’.
Savoir débrancher (comme le chantait France Gall !) est pourtant une hygiène mentale et spirituelle. Couper un temps les sollicitations extérieures est comme un rendez-vous avec soi-même. Décider que je répondrai demain à mes mails, SMS et autres appels téléphoniques (et quelle urgence ne pourrait réellement attendre 24 heures ?), c’est avoir une plage de temps à l’écart des lieux habituels que je peux habiter autrement, avec une autre disponibilité. Mitterrand confiait à la fin de son deuxième mandat qu’il refusait toute réunion ou rendez-vous le soir, pour prendre le temps de lire, de réfléchir…
En prenant ses disciples à l’écart, spatialement (sommet du Mont Thabor), socialement (séparé du groupe des Douze), temporellement (une journée d’excursion minimum pour monter puis redescendre), Jésus leur enseigne une respiration spirituelle indispensable aux hommes d’action. La vraie beauté de son visage ne s’est révélée que dans ce moment à l’écart, à distance des autres, à distance des préoccupations ordinaires.
L’expression à l’écart revient une douzaine de fois dans les évangiles.
C’est en les prenant à part, à l’écart, que Jésus explique les paraboles à ses disciples (Mc 4,10) ou répond à leurs questions (Mc 13,3 ; Mt 24,3). C’est à Bethsaïde que Jésus veut aller se reposer à l’écart, car les foules qui le suivent l’oppressent (Lc 9,10 ; Mt 14,13). C’est en priant à l’écart que Jésus ressent le besoin de demander à ses disciples qui il est vraiment (Lc 9,18). C’est loin de la foule, à l’écart, que Jésus fait de la boue pour guérir le sourd-muet (Mc 7,33). C’est seul, à l’écart, qu’il se retire dans la montagne pour prier, afin de rester fidèle à sa mission, ou avant de faire le choix si décisif des Douze à appeler à sa suite (Mt 14,23). C’est à l’écart qu’il invite ses disciples à se reposer avant de les replonger dans leur mission (Mc 6,31-32). On peut ajouter à ces épisodes celui de Gethsémani, où Jésus a besoin de s’isoler dans son angoisse devant la Passion qui approche, afin de supplier son Père et de trouver la force de lui rester fidèle (Mt 26,36).
Savoir se mettre à l’écart pour un temps est donc un enjeu pour notre fidélité, pour notre résistance à la fatigue et à l’usure, pour notre manière de faire les choix importants de notre parcours de vie.
Savoir emmener nos proches à l’écart est également un enjeu pour notre responsabilité envers eux, notre management pourrait-on dire. Un responsable qui n’emmène jamais son équipe « au vert », ailleurs que sur son lieu de travail, pour un temps de ressourcement et de hauteur de vue ne serait pas un vrai manager. Un séminaire d’équipe une fois l’an semble un minimum (mais si peu pratiqué en entreprise hélas !). De même pour un couple : une soirée par semaine, une journée par mois, une semaine par an… Ceux qui ne savent plus se ménager ces rendez-vous amoureux au restaurant, en balade, en voyage ou dans un monastère, à deux, sans les enfants, se retrouvent vite juxtaposés, assumant ensemble la gestion ordinaire de la famille mais superficiellement, très superficiellement. Des amis proches de la retraite osaient dirent à haute voix devant leur conjoint leur peur de se retrouver 24h sur 24h avec lui/elle. Ils s’apercevaient qu’ils ne pratiquaient plus - et depuis longtemps – cette mise à l’écart régulière à deux qui est un des secrets des couples heureux.
Le lien entre mise à l’écart et Transfiguration devrait nous mobiliser ! Ayant pris de la hauteur, à distance de l’immédiat et du groupe, Pierre, Jacques et Jean se souviendront longtemps de l’éblouissante beauté du visage du Christ. La 2° lecture de ce Dimanche (2 P1, 16-19) nous livre le souvenir solide et la relecture que Pierre fait de l’épisode du Mont Thabor. Tous les trois resteront marqués à jamais par cette révélation fulgurante. Aussi, lorsque le visage de Jésus sera couvert de crachats de haine, couronné d’épines de dérision, tuméfié des coups des soldats, ils ne perdront pas totalement espoir au milieu de la foule hostile, ou du moins ils auront des pierres d’attente pour déchiffrer la résurrection de Jésus comme une nouvelle transfiguration. Lorsque ce même visage de Jésus sera élevé sur le bois pour être exposé à la honte et à la malédiction divine, surmontée d’une inscription moqueuse (et prophétique sans le savoir), ils pourront après-coup se souvenir de l’incroyable lumière dont il irradiait au Thabor.
Si nous ne pratiquons pas la mise à l’écart, pour nous-mêmes et pour nos proches, comment découvrirons-nous leur vraie beauté, leur inaliénable dignité cachée sous les déformations des accidents de la vie ?
Apprenons à débrancher nos objets connectés, à ne plus répondre immédiatement aux sollicitations extérieures, à partir à l’écart, seul ou avec nos proches.
La beauté du monde ne nous sera révélée qu’au prix de ce détour…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Son habit était blanc comme la neige » (Dn 7, 9-10.13-14)
Lecture du livre du prophète Daniel
La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
PSAUME
(Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9)
R/ Le Seigneur est roi, le Très-Haut sur toute la terre (Ps 96, 1a.9a)
Le Seigneur est roi ! Exulte la terre !
Joie pour les îles sans nombre !
Ténèbre et nuée l’entourent,
justice et droit sont l’appui de son trône.
Quand ses éclairs illuminèrent le monde,
la terre le vit et s’affola ;
les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur,
devant le Maître de toute la terre.
Les cieux ont proclamé sa justice,
et tous les peuples ont vu sa gloire.
Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre,
tu domines de haut tous les dieux.
DEUXIÈME LECTURE
« Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue » (2 P 1, 16-19)
Lecture de la deuxième lettre de saint Pierre Apôtre
Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.
ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Alléluia. Alléluia. Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! Alléluia. (Mt 17, 5)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Patrick BRAUD