Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Cf. également :
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Tauler, le métro et « Non sum »
Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année C
03/01/2016
En cette fête de l’Épiphanie, les mages offrent trois présents à l’enfant qui vient de naître. Or visiblement, il n’en a aucun usage immédiat ! Il eût mieux valu donner des vêtements chauds, une chambre à l’auberge, le secours d’une servante…
La question redouble quand on fait attention au terme grec utilisé pour ces fameux cadeaux des mages : δῶρον (dōron).
Dans le Nouveau Testament, il y a 19 usages de ce mot [1], essentiellement pour désigner des offrandes faites à Dieu lui-même. Par exemple : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande. » (Mt 5, 23-24)
Première indication donc : Mathieu veut nous dire que les mages reconnaissent déjà la divinité de cet enfant, puisqu’ils lui font des présents comme si c’était le Dieu du Temple de Jérusalem. Étonnant !
Cela ne résout toujours pas la question : pourquoi Dieu aurait-il besoin qu’on lui offre quelque chose ? Manquerait-il de richesses pour qu’on lui offre de l’or ? Aurait-il faim pour qu’on lui sacrifie des taureaux ou des colombes ?
Les prophètes de l’Ancien Testament avaient déjà réfléchi sur ces coutumes sacrificielles où il fallait soi-disant donner quelque chose à Dieu. Leur cheminement progressif les amène à contester ces pratiques (d’origine païenne) : « C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices », rappelle Jésus en Mt 12,7 citant Os 6,6.
Le véritable sacrifice, c’est de s’offrir soi-même. « Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un coeur brisé et broyé… » (Ps 50, 18-19)
« En entrant dans le monde, le Christ dit: Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j’ai dit: Voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté. » (He 10, 5-7).
Alors quel est le sens de ces cadeaux des mages à l’enfant-Dieu qui n’en a nul besoin ni envie ? Et pourquoi continuons-nous cette tradition des cadeaux entre nous, à Noël, pour le Nouvel An, comme si nous étions des mages et des enfants-Dieu les uns pour les autres ?
1. Offrir n’est pas marchander
Éliminons déjà une fausse piste qui empoisonne pourtant tous les gestes religieux qui sont les nôtres. Acheter un cierge pour réussir un examen reste très populaire, mais surtout rentable pour le clergé qui fait commerce de ces cierges… La relation à Dieu n’est plus marchande en régime chrétien, depuis que Jésus a justement chassé les marchands du temple (cf. Le principe de gratuité)
. Si les cadeaux signifient : je te donne ceci pour que tu me donnes cela, alors c’est un trafic indigne qui n’a aucune chance de réussir avec Dieu. Ce genre de tentation de manipulation ou de pression ne fait que compromettre une amitié humaine.
Nos cadeaux ne sont pas des calculs, mais des dons sans espoir de retour ; pas des investissements, mais des jaillissements d’affection sans contrepartie. Sinon, mieux vaut déposer ces trésors au mont-de-piété…
2. Des cadeaux pour ne pas être tout
Lorsqu’on fait des présents aussi précieux que ceux des mages, c’est qu’on accepte de prendre sur ses richesses, de ne pas tout garder pour soi. Et en même temps, c’est dire à l’autre : tu comptes pour moi, tu es plus précieux à mes yeux que cet ordre/argent/myrrhe pourtant de grande valeur. C’est donc limiter sa volonté de toute-puissance, accepter de ne pas être tout, et laisser ainsi de la place à l’autre, rappel de mon incomplétude. Les mages par leurs offrandes reconnaissent en Jésus quelqu’un de plus grand qu’eux.
Nous disons à nos amis qu’ils nous manquent, que nous ne sommes pas nous-mêmes sans eux, lorsque nous arrivons avec un bouquet de fleurs à un repas ou une boîte de chocolats au chevet d’un malade. Les cadeaux nous aident à limiter notre désir inné d’autosuffisance pour vouloir avoir besoin de l’autre. Offrir nous fait aimer notre finitude…
3. Des cadeaux pour accepter de manquer
Dans l’Ancien Testament, c’est ainsi que le livre de l’Exode interprétait le prélèvement d’argent pour construire le sanctuaire.
Donner son argent implique une limitation du désir de toute-puissance. Le désir de Dieu, de sa présence en moi et dans la communauté, implique la purification de mon désir d’être tout, que l’argent symbolise au plus haut point : si je ne paye pas, si je ne prélève pas de mon argent pour Dieu, la vérité de ce désir ne pourra pas se réaliser. Bien avant Freud, le peuple juif a expérimenté que l’argent comme le désir suscitent une soif inextinguible, une quête infinie. Cet infini peut faire de l’argent une idole : Mammon. C’est pourquoi Dieu demande au peuple de prélever sur ses richesses pour donner de l’argent afin de construire son Temple. « Voici le prélèvement que vous prendrez d’eux : de l’or, de l’argent, du bronze, de la pourpre de lin, du poil de chèvre. Ils me feront un sanctuaire et j’habiterai en eux » (Ex 25,2). Dieu n’habite pas le sanctuaire, mais le cœur de l’homme qui sait limiter et éduquer son désir, grâce à l’offrande.
Parce que nous acceptons de manquer, Dieu viendra faire sa demeure en nous. L’offrande à Dieu est donc l’appel d’air qui permet au feu divin de prendre en nous, de l’intérieur. Le cadeau fait à l’autre est l’appel à une relation d’amitié sans laquelle je ne suis pas pleinement moi-même.
4. Des cadeaux pour recevoir du Christ notre vocation de baptisés
L’Épiphanie (manifestation) du Christ aux mages montre clairement que les païens peuvent rencontrer le Christ, et revenir chez eux « par un autre chemin », c’est-à-dire profondément transformés par cette rencontre. Leurs trois présents ont une signification symbolique.
L’or désigne la royauté étonnante de cette enfant, annoncée par les prophètes (cf. première lecture), accomplie de manière déroutante sur la croix. Cette royauté est devenue celle des baptisés qui eux aussi – le Christ vivant en eux – exercent leurs responsabilités, leur pouvoir, leur profession comme un service royal.
L’encens désigne la prêtrise exercée par le Christ, puisque les parfums d’encens brûlaient sur l’autel du Temple lorsque les prêtres offraient des sacrifices. Or le Christ s’est offert lui-même au lieu des animaux. C’est de ce sacerdoce dont vivent les baptisés en Christ, faisant de leur existence « une vivant offrande à la louange de la gloire de Dieu » (prière eucharistique n° 4). Le sacerdoce commun des baptisés consiste à s’offrir soi-même en présent pour ceux qu’on aime, et plus encore pour ceux que nous n’arrivons pas à aimer ou qui ne nous aiment pas.
La myrrhe est un produit funéraire pour embaumer les corps. Elle annonce symboliquement l’ensevelissement de Jésus, après la croix, cette déchéance inacceptable pour les juifs comme pour les Romains ou pour le Coran. Offrir de la myrrhe à un enfant serait une faute de goût si le bois de la mangeoire n’annonçait pas déjà celui de la croix. Cette capacité prophétique à discerner ce qui est en jeu dans le présent est devenue celle des baptisés. Nous recevons du Christ d’être prophétiques lorsque nous discernons les véritables enjeux par exemple de la crise écologique actuelle, ou des formidables progrès des sciences et technologies pour l’être humain etc.
Offrir des présents au Christ, c’est donc accepter de recevoir de lui qui nous sommes réellement : prêtre/prophète/roi. Sans cette démarche des mages, nous pourrions avoir l’illusion de croire pouvoir l’être par nous-mêmes. Faire ces cadeaux nous sauve de l’auto-suffisance, de l’auto-réalisation.
5. Des cadeaux pour que l’amour circule entre nous
Prélever quelques objets ou un peu d’argent pour offrir peut donc devenir un authentique chemin de communion à l’autre. Si on purifie ce geste de tous les relents de calcul et de domination, on peut y deviner l’amorce de la circulation de ce que l’anthropologue Marcel Mauss appelait le don / contre-don (cf. Le potlatch de Noël) : offrir, c’est accepter que l’autre me manque, et entrer dans une relation où le cadeau fait à l’un l’entraînera à offrir lui-même à un autre et ainsi de suite. La seule dette qu’il nous faut conserver entre nous, c’est celle de l’amour, écrivait saint Paul. Les cadeaux reçus nous obligent en ce sens que, en les recevant, nous contractons une dette à faire circuler. En les donnant, nous entrons dans une relation vivante et ouverte.
Même après ces fêtes de fin d’année, continuons donc à nous offrir des présents, sans autre raison que de laisser l’amour de Dieu circuler entre nous…
[1]. Mt 2,11/ Mt 5,23 / Mt 5,24 / Mt 5,24 / Mt 8,4 / Mt 15,5 / Mt 23,18 / Mt 23,19 / Mt 23,19 / Mar 7,11 / Lc 21,1 / Lc 21,4 / Ep 2,8 / He 5,1 / He 8,3 / He 8,4 / He 9,9 / He 11,4 / Ap 11,10
1ère lecture : Les nations païennes marchent vers la lumière de Jérusalem (Is 60, 1-6)
Lecture du livre d’Isaïe
Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
Regarde : l’obscurité recouvre la terre, les ténèbres couvrent les peuples ; mais sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi.
Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
Lève les yeux, regarde autour de toi : tous, ils se rassemblent, ils arrivent ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur les bras.
Alors tu verras, tu seras radieuse, ton coeur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi avec les richesses des nations.
Des foules de chameaux t’envahiront, des dromadaires de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur.
Psaume : 71, 1-2, 7-8, 10-11, 12-13
R/ Parmi toutes les nations, Seigneur, on connaîtra ton salut.
Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !
En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !
Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.
Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.
2ème lecture : L’appel au salut est universel (Ep 3, 2-3a.5-6)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens
Frères, vous avez appris en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous :
par révélation, il m’a fait connaître le mystère du Christ.
Ce mystère, il ne l’avait pas fait connaître aux hommes des générations passées, comme il l’a révélé maintenant par l’Esprit à ses saints Apôtres et à ses prophètes.
Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.
Evangile : Les mages païens viennent se prosterner devant Jésus (Mt 2, 1-12)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Nous avons vu se lever son étoile, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Sur ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie.
En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD
Mots-clés : cadeau, Epiphanie, mages, présent