La violence a besoin du mensonge
La violence a besoin du mensonge
Homélie pour la fête du Christ Roi / Année B
22/11/2015
Cf. également :
Le Christ Roi fait de nous des huiles
« La violence n’exige de nous que notre obéissance au mensonge »
« Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes, son visage flamboie d’arrogance, elle porte effrontément inscrit sur son drapeau, elle crie : « JE SUIS LA VIOLENCE ! Place, écartez-vous, ou je vous écrase ! » Mais la violence vieillit vite. Encore quelques années et elle perd son assurance, et pour se maintenir, pour faire bonne figure, elle recherche obligatoirement l’alliance du mensonge. Car la violence ne peut s’abriter derrière rien d’autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence. Et ce n’est ni chaque jour, ni sur chaque épaule que la violence pose sa lourde patte : elle n’exige de nous que notre obéissance au mensonge, que notre participation quotidienne au mensonge et c’est tout ce qu’elle attend de ses loyaux sujets.
Et c’est là justement que se trouve, négligée par nous, mais si simple, si accessible, la clef de notre libération : LE REFUS DE PARTICIPER PERSONNELLEMENT AU MENSONGE ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas PAR MOI !
Et cela, c’est une brèche dans le cercle imaginaire de notre inaction, pour nous : la plus facile à réaliser, pour le mensonge : la plus destructrice. Car lorsque les hommes tournent le dos au mensonge, le mensonge cesse purement et simplement d’exister. Telle une maladie contagieuse, il ne peut exister que dans un concours d’hommes. »
Alexandre Soljenitsyne, à Moscou le 12 février 1974 [1]
L’avertissement de Soljenitsyne valait pour le système communiste, bâti sur un mensonge.
Comment ne pas y voir un avertissement pour nous aujourd’hui face à la violence inhumaine des attentats de Paris ? Faute d’avoir analysé et compris la complicité de l’Occident avec le mensonge communiste, nous risquons fort de reproduire des aveuglements semblables, et lourds de conséquences.
Ce mensonge communiste concernait d’abord la personne humaine, réduite à n’être qu’un élément de la classe ouvrière seule digne d’intérêt et à qui on pouvait sacrifier bien des individus (les millions de morts des purges staliniennes et des goulags en témoignent).
Ce mensonge concernait également l’économie, réduite à une planification collective finalement inefficace et terriblement appauvrissante.
Ce double mensonge s’est écroulé en 1989. Pourtant, pendant des décennies, l’intelligentsia française et au-delà a été fascinée par la pensée marxiste, au point de l’ériger en clé ultime de l’histoire. On a oublié aujourd’hui les positions effarantes de Sartre (le marxisme est l’« indépassable philosophie de notre temps »), Althusser, Edgar Morin (jusqu’en 1951), Louis Aragon, Annie Kriegel et tant d’autres maîtres à penser des années 60 à 90. Raymond Aron était bien seul, dissident parmi ces intellectuels, à dénoncer le mensonge.
Se souvenir permettrait pourtant de mettre en pleine lumière les complicités actuelles de bien d’autres intellectuels français avec des idéologies pour potentiellement dangereuses, reposant elles aussi sur un mensonge.
Pilate le politique face à Jésus le roi dissident
L’avertissement de Soljenitsyne doit être renouvelé aujourd’hui.
Il fait écho au témoignage de Jésus devant Pilate (Jn 18, 33-37). Jésus pose la question de la vérité, et y répond en personne : « je suis venu pour rendre témoignage à la vérité ». Ailleurs il dit même : « je suis la vérité ». C’est donc que la vérité en christianisme est une personne vivante et non pas une idéologie.
Pilate lui est un politique en même temps que militaire d’occupation. L’historien juif Flavius Josèphe le décrit comme « un gouverneur qui n’hésite pas à recourir à la manière forte pour rétablir l’ordre ». S’embarquer dans un dialogue philosophique à propos de la vérité avec ce prophète charismatique peut devenir dangereux. Pendant ce temps-là, les responsables juifs risquent de fomenter des troubles, des émeutes, car ils savent manipuler les foules. Peu importe finalement que Jésus soit ou non du côté de la vérité : l’important est que Jérusalem ne se soulève pas contre l’armée romaine. L’important est de maintenir un semblant de paix. Maintenir la pax romana, même au prix du mensonge, vaut mieux que de chercher où est le vrai.
D’ailleurs, lorsque ce peuple juif occupé et décidément rebelle recommencera à contester le pouvoir impérial, Pilate le soldat utilisera la violence armée pour mater la révolte (cf. Lc 13,1 et la mention des « Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices »), comme toute occupation militaire ou idéologique. En 36, il fait réprimer avec cruauté un rassemblement de Samaritains sur le mont Garizim. À l’instigation d’un homme qui selon Flavius Josèphe « considérait le mensonge comme sans importance et usait de toutes sortes de manœuvres pour plaire au peuple », les plus convaincus « prirent les armes » et s’installèrent dans le village de Tirathana pour accueillir la masse des samaritains et « faire en grand nombre l’ascension de la montagne ». Cet homme leur avait promis de leur montrer « des vases sacrés enfouis par Moïse ». À la suite de ce massacre des samaritains, Pilate fut contraint par l’empereur Tibère de quitter la Judée.
Préférer le mensonge à la vérité [2] pour avoir la paix (mais quelle paix ? !) : la tentation politique de Pilate est encore celle de nos politiques. Que ce soit sur des questions sociales brûlantes comme le drame des migrants ou le mal-logement des français, ou sur des questions éthiques comme l’avortement et l’euthanasie, ou sur les guerres en Irak, en Iran, en Syrie, en Lybie et ailleurs, ou sur des enjeux complexes comme la laïcité, la place de l’islam etc., rares sont les politiques qui osent raisonner et argumenter en termes de vérité et de mensonge. Ils parleront consensus, opinion majoritaire, règlements internationaux. Beaucoup seraient aussi sceptiques que Pilate si on leur demandait quelle est leur conception de la vérité sur ces sujets. Souvenons-nous des mensonges américains sur de soi-disant armes de destruction massive qui ont été l’alibi pour intervenir militairement en Irak : ils ont finalement engendré la montée en puissance d’Al Qaïda, et maintenant de Daech. La violence que l’Etat Islamique tire du Coran provient d’ailleurs pour une large part d’un autre mensonge, qui présente le texte arabe du Coran comme « incréé », directement dicté par Dieu (donc s’imposant comme tel, sans aucune possibilité d’interprétation).
Hannah Arendt avait déjà étudié, dans les années 70, cette liaison dangereuse entre mensonge et violence, par exemple en analysant les « documents du Pentagone » révélant l’envers de la guerre du Vietnam [3].
Sans le mensonge, la violence n’a plus aucun fondement légitime.
« Qu’est-ce que la vérité ? »
Cette interrogation en forme de fuite permet à Pilate d’éviter de se prononcer pour ou contre Jésus.
Nos politiques renvoient cette question de la vérité à la sphère privée, et s’interdisent de déchiffrer les évolutions sociales à la lumière de cette interrogation. Et la violence se nourrit de ces mensonges. La violence a besoin du mensonge ; c’est pourquoi la vérité qui est Jésus en personne engendre la non-violence, jusqu’à préférer être tué que tuer.
Que chacun de nous, en entreprise, au travail comme en famille, n’élude pas la question du vrai, quitte à prendre des risques pour combattre le mensonge, quitte à devenir un dissident, comme l’était Soljenitsyne en 1974…
[1]. Soljenitsyne, interdit d’habiter Moscou, où demeure Natalia Svetlova, une mathématicienne engagée dans la dissidence avec laquelle il vit maritalement (et qu’il épousera après son divorce), trouve refuge chez le violoncelliste Rostropovitch. Le prix Nobel vient le récompenser en 1970. Mais il est hors de question de se rendre à Stockholm, de peur de ne pas être autorisé à revenir dans son pays.
L’étau du KGB se resserre autour de lui et en 1973, une de ses collaboratrices, Élisabeth Voronianskaïa, qui avait dactylographié L’Archipel (du Goulag), est retrouvée pendue chez elle : interrogée pendant trois jours par les guébistes, elle a craqué et avoué où elle avait caché un exemplaire du manuscrit qu’elle avait conservé à l’insu de Soljenitsyne. Ce dernier rend la nouvelle publique et demande que L’Archipel soit publié en Occident. Ce qui est fait en décembre. La presse soviétique se déchaîne, mais Soljenitsyne est décidé à répondre coup pour coup. Le 12 février 1974, il lance son appel de Moscou, exhortant ses compatriotes à « ne plus vivre dans le mensonge ». Le lendemain il est arrêté, déchu de sa nationalité soviétique et expulsé. Ce n’était plus arrivé depuis… Trotski en 1929.
[2]. Il est à noter que dans la Bible, le contraire de la vérité n’est pas l’erreur, mais le mensonge.
[3]. Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Éditions Pocket – coll. Agora, Paris, 2002.
1ère lecture : « Sa domination est une domination éternelle »(Dn 7, 13-14)
Lecture du livre du prophète Daniel
Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
Psaume : Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5
R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence. (Ps 92, 1ab)
Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.
Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.
Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.
2ème lecture : « Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.
Evangile : « C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD