Bonne année !
Homélie du 1° Dimanche du temps de l’Avent / Année C
29/11/2015
Cf. également :
Sous le signe de la promesse
Le syndrome du hamster
Meilleurs vœux d’Avent
Puisque la nouvelle année liturgique commence avec notre premier dimanche de l’Avent, on pourrait effectivement se présenter tous nos voeux comme au 1er Janvier ! Peu de chrétiens ont le sentiment d’entrer dans une année différente. C’est plutôt la course aux cadeaux de Noël, ou à la préoccupation des congés d’hiver qui prend le dessus ! Ou hélas l’inquiétude liée aux récents attentats à Paris.
Pourtant, à y réfléchir, chaque Avent nous repose la question de notre rapport au temps.
Quelle est votre philosophie du temps qui passe ?
Vivez-vous dans la mémoire et le souvenir ?
Ou tendus vers les buts que vous vous êtes fixés ?
Ou goûtez-vous le présent sans penser à autre chose ?
Le temps liturgique est profondément original. Il ne se réduit à rien de connu.
Le temps traditionnel cyclique
Ce n’est pas le temps mythique des sociétés traditionnelles.
Les cultures animistes par exemple reposent pour la plupart sur des mythes fondateurs. À l’origine, il y avait une harmonie entre les forces invisibles (les dieux, les génies…), la nature et les hommes. Mais régulièrement, les agissements des hommes ou de la nature ou des forces invisibles remettent en cause cet équilibre primordial. Il faut alors trouver un moyen rituel, symbolique, de réparer ce dysfonctionnement en revenant au temps primordial. C’est la plupart du temps un sacrifice animal (voire humain) qui permet de revenir en ce temps-là (in illo tempore disait-on en latin), au temps des origines. C’est ce que le grand historien roumain Mircea Eliade appelait le mythe de l’éternel retour : un peu comme l’entropie de la thermodynamique, le temps traditionnel apporte dégradation, usure, obsolescence et des crises de plus en plus graves. Par le sacrifice rituel, l’horloge est remise à l’heure d’origine, et le monde peut survivre. Les sacrifices humains aztèques sont à interpréter dans ce cadre par exemple. Le temps de ces sociétés est cyclique : l’idéal est au départ, le futur n’apporte que de la dégradation, et il faut sans cesse revenir à la pureté initiale. Certains intégrismes musulmans comme le wahhabisme ou le salafisme (dont le nom signifie le retour aux ancêtres = salaf), ou certains intégrismes catholiques comme le lefebvrisme sont très proches de cette conception païenne du temps où l’âge d’or est derrière, avant.
Le temps linéaire du Progrès
Le temps liturgique n’est pas non plus le temps du Progrès, cher aux Lumières du XVIII° siècle.
« Du passé faisons table rase » chantaient les communistes autrefois. Demain sera mieux qu’hier, clamaient les prophètes du progrès technique, scientifique, économique et politique. La modernité s’est nourrie de cet autre mythe fondateur selon lequel le futur se construit à la force du poignet – ou plutôt de l’intelligence humaine – et apporte une croissance indéfinie, tant qualitative que quantitative. Le temps des modernes est éminemment linéaire, orientée vers un demain meilleur qu’aujourd’hui, comme aujourd’hui est meilleur qu’hier.
Les désillusions du progrès (dangers du nucléaire, catastrophes écologiques, usages inhumains de la science etc.) ont mis à mal cette croyance, mais elle reste vivace (dans la gauche française par exemple) et a nourri toutes les querelles idéologiques des deux derniers siècles.
On n’imagine pas le futur, on en vient
Le temps liturgique n’est ni cyclique ni linéaire. Il serait plutôt… hélicoïdal !
Lorsque nous entrons en Avent, nous ne revenons pas en arrière, en jouant à faire semblant, comme si nous étions avant la naissance du Christ. À Noël, nous fêtons beaucoup plus, nous fêtons la deuxième venue du Christ (adventus = venue = avent) lors de l’accomplissement final.
Entrer en Avent, c’est se tourner vers la venue du Christ en nos vies, demain, hier et aujourd’hui (la liturgie privilégie cet ordre, car l’eschatologie, s’appuyant sur la mémoire du passé, nous ouvre un présent où s’effectue sacramentellement cet engendrement du Christ en nous : il viendra, il est venu, il vient).
Le temps chrétien n’est pas une prolongation du passé, comme le temps scientifique prolonge une courbe en l’extrapolant. C’est vraiment très différent.
En liturgie, on n’imagine pas le futur, on en vient.
C’est toute la différence entre la planification et la Vision :
Myriem Le Saget, Le manager intuitif, Dunod, 1992, p. 125
En fait, l’avenir vient au-devant de nous, et transforme notre présent pour le configurer à ce qu’il est appelé à advenir.
« Deviens ce que tu es », écrivait le génial Augustin. Le rôle du mémorial liturgique est alors de nous ancrer dans ce que Dieu a déjà fait pour nous, pour nous ouvrir à ce qu’il va faire maintenant.
Les rabbins avaient raison de répéter à leurs disciples : souviens-toi de ton futur...
Ni cyclique quoique mémoriel, ni linéaire quoique eschatologique, le temps liturgique nous invite à nous recevoir du futur promis, afin de transformer le présent à son image, appuyé sur ce que Dieu a déjà réalisé dans le passé pour nous.
Prenez le temps de méditer sur le temps
Le premier dimanche de l’Avent nous invite donc à travailler notre rapport au temps :
- Ne pas sacraliser le passé avec nostalgie, mais y relire l’action de Dieu qui a commencé en nous. Car comme dit le psaume, Dieu n’arrêtera pas l’oeuvre de ses mains.
- Ne pas construire l’avenir, mais l’accueillir comme une promesse que Dieu va réaliser pour nous, avec nous. C’est là sans doute le point le plus difficile pour l’Occident : se laisser façonner par l’avenir qui reflue au-devant de nous, au lieu de croire que nous pouvons comme des dieux fabriquer notre destinée tout seuls.
- Ne pas éviter le présent, mais l’habiter comme ouvert à tous les possibles qu’il nous faut orienter vers la fin, l’accomplissement de l’histoire.
Il y a bien une idolâtrie païenne du temps dont la période d’Avent nous délivre.
Plus que jamais, les chrétiens sont des dissidents temporels : ils ne s’affolent pas avec le temps médiatique, ils ne s’engloutissent pas dans le court terme du temps financier ou de la consommation, ils résistent aux futurs idéologiques construits par les hommes contre eux-mêmes.
Ils se tiennent, libres et indéterminés, sur la ligne de crête qui unit l’avenir et le passé en un présent d’une intensité redoublée.
Dès le 2° siècle après JC, la célèbre Lettre à Diognète décrivait ainsi cette paisible dissidence chrétienne, qui s’applique également à la conception du temps :
« Ils (les chrétiens) se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ;
ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés.
Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers.
Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère.
Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés.
Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel.
Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. (…)
Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel.
Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. »
Demain, hier, aujourd’hui, dans cet ordre : prenons le temps de méditer sur notre rapport au temps. Cela aura dans notre vie plus de conséquences que nous l’imaginons…
1ère lecture : « Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)
Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »
Psaume : Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14
R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme,
vers toi, mon Dieu. (Ps 24, 1b-2)
Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.
Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.
Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.
2ème lecture : « Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.
Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en prions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.
Evangile : « Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Fais-nous voir, Seigneur, ton amour,
et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD
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