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19 septembre 2015

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 00 min

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

 

Pour le premier match du XV de France ce soir dans la Coupe du Monde de rugby 2015, voici une re-publication d’un ancien article, toujours actuel !

Cf. également : En joug, et à deux !

 

Peut-on faire un peu de théologie à partir d’un match de rugby ?

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde dans Communauté spirituelle ob_d530d2_rugby-world-cup-2015-logo

          

            La coupe du Monde a commencé hier en Angleterre : peut-elle nous apprendre quelque chose sur l’homme, sur Dieu même ? Peut-elle même nourrir notre foi chrétienne ?

            Vous devinez que mon coeur m’incline plutôt à relever ce défi, pour ne pas être un simple supporter un peu chauvin ? Essayons, et transformons l’essai? !

 

Se transcender

Et d’abord, comme tout sport de haut niveau, le rugby s’appuie sur une soif de transcendance.

Il y a chez les sportifs une endurance physique et psychologique extraordinaire. Ils doivent se dépasser, se « transcender », se confronter à l’impossible. L’intensité de l’effort est si grande qu’il révèle au sportif qu’il est comme habité par une force plus grande que lui, qui le porte, le transfigure. Lors de la finale du championnat d’Europe de football, le joueur vedette Kaka (d’origine brésilienne) portait sur son maillot : « I belong to Jesus » « J’appartiens à Jésus » (d’ailleurs il a gagné la finale avec le Milan AC !).

Beaucoup de sportifs font l’expérience de la transcendance à partir de leur affrontement à leurs limites, comme à partir de leur abandon à la force et l’inspiration qui les soulèvent plus haut qu’eux-mêmes.

Le rugby de haut niveau s’appuie lui aussi sur cette soif de transcendance : se dépasser ensemble, pour aller le plus haut possible. Comment ne pas y voir l’aspiration à l’infini, la quête d’infini qui marque toute créature humaine parce qu’elle est habitée, même confusément, par un Dieu plus grand qu’elle ?

Soif de transcendance, donc.

 

Homo rugbysticus et religiosus

Comme beaucoup de sports de haut niveau, le rugby révèle ainsi, et cultive, la dimension religieuse de l’homme.

Il faut avoir vibré dans les virages des tribunes du stade, chanté avec les choeurs gallois, fait corps avec l’exultation de la foule pour une superbe phase de jeu pour mesurer ce qu’est la ferveur « religieuse » autour d’une équipe de rugby. Il y a des rituels dans les vestiaires ou sur le stade (penser au ‘haka’ des All Blacks ou à la 3° mi-temps de toutes les équipes…), il y a des héros presque canonisés (Jean-Pierre Rives, Pierre Albaladéjo ou Philippe Sella ou Jona Lomu), il y a des légendes qui courent (ne dit-on pas que les All Blacks portent par avance le deuil de leur adversaire en jouant tout en noir ?…).

Bref, ce sport comme beaucoup d’autres nous rappelle que l’homme est par essence un animal religieux ; et ce n’est pas le christianisme qui le contredira, au contraire !

            Soif de transcendance, révélateur de la dimension religieuse de l’homme.

 

Venons-en aux spécificités de cet étrange ballet à 15 qu’est le rugby.

 

Jouer des rebonds de la vie

Et en premier ce ballon bizarre. Ni rond, ni plat, non : ovale ! Ce qui en fait un ballon capricieux qui rebondit de manière quasi-impossible. Essayez donc de prévoir sa trajectoire dès qu’il touche terre ! Dans le monde de l’ovalie, il n’y a pas que le ballon qui n’est pas rond : rien n’y est rond, c’est-à-dire rien n’est absolument maîtrisable, comme dans le réel. D’où un génie rugbystique très particulier : savoir s’adopter aux rebonds imprévus, exploiter avec talent un parcours en zigzag, s’attendre à tout et à son contraire sans se laisser désarçonner.

J’y vois en filigrane des valeurs et des attitudes très proches de la spiritualité chrétienne : savoir déchiffrer les événements, se laisser conduire avec souplesse et opportunisme, conjuguer dé-maîtrise et inspiration, pour transformer un rebond capricieux en course triomphale…

 

Faire mémoire pour progresser

Décidément le rugby est paradoxal, presque autant que la foi chrétienne !

Rendez-vous compte : pour avancer, il faut passer en arrière (s’appuyer sur le passé pour ouvrir l’avenir, dirions-nous en langage chrétien). Faire mémoire pour accueillir l’avenir est une démarche biblique structurante (pensez à la circoncision d’Abraham, établie en mémorial, ou à la Pâque juive, puis chrétienne etc : c’est en revenant ’en arrière’ que nous pouvons recevoir le don de notre avenir). L’en-avant est interdit au rugby comme en Eglise !

 

Convertir la violence sans la nier

Le rugby paraît violent, mais en fait il canalise la violence et la transforme en énergie positive ! J’admire ce réalisme spirituel qui préfère tenir compte de l’être humain tel qu’il est plutôt que d’en bâtir un idéal, et qui, croit que de tout mal peut sortir un bien plus grand encore. De l’ardeur guerrière des joueurs de rugby peut sortir, grâce à l’affrontement physique régulé et « transcendant », un « rugby champagne » pétillant de malice, d’astuce, de beauté. La fameuse « french touch », c’est cette étincelle d’inspiration qui fait d’une balle extraite d’un amas d’avants, le corps fumant de la bagarre, une course folle à l’aile en de grandes courses improbables !

 

            Christophe Dominici, ancien ailier du XV de France racontait : « à 14 ans, face à la mort brutale de ma soeur, j’ai ressenti une colère infinie. J’en voulais à la terre entière, je me sentais coupable, je pensais que mes parents auraient préféré que ce soit moi qui meurs plutôt qu’elle (?). Je me suis servi de cette haine qui me conduisait à faire n’importe quoi. Je l’ai mise au service du collectif, je l’ai rendu positive (grâce au rugby). Comme si mon malheur avait accru ma volonté et démultiplié mes forces ». (Philosophie Magazine, Septembre 2007, p. 37).

            Jésus prévient dans l’évangile que sa venue suscitera de la violence qu’il faudra bien affronter : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt 10,34)

 

Aimer ses adversaires

D’ailleurs, cet apprivoisement, ce dépassement de la violence s’accompagne d’un public foncièrement non-violent. Il n’y a pas de hooligans dans le rugby !

Cela pourrait même aller paradoxalement jusqu’à l’amour des ennemis !

Le respect de l’adversaire, la haie d’honneur à la sortie en applaudissant les perdants, la fameuse 3ème mi-temps avec eux…. Au rugby, on joue mieux en jouant avec l’adversaire, pas contre lui ou sans lui.

 

Personnalisme communautaire sur le terrain et dans la vie

Autre point : ce sport est à la fois personnel et communautaire, ce qui résonne bien avec une certaine vision chrétienne de l’homme : au rugby, il n’y a pas d’exploits individuels sans effort collectif. Impossible de marquer tout seul ! Quand un jouer marque un essai, il ne s’échappe pas de l’étreinte de ses coéquipiers comme au foot pour recevoir seul l’hommage de la foule. Il rejoint heureux ses frères d’exploit pour savourer avec eux et devant tous la réussite qui n’est jamais l’oeuvre d’un seul.

 

En sens inverse, la cohésion collective de l’équipe a besoin d’étincelles de génie individuel : le demi de mêlée se faufilant dans un trou de souris pour aller aplatir derrière la ligne, l’ailier débordant la défense par des crochets et des contre pieds ébouriffants…/09/2015 contre l’Afrique du Sud, double champion du monde, a marqué les esprits. 

 

Le sens du sacrifice

Les rugbymen savent ce que « faire corps » et « se sacrifier » veut dire. Avec un esprit d’abnégation et d’humilité incroyables ! Les « tracteurs » du pack d’avant se sacrifient pour les « gazelles » des lignes arrières. Les plaqueurs plaquent à tour de bras sans jamais voir la balle. Un arrière peut courir 11kms pendant le match sans jamais toucher le ballon? Mais chacun veut apporter sa note au collectif. Lors d’un match de l’équipe de France, on a vu Harinordoqui rater un essai « en oubliant » de faire une passe ultime : il s’est fait sermonner au vestiaire, a effectué une confession publique avec repentance devant toute l’équipe ! Même l’hyper-médiatisation du géant Chabal, velu et poilu à souhait, ne pouvait  faire de l’ombre au prestige du groupe.

Savoir conjuguer l’individuel et le collectif, le personnel et le communautaire, c’est un point commun au rugby et à la foi chrétienne… 

Risquer de perdre pour gagner

L’exploit historique du Japon gagnant 34-32 le 19/09/2015 contre l’Afrique du Sud, double champion du monde, a marqué les esprits. Et plus encore, la manière dont cette victoire s’est décidée en fin de partie. Les japonais menés 29-32 ont obtenu une pénalité (qui vaut 3 points) facile à la fin du match, leur donnant d’obtenir un match nul déjà énorme ! Mais leur envie de gagner était elle qu’ils ont préféré choisir la touche, pour tenter de marquer un essai dans la foulée (qui vaut 5 points), et faire ainsi la différence. Ce faisant, ils risquaient de tout perdre, ce qui aurait été une terrible déception après avoir frôlé l’exploit. Ils ont risqué de tout perdre de leur match extraordinaire. Mais à partir de cette touche, une longue phase de jeu leur a permis de marquer l’essai historique leur donnant de dépasser les sud africains 34-32 !! Cette configuration n’arrive pas au football.

Savoir risquer de perdre pour gagner est une attitude hautement spirituelle : « qui veut garder sa vie la perdra… » Ceux qui n’envisagent pas de perdre (leurs avantages, leur confort, leur richesse etc.) auront autant de mal à entrer en « terre promise » que le chameau d’entrer dans le chas d’une aiguille…

 

Un sport incarné

 coupe dans Communauté spirituelle

 

 

 

 

 

 

Il faudrait également évoquer le rapport au corps : les rugbymen le soignent, le montrent (cf. le calendrier ‘Les Dieux du Stade‘), l’aiment sans l’idolâtrer, sans oublier l’esprit du jeu. Les corps qui s’expriment tout entier au rugby sont mis en valeur, affrontent la souffrance, se transcendent, dans une chorégraphie où même les maillots de rugby ont des allures d’opéra !

 

   

Vous voyez, il y a tant de pierres d’attente pour la foi chrétienne dans ce jeu génial qu’est le rugby ! Il y a tant de parallèles à faire, de convergences à établir.

Bien sûr il y a aussi des aspects contraires à l’Évangile !

Mais ne soyons pas des spectateurs superficiels, ni des opposants obtus : sachons lire dans les passions de notre temps – la Coupe du Monde en ce moment – la trace de la grandeur de l’homme qui est pour nous la trace de la grandeur divine.

 

 

Patrick Braud

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