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30 septembre 2015

L’homme, la femme, et Dieu au milieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’homme, la femme, et Dieu au milieu

Homélie du 27° dimanche du temps ordinaire / Année B
04/10/2015

Deux récits pour un couple
L’identité masculine/féminine est radicalement interrogée en Occident par le développement du féminisme, du care, de la théorie des genres etc.

le baiser gustave klimt

Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ?

Les premiers chapitres de la Genèse répondent à leur manière à cette interrogation.
On sait qu’il y a deux récits très différents pour cela : Gn 1, attribué à la tradition sacerdotale, insiste sur le rôle du shabbat, le septième jour. L’humanité (Adam) y est créée mâle et femelle le sixième jour.

Le deuxième récit (Gn 2,5–4,26), attribué à la tradition yahviste, parle du jardin d’Éden et du fameux sommeil de l’humanité qui permet à Dieu d’extraire de son côté la femme, et devenir ainsi un couple homme-femme. C’est notre première lecture de ce dimanche.
Ces deux récits sont très différents. Chacun dit sur l’humanité quelque chose de si essentiel que la Bible a refusé de choisir entre ces deux versions et nous les a transmises juxtaposées.

Que retenir de ce deuxième récit pour nous aujourd’hui ?

Sans reprendre les innombrables commentaires juifs et chrétiens de ce passage (des centaines de milliers de pages n’y suffiraient pas !), rappelons deux ou trois idées fortes sur l’identité homme / femme qui peuvent nous intéresser :
l’union de l’homme de la femme réalise la présence de Dieu au milieu de nous.
– c’est dans et par la parole que surgit l’identité sexuée.

 

1) L’union de l’homme de la femme réalise la présence de Dieu au milieu de nous
Les exégèses rabbiniques ont mis en évidence la symbolique de l’alphabet hébreu dans les noms ich (homme) / icha (femme) :

Rabbin Adin Steinsaltz. — L’homme, la femme et, au milieu, Dieu.
« C’est l’un des plus beaux enseignements du judaïsme. Les rabbins ont longuement commenté les différences d’écriture du mot « homme » et du mot « femme », ich et ichah. C’est Adam qui le premier prononça ces noms en nommant la femme au moment de la naissance d’Ève en disant : « Tu es os de mes os, chair de ma chair. Elle, on l’appellera ichah, car elle a été tirée de ich » (Genèse, 2, 23).

Ces deux noms, ichah (aleph, chine, he) et ich (aleph, yod, chine), ont tous deux trois lettres. Deux lettres leur sont communes ; l’aleph et le chine. Ce qui les différencie, C’est la troisième lettre, pour l’homme un yod et pour la femme un he’. Lorsque l’on réunit ces deux lettres, Yah, elles forment le nom de Dieu. Yah, que l’on retrouve dans le célèbre alélouyah, qui veut dire : « louer Dieu ».

yodla-lettre-heYhwh

Plusieurs explications ont été données pour comprendre cette différence.

L’une consiste à faire une interprétation symbolique anatomique. La lettre spécifique à l’homme, le yod, a la forme d’un pénis, alors que celle de la femme, le , est ouverte, comme l’est le sexe féminin. 

Mais l’explication la plus répandue et la plus récente est celle que propose le Talmud et elle confère une tout autre dimension à la masculinité et à la féminité. Quand l’homme et la femme sont véritablement unis, dit le Talmud, chacun apporte dans le couple sa part de divinité. Dieu est présent dans le foyer. Mais si, par malheur, le couple se déchire, la présence divine s’estompe et il ne reste plus que deux lettres : aleph et chine. Et ces deux lettres forment le mot èch, « feu » ! Mais point de pessimisme, contrairement à ce que dit la chanson, la vie ne sépare pas toujours ceux qui s’aiment. C’est justement la grande leçon de la lettre samekh, dont le cercle exprime les infinies possibilités de l’amour symbolisées par la bague nuptiale. Car l’amour, somme toute, ce n’est pas inéluctablement la quadrature du cercle. » [1]

L’étymologie montre donc que la Bible veut affirmer à la fois la commune origine de l’homme et de la femme (la racine ich) et leur vocation à incarner la présence de Dieu (Yah) en s’accouplant (au sens le plus complet du terme = en formant un couple indissociable).
En effet, on peut écrire :

Homme (ich) +  Femme (icha) = Dieu (Yah) + Feu (Esh)

Voilà une équation… du feu de Dieu !
Surtout si l’on se souvient que le premier mot du premier livre de la Bible (Genèse) est le mot hébreu Bereshit qui signifie commencement,  et qui est formé des mots alliance et feu : il s’agit donc de faire alliance par et dans le feu.

Commencement feu

Alliance

Ici c’est le feu amoureux du manque éprouvé : c’est la matière même de l’alliance entre l’homme et la femme. En effet il manque à jamais (symboliquement) une côte à l’homme dans Dieu a refermé les chairs sur ce vide non comblé. Voilà pourquoi ne faire qu’un avec « l’os de mes os et la chair de ma chair » est le désir profond de l’humanité : l’union (spirituelle, physique, morale, intellectuelle, amicale…) de l’homme et la femme réalise au plus haut point l’unité qui est l’être même de Dieu. Pour les chrétiens, cette unité est trinitaire, ce qui donne au couple une vocation également trinitaire : ne plus faire qu’un dans le respect et la communion de deux personnes différentes, tel le Père et le Fils unique dans ‘le baiser commun qu’est l’Esprit’ disaient les Pères de l’Église.

 

2) C’est dans et par la parole que surgit l’identité sexuée
Le commentaire le plus éclairant en ce sens, s’appuyant toujours sur la tradition juive, est celui de Marie Balmary, psychanalyste [2] :

[Dans notre groupe de lecture] « nous avons vu dans le texte hébreu que les mots “homme” et “femme” apparaissent, non pas lorsque les humains sont créés – ils ne sont appelés encore que “mâle” et “femelle”, mais seulement lorsqu’ils se rencontrent l’un l’autre.

Selon le récit de la Bible hébraïque lu mot à mot, Dieu ne crée que l’humain “adam” mâle et femelle, et l’humain ne deviendra “homme et femme” que par la relation entre eux, la rencontre de paroles au deuxième chapitre de la Genèse.

Lue dans cette perspective, la Genèse, échappe à la controverse avec Darwin. Car, à ce moment-là, elle n’est pas tant le récit historique dépassé de la création du monde que le récit symbolique de l’apparition de la parole dans la rencontre homme/femme. Et ce récit, qui est forcément mythique, de l’origine de la parole, nous paraît à nous, praticiens de la parole, toujours, symboliquement, pertinent. (…)

Homme et femme adviennent donc ensemble et l’un par l’autre. Ils ne sont pas créés par ce Dieu qui agit plutôt ici comme un marieur. C’est-à-dire : il les présente l’un à l’autre, et le nom d’homme et de femme, les humains se les donneront mutuellement, un peu comme par le mariage où on se fait devenir monsieur et madame. »  [3]

Dieu certes crée Adam = le glébeux (traduction de Chouraqui). Mais cette créature est encore androgyne, puisque ni le masculin ni le féminin n’existent encore. Ce n’est qu’avec la parole de l’homme qui éprouve le manque de l’autre que les noms ich / icha apparaissent. Autrement dit, Dieu n’a pas créé l’homme : il a créé l’humanité. Et c’est par la parole que cette humanité accède à la nomination de son identité sexuée. Ce n’est pas Dieu qui nomme le couple ich / icha, c’est l’homme lui-même, ravi et émerveillé de découvrir à la fois la commune origine et le manque radical.

Il y a encore bien d’autres commentaires et conséquences de ces récits de la Genèse !
Mais ces deux-là suffisent à interroger nos pensées contemporaines.
La fondamentale égalité liée à l’origine commune (ich) de l’homme de la femme devrait inquiéter bien des machistes, bien des lectures musulmanes du Coran, bien des dérives fondamentalistes chrétiens ou juives. 
L’hébreu utilise en effet la même racine pour désigner l’homme et la femme. En grec (anthropé et gyné) et en araméen (gavra et itata) comme dans la plupart des langues, il existe des termes différents pour désigner l’homme et la femme. L’hébreu au contraire utilise la même racine, ce qui souligne leur origine commune.

Le donné de ‘nature’, l’appartenance à la création divine de l’identité homme / femme pourrait remettre en cause le côté constructiviste et purement social de la théorie des genres. En effet, la parole révèle et nomme la différence homme / femme : elle ne la crée pas. La torpeur, ce sommeil mystérieux où Adam (l’humanité) a été plongé pour que Dieu crée le couple, est l’indication d’une non-possession essentielle. Ni l’homme ni la femme ne savent comment leur différenciation s’est produite, et ils n’en sont pas maîtres : ils l’accueillent, lui donnent un nom, la découvrent, s’en réjouissent, l’expérimentent comme un chemin d’union à Dieu. Mais leur ignorance est une ‘docte ignorance’ qui les empêche de dominer l’autre ou de le fabriquer à sa guise. C’est l’autre en tant qu’autre (c’est-à-dire qui échappe à ma possession) qui permet au couple  de symboliser la présence divine.
Rappelons qu’en hébreu « contracter une alliance » se dit littéralement « trancher une alliance » (likhrot bérit, voir par exemple Gn 15,18 ou 21,27). Paradoxalement, c’est un terme qui renvoie à la notion de séparation  qui est utilisé pour signifier l’union. Car l’alliance ne doit pas gommer les singularités mais lier deux individus qui conservent, au-delà du pacte, leurs spécificités. L’alliance par le feu (Commencement bereshit = Alliance brit + Feu esh) amoureux promeut la différence (ce que l’amour trinitaire incarne au plus haut point).

La construction de l’identité sexuée se joue bien dans les échanges de paroles, dans les rapports sociaux, et là Judith Butler et la théorie des genres ont raison. Pourtant elle ne se crée pas dans la parole, elle se révèle, elle s’accueille comme un don fait par Dieu à l’humanité pour sortir de la solitude et vivre la communion.
La communion amoureuse anticipe et réalise pleinement la communion trinitaire elle-même.

Prenons donc le temps de méditer sur ces deux aspects de la vocation du couple aujourd’hui comme hier :
- le but et le chemin du couple est d’incarner la présence de Dieu au milieu de nous.
- c’est dans et par la parole que chacun – homme et femme – devient réellement lui-même.

 


[1]. Josy Eisenberg / Adin Steinsaltz, L’alphabet sacré, Arthème Fayard, 2012.

[2]. Cf. Marie Balmary, La divine origine. Dieu n’a pas créé l’homme, Grasset, 1993.

[3]. Extrait d’une conférence de Marie Balmary à l’Académie d’Éducation et d’études Sociales (AES) le 10/01/2007 :
http://aes-france.org/?Homme-et-femme-au-commencement#bandeau

 

 

 

1ère lecture : « Tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 18-24)
Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.

Psaume : Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6

R/ Que le Seigneur nous bénisse tous les jours de notre vie ! (cf. Ps 127, 5ac)

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plant s d’olivier.

Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.

2ème lecture : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine » (He 2, 9-11)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.

Evangile : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ;
en nous, son amour atteint la perfection.
Alléluia. (1 Jn 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »

Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Patrick BRAUD

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23 septembre 2015

Le coup de gueule de saint Jacques

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le coup de gueule de saint Jacques

Homélie du 23° dimanche du temps ordinaire/année B
27/09/2015

Cf. également Contre tout sectarisme

 

La protestation sociale

L’ex patron d’Alcatel-Lucent quitte son poste avec des indemnités d’un montant de 13,7 millions d’euros, finalement réduites à 7,9 millions sous la pression de tous, mais sans compter pourtant les dizaines de millions d’euros qui l’attendent à SFR Numéricable… Le salaire minimum français est de 1457 € net par mois, quand on a la chance d’avoir un temps plein. Plus de 10 % de la population active est au chômage. Les futures retraites obligeront les seniors à revenu modeste à trouver des petits boulots en complément. Dans les cités, 25 à 50 % des jeunes constatent qu’en dehors de l’économie parallèle il n’y a guère d’avenir pour eux… etc.

Avouez qu’il y a de quoi pousser un coup de gueule à la manière de saint Jacques dans notre deuxième lecture :

Le coup de gueule de saint Jacques dans Communauté spirituelle Lapinbleu356C-Jc5_7« Vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. Vous avez mené sur terre une vie de luxe et de délices, et vous vous êtes rassasiés au jour du massacre » (Jc 5, 1-6).

La dimension sociale et économique de la foi chrétienne est parfois oubliée par des prédicateurs évangéliques friands de miracles, ou par des politiques voulant cantonner la religion dans la seule sphère privée. Avec saint Jacques, impossible de ne pas faire le lien entre foi en Dieu et juste salaire, rémunération décente, sobriété heureuse, protection des plus faibles etc.

La lettre de saint Jacques a des accents de protestation, voire de contestation sociale, qui visiblement a inspiré Marx et Engels, fins connaisseurs des Écritures :

« Le prix moyen du travail salarié, c’est le minimum du salaire, c’est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l’ouvrier en tant qu’ouvrier. Par conséquent, ce que l’ouvrier salarié s’approprie par son activité est tout juste suffisant pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net qui pourrait conférer un pouvoir sur le travail d’autrui. Ce que nous voulons, c’est supprimer le caractère misérable de cette appropriation qui fait que l’ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu’autant que l’exigent les intérêts de la classe dominante.

Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’accroître le travail accumulé. Dans la société communiste, le travail accumulé n’est qu’un moyen d’élargir, d’enrichir et de faire progresser l’existence des travailleurs.

Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent; dans la société communiste c’est le présent qui domine le passé. »

Karl Marx et Friedrich Engels / Manifeste du Parti communiste  (1848)

Cette dénonciation du caractère misérable du salaire de l’ouvrier n’a rien perdu de son actualité. L’explosion des inégalités au sein des sociétés occidentales - et même communiste chinoise ! - comme entre les pays plus ou moins développés fait resurgir de façon lancinante cette vieille récurrente question sociale : qu’est-ce qu’un juste salaire ?

 

Le juste salaire

L’Ancien Testament est le témoin d’un conflit permanent entre propriétaires et salariés sur cette question.

« Tu n’exploiteras pas le salarié humble et pauvre, qu’il soit d’entre tes frères ou étranger en résidence chez toi. Chaque jour tu lui donneras son salaire, sans laisser le soleil se coucher sur cette dette; car il est pauvre et il attend impatiemment ce salaire. Ainsi n’en appellera-t-il pas à Yahvé contre toi. Autrement tu serais en faute » (Dt 24,14-15).

Saint Jacques n’est que le fidèle continuateur de cette ligne à la fois prophétique (dénoncer les inégalités) et législative (corriger les rapports sociaux par la loi).


Les Pères de l’Église n’ont cessé de conjuguer ainsi protestation sociale et affirmation croyante. Les encycliques sociales et l’ensemble de ce que l’on appelle la Doctrine sociale de l’Église ont peu à peu affiné le concept de juste salaire :

 Le droit à une juste rémunération et distribution du revenu

302. La rémunération est l’instrument le plus important pour réaliser la justice dans les rapports de travail. Le « juste salaire est le fruit légitime du travail »; celui qui le refuse ou qui ne le donne pas en temps voulu et en une juste proportion par rapport au travail accompli commet une grave injustice (cf. Lv 19, 13; Dt 24, 14-15; Jc 5, 4). Le salaire est l’instrument qui permet au travailleur d’accéder aux biens de la terre: « Compte tenu des fonctions et de la productivité de chacun, de la situation de l’entreprise et du bien commun, la rémunération du travail doit assurer à l’homme des ressources qui lui permettent, à lui et à sa famille, une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel ».

Le simple accord entre travailleur et employeur sur le montant de la rémunération ne suffit pas à qualifier de « juste » le salaire concordé, car celui-ci « ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier »: la justice naturelle est antérieure et supérieure à la liberté du contrat.

Compendium de la Doctrine sociale de l’Église

Il est à remarquer que, pour l’Église, le contrat n’est pas supérieur à la nature, c’est-à-dire la vocation universelle du salaire. Même si par nécessité l’ouvrier accepte un contrat de misère pour pouvoir travailler, ce n’en est pas juste pour autant. C’est encore plus évident avec le travail des enfants, et le travail au noir. Les rémunérations indécentes sont également injustes : ce n’est pas parce que les actionnaires d’Alcatel-Lucent s’étaient mis d’accord avec le PDG nommé que ses indemnités de départ étaient justes !

La primauté libérale du droit sur le bien est incompatible avec le sens biblique de la justice.

Des salaires de misère ou des revenus de millionnaire affectent la fraternité évangélique beaucoup plus que l’absence de pratiques religieuses !

Platon proposait un écart idéal de 1 à 4 entre riches et pauvres. Le banquier John Pierpont Morgan plaidait pour un écart de 1 à 20 maximum. Henry Ford disait qu’il ne confierait pas son argent à une entreprise où l’écart de salaire serait plus grand que de 1 à 40…

Que diraient-ils maintenant ? !

eco_2013_47_ratio_salarie_patrons doctrine dans Communauté spirituelle

Au nom d’un avenir commun

Le diagnostic de Marx et Engels était intéressant :

« Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent; dans la société communiste c’est le présent qui domine le passé. »

Saint Jacques introduit un troisième terme, plus déterminant encore dans la foi chrétienne : notre avenir commun.

« Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! »

picsoucasepiecesenlairpm422 EgliseC’est au nom d’une vision eschatologique de l’histoire que Jacques relativise la richesse, et fustige les inégalités. Puisque les derniers temps arrivent – et nous y sommes – ce que nous sommes appelés à devenir est plus important que ce que nous avons été ou ce que nous sommes aujourd’hui.

Parce que en Dieu nous sommes jugés sur l’amour et non sur l’avoir, parce que nous sommes promis à ne faire qu’un, les inégalités doivent s’effacer devant cette vocation commune.

Cet avenir commun est à la racine de l’engagement écologique de l’Église (cf. l’encyclique Laudato si du pape François). 

Nous nous recevons de l’avenir, et cela nous oblige à contester un présent et un passé où  les rapports de force engendrent des salaires indignes, des exclusions inhumaines.

Sans cet ancrage eschatologique, les chrétiens seront toujours la remorque des idéologies économiques de leur époque : libérale (domination du passé), ou matérialiste (sacralisation du présent).

 

L’actualité de saint Jacques

Relisons donc toute la lettre de Jacques :

– se battre pour un juste salaire est indissociable de la foi en Dieu.


– c’est au nom d’un avenir commun que nous cherchons à transformer la vie sociale, écologique, économique… et non pas au nom d’idéologies datées et éphémères à l’échelle de l’histoire.


Que le coup de gueule de saint Jacques nourrisse notre engagement en ce sens !

capture-d_ecc81cran-2015-04-23-acc80-14-59-36 Jacques 

 

1ère lecture : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! » (Nb 11, 25-29)
Lecture du livre des Nombres

En ces jours-là, le Seigneur descendit dans la nuée pour parler avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les 70 anciens. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas.
Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; eux aussi avaient été choisis, mais ils ne s’étaient pas rendus à la Tente, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser. Un jeune homme courut annoncer à Moïse : « Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! » Josué, fils de Noun, auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole : « Moïse, mon maître, arrête-les ! » Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! »

Psaume : Ps 18 (19), 8, 10, 12-13, 14

R/ Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur. (Ps 18, 9ab)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Aussi ton serviteur en est illuminé ;
à les garder, il trouve son profit.
Qui peut discerner ses erreurs ?
Purifie-moi de celles qui m’échappent.

Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil :
qu’il n’ait sur moi aucune emprise.
Alors je serai sans reproche,
pur d’un grand péché.

2ème lecture : « Vos richesses sont pourries » (Jc 5, 1-6)
Lecture de la lettre de saint Jacques

Vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. Vous avez mené sur terre une vie de luxe et de délices, et vous vous êtes rassasiés au jour du massacre. Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous oppose de résistance.

Evangile : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la » (Mc 9, 38-43.45.47-48)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Ta parole, Seigneur, est vérité ; dans cette vérité, sanctifie-nous.
Alléluia. 
(cf. Jn 17, 17ba)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »
Patrick BRAUD

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21 septembre 2015

Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Coupe du monde de rugby :
petit lexique à usage théologique

 

 

Cf. également :

En joug, et à deux !
Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

 

Avant que la coupe du monde de rugby ne se termine, continuons la tentative de relecture Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique dans Communauté spirituellethéologique que nous avions commencée ici.

Les termes du rugby sont techniques, complexes, subtils. Beaucoup de dictionnaires en ligne ou sur papier peuvent vous guider. Je vous recommande particulièrement le très savoureux ‘Dictionnaire amoureux du rugby ‘ de Daniel Herrero, Plon, 2003.

Essayons juste de repérer quelques termes, avec humour et légèreté, quelques expressions rugbystiques qui ont une tonalité ou des harmoniques proprement théologiques.

 

Terre promise

C’est l’espace du terrain qui se situe au-delà de la ligne d’essai. Aller en Terre promise, c’est bien sûr aplatir la balle au-delà des poteaux. Symbole biblique qui assimile le jeu à un exode, les règles du jeu au Décalogue de l’Alliance, le franchissement de la ligne à celui du Jourdain par Josué… Et au rugby, on va souvent en Terre promise, mais on ne s’y installe jamais.

La théologie chrétienne aime bien cette dimension eschatologique, où l’au-delà est déjà présent sans être encore pleinement réalisé.

 

Demis

Être appelé demi est lourd de signification (au rugby, pas au bar…). Un demi n’existe qu’avec son alter ego, de mêlée ou d’ouverture. Il reconnaît en son nom l’appel à l’autre, l’incomplétude radicale qui marque finalement tout être humain. Ne parle-t-on pas de sa moitié pour désigner son mari ou sa femme ? Un demi de mêlée sait qu’il n’est rien sans son pack qui collecte les balles, ni sans son demi d’ouverture qui va déclencher l’attaque.

Dieu a peut-être créé l’homme à l’image de cette paire de demis : radicalement incomplet, pour l’obliger à faire équipe ; devant plonger dans les mêlées de la vie pour en extraire des balles propres, comme le demi de mêlée ; capable d’élargir le jeu en lançant ses partenaires vers la terre promise, comme le demi d’ouverture.

 

Charnière

C’est le nom donné à cette paire de demis. Stratégique, la charnière est comme son nom l’indique ce qui permet à l’équipe d’articuler l’effort des avants à la vista des arrières. L’équipe des 15 incarne elle aussi ce que Paul faisait porter à l’image du corps humain : « le Corps tout entier reçoit nourriture et cohésion de sa Tête, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu » (Col 2,19 Ep 4,16).

Jouer un rôle charnière fait sans aucun doute partie de la vocation des baptisés. La charnière de demis nous rappelle que nous avons besoin de médiateurs pour articuler les rôles de chacun. Le Christ est le Médiateur par excellence, vrai Dieu et vrai homme. De là à penser qu’il aurait fait un bon demi d’ouverture, il n’y a qu’un pas, ou plutôt une passe…

 

Trois-quarts

Mêmes remarques que pour les demis : incomplétude, appel à l’autre. On peut y rajouter un sens certain de la gratuité : patienter des quarts d’heure entiers sans avoir aucun ballon d’attaque, plaquer à tour de bras en attendant, être jugé sur un ou deux ballons à ne pas manquer… Malgré l’arithmétique des fractions, les trois-quarts ne sont pas plus que les demis des héros solitaires. Mais leur nom nous rappelle que l’être humain est capable de ces grandes courses aux ailes à l’instar de ces gazelles (autre nom donné aux ailiers), où ils semblent s’envoler vers la Terre promise.

 

Maul

C’est une technique de progression où un avant, debout, est protégé par les autres avants pour avancer sans être plaqué. Pénétrant ou déroulant, le maul traduit la solidarité à laquelle nous sommes tous appelés. Pour que l’un d’entre nous puisse avancer protégé, il faut que d’autres lui fassent escorte, avec abnégation.

« Faire maul » autour des plus faibles, voilà une traduction rugbystique de l’option préférentielle pour les pauvres, chère à la doctrine sociale de l’Église…

 

Placage cathédrale

Placage qui soulevait l’adversaire à la verticale (comme une cathédrale dressée vers le ciel) avant de le faire retomber à la renverse. Extrêmement dangereux pour les cervicales, il est maintenant interdit.

Comme quoi ce qui est le plus spectaculaire peut s’avérer le plus dangereux, et c’est vrai même en religion…

 

Ascenseur

En touche, faire l’ascenseur, c’est aider un joueur à s’élever plus haut pour prendre le ballon, en le soulevant par le short ou les aisselles. Cette technique était autrefois interdite, mais aujourd’hui autorisée (à l’inverse du plaquage cathédrale : comme quoi les règles sont vivantes au rugby, comme elles devraient l’être en religion !), pour obtenir des touches plus spectaculaires.

Pour s’élever vers le ciel, il faut pouvoir compter sur des soutiens qui vous portent à bout de bras. Une autre version de la communion des saints en somme. L’ascenseur vers Dieu, c’est la force de l’Église qui vous porte et vous supporte.

Aider l’autre à s’élever, accepter d’être aidé pour monter plus haut : quelle plus belle image que l’ascenseur en touche pour traduire la quête spirituelle et le soutien de la communauté dans cette quête ?

 

Essai

Drôle de nom pour ce qui est en réalité une réussite ! Au début de l’histoire de rugby, on avait le droit de tenter de passer la balle entre les poteaux lorsqu’on l’aplatissait en terre promise. On avait donc droit à un essai (try), c’est-à-dire à une tentative. Ensuite on a trouvé le geste si beau qu’on a décidé de lui accorder des points pour lui-même : trois, puis cinq, en plus du coup de pied qui s’ensuit et qui est appelé ‘transformation‘. On a gardé le mot ‘essai’ alors que son enjeu était déjà partiellement réalisé.

Curieusement, ce déjà-là (les cinq points de l’essai) et ce pas encore (les deux points de la transformation) font penser aux gestes sacramentels : communier le dimanche par exemple, c’est déjà anticiper le passage au-delà de la ligne, et pourtant attendre la transformation de ce geste, qui doit encore rapporter des points dans la semaine à venir.

 coupe dans Communauté spirituelle 

Un essai n’est validé que si le ballon est aplati de haut en bas par le joueur, avec un contact physique joueur-ballon-terrain (d’où l’arbitrage vidéo souvent, pour vérifier que rien ne s’est interposé entre le ballon et la pelouse, et que le joueur a bien exercé une pression de haut en bas).

L’incarnation du Christ, c’est un peu ainsi : un Dieu qui s’aplatit au sol pour marquer l’essai. Il s’agissait bien pour Dieu de toucher le sol de notre humanité, ‘d’aplatir’ sa divinité pour qu’elle vienne au contact le plus physique de notre humanité. L’incarnation du Christ est un superbe essai divin, après une percée à travers les nuages déjouant les placages de l’Adversaire. À nous de le transformer, en faisant passer notre trajectoire humaine entre les poteaux plantés par Dieu (commandements, sacrements, comportements). Comme les trois arbitres d’un match de rugby se déplaçant au pied des poteaux lors des transformations, Dieu n’attend que de siffler joyeusement les deux points de notre plénitude…

 

Talonneur

Parmi les noms originaux des joueurs, cette métonymie est unique et parlante. Ce numéro 2 a pour rôle essentiel de ramener le ballon en arrière avec son talon, offrant ainsi le ballon introduit en mêlée aux deuxièmes et troisièmes lignes.

Comment ne pas penser au talon d’Ésaü, que Jacob a saisi par la main pour sortir du ventre de sa mère (Gn 25,26) ? Ou bien au talon de la première Ève que le serpent atteindra (Gn 3,15) mais grâce auquel la nouvelle Ève (Marie) pourra écraser sa tête ?

Devenir frère (Jacob et Ésaü), vaincre le mal (Ève et le serpent) : le geste obscur du talonneur dans l’intime de la mêlée, dérobé aux caméras, a peut-être plus d’ampleur qu’on ne le pense…

 

Piliers

Les numéros 1 et 3 encadrent le talonneur, et soutiennent la mêlée fermée, comme les piliers soutiennent un temple, une cathédrale. Ces forces de la nature subissent des pressions et des torsions énormes sur leur cou, leurs épaules. Ils ne crèvent pas l’écran comme les arrières, mais sans eux pas de munition pour les gazelles. Sans eux, tout s’écroule.

Dans nos communautés, s’il nous manque ces piliers, la fraternité s’écroule. Pierre a été choisi par Jésus parce qu’il était un peu comme ces colosses de la cohésion du pack : sa foi n’a jamais vacillé, et l’Église de Pierre (Rome) s’appuie sur les deux « colonnes » (Ga 2,9) de l’Église que sont Pierre et Paul, piliers avant l’heure, avec les 12.

 

French touch (ou french flair)

Style de jeu ‘à la française’, où, sur une inspiration subite, une équipe est capable d’inventer des combinaisons de génie, des enchaînements époustouflants, des courses folles depuis les 22 m, pour remonter tout le terrain et marquer des essais de légende. C’est bien un phénomène d’inspiration géniale, si fréquente chez les musiciens, les peintres, les artistes.

Les chrétiens n’ont aucune peine à y discerner la trace de cet Esprit créateur largement répandu sur tout homme et tout l’univers, se moquant des frontières institutionnelles et religieuses.

Mettez un ballon dans les mains de vos joueurs avec un peu de french touch, et les élèves pratiqueront un ‘rugby champagne’ où ils dépasseront leurs maîtres (« vous ferez des choses plus grandes que moi »,  promettait Jésus en Jn 14,12).

L’Esprit Saint est normalement la french touch de l’Église (à condition de ne pas l’étouffer)…

Crampons
Ces pointes de métal vissées aux semelles des joueurs sont tout un symbole. Se cramponner au terrain, c’est vouloir être solidement planté dans l’humus de la pelouse. Chausser les crampons, c’est vouloir adhérer à la réalité, être stable sur ses appuis, ne pas glisser lors des affrontements devant ou des crochets derrière. Les crampons des adversaires sont également une menace : à cause d’eux, il ne fait pas bon traîner sous les regroupements !

La vie spirituelle demande elle aussi de se cramponner, avec humilité, au réel. Les sacrements, la solidarité, la vie ecclésiale sont les crampons grâce auxquels la foi ne reste pas désincarnée, mais s’accroche et laboure le terrain de nos existences.

Alléluia

414D2CKN0WL._SX359_BO1,204,203,200_ dictionnaireCe n’est pas un cantique ni la fin du Messie d’Haendel, mais c’était au début du rugby une période un peu folle où tout était permis et où on essayait de goûter au jeu au-delà de la loi et des règles.

« Au collège de Rugby, à cette lointaine époque où le jeu de rugby tâtonnait encore à la recherche de ses lois, une règle décidée par les étudiants voulait que les matchs se terminent toujours par cinq minutes de liberté totale. (…) Une main trace en l’air un demi-cercle assuré et vient trouver le nez qu’elle cherche depuis longtemps, le bruit de branche cassée réjouit les visages : alléluia ! Un gémissement étouffé sort péniblement d’un frêle thorax d’élève arrogant, et l’écho vengeur chante : alléluia ! Coups dans les côtes, plaquages assassins, lèvres fendues, corps écrasés… Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! (…) Les règles officielles de 1862 interdirent les cinq minutes d’alléluia. »

(Daniel Herrero, Dictionnaire amoureux du rugby)

Quel dommage que l’alléluia rugbystique ne vienne plus répandre un air de folie sur nos pelouses (sans les excès décrits ci-dessus bien sûr?) ! Car en christianisme, la loi n’est que provisoire, et elle trouve son accomplissement dans l’Esprit, bien au-delà des règles…

 

 

Il y a encore beaucoup de termes goûteux et fleuris dans l’univers de l’ovalie (chandelle, bouchon, tampon, caramel, boîte à gifles, bouffe, pain, cravate, tortue béglaise, cocotte, ruck, pick and go, passe croisée / redoublée / sautée / chistéra, soutien, raffut, cuillère, fourchette, cadrage-débordement, tracteurs, 89, tee, casquette, drop, éponge magique, stamping, fondamentaux, joug, vendanger, fixer, trou de souris…), mais ceux-là y ont été mis « afin que vous croyiez » que ce sport est vraiment une révélation sur l’homme (cf. Jn 20, 30-31 !).

  Patrick Braud

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19 septembre 2015

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 00 min

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

 

Pour le premier match du XV de France ce soir dans la Coupe du Monde de rugby 2015, voici une re-publication d’un ancien article, toujours actuel !

Cf. également : En joug, et à deux !

 

Peut-on faire un peu de théologie à partir d’un match de rugby ?

Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde dans Communauté spirituelle ob_d530d2_rugby-world-cup-2015-logo

          

            La coupe du Monde a commencé hier en Angleterre : peut-elle nous apprendre quelque chose sur l’homme, sur Dieu même ? Peut-elle même nourrir notre foi chrétienne ?

            Vous devinez que mon coeur m’incline plutôt à relever ce défi, pour ne pas être un simple supporter un peu chauvin ? Essayons, et transformons l’essai? !

 

Se transcender

Et d’abord, comme tout sport de haut niveau, le rugby s’appuie sur une soif de transcendance.

Il y a chez les sportifs une endurance physique et psychologique extraordinaire. Ils doivent se dépasser, se « transcender », se confronter à l’impossible. L’intensité de l’effort est si grande qu’il révèle au sportif qu’il est comme habité par une force plus grande que lui, qui le porte, le transfigure. Lors de la finale du championnat d’Europe de football, le joueur vedette Kaka (d’origine brésilienne) portait sur son maillot : « I belong to Jesus » « J’appartiens à Jésus » (d’ailleurs il a gagné la finale avec le Milan AC !).

Beaucoup de sportifs font l’expérience de la transcendance à partir de leur affrontement à leurs limites, comme à partir de leur abandon à la force et l’inspiration qui les soulèvent plus haut qu’eux-mêmes.

Le rugby de haut niveau s’appuie lui aussi sur cette soif de transcendance : se dépasser ensemble, pour aller le plus haut possible. Comment ne pas y voir l’aspiration à l’infini, la quête d’infini qui marque toute créature humaine parce qu’elle est habitée, même confusément, par un Dieu plus grand qu’elle ?

Soif de transcendance, donc.

 

Homo rugbysticus et religiosus

Comme beaucoup de sports de haut niveau, le rugby révèle ainsi, et cultive, la dimension religieuse de l’homme.

Il faut avoir vibré dans les virages des tribunes du stade, chanté avec les choeurs gallois, fait corps avec l’exultation de la foule pour une superbe phase de jeu pour mesurer ce qu’est la ferveur « religieuse » autour d’une équipe de rugby. Il y a des rituels dans les vestiaires ou sur le stade (penser au ‘haka’ des All Blacks ou à la 3° mi-temps de toutes les équipes…), il y a des héros presque canonisés (Jean-Pierre Rives, Pierre Albaladéjo ou Philippe Sella ou Jona Lomu), il y a des légendes qui courent (ne dit-on pas que les All Blacks portent par avance le deuil de leur adversaire en jouant tout en noir ?…).

Bref, ce sport comme beaucoup d’autres nous rappelle que l’homme est par essence un animal religieux ; et ce n’est pas le christianisme qui le contredira, au contraire !

            Soif de transcendance, révélateur de la dimension religieuse de l’homme.

 

Venons-en aux spécificités de cet étrange ballet à 15 qu’est le rugby.

 

Jouer des rebonds de la vie

Et en premier ce ballon bizarre. Ni rond, ni plat, non : ovale ! Ce qui en fait un ballon capricieux qui rebondit de manière quasi-impossible. Essayez donc de prévoir sa trajectoire dès qu’il touche terre ! Dans le monde de l’ovalie, il n’y a pas que le ballon qui n’est pas rond : rien n’y est rond, c’est-à-dire rien n’est absolument maîtrisable, comme dans le réel. D’où un génie rugbystique très particulier : savoir s’adopter aux rebonds imprévus, exploiter avec talent un parcours en zigzag, s’attendre à tout et à son contraire sans se laisser désarçonner.

J’y vois en filigrane des valeurs et des attitudes très proches de la spiritualité chrétienne : savoir déchiffrer les événements, se laisser conduire avec souplesse et opportunisme, conjuguer dé-maîtrise et inspiration, pour transformer un rebond capricieux en course triomphale…

 

Faire mémoire pour progresser

Décidément le rugby est paradoxal, presque autant que la foi chrétienne !

Rendez-vous compte : pour avancer, il faut passer en arrière (s’appuyer sur le passé pour ouvrir l’avenir, dirions-nous en langage chrétien). Faire mémoire pour accueillir l’avenir est une démarche biblique structurante (pensez à la circoncision d’Abraham, établie en mémorial, ou à la Pâque juive, puis chrétienne etc : c’est en revenant ’en arrière’ que nous pouvons recevoir le don de notre avenir). L’en-avant est interdit au rugby comme en Eglise !

 

Convertir la violence sans la nier

Le rugby paraît violent, mais en fait il canalise la violence et la transforme en énergie positive ! J’admire ce réalisme spirituel qui préfère tenir compte de l’être humain tel qu’il est plutôt que d’en bâtir un idéal, et qui, croit que de tout mal peut sortir un bien plus grand encore. De l’ardeur guerrière des joueurs de rugby peut sortir, grâce à l’affrontement physique régulé et « transcendant », un « rugby champagne » pétillant de malice, d’astuce, de beauté. La fameuse « french touch », c’est cette étincelle d’inspiration qui fait d’une balle extraite d’un amas d’avants, le corps fumant de la bagarre, une course folle à l’aile en de grandes courses improbables !

 

            Christophe Dominici, ancien ailier du XV de France racontait : « à 14 ans, face à la mort brutale de ma soeur, j’ai ressenti une colère infinie. J’en voulais à la terre entière, je me sentais coupable, je pensais que mes parents auraient préféré que ce soit moi qui meurs plutôt qu’elle (?). Je me suis servi de cette haine qui me conduisait à faire n’importe quoi. Je l’ai mise au service du collectif, je l’ai rendu positive (grâce au rugby). Comme si mon malheur avait accru ma volonté et démultiplié mes forces ». (Philosophie Magazine, Septembre 2007, p. 37).

            Jésus prévient dans l’évangile que sa venue suscitera de la violence qu’il faudra bien affronter : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt 10,34)

 

Aimer ses adversaires

D’ailleurs, cet apprivoisement, ce dépassement de la violence s’accompagne d’un public foncièrement non-violent. Il n’y a pas de hooligans dans le rugby !

Cela pourrait même aller paradoxalement jusqu’à l’amour des ennemis !

Le respect de l’adversaire, la haie d’honneur à la sortie en applaudissant les perdants, la fameuse 3ème mi-temps avec eux…. Au rugby, on joue mieux en jouant avec l’adversaire, pas contre lui ou sans lui.

 

Personnalisme communautaire sur le terrain et dans la vie

Autre point : ce sport est à la fois personnel et communautaire, ce qui résonne bien avec une certaine vision chrétienne de l’homme : au rugby, il n’y a pas d’exploits individuels sans effort collectif. Impossible de marquer tout seul ! Quand un jouer marque un essai, il ne s’échappe pas de l’étreinte de ses coéquipiers comme au foot pour recevoir seul l’hommage de la foule. Il rejoint heureux ses frères d’exploit pour savourer avec eux et devant tous la réussite qui n’est jamais l’oeuvre d’un seul.

 

En sens inverse, la cohésion collective de l’équipe a besoin d’étincelles de génie individuel : le demi de mêlée se faufilant dans un trou de souris pour aller aplatir derrière la ligne, l’ailier débordant la défense par des crochets et des contre pieds ébouriffants…/09/2015 contre l’Afrique du Sud, double champion du monde, a marqué les esprits. 

 

Le sens du sacrifice

Les rugbymen savent ce que « faire corps » et « se sacrifier » veut dire. Avec un esprit d’abnégation et d’humilité incroyables ! Les « tracteurs » du pack d’avant se sacrifient pour les « gazelles » des lignes arrières. Les plaqueurs plaquent à tour de bras sans jamais voir la balle. Un arrière peut courir 11kms pendant le match sans jamais toucher le ballon? Mais chacun veut apporter sa note au collectif. Lors d’un match de l’équipe de France, on a vu Harinordoqui rater un essai « en oubliant » de faire une passe ultime : il s’est fait sermonner au vestiaire, a effectué une confession publique avec repentance devant toute l’équipe ! Même l’hyper-médiatisation du géant Chabal, velu et poilu à souhait, ne pouvait  faire de l’ombre au prestige du groupe.

Savoir conjuguer l’individuel et le collectif, le personnel et le communautaire, c’est un point commun au rugby et à la foi chrétienne… 

Risquer de perdre pour gagner

L’exploit historique du Japon gagnant 34-32 le 19/09/2015 contre l’Afrique du Sud, double champion du monde, a marqué les esprits. Et plus encore, la manière dont cette victoire s’est décidée en fin de partie. Les japonais menés 29-32 ont obtenu une pénalité (qui vaut 3 points) facile à la fin du match, leur donnant d’obtenir un match nul déjà énorme ! Mais leur envie de gagner était elle qu’ils ont préféré choisir la touche, pour tenter de marquer un essai dans la foulée (qui vaut 5 points), et faire ainsi la différence. Ce faisant, ils risquaient de tout perdre, ce qui aurait été une terrible déception après avoir frôlé l’exploit. Ils ont risqué de tout perdre de leur match extraordinaire. Mais à partir de cette touche, une longue phase de jeu leur a permis de marquer l’essai historique leur donnant de dépasser les sud africains 34-32 !! Cette configuration n’arrive pas au football.

Savoir risquer de perdre pour gagner est une attitude hautement spirituelle : « qui veut garder sa vie la perdra… » Ceux qui n’envisagent pas de perdre (leurs avantages, leur confort, leur richesse etc.) auront autant de mal à entrer en « terre promise » que le chameau d’entrer dans le chas d’une aiguille…

 

Un sport incarné

 coupe dans Communauté spirituelle

 

 

 

 

 

 

Il faudrait également évoquer le rapport au corps : les rugbymen le soignent, le montrent (cf. le calendrier ‘Les Dieux du Stade‘), l’aiment sans l’idolâtrer, sans oublier l’esprit du jeu. Les corps qui s’expriment tout entier au rugby sont mis en valeur, affrontent la souffrance, se transcendent, dans une chorégraphie où même les maillots de rugby ont des allures d’opéra !

 

   

Vous voyez, il y a tant de pierres d’attente pour la foi chrétienne dans ce jeu génial qu’est le rugby ! Il y a tant de parallèles à faire, de convergences à établir.

Bien sûr il y a aussi des aspects contraires à l’Évangile !

Mais ne soyons pas des spectateurs superficiels, ni des opposants obtus : sachons lire dans les passions de notre temps – la Coupe du Monde en ce moment – la trace de la grandeur de l’homme qui est pour nous la trace de la grandeur divine.

 

 

Patrick Braud

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