Quelle est votre écharde dans la chair ?
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Homélie du 14° dimanche de l’année B
05/07/2015
L’écharde de Paul
Marchez pieds nus sur un vieux parquet en bois. Vous aurez bien des chances de ressentir une vive douleur à un moment où votre pied aura traîné et frotté sur le bois. Un petit éclat de lame de parquet est venu se ficher dans la peau, et s’est même infiltré en dessous, disparaissant complètement sous l’épiderme : une écharde ! Elle est venue se ficher en votre chair. Si bien qu’il faut d’abord localiser où est logé l’intruse, souvent invisible. Et ensuite procéder à l’extrusion de l’éclisse. Une pince à épiler et un couteau aiguisé font généralement l’affaire. Mais attention : si vous n’enlevez pas l’épine entière, le bout de bois qui restera va s’infecter et vous fera souffrir au point de ne pouvoir poser le pied par terre.
C’est cette image de l’écharde que Paul a en tête lorsqu’il parle d’un mystérieux rappel à l’humilité inscrit en sa chair.
« Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. »
2Co 12,7 (2° lecture de ce Dimanche)
Quelle était cette écharde pour Paul ?
Les exégètes et historiens ont tout imaginé : tentations continuelles, adversaires tenaces, maladies chroniques (telles que des problèmes d’yeux, la malaria, des migraines ou des crises d’épilepsie), un problème d’élocution (cf. Moïse qui était bègue et a dû demander à Dieu d’être secondé par Aaron) etc.
Le mot écharde employé en grec (σκόλοψ= skolops) par Paul est unique dans toute la Bible (c’est un hapax). Impossible donc de le comparer à d’autres usages bibliques pour deviner ce que cela pourrait bien être. En fait nous ne savons pas ce à quoi Paul fait allusion. Lui-même ne veut pas le dire explicitement aux corinthiens. Peut-être en a-t-il honte ? Peut-être cela était-il connu des communautés chrétiennes ?
Paul devait avoir quelques problèmes de santé, puisqu’il mentionne par exemple aux Galates que c’est une maladie qui lui a permis opportunément de leur annoncer l’Évangile (comme quoi un problème de santé peut finalement servir l’évangélisation !).
« Vous le savez, ce fut une maladie qui me donna l’occasion de vous évangéliser la première fois, et, malgré l’épreuve que vous était ce corps infirme, vous n’avez marqué ni mépris ni dégoût; mais vous m’avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus ». (Ga 4,14)
Si cette écharde avait été une maladie, Paul l’aurait sans doute évoqué comme en Ga 4,14. Mais nous n’en savons rien. Conformément à la mentalité religieuse de son époque, Paul attribue à un « envoyé de Satan » l’origine de cette écharde. C’est donc qu’il ressent son écharde non pas tant comme une douleur que comme un obstacle à sa mission (Satan = obstacle en hébreu). Paul constate avec amertume qu’il y a quelque chose en lui qui l’empêche d’être parfaitement cohérent avec la mission qu’il a reçue. Et du coup, il ne peut se vanter d’être un super apôtre infaillible et impeccable.
Il a conscience d’être à part : sa notoriété était grande chez les juifs avant sa conversion au Christ. Elle est encore plus grande chez les chrétiens après. Il écrit des lettres dont il sait qu’on en fait lecture publique dans les assemblées. Il parle d’égal à égal avec Pierre, avec les procureurs romains… Bref, il pourrait avoir la grosse tête !
Et voilà qu’une mystérieuse écharde le ramène régulièrement à ses limites, et l’empêche de se surestimer.
L’interprétation que Paul fait de sa faiblesse est finalement très positive : c’est pour bien attester que le trésor qu’il apporte ne vient pas de lui, mais de Dieu, et qu’il porte ce trésor dans un vase d’argile. Peu importe le vase : c’est le contenu qui compte.
Paul sait, avec sagesse et réalisme, qu’il n’est pas à la hauteur du message qu’il annonce. Au lieu de le désespérer, ce décalage va finalement servir sa cause : c’est le Christ qui compte, Paul n’est que son serviteur, avec ses contradictions et son génie.
Et vous, quelle est votre écharde ?
Du coup, la possibilité d’une écharde qu’il nous faut gérer à vie devient intéressante pour nous aussi… Bien sûr, dans la mesure du possible, chacun de nous s’évertue à extraire l’éclisse spirituelle qu’il découvre fichée dans son histoire. Mais les éradiquer toutes est impossible en réalité. Croire qu’on peut être 100 % cohérent avec nos convictions les plus profondes est un leurre. Avec l’âge et l’expérience, la sagesse recommande d’apprendre à vivre avec ce que l’on est plutôt que de chercher (illusoirement) à se changer totalement.
C’est vrai des petites douleurs physiques (arthrose, vue,…), même si aujourd’hui les prothèses peuvent apporter beaucoup d’améliorations ! C’est plus vrai encore des traits de caractère ou de personnalité. Si quelqu’un est colérique, il apprendra à mettre sa colère au service des causes justes. Si quelqu’un est solitaire, il apprendra à fêter sa solitude pour en faire un lieu habité. Si un autre est hyperactif, il sera mettre sa retraite au service de la vie associative etc. Et lorsque cette faiblesse devient un obstacle à la cohérence globale, alors se souvenir de Paul permettra de l’accueillir comme un salutaire rappel à l’humilité : qui suis-je pour juger mon frère, moi qui ai telle difficulté, tel gros défaut, telle limite peu glorieuse ? Celui qui se croit sans faiblesse devient dur et inhumain envers ses compagnons de route. Celui qui ne sent plus les éclisses fichées dans sa chair les laisse infecter son corps tout entier.
Alors, quelle est votre écharde ?
Ne répondez pas trop vite. Car ce n’est sans doute pas celle dont vous auriez rêvé. Ce n’est pas vous qui la choisissez. Elle vous est imposée par la vie (par Satan, disait Paul dans sa culture). Elle risque fort d’être humiliante par moments. En tout cas, vous la reconnaîtrez lorsque vous pouvez dire avec un peu d’humour : « tiens, c’est bien moi ça, et ce n’est pas prêt de changer… »
Alors, il vaut mieux faire la fête à ce tweet vous ramenant à la réalité : « tu n’es pas tout-puissant » #uneéchardedanslachair.
L’écharde contemporaine peut être un deuil ou une séparation non résolue, des mauvaises habitudes inexpugnables, un défaut récurrent et impossible à éliminer, une infirmité limitante, une passion dévorante, un trait de caractère peu glorieux qui refait surface avec l’âge… Plutôt que de s’épuiser à combattre ce qui réapparaîtra ailleurs ou autrement, Paul nous invite à faire avec : ne luttez pas frontalement contre vos faiblesses invincibles, faites-en plutôt des alliées, afin de vous décentrer de vous-même, de faire confiance à un Autre, pour ne pas avoir la grosse tête…
Bienheureuse faiblesse qui nous recentre sur la force venant de Dieu !
Salutaire écharde qui nous amène humblement à sourire de nous-mêmes et nous dégonfle les chevilles !
1ère lecture : « C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)
Lecture du livre du prophète Ézékiel
En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »
Psaume : Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié.
(cf. Ps 122, 2)
Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.
Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.
Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés
du rire des satisfaits,
du mépris des orgueilleux !
2ème lecture : « Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.
– Parole du Seigneur.
Evangile : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays »(Mc 6, 1-6)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Alléluia. (Lc 4, 18ac)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
Patrick BRAUD