L'homélie du dimanche (prochain)

29 avril 2015

Que veut dire être émondé ?

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Que veut dire être émondé ?

 

cf. également

La parresia, ou l’audace de la foi

Homélie du 5° dimanche de Pâques / Année B
03/05/2015

 

Dans l’image de la vigne employée par Jésus, le mot émonder pose problème. Car il renvoie à l’action de tailler, de couper, de faire souffrir (même si c’est pour du mieux après). Ressurgit alors le spectre d’un Dieu prenant plaisir à nous mutiler, ou au moins à nous envoyer toutes sortes d’épreuves soi-disant pour notre bien. Avec l’inénarrable argument : « qui aime bien châtie bien » (He 12,6), utilisé tant de fois comme alibi pour le dolorisme chrétien. « Plus tu souffres, plus tu te rapproches de Dieu ». « Si Dieu t’éprouve ainsi, c’est qu’il doit aimer beaucoup ». Ce genre de phrases pieuses à l’emporte-pièce sont moins courantes qu’au siècle dernier, mais elles continuent à polluer l’inconscient collectif. C’est une tentative un peu naïve – mais tragique – de concilier l’amour de Dieu et le malheur innocent qui s’abat sur nous. Comme était magique autrefois une certaine conception de la Providence où Dieu était censé nous protégé des aléas de la vie moyennant un cierge, une médaille ou un pèlerinage.

Que veut dire alors : être émondé ?

 

La taille du martyre

Que veut dire être émondé ? dans Communauté spirituelle doc8martyrLes premiers chrétiens y ont vu assez naturellement la figure du martyre, qui a frappé l’Église naissante pendant ses trois premiers siècles.

Frappés par le glaive, mis en croix, livrés aux bêtes, au feu, nous demeurerons fidèles au Christ. Mais plus les tourments se multiplient, plus par le nom de Jésus-Christ se multiplient les croyants, plus leur fidélité et leur piété deviennent parfaites : comme une vigne, plus elle est taillée, plus elle multiplie les branches qui portent du fruit.
(saint Justin : « Dialogue avec Tryphon », CX).

L’image de la vigne taillée et coupée, qui pourtant porte toujours plus de fruits,  permet à ces premiers chrétiens de déchiffrer les persécutions dont ils sont les victimes comme des opérations-vérité permettant à l’Église de grandir tout autour du bassin méditerranéen. Devant le danger et la menace romaine ou juive, certains baptisés renient leur foi au Christ (les lapsi) : ce sont les sarments se détachant du cep. Les autres, au prix de leur vie, rendent un si beau témoignage de pardon et d’amour qu’il bouleverse le coeur de leurs bourreaux et suscite de nombreuses conversions dans tout l’empire. Ainsi la vigne-Église, au lieu d’être décapitée par la violence s’exerçant contre elle, croît et fructifie de plus belle.
« Le sang des martyrs est semence de chrétiens » constatait fort justement Tertullien à la fin du II° siècle.

Appliquez cela à ce que vivent les chrétiens aujourd’hui au Moyen-Orient, en Égypte ou en Éthiopie, au Yémen, au Kenya, au Nigéria et dans tant d’autres pays : la justice et les massacres commis contre ces croyants ne pourront empêcher à terme l’Évangile de porter des fruits dans ces pays.

 

La méprise de l’ascèse

Tentation de St AntoineDans les siècles suivants, pour retrouver la ferveur des martyrs, beaucoup de chrétiens sont partis au désert explorer le combat intérieur. Une autre façon de continuer la résistance spirituelle face à une religion d’État devenue très mondaine. À leur suite, d’innombrables auteurs ont cru qu’il fallait s’imposer à soi-même cette violence qu’on ne subissait plus des autres, puisque l’Église vivait enfin en paix. D’où l’idée qu’émonder la vigne pouvait être une invitation à l’ascèse.

Toute vigne qui n’est pas taillée devient sauvage. Le Verbe est un glaive qui retranche les branches luxuriantes : il force toutes les passions à ne pas convoiter et à porter du fruit
Saint Clément d’Alexandrie : le « Pédagogue », I 8

Tailler dans ses passions, purifier le terreau de la fois, lutter contre l’égoïsme et l’orgueil : le but de l’ascèse est en effet cohérent avec l’image de la vigne émondée. Il s’agit bien d’empêcher les feuilles et les longs bois d’étouffer les grappes à naître. C’est la manière qui pose question. En effet, dans la bouche de Jésus comme dans la réalité viticole, la vigne ne s’émonde pas elle-même. Elle est émondée par un autre.

Ce passif c’est toute la différence.

L’ascèse croit qu’on peut s’auto-purifier en quelque sorte à la force du poignet, à l’aide d’exercices spirituels de plus en plus tranchants. Cette doctrine de l’auto-rédemption resurgit d’ailleurs aujourd’hui dans les courants prônant le bien-être, l’harmonie, l’équilibre etc. grâce à des techniques de méditation, de relaxation, de respiration et bien d’autres ascèses modernes.

Or c’est le vigneron qui taille sa vigne.

Nul ne peut (ni ne doit) choisir la façon dont vont lui être enlevées les parures, la gloire, les artifices l’empêchant de porter davantage de fruits. C’est a posteriori, en relisant l’épreuve et sa traversée, qu’on y devine le travail de purification qui a pu s’y accomplir. Mais l’épreuve ne vient pas de soi, sinon ce n’est que de l’orgueil au carré, s’abritant derrière une fausse humilité. D’ailleurs il n’est pas sûr du tout qu’émondage rime avec épreuve : le cep est reconnaissant au sécateur du vigneron de l’alléger de ce qui l’alourdit, l’asphyxie et le stérilise.

La méprise de l’ascèse, c’est de choisir par soi-même ce qui doit être coupé, taillé, au lieu de l’accueillir en laissant Dieu le faire en nous.
Être émondé doit rester un passif, sinon l’orgueil est de retour !

 

Le dépouillement intérieur

Les mystiques ont contesté cette interprétation ascétique dangereuse de l’émondage comme auto-progression. Pour Maître Eckhart, Jean de la Croix ou Thérèse d’Avila, l’émondage divin ne correspond pas à l’ascèse, mais au lâcher-prise intérieur, à l’acceptation d’un certain dépouillement qui nous est imposé par la vie et l’intimité avec Dieu.

Il faut non seulement ôter les mauvais désirs, mais ôter le trop qui se trouve souvent dans les bons : le trop agir, l’excessive activité qui se détruit et se consume elle-même, qui épuise les forces de l’âme, qui la remplit d’elle-même et la rend superbe. Âme chrétienne, abandonne-toi aux mains, au couteau, à l’opération du céleste vigneron ; laisse-le trancher jusqu’au vif. Le temps de tailler est venu ; dans le printemps lorsque la vigne commence à pousser, on lui doit ôter jusqu’à la fleur, quand elle est excessive. Coupez, céleste ouvrier ; et toi, âme chrétienne, coupe aussi toi-même, car Dieu t’en donnera la force et, c’est par toi-même qu’il te veut tailler. Coupe non seulement les mauvaises volontés, mais le trop d’activité de la bonne qui se repaît d’elle-même (J.-B. Bossuet : « Méditations sur l’Evangile », la Cène, seconde partie, IV).

La vigne sera dépouillée progressivement de ses fruits (les fruits ne sont pas pour elle), de sa belle parure de feuille automnales (le paraître), de ses sarments (les traces de sa gloire) par l’émondage. 

Ce nettoyage de la vigne se pratique après les vendanges et généralement pendant le repos de la végétation, soit à la fin de l’hiver, quand les grandes gelées en principe ne sont plus à craindre et avant que la sève du printemps commence à faire éclore de nouveaux bourgeons. Sinon lorsque la sève commence à monter, après l’émondage le sarment va « pleurer », des gouttes vont tomber sur la terre. 

Si l’émondage de la vigne n’est pas incessant, il est tout de même régulier. Pour la vigne, c’est une fois par an, une fois qu’elle a porté du fruit et après un temps de repos. Pour nous, probablement après chaque belle production de fruits !

Il s’agit alors, à chaque étape de la vie, après chaque vendange, de constater ce qui doit partir, être séparé, enlevé, et de s’en réjouir pour préparer les vendanges suivantes. Quand des enfants quittent la maison familiale, quand ils se marient, quand ils vous font grands-parents, quand la retraite vient tout changer… : à chaque âge de la vie, juste après les fruits récoltés et engrangés, vient le travail pour consentir à perdre à nouveau afin de croître à nouveau. Ce mouvement est incessant, d’étape en étape, jusqu’à la vendange ultime qu’est la mort physique.

 

Se laisser émonder par la parole

Émonder en grec se dit « kathairos » et signifie : purifier, nettoyer, enlever les impuretés, enlever les pousses inutiles, purifier par le feu, libérer des désirs corrompus.
Pourquoi le Père émonde-t-il seulement les sarments qui portent du fruit ?
Afin qu’ils en portent davantage.
Sans émondage, l’année suivante, les sarments ne produisent que de petits raisins ne présentant guère d’intérêt pour la production du vin. L’émondage limite la croissance démesurée du bois, pour régulariser la production des raisins en qualité et en quantité. Dans le but d’obtenir des raisins plus gros qui contiennent plus de jus ou de vin.

Le même vigneron qui a émondé la vigne, est celui qui ensuite s’occupe de nous, prend soin de nous, nous protège, veille sur nous. Il met l’engrais au temps voulu, surveille, il soigne les maladies, traite les parasites afin que l’ensemble de ses soins aboutisse à une abondante et belle production de fruits.
L’émondage n’est ni continuel ni inconsidéré. Une fois la vigne émondée, le vigneron ne guette pas la moindre pousse de bourgeon pour la couper à nouveau. Une fois émondée, ce qui intéresse le vigneron, c’est la pousse, la croissance, la maturité, la production.

Il y a un temps où, par son feuillage, ses rameaux, le cep n’est plus très visible (risque d’orgueil) ; alors le dépouillement est de nouveau nécessaire, l’émondage aussi, afin que ce soit le cep (le Christ), et lui seul, source de vie, qui soit vu.
Le but de l’émondage, ce n’est donc pas de souffrir comme si c’était un but en soi ; c’est seulement un traitement nécessaire. Le but de l’émondage, c’est que nous soyons protégés… de l’orgueil, de la suffisance, de l’arrivisme etc., et qu’ensuite nous portions davantage de fruits.

0000000760L ascèse dans Communauté spirituelleUne fois émondée, le vigneron va tout faire pour que la vigne croisse, devienne belle : c’est Lui l’auteur de la vie, pas nous !

Le Christ fournit lui-même une interprétation de ce travail d’émondage de la vigne : « déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. »

Sa parole est plus tranchante que le glaive (He 4,12). Elle opère en nous un discernement, une crise qui révèle ce qui est fécond et ce qui stérilise.
En écoutant cette parole, Zachée ou Marie-Madeleine mettent de l’ordre dans leur vie, et quittent ce qui les empêche de suivre Jésus.
En écoutant cette parole, Paul acceptera de laisser tomber son fanatisme pharisien, Augustin son manichéisme intransigeant, François d’Assise sa richesse de parentale, Mère Teresa son école bien tranquille…

Se laisser émonder va de pair avec la rumination de la Bible, pour laisser la parole du Christ nous alléger de ce qui alourdit notre marche, tailler et couper en nous ce qui ne porte pas un fruit meilleur encore.

 

Mais que veut dire porter du fruit ?
Ceci est une autre histoire, qui demandera d’y revenir plus longuement…

 

 

 

1ère lecture : « Barnabé leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur » (Ac 9, 26-31)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, arrivé à Jérusalem, Saul cherchait à se joindre aux disciples, mais tous avaient peur de lui, car ils ne croyaient pas que lui aussi était un disciple. Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ; il leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assurance au nom de Jésus. Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux, s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur. Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux. Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer. Mis au courant, les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césarée et le firent partir pour Tarse.

 L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait.

Psaume : 21 (22), 26b-27, 28-29, 31-32

R/ Tu seras ma louange, Seigneur, dans la grande assemblée. ou : Alléluia !  (cf. 21, 26a)

Devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
« À vous, toujours, la vie et la joie ! 

La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté,
le pouvoir sur les nations ! »

Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître :
Voilà son œuvre !

2ème lecture : « Voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ et nous aimer les uns les autres »(1 Jn 3, 18-24)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ; car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux. Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.

Evangile : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 1-8)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Demeurez en moi, comme moi en vous, dit le Seigneur ; celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Alléluia. (Jn 15, 4a.5b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
 Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. »
Patrick BRAUD

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