Démêler le fil du pêcheur
Démêler le fil du pêcheur…
cf. également :
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
La vraie beauté d’un être humain
Figurez-vous la figure des figures
Homélie du 4° Dimanche de Carême / Année B
Dimanche 15 Mars 2015
« Celui qui fait la vérité vient à la lumière… »
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à pêcher en mer.
Bien souvent, quand on pêche à la traîne, le fil de nylon se vrille, s’entortille, et la remontée d’un poisson à l’arrière du bateau se transforme en une grosse pelote de fil avec des nœuds dans tous les sens. J’ai appris à aimer ce patient travail qui consiste alors à démêler la ligne de pêche, en défaisant un à un les nœuds que le fil s’était fait à lui-même. Pour cela, il faut sans hâte ni colère pour chaque nœud refaire en sens inverse le parcours où le fil s’est emberlificoté en se vrillant sur lui-même. Travail minutieux, austère, parfois très long, où la tentation de couper des pans entiers de la ligne ou de la jeter par dessus bords compromet régulièrement l’opération de sauvetage de la ligne…
Faire la vérité sur sa vie, c’est un peu cela : re-parcourir à l’envers les nœuds qui m’étranglent, qui m’empêchent de filer droit. Et ainsi, en acceptant d’exposer ces nœuds aux mains habiles du pêcheur, le fil retrouve peu à peu sa vraie puissance d’action…
« Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l’on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et qu’inversement les secondes libèrent les premières : il se trouve de la sorte qu’un premier lien est dénoué par un second et que le second tient lieu de dénouement à l’égard du premier. » (Irénée de Lyon, Adversus Haereses, Livre III)
St Irénée précise le rôle de Marie dans cette action où les fils de nos vies se démêlent : elle est l’archétype de l’attitude d’obéissance et de confiance qui peut nous inspirer aujourd’hui.
« Ève, par sa désobéissance, fit le nœud du malheur pour l’humanité;
alors qu’au contraire, Marie, par son obéissance, le dénoua.»
« Celui qui fait la vérité vient à la lumière… »
Voilà une petite phrase lourde de conséquences. Car faire la vérité, c’est un travail exigeant. Et c’est toujours complexe de faire la vérité sur une affaire ténébreuse. Pourtant je suis témoin que ce travail de clarification permet ensuite d’agir selon la volonté de Dieu. Oui : faire la vérité libère, et rend capable d’agir en vérité.
Mais qu’est-ce que « faire la vérité » ?
- Je pense à ces futurs mariés que nous accompagnons, laïcs et prêtres, vers leur engagement, pendant des mois. Avec sérieux et profondeur, beaucoup acceptent de s’interroger sur leurs motivations, osent ouvrir la Bible avec nous pour la laisser éclairer leur amour, parler de leur passé, de leur famille. Nous sommes souvent admiratifs de la confiance qu’ils nous accordent : ils sont vrais avec nous, et acceptent loyalement un travail de vérité sur leur couple, leur histoire (avec des échecs antérieurs bien souvent), leurs projets… Faire la vérité sur sa relation amoureuse, ce n’est pas rien…
- Je pense également au témoignage d’un médecin sur ce thème : « Toute vie vaut-elle la peine d’être vécue ? ». Il accueille notamment des femmes qui ont vécu un avortement et qui, quelquefois 10, 20 ans après, ont besoin de parler parce que la blessure remonte. À travers l’écoute et la compassion, sans juger, il essaie d’aider ces femmes à faire la vérité sur l’IVG qui brutalement les déstabilise à nouveau. Quelles on été les pressions : familiales ? médicales ? Quelle était leur liberté et leur volonté réelles ? Quelle conscience avaient-elles de l’acte ainsi posé ? Et le père… ? Y a-t-il eu un délai, des médiations, des soutiens… ? Vous voyez, c’est tout un travail, patient et délicat, pour faire mémoire d’un passé douloureux avec justesse et droiture, pour pouvoir enfin l’assumer, ne plus cacher, s’ouvrir à l’avenir…
- À l’inverse, quand on dissimule, quand on veut « ne plus en parler », quand on laisse dans l’ombre des côtés importants de notre histoire, alors on est assis sur une véritable bombe à retardement.
D’abord c’est épuisant de se taire, de taire ce que nous avons peur de mettre en pleine lumière. Comme dit le psaume : « Je me taisais, et mes frères s’épuisaient à gémir… » (Ps 31)
Ensuite c’est stérile, car se taire ne résout rien. Comme un abcès qui devient mauvais lorsqu’on n’a pas le courage de le percer : le pus s’accumule…
Je pense à ces « secrets de famille » qui empoisonnent parfois les relations entre frères et sœurs sur des générations… Il y a « des cadavres dans le placard » – comme le dit la sagesse populaire - qui finissent par sentir mauvais… Faire la vérité demande alors de rouvrir son passé, de le relire (avec un soutien extérieur) pour le guérir et le transformer.
Je pense encore à ces affaires de corruption, de tricherie, de « dessous de table » qui défraient régulièrement la chronique. Les transactions douteuses et secrètes, les salaires fictifs qu’on voulait garder secrets, les montages financiers opaques qui ont conduit à la crise financière… Dans la vie économique, dans les responsabilités politiques, la petite phrase de Jésus est encore plus lourde de conséquences : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière… » Les paradis fiscaux ne devraient pas s’en remettre !
Pour nous, pendant ce Carême, que chacun s’examine : sur quel côté obscur de ma vie ais-je besoin de faire la vérité, justement pour que la lumière du Christ l’apaise, le guérisse, l’ouvre à l’avenir ?…
Ne répondons pas trop vite. Car, logiquement, nous nous sommes cachés à nous-mêmes ce que nous avons peur de voir en face. Il faudra donc accepter de nous faire aider par d’autres pour débusquer ce côté obscur. Il faudra donc humblement demander de l’écoute, du soutien ; le sacrement du pardon trouve bien sa place dans ce travail de clarification ; la Bible et la prière également…
Que le Christ nous donne ce courage de Carême : ne pas préférer l’obscurité à la lumière, faire la vérité sur nous-mêmes pour agir selon sa vérité, démasquer l’obscur pour ne pas dérober mon visage.
« Celui qui fait la vérité vient à la lumière… »
1ère lecture : La colère et la miséricorde du Seigneur manifestées par l’exil et la délivrance du peuple (2 Ch 36, 14-16.19-23)
Lecture du deuxième livre des Chroniques
En ces jours-là, tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les abominations des nations païennes, et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, sans attendre et sans se lasser, leur envoyait des messagers, car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure. Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ; finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple. Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu, détruisirent le rempart de Jérusalem, incendièrent tous ses palais, et réduisirent à rien tous leurs objets précieux. Nabucodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ; ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils jusqu’au temps de la domination des Perses. Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie : La terre sera dévastée et elle se reposeradurant 70 ans,jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repostous les sabbats profanés.
Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole du Seigneur proclamée par Jérémie, le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse. Et celui-ci fit publier dans tout son royaume – et même consigner par écrit – : « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Le Seigneur, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre ; et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda. Quiconque parmi vous fait partie de son peuple, que le Seigneur son Dieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem ! »
– Parole du Seigneur.
Psaume : 136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6
R/ Que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir ! (cf. 136, 6a)
Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.
C’est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »
Comment chanterions-nous un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite m’oublie !
Je veux que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem
au sommet de ma joie.
2ème lecture : « Morts par suite des fautes, c’est bien par grâce que vous êtes sauvés » (Ep 2, 4-10)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ : c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus. Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.
– Parole du Seigneur.
Evangile : « Dieu a envoyé son Fils pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 14-21)
Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle. Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (Jn 3, 16)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
Patrick BRAUD