Qu’est-ce que « faire autorité » ?
Qu’est-ce que « faire autorité » ?
Homélie du 4° Dimanche – Année B
Dimanche 01/02/2015
cf. également : Ce n’est pas le savoir qui sauve
Medium is message
Quelle autorité !
Une autorité à faire rêver bien des parents, des éducateurs, des professeurs : « Jésus parlait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes ».
· Tiens ! : avez-vous remarqué au passage qu’on ne sait même plus ce qu’enseignait Jésus… Seule reste dans le texte la forte impression d’autorité qu’il a laissé sur son auditoire. Intéressant pour réfléchir sur l’autorité ! La manière de parler de Jésus est au moins aussi importante que le contenu qu’il exprime. La forme et le fond sont inséparables. Un théoricien des médias a formulé ce constat en un adage célèbre : ‘Medium is message’ (Mac Luhan) : le message, c’est le média lui-même, c’est-à-dire la personne qui parle et la manière dont on elle parle.
Goethe disait la même chose autrement: « le but est dans le chemin ».
Nous sommes souvent obnubilés par le contenu soi-disant objectif de ce que nous voulons transmettre. Mais sommes-nous assez attentifs à la manière dont nous le disons ? Il ne suffit pas d’avoir raison, ou de savoir les bonnes connaissances : encore faut-il permettre à l’autre qui m’écoute de recevoir ma parole, et pour cela d’y mettre les formes. C’est d’abord cela l’autorité de Jésus. Que ce soit en couple, en famille, à l’école, au travail ou en Église, il y a tant de mal-entendus, qui proviennent plus de notre façon de communiquer que du contenu de notre parole !
Faire grandir l’autre
· La 2ème caractéristique de l’autorité de Jésus dans ce texte (le mot revient au début et à la fin : belle inclusion) est d’être au service de la croissance de l’autre.
Regardez cet homme tourmenté qu’on amène à Jésus. Il ressemble à bien des enfants difficiles dans nos classes, à bien des jeunes jugés ‘sauvageons’ par les adultes. Il ne parle plus, il ne sait plus que vociférer et crier. Bien des jeunes sont ainsi, prisonniers de la violence de leur quartier, de leur famille, de leur histoire personnelle. Pire encore, cet homme alterne de façon inquiétante le « je » et le « nous » : « es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es ». Sa personnalité est éclatée, il n’arrive pas à faire l’unité de son moi profond. Comme quoi le fait de savoir ne suffit pas pour garantir l’identité, la santé, le salut…
Nous dirions aujourd’hui que cet homme souffre d’un très fort clivage de la personnalité, un peu Dr Jekyll et Mr Hyde ! Il est divisé, fragmenté. Incapable d’unifier sa personnalité, il hésite sans cesse entre le je et le nous, le singulier et le pluriel, comme si il n’arrivait pas à être vraiment lui-même. Cette division intérieure, ce clivage de l’identité personnelle, nous le voyons souvent à l’œuvre hélas, surtout chez ceux qui sont fragiles, dans des périodes délicates de leur vie où ils se cherchent, surtout lorsqu’ils sont soumis à des influences extérieures qui les fragmentent et les éparpillent encore plus.
Eh bien, l’autorité de Jésus va justement être d’exorciser ce démon de la division intérieure ! Avec force, Jésus rétablit en cet homme la possibilité d’être un au lieu d’être plusieurs, de parler au lieu de crier…
Les deux racines du mot autorité
Voilà qui rejoint l’étymologie du mot autorité.
Vous savez que ce mot se rattache à deux racines latines qui aident à réfléchir sur notre propre autorité aujourd’hui (cf. les études de Annah Arendt) :
* autorité vient de « augere » = augmenter.
Dans la cité de Rome, l’autorité consistait à augmenter et à accroître les fondations de la vie commune, de la cité, posées par les ancêtres. Être en position d’autorité à Rome, c’était s’inscrire dans cette lignée ininterrompue de successeurs, depuis Romulus et Remus. C’était être relié à ses propres origines. Cette autorité permet à la fondation de perdurer, à la cité d’augmenter son pouvoir.
Jésus fait preuve de cette autorité lorsqu’il reprend la loi de Moïse pour l’accomplir et la porter à son incandescence : « on vous a dit, eh bien moi je vous dis »(Mt 5)
C’est l’autorité des parents qui cherchent à faire croître leur enfant, à augmenter ses capacités, à développer en lui ce qu’il a de meilleur.
On redécouvre aujourd’hui l’importance de cette autorité parentale-là : si les parents n’exercent pas cette autorité de croissance, les enfants sont appauvris et diminués.
On redécouvre également cette forme d’autorité dans le management en entreprise : les managers doivent davantage servir la croissance - individuelle et collective - de leur équipe (servant leader) que faire sentir leurs galons hiérarchiques façon « chef » (command & control).
* autorité vient aussi de « auctor » = être l’auteur d’une initiative qui rallie tous les suffrages. C’est ce qu’on disait de Jésus : il enseignait avec autorité et non comme leurs scribes. Il « faisait autorité ». L’autorité du Christ, c’est sa force de persuasion, la persuasion d’une parole vraie et profonde qui suscite l’enthousiasme des auditeurs et leur fait dire : » c’est vrai, j’adhère à ce que dit et fait cet homme, j’ai envie de le suivre ». En cela, Jésus se révèle être un authentique servant leader, quelqu’un qui suscite le désir de le suivre parce qu’on devient ainsi davantage soi-même.
C’est donc une autorité basée sur un consensus qu’elle sait créer.
L’intérêt de cette forme d’autorité, c’est qu’elle ne cherche pas l’obéissance mais la libre adhésion. Ceux qui semblent obéir à l’auteur d’une parole ou d’une initiative (que ce soit Jésus en Palestine, De Gaulle le 18 juin 1940, ou Luther King et ses marches non violentes) apportent en réalité leur soutien parce qu’ils se reconnaissent en lui. Cette autorité reçoit son pouvoir de ceux qui s’y rallient, et ne l’impose pas de l’extérieur. « Si tu veux, viens et suis-moi… » Les parents, les politiques, les dirigeants de l’Église gagneraient à pratiquer aussi cette forme d’autorité, par libre consensus…
« On était frappé par l’enseignement de Jésus, car il parlait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes ».
Que l’Esprit du Christ nous apprenne à pratiquer cette autorité-là, une autorité de service : pour la croissance de l’autre, pour créer des consensus permettant à chacun de se dépasser, de s’unifier…
1ère lecture : « Je ferai se lever un prophète ; je mettrai dans sa bouche mes paroles » (Dt 18, 15-20)
Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple :
« Au milieu de vous, parmi vos frères,
le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez.
C’est bien ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu, au mont Horeb, le jour de l’assemblée, quand vous disiez :
“Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir !”
Et le Seigneur me dit alors : “Ils ont bien fait de dire cela. Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ;
je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles
que ce prophète prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte. Mais un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra.” »
– Parole du Seigneur.
Psaume : 94 (95), 1-2, 6-7abc, 7d-9
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur,
mais écoutez la voix du Seigneur.
(cf. 94, 8a.7d)
Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !
Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit
le troupeau guidé par sa main.
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
comme au jour de tentation et de défi,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
2ème lecture : La femme qui reste vierge a le souci des affaires du Seigneur, afin d’être sanctifiée » (1 Co 7, 32-35)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères,
j’aimerais vous voir libres de tout souci.
Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche comment plaire au Seigneur.
Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé.
La femme sans mari, ou celle qui reste vierge, a le souci des affaires du Seigneur, afin d’être sanctifiée dans son corps et son esprit. Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde, elle cherche comment plaire à son mari.
C’est dans votre intérêt que je dis cela ; ce n’est pas pour vous tendre un piège, mais pour vous proposer ce qui est bien,
afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
Evangile : « Il enseignait en homme qui a autorité » (Mc 1, 21-28)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée. Alléluia. (Mt 4, 16)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. » L’esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui. Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.
Patrick BRAUD