L'homélie du dimanche (prochain)

8 août 2014

Le dedans vous attend dehors

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Le dedans vous attend dehors

Homélie du 19° dimanche du temps ordinaire / Année A
09/08/2014

Nous sommes les obligés de Jésus

Il est rare que Jésus soit obligé d’obliger ses disciples à faire quelque chose ! La plupart du temps, il sollicite leur liberté : « venez et voyez ». Même lorsqu’il leur parle à l’impératif, c’est en respectant leur réponse positive ou négative : « suis-moi », « pardonne 70 fois 7 fois » etc.

Un ami officier de marine faisait remarquer que notre épisode de l’embarquement forcé sur le lac (Mt 14,22 et son parallèle Mc 6,45) est le seul passage des évangiles où Jésus oblige ses disciples à faire quelque chose qu’ils ne voudraient pas. « Il les obligea à monter dans la marque pour atteindre l’autre rive ».

De fait, le seul autre passage où apparaisse le verbe obliger dans les évangiles est la parabole des invités au festin. Le maître demande à son serviteur d’obliger les mendiants et estropiés à remplir la salle des noces (Lc 14,23).

Il n’est pas inintéressant de rapprocher ces deux seuls usages du verbe obliger dans les évangiles. Obliger les disciples à embarquer sur la mer pour traverser vers l’autre rive a quelque chose à voir avec l’obligation pour les blessés de la vie d’accepter une invitation à entrer dans la salle des noces pour le repas de mariage.

Passer sur l’autre rive et participer au repas de noces relève donc de la même obligation.

La première évoque la mort/résurrection : les eaux du lac symbolisent le mal et la mort, l’autre rive est la figure de la vie éternelle.

La deuxième évoque l’eucharistie : le repas des noces de l’agneau, auxquelles se dérobent les premiers invités (le peuple juif), finit par se remplir des païens et des « rebuts de l’humanité »  (1Co 4,13) rencontrés sur les routes de la mission chrétienne. L’eucharistie est bien cette obligation de se nourrir en cours de route vers la vie éternelle (cf. le prophète Élie : « lève-toi et mange, autrement le chemin serait trop long pour toi » 1R 19,5).

Mais revenons au coup de force de Jésus envers ses disciples en Mt 14,22. Les Douze n’ont aucune envie de monter dans la barque. Car ce sont des pêcheurs, des fonctionnaires et des paysans, pas des marins. Ils ont une peur bleue de l’eau (alors que le lac de Tibériade n’est qu’une petite flaque au regard de l’océan !). Le peuple d’Israël n’a jamais aimé la mer (sauf au temps du roi Salomon et de sa flotte légendaire). Elle est peuplée de monstres inquiétants comme le Léviathan. Elle est capable de tout engloutir comme au déluge. Elle se déchaîne dans des tempêtes incontrôlables, et le prophète Jonas est jeté à la mer pour calmer le vent déchaîné. Elle est le lieu des forces du mal et de la mort. D’ailleurs on voit dans notre récit que Pierre est vite effrayé dès que les vagues sont un peu formées. Piètres navigateurs, les disciples voudraient bien éviter d’embarquer avec Jésus pour une traversée du lac qui ne les rassure pas du tout !

Devant leur résistance, Jésus les oblige.

Le dedans vous attend dehors dans Communauté spirituelle octave_St_PetP1 

Embarquer et traverser

Il les oblige à deux choses :

- monter ensemble dans la barque, c’est-à-dire faire équipage. C’est faire Église. À tel point que la barque de Pierre est devenue un symbole de l’Église et de sa traversée vers l’autre rive.

- prendre le risque de la traversée, de la navigation vers ailleurs.

Plutôt que de rester là, bien au chaud autour de Jésus qui vole de succès en succès populaire, les disciples sont obligés de se séparer de lui. Ils doivent aller là où Jésus n’est pas encore.

Voilà donc deux éléments de notre identité chrétienne, toujours actuels : faire Église, et risquer d’aller ailleurs, là où le Christ n’est pas explicitement présent.

Faire Église : la tentation moderne est bien à l’inverse. Être « chrétien sans Église » est dans le droit fil de l’individualisme contemporain. Chacun bricole sa religion en remplissant son caddie au supermarché des croyances disponibles. Mais très peu acceptent d’embarquer avec d’autres pour faire équipe, pour croire en communauté et pas tout seul.

Or qui lit le nouveau testament rencontrera l’obligation salutaire du Christ à faire équipage. Et qui lit l’Ancien Testament comprendra que faire partie du peuple de Dieu (le qahal YHWH) est essentiel à l’expérience de libération. Se rassembler à la synagogue le samedi ou à l’église le dimanche est vital : celui qui se soustrait à l’obligation de l’assemblée se perd lui-même. Cette tentation est ancienne ! L’auteur de la lettre aux hébreux les avertissait déjà : « ne délaissez pas nos assemblées… » (He 10,25)

Aujourd’hui plus qu’hier, l’illusion de la liberté coupée de la communauté conduit à la solitude. L’isolement de la foi individuelle la transforme en une vague superstition ou en une construction purement subjective.

Monter dans la barque Église n’est pas facultatif.

Le nageur solitaire ne traversera pas l’océan.

Matthieu 8:24 

Le dedans vous attend dehors

Le deuxième volet de l’obligation du Christ est de traverser vers l’autre rive. Pierre y affrontera toutes ses peurs, et tous les fantômes qui peuplent son histoire et son inconscient. Mais sur la parole de Jésus, il osera marcher sur les eaux, il osera passer sur l’autre rive.

L’autre rive, c’est bien sûr l’au-delà de la mort, dans un futur finalement assez proche pour chacun d’entre nous.

Mais l’autre rive, c’est déjà s’aventurer hors des sentiers connus, dès maintenant. Sortir de soi est la condition pour devenir soi-même.

« Le dedans vous attend dehors » : ce très beau mot de Victor Segalen * dit bien que l’autre rive est nécessaire à la découverte de soi. Qui ne connaît pas le dehors ne connaît pas le dedans. En faisant traverser le lac, c’est à ce passage, cette Pâque, que Jésus oblige les disciples pour qu’ils découvrent enfin leur véritable identité et vocation.

« Je considère que ne peuvent être patriotes que ceux qui s’expatrient », affirme Régis Debray qui a parcouru le monde et ses idéologies à la recherche de lui-même. Et de fait, s’il vous est déjà arrivé d’aller habiter ailleurs, vous savez ce que cela veut dire. Immergé au milieu d’une autre culture, de traditions différentes, vous prenez conscience comme par un choc en retour de votre propre culture, de vos propres traditions. C’est par comparaison, par différence que la conscience de sa propre identité peut survenir, en dialoguant avec celles des autres. C’est alors une identité ouverte, en relation.

Tant que je ne suis pas passé sur l’autre rive, je ne sais pas qui je suis.

Matthieu insiste d’ailleurs lourdement : il s’agit d’aller ailleurs, là où le Christ n’est pas encore allé. « Jésus oblige à ses disciples à le précéder sur l’autre rive ». Il reste seul, à l’écart, pendant que ses amis rament - au sens propre comme au sens figuré - pour traverser.

Précéder le Christ : ce serait folie de prendre ce risque si l’ordre ne venait pas de Jésus en personne ! Mais c’est bien dans l’essence de la mission chrétienne.

Certes, « le Ressuscité nous précède en Galilée » (Mc 16,7), mais il nous revient également de le précéder sur les rivages où il n’est pas encore. Ces rivages aujourd’hui ne sont plus géographiques. Ils sont culturels : le monde numérique et son interconnexion, riche de promesses et de menaces ; la mondialisation capable du meilleur et du pire ; les avancées scientifiques extraordinaires qui nous attendent en matière neuronale, robotique, informatique, biologique… C’est vers cet ailleurs que le Christ nous oblige à aller.

Sortir de chez soi, géographiquement et culturellement, est la condition indispensable pour aller vers soi.

Or cela nous fait peur, comme à Pierre. C’est pourquoi Jésus est obligé de nous obliger à nous lancer sur ces chemins d’exode.

L’ardente obligation de la sortie de soi fait partie de notre ADN spirituel.

Chacun y consentira selon les événements : déménagements, voyages, alliances, études, amitiés…

L’essentiel est de ne jamais être quitte avec l’obligation venant du Christ : embarquer, vers l’autre rive.

dehors-dedans-T dedans dans Communauté spirituelle

 

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* Victor Segalen (1878-1919) est un romancier, poète, médecin, et grand voyageur : Polynésie française, Tahiti, Iles Marquises,  Chine?

 

 

 

 

1ère lecture : Le Seigneur se manifeste à Élie (1 R 19, 9a.11-13a)

Lecture du premier livre des Rois

Lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit.
La parole du Seigneur lui fut adressée : « Sors dans la montagne et tiens-toi devant le Seigneur, car il va passer. »
À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère.
Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.

Psaume : Ps 84, 9ab-10, 11-12, 13-14

R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut.

J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice. 

Le Seigneur donnera ses bienfaits, 
et notre terre donnera son fruit. 
La justice marchera devant lui, 
et ses pas traceront le chemin. 

2ème lecture : L’attachement de Paul aux privilèges d’Israël(Rm 9, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
j’affirme ceci dans le Christ, car c’est la vérité, je ne mens pas, et ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint.
J’ai dans le c?ur une grande tristesse, une douleur incessante.
Pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais même être maudit, séparé du Christ : ils sont en effet les fils d’Israël, ayant pour eux l’adoption, la gloire, les alliances, la Loi, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen.

Evangile : Jésus se manifeste aux Apôtres ; il fait marcher Pierre sur la mer (Mt 14, 22-33)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Dieu seul est mon rocher, mon salut : d’en haut, il tend la main pour me saisir, il me retire du gouffre des eaux. Alléluia. (cf. Ps 61, 3 ; 17, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Aussitôt après avour nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.
Quand il les eut renvoyées, il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul.
La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.

Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer.
En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : « C’est un fantôme », et la peur leur fit pousser des cris.
Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »
Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. »
Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.
Mais, voyant qu’il y avait du vent, il eut peur ; et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! »
Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD

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1 août 2014

2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

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2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

Homélie du XVIII° dimanche du temps ordinaire / Année A
03/08/2014

Après le rite juif du repas pascal (le Seder Pessah), les enfants autour de la table entonnent quelques comptines liées à la fête. Et notamment ce curieux « chant des nombres » qui est à lui seul une belle catéchèse sur la symbolique des nombres : 

E’HOD MI YODEA – CHANT DES NOMBRES

« Un, je sais ce qui est un.
Unique est notre Dieu, Lui qui vit et Lui qui plane sur la terre et dans les cieux.

Deux, voilà qui est plus ; je sais ce qui est deux : deux, ce sont les Tables de la Loi.

Unique est notre Dieu…

Treize, voilà qui est plus ; je sais ce qui est treize.
Treize, ce sont les attributs (divins) ;
douze, les tribus d’Israël;
onze, les songes (de Joseph);
dix, les Commandements;
neuf, les mois de la grossesse;
huit, la circoncision;
sept, la célébration du Shabbat;
six, les ordres de la Michna ;
cinq, les Livres de la Thora;
quatre, les Mères ;
trois, les Patriarches;
deux, les Tables de la Loi.

Unique est notre Dieu, Lui qui vit et Lui qui plane sur la terre et dans les cieux. »

On le voit : tout est symbolique dans le repas pascal juif, et l’eucharistie chrétienne assume pleinement cette symbolique. Les aliments (oeuf dur, os d’agneau grillé, herbes amères…), les vêtements (talith…), la lumière (la menorrah), les quatre questions de quatre enfants : tout renvoie à une lecture de l’histoire autre qu’un récit journalistique.

Le chant des nombres s’inscrit dans cette interprétation du monde où les nombres ne sont pas là par hasard, mais pour nous aider à déchiffrer l’événement raconté.

2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l'eucharistie dans Communauté spirituelle rdv_pessah_plateau_seder_27

  

La première multiplication : 5,7 et 12

Le nombre 5

bible_4 Bible dans Communauté spirituelleIl en est bien ainsi dans cette première version de la multiplication des pains en Mt 14,13-21. Les nombres qui y sont placés ont un sens. Les 5000 hommes présents ne sont pas comptés à la manière de la préfecture de police ni des manifestants lors d’une même protestation populaire ! Ils renvoient à la signification du nombre 5, multiplié par 1000 (donc étendu à tous). D’après nos enfants du Seder Pessah, il s’agit d’une foule de la Torah (les cinq livres du Pentateuque), essentiellement juive donc. Cela est confirmé par les 5 pains dont disposent les disciples (et non un jeune garçon comme en Mc). Les rompre, c’est ouvrir ces 5 livres, les travailler, les étudier, les interpréter *. Les distribuer à la foule, c’est nourrir le peuple juif d’une interprétation renouvelée de la Torah, où le commandement de l’amour accomplit toute la Loi. La foule n’a pas besoin de s’en aller ailleurs : elle a dans l’Écriture tout ce qu’il lui faut pour nourrir sa faim de vivre et de chercher Dieu.

Le nombre 2

Et les 2 poissons ? Pourquoi sont-ils mentionnés, alors que le texte semble indiquer qu’ils ne sont pas distribués en nourriture avec les cinq pains ? (ils sont pourtant « eucharistiés » : Jésus prononce la bénédiction juive et rituelle sur eux ensemble)

D’après la comptine chantée par les enfants à Pâques, 2 est le nombre des tables de la Toi. Mais ce serait alors une symbolique redondante avec les 5 pains. Saint Augustin, le nombre 2 désigne le couple prêtre / roi qui recevaient l’onction pour gouverner le peuple. Les 2 poissons renvoient alors pour lui à la personne du Christ, l’Oint de Dieu chargé de conduire l’Église. Mais, problème : il manque le prophète, qui lui aussi reçoit l’onction de Dieu.

Pour Saint Ambroise de Milan, les 2 poissons renverraient aux 2 Testaments, destinés à devenir l’unique nourriture du nouvel Israël. Mais, problème : ces deux poissons ne sont justement pas distribués en nourriture…

Il faut sans doute interpréter ensemble le symbolisme du nombre 2 et celui des poissons à qui il est associé ici.

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On a retrouvé des poissons dessinés, gravés et peints sur les murs des catacombes chrétiennes des premiers siècles. C’était un signe de reconnaissance et de ralliement en période de persécutions romaines. Car le mot poisson (ictus en grec) est l’acronyme désignant la véritable identité de Jésus. Iesus Christos Theo Uïos Sôter = Jésus Christ fils de Dieu Sauveur. Le poisson cache donc l’affirmation nouvelle de la foi chrétienne : Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme, deux  natures réunies en une seule personne. Les 2 poissons visent sans doute 

cette affirmation christologie si centrale – et si dangereuse – au moment où Mathieu écrit son évangile (70-90). On n’est pas loin de l’interprétation de Saint Augustin, mais c’est l’union du divin et de l’humain en Jésus qui est en jeu plus que celle du roi et du prêtre.

Ajoutons que dans la tradition juive, il faut toujours au moins 2 témoins pour que leurs témoignages soient pris en compte au tribunal. Les 2 poissons attestent que Jésus de Nazareth est vraiment le Christ attendu par Israël, annoncé par l’Écriture, qui conduit l’Église à travers le désert en la nourrissant de la Parole de Dieu partagée à tous.

 

Le nombre 7

 exégèseAu passage se profile le nombre 7 : 5 pains + 2 poissons. La comptine pascale l’associe à juste titre au shabbat. Ce premier récit de la multiplication des pains s’adresse donc à Israël : nulle volonté ici d’abolir le shabbat. Au contraire, Jésus veut lui donner tout son sens. Les premiers chrétiens annonçaient l’Évangile en se servant du réseau des synagogues tout autour de la Méditerranée, et donc en respectant le shabbat, en profitant de la liturgie du samedi à la synagogue pour commenter les Écritures à la lumière de la Pâque du Christ.

Ce n’est qu’après la séparation violente d’avec la synagogue (vers 90) que le dimanche chrétien (le jour du Seigneur) supplantera le shabbat, sans pour autant en perdre le sens du repos et de l’Alliance qu’il véhicule.

En Mt 14, le respect du shabbat est bien en filigrane des premières assemblées judéo-chrétiennes (les adventistes « du septième jour » s’inscrivent dans cette tradition).

 

Le nombre 12

« On ramassa 12 paniers ».

Impossible de ne pas y voir le symbole des 12 apôtres, eux-mêmes prolongeant et accomplissant les 12 tribus d’Israël (cf. les 12 portes de la Jérusalem céleste dans l’Apocalypse). C’est donc la plénitude de l’Église, « l’Israël de Dieu », que visent ces 12 paniers. Toute l’Église est nourrie en plénitude du pain partagé par Jésus : ici le premier Testament, bientôt le pain eucharistique qui y sera associé.

Comme 5 + 7 = 12, on voit que l’on retrouve ce que l’on évoquait précédemment : l’Écriture partagée lors du shabbat nourrit l’Église judéo-chrétienne et lui permet de traverser ses déserts.

njerusalemgems Jésus 


La seconde multiplication : 3, 4 et 7

Le symbolisme des nombres permet d’interpréter le deuxième récit de multiplication des pains comme s’adressant cette fois-ci aux non-juifs (Mt 15,32?39).

4000 hommes sont nourris et il reste 7 paniers (au lieu de 5000 et 12). On ne sait pas combien il y a de poissons ; par contre on sait que la foule jeûne depuis 3 jours. Le nombre 3 renvoie ici aux 3 jours du Christ au tombeau : la foule est associée à la Passion et la Résurrection de Jésus en jeûnant symboliquement 3 jours avec lui. Nul doute qu’il y ait ici un écho du cheminement catéchuménal des baptisés adultes  venant du paganisme au moment où Mathieu écrit. Les 4000 hommes évoquent alors la totalité de l’humanité nourrie par l’eucharistie (4 = les quatre points cardinaux = l’univers entier). Les 7 paniers ne renvoient plus aux tribus d’Israël, mais à tous les peuples de la terre créée lors des 7 jours symboliques de la Genèse.

Ce second récit est donc une catéchèse eucharistique et ecclésiale pour les païens, alors que le premier l’était pour les juifs.

Les deux multiplications superposées

Nous sommes 2000 ans après l’événement. Nous gardons la mémoire de ces deux catéchèses. Et nous pouvons légitimement les superposer en une seule pour aujourd’hui : l’Église se situe bien dans le prolongement d’Israël, dont elle n’abolit pas la vocation, mais cherche à l’accomplir pour toutes les nations.art-plastique-autel-tibouchi-2 nombresAinsi le premier but de nos assemblées est de rompre le pain de la Parole de Dieu telle que les deux Testaments donnent à la ruminer. Tous doivent y avoir accès : c’est la responsabilité des apôtres. L’eucharistie est indissolublement le lieu où la Parole se multiplie en la partageant, et où le pain eucharistique nourrit la faim  spirituelle des chercheurs de Dieu actuels. « Dum dividetur, augetur » commentait Saint Augustin : lorsqu’il est partagé, le pain (de la parole, de l’eucharistie) augmente.

Il y a donc 2 tables (encore 2 !) à l’eucharistie : la table où l’Écriture se fait Parole, et la table où le corps du Christ est rompu et distribué. L’ambon et l’autel sont inséparables. À tel point que Vatican II a réaffirmé solennellement cette doctrine des deux tables que nous avions un peu oubliée dans le monde catholique :

« L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles. »
Concile Vatican II, Dei Verbum 21 (cf. SL 48 ;51 ;56).

La parole et le corps / le corps et la parole : ne séparons pas dans nos assemblées ce que Dieu a uni en Jésus-Christ, comme l’atteste les deux multiplications des pains dans l’évangile de Mathieu.

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* Les 5 maris de la Samaritaine (Jn 4,18) peuvent renvoyer à ces 5 livres de la Loi, les seuls livres que les samaritains ont conservés. On pense également aux 5 vierges sages (Mt 25,2) ou aux 5 mois du mal causé par les criquets (Ap 9,10). Ou encore aux 5 portiques de Béthesda (Jn 5,8), ou aux 5 mois où Elisabeth se tient cachée (Lc 1,24) etc. 

 

1ère lecture : Dieu nourrit son peuple (Is 55, 1-3)

Lecture du livre d’Isaïe

Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer.
Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses !
Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. Je ferai avec vous une Alliance éternelle, qui confirmera ma bienveillance envers David.

Psaume : Ps 144, 8-9, 15-16, 17-18

R/ Tu ouvres la main : nous voici rassasiés.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses oeuvres.

Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : 
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
tu ouvres ta main : 
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies, 
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de ceux qui l’invoquent, 
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

2ème lecture : Rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ(Rm 8, 35.37-39)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le supplice ? Non, car en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur.

Evangile : Jésus nourrit la foule (Mt 14, 13-21)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur a nourri son peuple au désert, il l’a rassasié du pain du ciel. Alléluia. (cf. Ps 77, 24)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied.
En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes.
Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger ! »
Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »
Jésus dit : « Apportez-les moi ici. »
Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule.
Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins.
Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.
Patrick BRAUD

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