La lectio divina : galerie de portraits
La lectio divina : galerie de portraits
Homélie du XV° dimanche du temps ordinaire / Année A
13/06/14
Il existe une méthode toute simple pour ruminer un texte biblique.
Vous faites la liste des acteurs intervenant dans ce texte. Puis vous vous identifiez un à un à ces différents acteurs. Tant que cette identification à un personnage nourrit votre réflexion, votre prière, vous restez fixés sur lui, savourant ce qu’il vous révèle, actualisant son message pour vous aujourd’hui. Puis, lorsque votre attention faiblit, vous passez au personnage suivant, avec la même qualité de contemplation et d’actualisation. Et ainsi de suite jusqu’au dernier.
C’est d’autant plus facile à faire lorsque le texte est court, comme notre parabole du semeur (Mt 13,1-23), avec des acteurs bien identifiables.
Allons-y ! Faisons l’exercice ensemble.
La liste des acteurs.
Il suffit de relire le texte, stabilo en main, et de surligner ceux qui apparaissent en cours de route : Jésus, la foule, le semeur, les grains, la terre (sous toutes ses formes). Il y a d’autres acteurs mineurs que l’on peut quand même relever : les oiseaux, le soleil, les ronces.
Bigre : pas moins de 8 acteurs ! Vous voyez que si vous prenez ne fût-ce que cinq minutes par personnage, vous pouvez aisément prier 40 minutes sur ce texte sans vous ennuyer une seconde !
Disons quelques mots de la contemplation et de l’actualisation possible pour chaque acteur.
Jésus.
S’identifier à Jésus, quelle audace !
Et pourtant, c’est celle de notre baptême, qui par l’onction de l’Esprit Saint fait de nous « d’autres Christs » pour agir et parler en son nom aujourd’hui.
Jésus sort de la maison (de Pierre à Capharnaüm, qui est devenue sa maison, au sens où il y est comme chez lui). Savoir sortir de chez soi (de son univers, et sa culture…) est donc essentiel pour nourrir les foules.
Jésus s’assoit au bord du lac, puis dans la barque à quelques encablures du rivage. Il sait que là, porté par l’eau calme, sa voix résonnera loin et sera audible par tous. Se préoccuper des conditions, des modalités de son message est au moins aussi important que le message lui-même. D’autant plus que Jésus n’a envoyé aucun tweet pour convoquer les journalistes. Il laisse les foules venir à lui sans les contraindre ni les manipuler. Il laisse le bouche à oreille fonctionner. Il se laisse trouver par ceux qui le cherchent.
Nous pourrions nous inspirer de ce type de parole publique pour nourrir les débats de société. Et parler nous aussi en paraboles à la manière de Jésus. Tout le monde savait à l’époque ce qu’étaient les semailles. Dans une société agraire, le geste du semeur à tout vent ne s’inscrivait pas comme le logo du dictionnaire Larousse, mais comme une scène quotidienne aussi connue que la montée dans le RER B à La Défense aujourd’hui. Partir des réalités culturelles communes à ses contemporains est la base de la pédagogie des paraboles. Si on y était fidèle, on ne parlerait plus semailles ou rendement d’épis de blé, mais carnet de commandes, rentabilité financière, ou fécondité sportive pour l’équipe de football qui réussira à soulever la coupe du monde !
Parler en paraboles est toujours d’actualité. Comment nous inspirons-nous du monde du travail, de la famille, de nos réseaux sociaux et autres marqueurs sociétaux pour y annoncer l’Évangile ?
La foule.
Elle est « immense ». Pas d’élitisme donc à avoir en Église. La foule accepte de se laisser rassembler telle qu’elle est, mélangée, sur le rivage. Les chrétiens qui rechignent aux grands rassemblements, aux assemblées bigarrées des communions ou des mariages n’aimeraient pas cette foule pourtant bien évangélique, et ils auraient bien tort ! Manifestement cette foule écoute de toutes ses oreilles (au point d’en oublier de manger, découvrira-t-on plus loin). Et c’est bien ce à quoi nous sommes appelés lors de chaque rassemblement (Église = ekklèsia = assemblée).
Le semeur.
Quelle naïveté ! Ou plutôt telle générosité !
Il sème à tout vent, sachant bien que le pourcentage de réussite ne sera pas terrible. Cela ne le décourage pas pour autant. Les bons professeurs qui se décarcassent pour une classe de 25 ou 30 élèves le savent d’expérience, surtout en ZEP : tous n’en profiteront pas, loin de là. Pourtant s’il n’y en avait qu’un qui pourrait grâce à leur enseignement prendre goût à la matière et faire un beau parcours professionnel ensuite grâce en partie à cela, cela vaudrait la peine. La conviction du semeur, du pédagogue, du prédicateur ou du leader d’équipe, c’est qu’il faut semer beaucoup pour que un peu soit productif.
Avec le semis en ligne puis les machines, on a rationalisé et optimisé ce geste auguste, et donc l’image ne parle plus. La générosité de l’éducateur - elle - demeure. Ainsi que la conviction de leader en entreprise ou du prêtre en paroisse : il faut livrer beaucoup pour que un peu réussisse, mais ce peu là fait de grandes choses !
Les grains.
Drôle d’acteurs me direz-vous ! Mais ils ont au moins le mérite de se laisser faire, de se laisser envoyer un peu n’importe où, au petit bonheur la chance. Les missionnaires qui au XVIII° ou XIX° se sont laissés envoyer en Corée ou en Afrique Noire étaient ainsi. Le matin même de leur départ pour de longs mois en bateau, ils découvraient dans une enveloppe leur destination sans rien en connaître : Séoul, Chandernagor, Conakry…
Dès qu’elles le peuvent, les graines se développent, lèvent au soleil, sans calculer le risque de se dessécher ou d’être picorées. Elles croissent, un point c’est tout, parce que c’est leur nature de donner le meilleur d’elles-mêmes pour manifester la vie, pour donner de la nourriture, de la prospérité. « La rose est sans pourquoi » (Angélus Silésius). Nos graines ne se posent pas de questions. Quels que soient les dangers, elles se livrent, et à Dieu vat ! N’est-ce pas aujourd’hui encore cette gratuité et cette disponibilité qu’on attend des chrétiens plantés dans leur milieu professionnel, associatif ou autre ? « Fleuris là où Dieu t’a planté » aimait à répéter Saint François de Sales…
La terre (sous toutes ses formes).
Bord du chemin, sol pierreux ou couvert de ronces, bonne terre : tous ces humus peuvent refléter les différents terrains de l’évangélisation. Certains milieux professionnels sont plus durs à transformer que d’autres (pensez à la corruption, habituelle dans certains métiers), certains milieux sociaux également (pensez aux mafias), sans compter certaines sociétés apparemment très fermées (pensez aux États islamiques).
Cette diversité de terreau peut également refléter différents moments de notre histoire personnelle. À une certaine époque, nous étions peut-être superficiels, sans racines. À une autre, le succès et l’aisance matérielle nous ont peut-être rendu pierreux, desséchés. Et les ronces de la vie se sont peut-être chargées d’étouffer bien de nos désirs les plus vrais…
À quel type de terreau correspondons-nous aujourd’hui ?
Cette diversité peut d’ailleurs exister encore en nous : tel aspect de notre vie est fécond, tel autre est en jachère, tel autre est dur et sec, tel autre est étouffé et encombré par tant de superflu…
Les acteurs mineurs.
- Les oiseaux viennent tout manger.
C’est leur métier d’oiseaux ! Il n’y a pas à leur reprocher ! Au moins ils évitent que les graines soient gaspillées… Nous pouvons être ces oiseaux si nous savons aller grappiller avec astuce les trésors que d’autres négligent paresseusement, mais que nous voyons exposés sur le bord de leur chemin.
Oiseaux de tous pays, unissons-nous pour picorer tout ce qu’il y a de bon à prendre chez ceux qui le dédaignent (cf. les petits chiens qui se nourrissent des miettes tombant de la table de leur maître Mt 15,27).
- Le soleil se lève et grille les épis naissants qui n’ont pas de racines.
Là encore, rien à lui reprocher. Il assume sans le savoir son rôle de bêta-testeur de la qualité du produit. Nous pouvons jouer ce rôle en invitant comme le soleil les autres (collègues, paroissiens, amis, proches) à se développer, à grandir. Et ce n’est pas notre responsabilité si leur manque de racines leur brûle les ailes en cours de route. En tout cas, ce n’est pas une raison pour ne pas briller.
- Les ronces étouffent et recouvrent tout.
Pour la mission, leur rôle est plutôt négatif. Prenons garde à ne pas endosser ce triste rôle en égratignant et en bloquant les autres !
- Un dernier acteur pourrait être le fruit produit par la bonne terre. Plus qu’un résultat cherché avec obstination, il apparaît plutôt ici comme une résultante. C’est de l’action conjuguée du semeur généreux, de la graine qui se livre sans pourquoi, du sol assez profond et dégagé, et du soleil imperturbable que de tout cela naît un épi, multipliant en lui-même à l’infini la générosité dont il est issu : 30, 60 ou 100 pour un ! Accueillir le fruit produit comme une résultante, « par dessus le marché », permet d’être terriblement efficace, presque sans le vouloir.
Vous le voyez : nous n’avons fait qu’effleurer par écrit ce qu’une longue méditation intérieure vous fera savourer autrement plus en profondeur.
Pratiquez cette galerie de portraits dans votre Lectio Divina (méditation biblique) et vous verrez que vous vous mettrez à régulièrement produire des fruits, sans même le vouloir, sans même vous en apercevoir…
1ère lecture : La parole de Dieu fait germer la terre (Is 55, 10-11)
Lecture du livre d’Isaïe
Ainsi parle le Seigneur : La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange ;
ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission.
Psaume : Ps 64, 10abcd, 10e-11, 12-13, 12b.14
R/ Tu visites la terre, Seigneur, tu bénis ses semences.
Tu visites la terre et tu l’abreuves,
tu la combles de richesses ;
les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau,
tu prépares les moissons.
Ainsi, tu prépares la terre,
tu arroses les sillons ;
tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
tu bénis les semailles.
Tu couronnes une année de bienfaits,
sur ton passage, ruisselle l’abondance.
Au désert, les pâturages ruiselle,
les collines débordent d’allégresse.
Sur ton passage ruiselle l’abondance.
Les herbages se parent de troupeaux
et les plaines se couvrent de blé.
Tout exulte et chante !
2ème lecture : La création tout entière participe au salut (Rm 8, 18-23)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères,
j’estime donc qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous.
En effet, la création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu.
Car la création a été livrée au pouvoir du néant, non parce qu’elle l’a voulu, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu.
Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.
Et elle n’est pas seule. Nous aussi, nous crions en nous-mêmes notre souffrance ; nous avons commencé par recevoir le Saint-Esprit, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps.
Evangile : Les paraboles du Royaume. Le semeur (brève : 1-9)(Mt 13, 1-23)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Semeur est sorti pour semer la Bonne Nouvelle. Heureux qui la reçoit et la fait fructifier ! Alléluia. (cf. Mt 13, 4.23)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord du lac.
Une foule immense se rassembla auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage.
Il leur dit beaucoup de choses en paraboles :
« Voici que le semeur est sorti pour semer.
Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.
D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt parce que la terre était peu profonde.
Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché.
D’autres grains sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés.
D’autres sont tombés sur la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
Il leur répondit :
« À vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux ce n’est pas donné.
Celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a.
Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre.
Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
Le c?ur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour que leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n’entendent pas, que leur c?ur ne comprenne pas, et qu’ils ne se convertissent pas. Sinon, je les aurais guéris !
Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent !
Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.
Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur.
Quand l’homme entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son c?ur : cet homme, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est l’homme qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il tombe aussitôt.
Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est l’homme qui entend la Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole, et il ne donne pas de fruit.
Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend ; il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »
Patrick BRAUD