L'homélie du dimanche (prochain)

30 mai 2014

Dieu est un trou noir

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Dieu est un trou noir

Homélie du 7° Dimanche de Pâques
01/06/2014

Dieu est lourd

On la chante, on lui rend, on l’espère, on la devine parfois sur des visages transfigurés, on l’associe au salut du monde, les jésuites font tout pour elle, les cieux la racontent, … mais qu’est-ce donc au juste que la « gloire de Dieu ? »


« Glorifie ton fils afin que ton fils te glorifie ».

« Donne-moi la gloire que j’avais auprès de toi ».

« Je trouve ma gloire dans ceux que tu m’as donnés ».

Cette page de l’évangile de Jean déborde de gloire (Jn 17, 1-11). La gloire de Dieu, la glorification du Fils, les hommes qui rendent toute gloire à Dieu. Mais qu’est-ce donc exactement cette gloire dont St Jean nous rebat les oreilles ?

L’analogie physique du « trou noir » peut aider à comprendre… 

Le mot même peut nous aider. En grec, la gloire se dit « doxa« , et c’est la même racine que les mots signifiant « lourd « , « pesant « . Parler de la gloire de Dieu, c’est donc dire que Dieu est lourd, pesant. Non pas qu’il ait besoin de faire un régime ! Mais la lourdeur, la pesanteur de Dieu, c’est une certaine densité d’être qui fait que sa vie a du poids, a de la consistance.


* Prenons une comparaison, une comparaison cosmique.

Les théories physiques actuelles décrivent la présence de « trous noirs » dans l’espace. Un trou noir, c’est un « endroit » de l’espace-temps où il y a une densité de matière et d’énergie quasi-infinie. Un condensé si fort qu’en un « lieu » minuscule il y a une infinité d’étoiles et de galaxies. Un trou noir dans l’espace est tellement dense qu’il attire à lui tout ce qui passe à proximité, et il devient de plus en plus dense. Il est noir parce que même la lumière y est attirée et converge vers lui. On l’appelle un « trou » parce qu’il engloutit et attire toute forme de matière qui passe à côté.

Cette image du trou noir peut nous aider à comprendre ce qu’est la gloire de Dieu. C’est une forme de densité d’énergie et d’être qui est si forte qu’elle attire à elle ceux qui cherchent à vivre une existence pleine, remplie, dense.

Glorifier Dieu, c’est alors en quelque sorte se laisser tomber dans un trou noir?
Rendre gloire à Dieu, c’est découvrir de l’intérieur que la vie en lui et avec lui est dense, infiniment dense ; que la saveur de certains moments de l’existence a un goût d’infini et d’éternité ; que la qualité de certaines relations dans l’amour, le bonheur et même dans l’épreuve, est « grosse » d’infini, comme une femme qui porte en elle une vie naissante.

* Comment exprimer cette densité d’être ? Quand la joie, la gravité ou la communion humaine sont si intenses, comment le dire ? Chacun de nous, nous avons vécu de ces moments extraordinairement forts, où les mots sont trop pauvres pour exprimer ce que l’on ressent. Devant un paysage à couper le souffle, dans une communion d’amour, dans une confidence d’amitié, dans un engagement militant, bref, chaque fois que la profondeur de la vie nous frappe à nouveau de stupeur et d’étonnement, comment parler au-delà des mots ? Comment habiter l’intensité de l’existence, c’est à dire comment rendre gloire à Dieu quand il y a un excès de joie, un excès de profondeur ?

 

La musique, meilleure ambassadrice de la doxa divine


* Et si c’était le rôle de l’art de traduire quelque chose de cet excès de la vie ? Et si 
Dieu est un trou noir dans Communauté spirituelle agneauc’était justement là le rôle de la musique et du chant ? En particulier dans la liturgie. Avez-vous déjà réfléchi au rôle des instruments et des chants dans la liturgie ? Ce n’est pas seulement pour que ce soit plus vivant ou plus beau que la liturgie demande une animation musicale. Mais c’est parce qu’il s’agit de rendre gloire à Dieu, et qu’il y a dans cette expérience de la gloire un surplus, un trop plein, un excès que seul l’art poétique, musical et choral peut porter. Relisez l’Apocalypse : par nature, la liturgie est musicale.

 

St Augustin est lui aussi le témoin de cet excès, de cette densité si forte qu’elle appelle le chant :

« Chantez-lui le cantique nouveau, chantez bien. Chacun se demande comment chanter pour Dieu. Chante pour lui, mais évite de chanter mal. [?] Eh bien, il te donne cette méthode de chant : ne cherche pas des paroles, comme si tu pouvais expliquer ce qui plaît à Dieu. Chante par des cris de jubilation. Bien chanter pour Dieu, c’est chanter par des cris de jubilation. En quoi cela consiste-t-il ? C’est comprendre qu’on ne peut pas expliquer par des paroles ce que l’on chante dans son c?ur. En effet ceux qui chantent, soit en faisant la moisson, soit en faisant les vendanges, ou n’importe quel travail enthousiasmant, lorsqu’ils se mettent à exulter de joie par les paroles de leurs chants, sont comme gonflés par une telle joie qu’ils ne peuvent la détailler par des paroles, ils renoncent à articuler des mots, et ils éclatent en cris de jubilation. [?] Que ton c?ur se réjouisse sans prononcer de paroles et que l’infinité de tes joies ne soit pas limitée par des syllabes. Chantez bien avec des cris de joie. »


* Celui qui n’explore jamais la densité de l’univers, la densité de son être, ne peut pas vraiment participer à la liturgie. Et la musique est pour nous une amie, un compagnon dans l’exploration de cette profondeur. Pourquoi, lorsqu’on est triste à pleurer, aime-t-on souvent écouter une musique triste ? Sinon justement parce qu’elle sait dire mieux que nous ce qui se passe à l’intérieur de nous-même ? C’est l’origine du blues et du gospel notamment, nés de l’exploration de la profondeur de la tristesse noire en exil loin de l’Afrique, et en liberté surveillée.
En même temps, la musique est pour nous un mémorial. Elle nous aide à ne pas perdre la mémoire. Car chacun de nous, nous avons en mémoire des musiques qui sont liées à des évènements précis de notre histoire personnelle. Des amoureux qui se sont connus sur un morceau de rock ou un slow ne l’écoutent jamais de la même oreille. Je connais des gens qui ont entendu pour la première fois l’Exultate-Jubilate de Mozart à un enterrement et qui en sont revenus bouleversés. Quand ils réécoutent ce chant, ils réécoutent l’espérance de la Résurrection qui les avait frappés alors.

Avec le temps, nos goûts musicaux changent parfois. Chacun a eu son époque : Charles Trenet pour les anciens, Claude François pour les moyens, Patrick Bruel pour les ados d’avant, et Shakira ou Beyoncé pour ceux d’aujourd’hui. Dans notre histoire personnelle, il y a des époques où l’on aime surtout les variétés, puis le jazz, ou, dans le classique, on évolue, de Mozart à Chostakovitch ou autre, selon les périodes de sa vie. Dans notre histoire collective aussi, la musique change et garde la trace des évènements. La musique flamenco est la mémoire vivante d’une période de paix et de métissage culturel. N’est-elle pas née grâce à l’influence arabe sur la culture hispanique, tout au long de ces 7 siècles, du VIII° au XV°, où le métissage culturel entre cultures arabes et cultures occidentales a produit des splendeurs musicales, architecturales et scientifiques ? Le flamenco nous aide à garder vivante la mémoire de cette fécondité mutuelle où l’ouverture à l’autre, où l’étranger était source de progrès humain et culturel. Les mystérieuses voix bulgares nous rediraient la même chose à partir du métissage entre l’Orient et l’Occident.

 

Et la grâce de la musique, c’est qu’elle nous invite à faire l’expérience de quelque chose comme la gloire de Dieu, dans la jubilation même du chant au-delà des mots.

Pensez au grégorien : les interminables modulations du choeur sur un « a » ou un « e » d’un alléluia font s’arrêter le temps, et éclater la louange au-delà du texte.

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Pensez au « scat » d’Ella Fitzgerald : quand la diva du jazz se laissait aller à jubiler par onomatopées au-delà de la partition, elle était dans la « gloire » et toute sa personne rayonnait de joie !


* Jouer des instruments et chanter, c’est donc l’une des voies les plus privilégiées pour chanter la gloire de Dieu. Il s’agit de se laisser tomber par amour dans les bras de Celui qui nous attire à lui pour nous révéler la vraie densité de l’existence humaine, la vraie profondeur de notre humanité. C’est pourquoi toute l’eucharistie est orientée, aimantée vers la grande doxologie trinitaire que nous chanterons tout à l’heure : « tout honneur et toute gloire par les siècles des siècles ».

 

1ère lecture : Les disciples réunis dans la prière après l’Ascension (Ac 1, 12-14)
Lecture du livre des Actes des Apôtres

Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournèrent du mont des Oliviers à Jérusalem, qui n’est pas loin. (La distance ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat.)
Arrivés dans la ville, ils montèrent à l’étage de la maison ; c’est là qu’ils se tenaient tous : Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, arthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
D’un seul coeur, ils participaient fidèlement à la prière, avec quelques femmes dont Marie, mère de Jésus, et avec ses frères.

Psaume : Ps 26, 1, 4abcd, 7-8

R/ Oui, nous verrons la bonté de Dieu sur la terre des vivants.

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ? 

J’ai demandé une chose au Seigneur, 
la seule que je cherche : 
habiter la maison du Seigneur 
tous les jours de ma vie.

Écoute, Seigneur, je t’appelle ! 
Pitié ! Réponds-moi ! 
Mon coeur m’a redit ta parole : 
« Cherchez ma face. »

2ème lecture : Bienheureux les persécutés pour le Christ (1P 4, 13-16)

Lecture de la première lettre de saint Pierre Apôtre

Mes bien-aimés, puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera.
Si l’on vous insulte à cause du nom du Christ, heureux êtes-vous, puisque l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous.
Si l’on fait souffrir l’un de vous, que ce ne soit pas comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme dénonciateur.
Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu à cause de ce nom de chrétien.

Evangile : La grande prière de Jésus : « Père, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1-11a)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur ne vous laisse pas orphelins : il reviendra vers vous, alors votre c?ur connaîtra la joie.Alléluia. (cf. Jn 14, 18; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il leva les yeux au ciel et pria ainsi : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie.
Ainsi, comme tu lui as donné autorité sur tout être vivant, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
Or, la vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ.

Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’oeuvre que tu m’avais confiée.
Toi, Père, glorifie-moi maintenant auprès de toi : donne-moi la gloire que j’avais auprès de toi avant le commencement du monde.
J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole.
Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. 

Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi, et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et je trouve ma gloire en eux.
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »
Patrick BRAUD

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27 mai 2014

Ascension : la joyeuse absence

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Ascension : la joyeuse absence

Homélie de l’Ascension
29/05/2014

« Dieu a fait l’homme comme la mer a fait les continents : en se retirant »

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Cette phrase d’un poète allemand (Hölderlin) peut nous aider à mieux comprendre cette fête de l’Ascension que nous célébrons aujourd’hui.

Car, rendez-vous compte : la joie qui est la nôtre aujourd’hui est paradoxale !

Celui que nous aimons nous est enlevé.

Celui que depuis Pâques nous reconnaissons comme le Vivant devient absent, insaisissable ;
le Christ ressuscité disparaît à nos yeux, et nous pourtant nous fêtons cela comme l’un des grands évènements liturgiques de l’année, au point de nous faire revenir à la messe en ce milieu de semaine !

L’image de la mer qui se retire pour laisser la terre ferme exister peut nous aider à comprendre le départ du Christ et sa remontée vers le Père comme une nouvelle création. Plus encore, une re-création du monde dont la naissance de l’Église à la Pentecôte sera le premier acte. « Il est bon pour vous que je m’en aille », disait Jésus, « car si je pars, l’Esprit Saint ne viendra pas à vous ». Oui, le départ du Christ vers son Père, son absence apparente, sont pour nous la chance d’une nouvelle création, d’une liberté nouvelle en Église sous l’influence de l’Esprit. Et ce n’est pas par hasard que Luc commence son Livre des Actes des Apôtres comme il avait terminé son Évangile par le récit de l’Ascension : début d’une nouvelle période de l’humanité, commencement de la vie de l’Église, comme une nouvelle Genèse.

Les textes d’aujourd’hui nous le redisent : le Christ glorifié a été élevé au-dessus de tout. Ses disciples ne peuvent plus le voir en restant les yeux fixés au ciel : ce n’est qu’en vivant en Église et en étant missionnaire que l’on peut percevoir les signes, les traces de l’action du Seigneur qui travaille toujours avec nous.

Un peu comme lorsque vous vous promenez sur la plage à marée basse : les traces et les coquillages sur le sable témoignent du travail de la mer lors de sa venue.

Le Christ élevé de terre n’est plus là, du moins n’est plus là comme nous le voudrions : nous ne pouvons plus le voir, le toucher, le saisir, comme les apôtres ont pu le faire pendant les 40 jours symboliques après Pâques.

Le Christ est absent, et pourtant il travaille avec nous, nous dit Évangile de Marc. Il est monté auprès du Père et il reste Dieu avec nous. Il est assis à la droite de Dieu et pourtant il est plus intime à nous mêmes que nous-mêmes.

Cette expérience de la présence-absence, nous la faisons souvent dans notre vie.
- C’est l’absence de l’enfant qui part de la maison lorsque pour ses études, son métier, il doit habiter ailleurs dans une autre ville.

- C’est l’absence des amis lorsque par suite de déménagements ou d’obligations professionnelles, on est obligé de couper des relations pourtant très fortes.

- C’est l’absence du pays pour l’étranger ou le voyageur loin de chez lui.
- C’est encore l’absence de l’être aimé lorsque la mort nous l’a enlevé…

Oui en vérité, tout homme fait dans sa vie l’expérience de l’absence.

C’est même une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de faire.
Tout au long de notre existence, de déchirure en déchirure, de départs en départs, nous serons arrachés aux cercles de nos amis, de nos parents, de nos relations.
‘C’est la vie’, et ce n’est pas forcément négatif.

La maison familiale vide d’enfants qu’on avait connue bruyante et agitée, c’est quelquefois triste pour les parents qui restent, mais c’est aussi le signe que les enfants sont devenus hommes et femmes, qu’ils volent maintenant de leur propres ailes. Et d’ailleurs, quand les enfants sont au loin, on les découvre parfois différents, sous un autre angle : plus profondément, en échangeant à égalité les soucis familiaux, professionnels avec eux.

L’épreuve des disciples au jour du départ de Jésus fut également d’abord l’expérience humaine d’une perte. Mais le Ressuscité les empêche de se complaire dans la nostalgie : « ne rêvez pas dans les nuages, ne restez pas les yeux fixés au ciel, allez vers les hommes annoncer la Bonne Nouvelle, vivez en Église et là vous me verrez ».

Un humoriste disait : à l’Ascension, Jésus a dit à ses disciples : « Allez voir ailleurs si j’y suis ». Ils y allèrent et effectivement il y était…

Effectivement Jésus est toujours ailleurs ; il disparaîtra toujours au moment où nous voudrions mettre la main dessus pour en faire une idole. Les disciples d’Emmaüs en savent quelque chose !

Toujours présent, toujours ailleurs, jamais atteint : l’Ascension nous empêche de faire du Christ glorifié une idéologie ou un système.


Ainsi en est-il de l’expérience de l’absence dans nos vies : si nous refusons de la voir en face, de l’assumer, nous restons prisonniers de notre mélancolie et de notre imaginaire.
Si nous refusons de perdre les gens que nous aimons, nous nous condamnons à l’immobilité, voire à la régression, nous privant ainsi de la possibilité de les retrouver vivants, d’une autre manière.

Si au contraire nous assumons ce qui dans notre vie est absence, vide, manque, alors nous sommes appelés à de nouvelles rencontres, de nouvelles relations, à repartir vers d’autres aventures.

Célébrer l’Ascension, c’est vivre l’expérience de l’absence, comme un moteur pour aller vers les autres. Une absence positive qui crée des relations nouvelles.

C’est refuser que le vide inscrit dans nos c?urs soit comblé, refuser que la blessure de l’amour du Christ en nous se referme.

C’est découvrir dans l’Eucharistie le vrai Corps du Christ qui est l’Église : par l’Église seulement, par l’amour fraternel vécu entre nous, nous pourrons toucher et voir celui qui n’est plus là devant nos yeux et qui nous attend pour nous faire nous aussi asseoir à la droite du Père.
Que l’absence réelle, la joyeuse absence de ce jour de l’Ascension nous fasse vivre autrement toutes les absences qui peuplent nos histoires humaines…

1ère lecture : L’Ascension du Seigneur (Ac 1, 1-11)
Commencement du livre des Actes des Apôtres

Mon cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’était montré vivant après sa Passion : il leur en avait donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur était apparu, et leur avait parlé du royaume de Dieu.

Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis. Il leur disait : « C’est la promesse que vous avez entendue de ma bouche. Jean a baptisé avec de l’eau ; mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. »
Réunis autour de lui, les Apôtres lui demandaient : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? »
Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine.
Mais vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »

Après ces paroles, ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée.
Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient :
« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

Psaume : Ps 46, 2-3, 6-7, 8-9
R/ Dieu monte parmi l’acclamation, le Seigneur aux éclats du cor.

Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

2ème lecture : Domination universelle du Christ assis à la droite du Père (Ep 1, 17-23)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens

Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment.
Qu’il ouvre votre c?ur à sa lumière, pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur, qu’il a mis en ?uvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
Il l’a établi au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir.
Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

Evangile : « Allez vers toutes les nations…je suis avec vous »(Mt 28, 16-20)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur s’élève parmi l’acclamation, il s’élève au plus haut des cieux. Alléluia. (cf. Ps 46, 6.10)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

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23 mai 2014

Fidélité, identité, ipséité

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Fidélité, identité, ipséité

Homélie du sixième dimanche de Pâques / Année A
25/05/2014

Fidélité, identité, ipséité dans Communauté spirituelle« Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent »

Cette citation célèbre d’Edgar Faure illustre son parcours pour le moins multi-cartes sous la IV° République, faisant sans cesse des allers-retours entre le centre droit, Mendès France, la présidence du Conseil, jusqu’au gouvernement de Pompidou ensuite !
Être une girouette est devenu synonyme en français de l’infidélité maximum !

 

Que veut dire : demeurer fidèle ?

Comment rester soi-même alors que tout change autour de soi et en soi ?

Qu’est-ce que la fidélité à l’heure où il y a un divorce pour deux mariages, où les politiques semblent incapables de tenir la parole donnée en campagne électorale ?

Comment changer pour demeurer soi-même ? 

Le Christ nous donne dans cet évangile du sixième dimanche de Pâques trois mots qui font système : « si vous m’aimez, vous demeurez fidèles à mes commandements » (cf. Jn 14, 15­­?21).

Chaque mot s’appuie sur les deux autres pour exister.

Que serait une fidélité rigide observant scrupuleusement les commandements sans amour ?

Que serait un amour-girouette obéissant aux seuls sentiments sans tenir compte des grands impératifs de la vie ensemble ?

Et que serait la loi ou l’éthique si elles nous éloignaient de la fidélité pratiquée avec amour ?

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Pour le Christ – et d’abord parce qu’il le vit ainsi lui-même – la fidélité se nourrit de l’amour et du respect des commandements.

 

On a là deux pôles apparemment en tension l’un avec l’autre : les commandements sont réputés immuables, universels (« tu ne tueras pas »…), alors que l’amour est vivant, donc changeant, évolutif, dynamique.

Observer les commandements, c’est jeter une ancre puissante pour stabiliser le navire et l’empêcher de dériver. Mais c’est une ancre flottante, car aimer oblige à passer sans cesse d’une rive à l’autre…

Paul Ricoeur – philosophe façonné par sa tradition protestante – a formulé avec génie cette dialectique du permanent et du changeant qui est en jeu dans la fidélité. Il distingue l’identité de l’ipséité, dans l’accomplissement de la personnalité de celui qui veut tenir parole.

« D’un côté, l’identité comme mêmeté (latin : idem ; anglais : sameness ; allemand : Gleichheit), de l’autre, l’identité comme ipséité (latin : ipse ; anglais : selfhood ; allemand : Selbstheit) » 1.

- L’identité désigne le côté stable, permanent, structurant du caractère et de la personnalité de quelqu’un

- L’ipséité vise plutôt le mouvement réfléchi de celui qui travaille sur soi pour devenir vraiment lui-même. À cause des événements extérieurs, à cause de la maturation intérieure, chacun évolue et prend conscience de façon plus affinée, de façon différente, de son identité profonde.

Il faut donc conjuguer ces deux dimensions, tout au long d’une existence, de façon dialectique. Car la grande question de la fidélité est d’intégrer le temps humain sans se renier 2.

Se figer sur une identité statique (la mêmeté, dit Ricoeur) et immuable peut engendrer tous les intégrismes, tous les communautarismes et rejets de l’autre que nous voyons proliférer.

Se laisser fasciner par l’ipséité, par la possibilité d’engendrement de soi, peut également aboutir à toutes les dérives, de celles de la théorie du genre aux innombrables fidélités successives qui détruisent les couples, les partis politiques, les entreprises… Alain Finkielkraut a essayé ? avec un esprit polémique discutable - de diagnostiquer cette pathologie de « l’identité malheureuse » qui oublie l’enracinement, et engendre « le vertige de la désidentification » 3.

 

Sans vouloir calquer les deux analyses, on peut quand même entendre dans le trio amour/fidélité/commandements un signe annonciateur (ou du moins cohérent avec) de la dialectique entre l’identité et l’ipséité de Ricoeur.

- Les commandements en effet sont plutôt du côté de l’identité-mêmeté. Ils n’ont pas bougé depuis 2000 ans (depuis 5000 ans même si l’on remonte au code d’Hammourabi). Jésus ne veut surtout pas les abolir (cf. « Accomplir, pas abolir« ). L’interdit du meurtre ou de l’inceste sont gravés dans l’inconscient collectif comme des structurants  fondamentaux du vivre ensemble. Et cela ne bougera pas de sitôt !

- L’amour lui est plutôt du côté de l’ipséité. Par amour de l’autre, on se lance dans de nouveaux projets qui changent la vie : acquérir une maison, devenir parent, donner un autre sens à son travail… Par amour d’une idée ou d’une conviction, on peut être amené à faire des choses nouvelles inconcevables auparavant : partir en Afrique, adopter des enfants, changer de métier, accepter des responsabilités, bref être emmené là où vous n’aviez jamais pensé aller.

 

Comment unir les deux ?

Dans la philosophie de Ricoeur – qui veut rester méthodologiquement athée – c’est la personne, le sujet parlant (et voulant tenir sa parole c’est-à-dire être fidèle à la parole donnée) qui fait l’unité entre eux identité et ipséité. Dans la bouche du Christ, nous l’avons entendu, c’est un autre acteur – pourtant très intime - qui fait le lien : « l’Esprit de vérité ». C’est l’Esprit qui nous permet de discerner ce qui est à conserver et ce qui doit évoluer. C’est dans l’Esprit que nous sommes amenés à décider comment être plus fidèle à nous-mêmes. La vie spirituelle est justement cet aller-retour permanent entre ce qui fait notre être profond et les décisions à prendre pour y correspondre pleinement. L’Esprit nous fait naviguer sur de nouveaux horizons sans nous débarrasser de l’ancre flottante des commandements régulant notre allure, surtout par forte houle et tempête…

Du coup, devenir fidèle est très concret.

Prenez la fidélité de l’Église aux commandements juifs. À la lettre, les chrétiens y sont infidèles : nous ne respectons plus le shabbat, ni les 613 commandements très précis encadrant la vie des juifs pratiquants. Pourtant, nous avons l’audace de croire que nous respectons mieux encore l’esprit de ses commandements depuis que le Christ nous a montré comment les accomplir (sans les abolir). L’accomplissement est dans l’amour (de Dieu / de l’autre) : c’est la règle ultime au-dessus de toutes les autres qui permet de les vivre en cohérence avec la présence de Dieu en nous. Au nom de cet accomplissement, le Christ a permis à ses disciples de travailler le jour du shabbat, et lui-même a guéri des malades et handicapés ce jour là. Au nom de l’ipséité pourrait-on dire, l’Église a ensuite permis aux juifs de manger avec les non- juifs, aux païens de ne pas être circoncis pour entrer dans le baptême, aux chrétiens de manger les animaux autrefois déclarés impurs etc.

La vraie fidélité est dynamique, on le voit bien. Pas n’importe quelle dynamique, pas celle de la girouette d’Edgar Faure ! Non : une dynamique pour mieux accomplir les commandements qui structurent notre dignité humaine.

Cette fidélité-là est exigeante : à la fois créatrice et enracinée, souple et avec une forte colonne vertébrale, attentive aux signes des temps et ferme sur ce qui n’est pas négociable.

Cette fidélité-là est féconde : « vous ferez des oeuvres plus grandes que moi » ose dire Jésus (Jn 14,10).

 

« Si vous m’aimez, vous demeurerez fidèles à mes commandements » : examinons les fidélités (ou infidélités) qui ont été / sont les nôtres. Comment peuvent-elles se laisser transformer par ce que le Christ nous en dit aujourd’hui ?

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1. Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, coll. Points essais, 1990, p. 140.

2. Dans Temps et récit, Paul Ricoeur avait introduit la notion d’identité narrative à l’occasion d’une discussion sur le sens du temps dans les récits de fiction ; dans Soi-même comme un autre qui porte principalement sur la question de l’identité, il développe à nouveau ce concept en l’explicitant :
« Je me propose de remettre ici en chantier la théorie narrative, non plus dans la perspective de ses rapports avec la constitution du temps humain, comme il a été fait dans Temps et récit, mais de sa contribution à la constitution du soi » ; ibid., p. 138.

3. Alain Finkelkraut, L’identité malheureuse, Stock, 2013.

1ère lecture : Évangélisation de la Samarie (Ac 8, 5-8.14-17)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ.
Les foules, d’un seul c?ur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car tous entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même ils les voyaient.
Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits mauvais, qui les quittaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et d’infirmes furent guéris.
Et il y eut dans cette ville une grande joie.

Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils leur envoyèrent Pierre et Jean.
À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour les Samaritains afin qu’ils reçoivent le Saint-Esprit ; en effet, l’Esprit n’était encore venu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.
Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils recevaient le Saint-Esprit.

Psaume : Ps 65, 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20

R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !

Acclamez Dieu, toute la terre ; 
fêtez la gloire de son nom, 
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi, 
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
Venez et voyez les hauts faits de Dieu, 
ses exploits redoutables pour les fils des hommes. 

Il changea la mer en terre ferme : 
ils passèrent le fleuve à pied sec. 
De là, cette joie qu’il nous donne. 
Il règne à jamais par sa puissance. 

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : 
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, 
ni détourné de moi son amour !

2ème lecture : Soyez les témoins de notre espérance au milieu des hommes (1 P 3, 15-18)

Lecture de la première lettre de saint Pierre Apôtre

Frère,
c’est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos c?urs comme le seul saint. Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. 
Ayez une conscience droite, pour faire honte à vos adversaires au moment même où ils calomnient la vie droite que vous menez dans le Christ.
Car il vaudrait mieux souffrir pour avoir fait le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt que pour avoir fait le mal.
C’est ainsi que le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes ; lui, le juste, il est mort pour les coupables afin de vous introduire devant Dieu. Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a été rendu à la vie.

Evangile : « Je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14, 15-21)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Dans l’Esprit Saint, rendez témoignage que Jésus est le Fils de Dieu, car l’Esprit est vérité. Alléluia. (cf. 1 Jn 5, 6)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements.
Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité. Le monde est incapable de le recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous, et qu’il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous.
D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous.
Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Patrick BRAUD

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16 mai 2014

Le but est déjà dans le chemin

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Le but est déjà dans le chemin

Homélie du 5° dimanche de Pâques / Année A
18/05/2014

Le but est en chemin

« Le but est déjà dans le chemin ».

Le but est déjà dans le chemin dans Communauté spirituelle 201105131641Cette maxime, attribuée tantôt à Nietzsche tantôt à Lao Tseu, ou à d’autres auteurs encore, exprime une vérité qui rejoint celle de notre évangile (Jn 14,1-12).

Dire que le chemin est le but, c’est inverser l’ordre des priorités : il n’y a pas de but transcendant et préexistant, il y a seulement une manière d’avancer qui nous transforme en ce que nous devons devenir.

C’est grâce à Thomas que nous savons que Jésus se pense lui-même comme le chemin pour aller vers Dieu : « je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 11). Et c’est grâce à Philippe que nous savons que ce chemin est déjà le but : « qui m’a vu a vu le Père ». Philippe voulait qu’on lui montre le but à atteindre (le Père). Jésus l’oblige à se concentrer sur le chemin pour y aller. S’engager sur ce chemin (le Christ) est déjà ne faire qu’un avec le Père. Comme si le terme de la marche était présent à chaque avancée sur le sentier… Tel le ruban de Möbius qui conduit à lui-même en changeant sans cesse de face, le chemin de la foi au Christ nous transforme en cours de route à l’image de son Père. Cette transformation (transfiguration) n’est pas un but à atteindre : c’est une conséquence du mouvement même qui nous unit au Christ.

La Fontaine avait pressenti quelque chose de cet ordre en écrivant la fable du laboureur et de ses enfants. Le vrai trésor n’est pas ce qui est caché dans le champ, mais le fait même de retourner le champ par un travail acharné. 

200px-La_Fontaine_-_Fables_-_1668 but dans Communauté spirituelleTravaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’août.
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.

D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor. 

En termes techniques, certains vous diront qu’on passe alors d’une stratégie prédictive (un but / des moyens) à une stratégie effectuale (des moyens produisent des effets qui deviennent des buts en chemin).

La question n’est plus : à quoi ça sert ? mais : qu’est-ce que je vais faire avec cela ?

Et cela s’applique à bien des domaines de la vie.

- Si par exemple le but d’un couple est dans le chemin qu’il emprunte, et non pas dans un rêve idéalisé, alors c’est le dialogue, l’engagement commun, le respect mutuel qui décideront en chemin de ce que ce couple deviendra et non l’inverse.

- Si en entreprise, le but du management est dans le chemin qu’il parcourt avec les employés, alors il ne peut plus y avoir de stratégie directive pour atteindre des objectifs fixés à l’avance. C’est en cours de route, en pratiquant la co-construction, le collaboratif, qu’émergeront de façon spontanée des buts déjà atteints grâce à ces attitudes où le comment est plus important que le pourquoi.

Dans ces projets managériaux, le résultat économique n’est pas une ambition à atteindre : le résultat devient une résultante, et non pas un objectif.

 

- Si en Église les responsables exercent leur autorité avec simplicité et humilité, fraternellement, alors ils ne décideront pas à la place de leur communauté, mais avec elle. Et surtout ils incarneront eux-mêmes le message qu’ils transmettent. À tel point que leur message sera bien plus leur manière d’être que leurs idées propres. Regardez le pape François : c’est d’abord sa bonté, son accueil des plus petits, sa compassion envers les exclus qui frappent les foules. Et on finit par dire de lui ce qu’on disait autrefois de Jésus : « il parle en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes ». Autrement dit, on ne se souvient guère du contenu de ce que Jésus disait, mais de la manière dont il le disait, qui était beaucoup plus importante.

À tel point que le message de Jésus finissait par ne plus être ses paroles mais Jésus lui-même.

 

Medium is message

 

Un célèbre théoricien des médias – Marshall Mc Luhan – a formulé ainsi cet effet maintenant bien connu : medium is message.

Une autre manière de dire que le but est dans le chemin en somme.

Mc Luhan réfléchit sur l’impact qu’ont les nouveaux médias, siècle après siècle, sur leur environnement. Ils n’apportent pas un message nouveau, mais ils sont en eux-mêmes un rapport nouveau au monde, une nouvelle façon de voir le monde (Weltanschauung). Ainsi Internet révolutionne notre conception du savoir autant que l’imprimerie de Gutenberg au XVIe siècle.

 

675814_2841793 chemin« À l’âge de l’électricité, où notre système nerveux central se prolonge technologiquement au point de nous engager vis-à-vis de l’ensemble de l’humanité et de nous l’associer, nous participons nécessairement et en profondeur aux conséquences de chacune de nos actions. Contracté par l’électricité, notre globe n’est plus qu’un village. (?)

En réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. 

 Le chemin de fer n’a pas apporté le mouvement, le transport, la roue ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l’échelle des fonctions humaines existantes, créé de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisir. (?). L’avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme « ferroviaire » de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l’usage qui en est fait. » 

Medium is message.

Reprenez les transpositions évoquées plus haut.

- La manière de vivre à deux compte plus que le rêve commun.

- Le style du management (directif vs collaboratif etc.) compte plus que les objectifs du management.

- Les relations fraternelles en Église sont plus importantes que les idées des dirigeants.

 

Bref : la manière de construire des décisions (en famille, au travail, en Église…) compte plus que les décisions elles-mêmes.

Jésus est plus important que le message qu’il délivre, car le vrai message du Christ, c’est le Christ lui-même.

 

Le pourquoi n’a plus d’importance

Angelus-Silesius-La-Rose-Est-Sans-Pourquoi-Livre-896545290_ML La FontaineVoilà comment Jésus est le chemin qui du coup nous dispense de la question du pourquoi. Les mystiques rhénans du XIV° siècle reviennent sans cesse sur ce détachement nécessaire vis-à-vis du pourquoi :

« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit,
n’a pour elle-même aucun soin, ? ne demande pas : suis-je regardée ? »

Angélus Silesius et les mystiques rhénans avaient expérimenté que c’est en lâchant prise, loin de tout objectif à atteindre, que l’on accomplit réellement sa vocation. Seul compte le chemin sur lequel nous marchons, tout le reste nous est donné par-dessus le marché, en cours de route.

 

Philippe reste attaché à une logique fin / moyens qui hélas nous colle à la peau : « montre nous le Père (le but), cela nous suffit ». Jésus est obligé de lui faire ce reproche : « tu ne crois pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » C’est-à-dire : tu n’as pas encore découvert que Dieu se donne en cours de route, et pas à la fin ?

 

Medium is message.

Le but est déjà dans le chemin.

Qu’il s’agisse de notre vie familiale, professionnelle ou ecclésiale, puisse cette vérité nous aider à ne poursuivre aucun but, mais à être extrêmement vigilant sur le chemin que nous suivons.

Si ce chemin est le Christ, alors le but émergera de lui-même : ne faire qu’un avec le Père.

Redécouvrons la vie chrétienne comme un cheminement qui engendre sans cesse de nouveaux possibles, et non pas comme une poursuite inhumaine d’objectifs prédéfinis.

 

 

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* Marshall Mc Luhan,  Pour comprendre les médias, 1964.

1ère lecture : Les premiers auxiliaires des Apôtres (Ac 6, 1-7)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque : ils trouvaient que, dans les secours distribués quotidiennement, les veuves de leur groupe étaient désavantagées.
Les Douze convoquèrent alors l’assemblée des disciples et ils leur dirent : « Il n’est pas normal que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des repas.
Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, qui soient des hommes estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous leur confierons cette tâche.
Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la Parole. »
La proposition plut à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un païen originaire d’Antioche converti au judaïsme.
On les présenta aux Apôtres, et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains.

La parole du Seigneur était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs accueillaient la foi.

Psaume : Ps 32, 1.2b-3a, 4-5, 18-19

R/ Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi !

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.
Chantez-lui le cantique nouveau.

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; 
il est fidèle en tout ce qu’il fait. 
Il aime le bon droit et la justice ; 
la terre est remplie de son amour. 

Dieu veille sur ceux qui le craignent, 
qui mettent leur espoir en son amour, 
pour les délivrer de la mort, 
les garder en vie aux jours de famine.

2ème lecture : Le peuple sacerdotal (1 P 2, 4-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre Apôtre

Frères, approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu’il en connaît la valeur.
Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus.
On lit en effet dans l’Écriture : Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie et de grande valeur ; celui qui lui donne sa foi ne connaîtra pas la honte.
Ainsi donc, honneur à vous qui avez la foi, mais, pour ceux qui refusent de croire, l’Écriture dit : La pierre éliminée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre sur laquelle on bute, un rocher qui fait tomber. Ces gens-là butent en refusant d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver.
Mais vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu ; vous êtes donc chargés d’annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.

Evangile : « Personne ne va vers le Père sans passer par moi »(Jn 14, 1-12)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Tu es le Chemin, la Vérité et la Vie, Jésus, Fils de Dieu. Celui qui croit en toi a reconnu le Père. Alléluia.(cf. Jn 14, 6.9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Ne soyez donc pas bouleversés : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : Je pars vous préparer une place ?
Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi.
Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin. »
Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas ; comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi.
Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais c’est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit ses propres ?uvres.
Croyez ce que je vous dis : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne croyez pas ma parole, croyez au moins à cause des ?uvres.
Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi accomplira les mêmes ?uvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père. »
Patrick Braud 

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