Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Homélie pour le Jeudi Saint / Année A
17/04/2014
« Je soutiens que le Décalogue est une carte.
Il commence par ces mots : Je suis YHWH, ton Dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Égypte. Vous reconnaissez aussitôt deux motifs importants de la raison cartographique, à savoir le point fixe (l’Éternel, ton Dieu) et le chemin (sortir du pays d’Égypte). »
Ainsi s’exprime un géographe suédois, Gunnar Olsson, dans sa relecture originale de l’histoire comme une tentative de cartographier le chemin de l’aventure humaine (Philosophie Magazine n° 77, Mars 2014, p. 35).
Jésus a enraciné sa propre Pâque dans celle de son peuple.
La première lecture du Jeudi Saint nous dit que le dernier repas du Christ accomplit le repas de la sortie d’Égypte pour ceux qui allaient devenir le peuple juif (Ex 22,1-14). L’agneau pascal, le sang sur la porte, le mémorial ainsi institué : tout indique que notre eucharistie chrétienne se situe dans le prolongement de la sortie d’Égypte.
L’apport original de Gunnar Olsson est d’interpréter ce repas comme une cartographie de l’aventure humaine. Ainsi, en communiant, nous recevons de quoi nous repérer dans l’itinéraire de nos vies !
Carte d’Ératosthène , 220 av. JC (première carte connue)
Que faut-il en effet pour réaliser une carte géographique ?
Il faut d’abord un point fixe qui permette de se situer par rapport à lui. C’était l’Est au Moyen Âge à cause de sa signification spirituelle : le Christ ressuscité se lève à l’Est comme le soleil levant. Ce fut ensuite le Nord magnétique à partir de la Renaissance.
Il faut ensuite un support de projection : un carton plat (d’où le mot carte), une sphère (pour une mappemonde), ou toute autre forme.
Il faut enfin une échelle de projection, c’est-à-dire une convention qui permette de passer de la réalité physique au support choisi. La projection de Peters par exemple donne une vision de la Terre différente de nos cartes habituelles (projection de Mercator).
Regardez le repas pascal qui marque la sortie d’Égypte (Ex 12,1-14). Il comporte effectivement comme le note Olsson un point fixe : « je suis le Seigneur », un support existentiel : « la ceinture aux reins » pour sortir d’Égypte, et une échelle, une convention pour projeter l’un sur l’autre : c’est la Pâque, qui va guider Israël puis l’Église dans leur voyage vers la liberté : « ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. »
L’eucharistie est donc une mappemonde où nous pouvons visualiser, mesurer, étalonner les itinéraires de nos vies. D’ailleurs le vieux mot latin mappa qui a donné mappemonde vient de la nappe (nappa) que l’on dépose sur l’autel comme une surface de projection de l’agir du Christ ici. La mappemonde est donc en ce Jeudi Saint une nappe-monde, une manière de s’orienter dans l’existence en s’appuyant sur le point fixe (Dieu Sauveur) qui rend possible l’orientation (se tourner vers l’orient) de nos vies vers la libération pleine et entière.
Comme toute projection géographique, l’eucharistie peut donc donner lieu à de multiples représentations : orthodoxe, catholique, protestante… sans qu’aucune ne puisse se prétendre définitive.
Comme toute carte géographique, l’eucharistie peut devenir portative à l’image du plan de métro qu’on emporte avec soi dans son smartphone pour ne pas se perdre, et trouver la bonne correspondance.
Comme toute carte moderne couplée à un bon GPS connecté, l’eucharistie peut nous fournir des recommandations détaillées, écrites ou vocales, afin d’optimiser notre trajet, éviter les encombrements, les accidents, les zones dangereuses…
Comme nos vieilles cartes Vidal de la Blache, l’eucharistie exposée peut nous donner des envies de voyager ailleurs, autrement, d’apprendre des noms étrangers, d’aller rencontrer ceux qui sont à l’autre extrémité…
Comme les schémas précis de l’architecte, la carte eucharistique nous donnera les cotes précises, les plans de coupe, la perspective 3D pour mener à bien un chantier de construction, qu’il soit conjugal, professionnel ou autre.
Entraînez-vous à regarder l’eucharistie comme une carte géographique, et vous verrez que vous n’aurez plus jamais le sentiment d’être perdu au milieu d’événements ou de périodes chaotiques.
La sortie d’Égypte, c’est ici et maintenant pour chacun de nous, les paumes ouvertes pour recevoir le pain consacré.
« Que chacun ce soir se considère comme personnellement sorti d’Égypte » fait répéter le rituel juif de la Pâque au père de famille chaque année.
La nappe-monde de l’autel eucharistique nous invite à chercher ce chemin libérateur, jusqu’à la libération ultime à travers notre mort physique.
Messe du soir en mémoire de la Cène du Seigneur
1ère lecture : L’agneau pascal (Ex 12,1-8.11-14)
Lecture du livre de l’Exode
Dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année.
Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.
Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger.
Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d’un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau.
Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil.
On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera.
On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères.
Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur.
Cette nuit-là, je traverserai le pays d’Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : je suis le Seigneur.
Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. »
Psaume : Ps 115, 12-13, 15-16ac, 17-18
R/ Bénis soient la coupe et le pain, où ton peuple prend corps.
Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.
2ème lecture : Le repas du Seigneur (1 Co 11, 23-26)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
Evangile : Le lavement des pieds (Jn 13, 1-15)
Acclamation :
Gloire et louange à toi,
Seigneur Jésus.
« Tu nous donnes un commandement nouveau :
Aimez-vous les uns les autres
domme je vous ai aimés. »
Gloire et louange à toi,
Seigneur Jésus. (cf. Jn 13, 34)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! »
Jésus lui déclara : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, … mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick Braud