La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
Homélie pour la fête de la Sainte famille Année A
29/12/13
Un EHPAD : cinq lettres garantissant un certain confort pour les personnes âgées dépendantes accueillies dans cet établissement médicalisé.
Pourtant, dès l’entrée, un saisissement submerge le visiteur. Une batterie de regards vides alignés dans leurs fauteuils roulants, autour d’une cheminée sans feu ; un silence étrange vu la vingtaine de vieilles dames rassemblées là, et qui devraient papoter à plaisir. Est-ce encore vivre que de laisser le temps s’écouler ainsi, sans autre objectif que d’atteindre le prochain repas, sans autre parole que celles qui sont enfouies, incohérentes, dans les mémoires embrouillées ?
Vous cherchez le visage de la personne que vous êtes venu visiter. Elle a l’air toute surprise alors que vous lui avez rappelé 20 fois auparavant. Au moins est-elle heureuse de cette soudaine déchirure dans la longue solitude journalière répétitive. Mais la conversation devient très vite épuisante. Quand il n’y a plus de traces du passé, quand on est incapable de se projeter plus loin que le prochain repas, il ne reste plus que le présent à explorer. Les oiseaux dans les arbres, la pluie qui va revenir, et cette légère douceur de l’air qui pourrait bien nous permettre d’aller faire une balade dehors, ce que beaucoup de pensionnaires enfermés attendent avec impatience…
Le pire, c’est quand avec la déchirure de l’âge ressortent tous les défauts les plus graves jusque-là jugulés par l’éducation et le savoir-vivre. Rivalité, jalousie, agressivité, méchanceté les unes envers les autres… : les maisons de retraite fourmillent de ce venin d’inhumanité où l’incontinence touche également les attitudes mauvaises auparavant habilement contenues.
Et le pire du pire, c’est le troisième étage, l’étage des « cinglés », dont l’appellation polie de personnes désorientées ou le nom scientifique d’Alzheimer masque mal leur totale dépersonnalisation. Hébétés, à moitié déshabillés, ils errent dans les couloirs ou se terrent dans leur chambre, en donnant du Madame aux Messieurs, en ne reconnaissant plus personne, en n’ayant plus conscience du jour, de l’année, de leur dignité ni de leur identité.
Ressortir indemne de ces visites est impossible.
Le grand âge c’est donc cela aussi ! Pas seulement le beau vieillard adulé qu’était Nelson Mandela, ni les seniors en pleine forme de nos publicités pour happy-boomers. Mais une déchéance du corps, de l’esprit, du souffle. « La vieillesse est un naufrage » osait dire le général De Gaulle en regardant Pétain. Il visait l’errance morale du vieux maréchal. Mais le naufrage s’attaque aujourd’hui à toutes les capacités : physiques, intellectuelles, spirituelles. Nous vivons maintenant si vieux que statistiquement il y a de grandes chances que nos 10 dernières années, autour des 80-90 ans, se transforment en longue dérive dégradante.
L’avertissement de Ben Sirac le Sage (1° lecture) résonne avec d’autant plus de violence dans ce contexte. « Soutiens ton père dans sa vieillesse. Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force » (Si 3,2-14).
En cette fête de la Sainte Famille, voilà un devoir familial dur à entendre. Car c’est épuisant que d’accompagner ainsi des vieillards dans leur démence sénile. C’est en outre devenu si cher que bientôt notre société ne pourra plus payer pour des conditions d’accueil et de soins dignes. Allez faire un tour dans les longs séjours de nos hôpitaux, de nos hospices publics, et vous découvrirez des mouroirs qui n’ont rien à envier à ceux de Calcutta.
Pourtant, le sage nous avertit : « ne méprise pas tes vieux parents lorsque l’esprit les abandonne », sinon pourrais-tu toi-même espérer de la miséricorde pour toutes tes déchéances actuelles ou à venir ?
C’est l’ancien commandement : « honore ton père et ta mère » que la sagesse invite à revisiter. Que veut dire : honorer ses vieux parents lorsque apparemment ils sont réduits à une survie plus ou moins animale ?
Redoutable question, qui va peser sur le débat à l’Assemblée Nationale pour les lois dites ?de fin de vie’ : euthanasie active ou passive, suicide assisté, surcoût insupportable pour les déficits publics etc.
L’impératif catégorique demeure pour autant : « honore ton père et ta mère ».
Peut-être Jésus l’a-t-il vécu dans son enfance, confronté au grand âge, puis à la mort de son père adoptif ? Car Joseph, selon quelques traditions orales, aurait été beaucoup plus âgé que Marie, et serait mort au moment où Jésus émerge à la vie publique. Mais on ne sait rien ou presque de l’attitude de Jésus vis-à-vis des personnes âgées de son époque. Tout simplement parce que dans ce temps-là on ne vivait pas vieux !
C’est réellement une question moderne engendrée par l’allongement spectaculaire de l’espérance de vie, et de la santé qui y conduit. Difficile donc de trouver dans la Bible comment faire pour accompagner nos seniors ++ jusqu’au bout.
À nous d’inventer les chemins de respect et d’affection pour entourer nos aînés.
Ce n’est plus en prenant chez soi ses parents ou beaux-parents, comme on faisait autrefois à la ferme. Car nos appartements, nos rythmes de vie ne sont plus compatibles avec cela. Et cette cohabitation de générations engendrait bien des rancoeurs, frustrations et dominations dont nous ne voulons plus.
Alors, que faire pour ceux dont la force et l’esprit les abandonnent ?
- Une première réponse se trouve du côté de la recherche scientifique.
Combattre la douleur et le handicap liés à l’âge, entretenir la motricité et l’indépendance, vaincre Alzheimer (peut-être grâce aux cellules souches) etc…. Investissons massivement dans cette recherche, de qui dépendent nos conditions de vieillesse future.
- Une deuxième réponse se trouve du côté de l’innovation sociale. On peut imaginer des lieux de vie différent, des prises en charge à domicile alternatives, des associations mieux impliquées, des croisements intergénérationnels avec des écoles, des artistes etc. La lutte contre la solitude des personnes âgées est notamment un champ où les chrétiens ont un vrai savoir-faire (Petites Soeurs des Pauvres, conférences Saint-Vincent de Paul, service évangélique des malades etc…).
- Une troisième réponse sera proprement spirituelle. Un sursaut de la conscience collective pour ne pas se voiler la face devant cette question de plus en plus lourde, pour aller affirmer a priori la valeur et la dignité de toute personne humaine, justement – et plus encore – lorsqu’elle n’a plus apparence humaine à cause du grand âge.
Le Christ a fait l’expérience de devenir un rebut de l’humanité, humilié, méprisé, regardé « comme un ver » et non comme un être humain. C’était pour que les défigurés de nos sociétés trouvent en lui un compagnon de route qui rappelle à tous la vraie beauté humaine que même la démence sénile et la déchéance des années ne peuvent extirper de l’existence de chacun.
En fêtant la Sainte Famille, réfléchissons aux engagements personnels et collectifs à prendre pour que nos aînés ne soient pas déshonorés par la perte de leurs facultés.
« Même si son esprit l’abandonne, ne méprise pas ton père ou ta mère ».
1ère lecture : Les vertus familiales (Si 3, 2-6.12-14)
Lecture du livre de Ben Sirac le Sage
Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants, il renforce l’autorité de la mère sur ses fils.
Celui qui honore son père obtient le pardon de ses fautes,
celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor.
Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé.
Celui qui glorifie son père verra de longs jours, celui qui obéit au Seigneur donne du réconfort à sa mère.
Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse, ne le chagrine pas pendant sa vie.
Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force.
Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée, et elle relèvera ta maison si elle est ruinée par le péché.
Psaume : Ps 127, 1-2, 3, 4.5bc
R/ Heureux les habitants de ta maison, Seigneur !
Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !
Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.
Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le Seigneur.
Tu verras le bonheur de Jérusalem
tous les jours de ta vie.
2ème lecture : Vivre ensemble dans le Christ (Col 3, 12-21)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens
Frère,
puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes ses fidèles et ses bien-aimés, revêtez votre c?ur de tendresse et de bonté, d’humilité, de douceur, de patience.
Supportez-vous mutuellement, et pardonnez si vous avez des reproches à vous faire. Agissez comme le Seigneur : il vous a pardonné, faites de même.
Par-dessus tout cela, qu’il y ait l’amour : c’est lui qui fait l’unité dans la perfection.
Et que, dans vos coeurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés pour former en lui un seul corps.
Vivez dans l’action de grâce.
Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres avec une vraie sagesse ; par des psaumes, des hymnes et de libres louanges, chantez à Dieu, dans vos c?urs, votre reconnaissance.
Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus Christ, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père.
Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c’est ce qui convient.
Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle.
Vous les enfants, en toutes choses écoutez vos parents ; dans le Seigneur, c’est cela qui est beau.
Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager.
Evangile : La Sainte Famille en Égypte et à Nazareth (Mt 2, 13-15.19-23)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Vraiment, tu es un Dieu caché, Dieu parmi les hommes, Jésus Sauveur ! Alléluia. (cf. Is 45, 15)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Après le départ des mages, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »
Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte,
où il resta jusqu’à la mort d’Hérode. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils.
Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et reviens au pays d’Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. »
Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et rentra au pays d’Israël.
Mais, apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth.
Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen.
Patrick Braud