L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
Homélie pour la fête de l’Assomption / Année C
15 Août 2013
« Le vent se lève. Hâte-toi. La voile bat au long du mât. L’honneur est dans les toiles ; et l’impatience sur les eaux comme fièvre du sang. La brise mène au bleu du large ses couleuvres d’eau verte. Et le pilote lit sa route entre les grandes taches de nuit mauve, couleur de cerne et d’ecchymose. » 1
Fermez les yeux…
Vous naviguez de nuit, à la fraîche.
Vous avez hissé la voile aussitôt sortis du port de la Trinité sur Mer, et vous voilà à chercher l’accès vers Belle-Île à travers le passage du Béniguet. Le vent est établi : 3 à 4 Beaufort, de quoi entendre le chuintement régulier de l’étrave dans la vague, belle et franche respiration du bateau taillant sa route vers Houat et Hoedic. La nuit, le plancton phosphorescent donne à l’océan un air illuminé où toutes les rencontres deviennent possibles. Bien sûr vous avez le compas à l’oeil, l’enchaînement des bouées est bien visible sur la table à cartes ; et le GPS – espion fidèle – surveille votre route.
Imaginez un moment que tous ces repères n’existent plus, que l’électronique tombe en panne, qu’il n’y ait plus de bouées, plus de cartes marines, plus de satellites : comment ne pas aller se fracasser sur la multitude de cailloux et de rochers qui parsèment ces étroits passages entre les îles bretonnes ?
Vous retrouvez alors les vieux réflexes des navigateurs d’antan : lever les yeux, regarder le ciel étoilé, repérer les astres remarquables, calculer son cap d’après les alignements, ressortir l’antique sextant qui autrefois guidait les navigateurs au-delà de leurs mondes connus…
En ce 15 août, Marie est « montée » au ciel, telle une étoile non pas filante mais au contraire stable et rassurante. Le peuple chrétien la chante depuis des siècles sous le titre d’étoile de la mer.
Ave, maris stella,
Dei mater alma,
Atque semper virgo,
Felix caeli porta.
Sumens illud « Ave »
Gabrielis ore,
Funda nos in pace,
Mutans Evae nomen.
Solve vincla reis,
Profer lumen caecis,
Malanostra pelle,
Bona concta posce.
Monstra te esse matrem,
Sumat per te preces
Qui pronobli natus
Tulit esse tuus
Virgo singularis,
Inter mones mitis,
Nos culpis solutos
Mites fac et castos.
Vitam praesta puram,
Iter para tutum,
Ut videntes Jesu
Semper collaetémur
Sit laus Deo Patri,
Summo Christus decus,
Spirituti Sancto
Tribus, honor unus.
Amen
Traduction
Salut, étoile de la mer,
Sainte Mère de Dieu
Et vierge à jamais consacrée,
Bienheureuse porte du ciel.
Recevant cet Ave
Par la bouche de Gabriel
Fixe-nous dans la paix,
Retournement du nom d’Eva (Ève).
Des pécheurs brise les liens
Aux aveugles accorde la lumière,
Délivre-nous de nos misères,
Obtiens pour nous les vrais biens !
Montre toujours que tu es Mère,
Qu’il reçoive de toi nos prières
Celui qui est né pour nous,
En acceptant d’être ton fils.
O Vierge sans pareille
Vierge douce entre toutes,
Obtiens le pardon de nos fautes
Rends nos c?urs humbles et purs.
Rends sainte notre vie
Rends sûre notre route,
Afin que, contemplant Jésus,
Nous partagions sans fin ta joie.
Louange à Dieu le Père,
Gloire au Christ souverain
Ainsi qu’au Saint-Esprit ;
Aux Trois un seul honneur sans fin.
Ave Maris Stella est un vieil hymne toujours chanté à l’office, saluant la Vierge sous les traits d’un astre de nuit guidant les marins au milieu des dangers de l’océan. Le texte de l’hymne joue avec les mots. Ave est l’inverse de Eva : le salut (ave) signifie que la nouvelle Ève, accomplissant en sens inverse le chemin de la création déchue, réalise la vocation ultime de l’humanité : partager l’intimité de Dieu. L’assonance Maris / Maria suggère la même immensité en Marie quand l’océan.
« De millénaires ouverte, la Mer totale m’environne.
L’abîme infâme m’est délice, et l’immersion, divine.
Et l’étoile apatride chemine dans les hauteurs du Siècle vert.
Et ma prérogative sur les mers est de rêver pour vous ce rêve du réel…
Ils m’ont appelé l’Obscur et j’habitais l’éclat.
(…)
Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche. Et par toi, coeur aimant, toute l’étroitesse d’aimer, et par toi, coeur inquiet, tout l’au-delà d’aimer. Entends siffler plus haut que mer la horde d’ailes migratrices. Et toi force nouvelle, passion plus haute que d’aimer, quelle autre mer nous ouvres-tu où les vaisseaux n’ont point d’usage ? (Ainsi j’ai vu un jour, entre les îles, l’ardente migration d’abeilles, et qui croisait la route du navire, attacher un instant à la haute mature l’essaim farouche d’une âme très nombreuse, en quête de son lieu…)
(?)
Une même vague par le monde, une même vague parmi nous, haussant, roulant l’hydre amoureuse de sa force… Et du talon divin, cette pulsation très forte, et qui tout gagne… Amour et mer de même lit, amour et mer au même lit… » 2
Pourquoi appeler Étoile de la mer Marie en son Assomption ?
Depuis l’Ascension du Christ, il n’est plus là physiquement devant nos yeux. Lui, la lumière des nations (Lumen Gentium, cf. Vatican II), le soleil de grâce, nous a été enlevé, et nous avançons comme à tâtons, environnés de nuit. Pourtant, cette obscurité n’est plus comme celle d’avant, puisqu’elle nous mène au soleil levant de la résurrection. Et déjà, les astres brillent au firmament de ce long convoyage vers l’aube nouvelle. La communion des saints ressemble à ces écheveaux de constellations imbriquées les unes dans les autres, de toutes tailles, scintillantes de mille manières. Parmi elles, une étoile demeure, fixe dans son alignement terre-soleil, fournissant ainsi un repère précieux pour les marins sans carte ni boussole dans leur exploration de profondeurs océanes inconnues.
Marie est pour nous ce repère accroché tout en haut de la carte pour élever le regard et projeter sur notre route une clarté indirecte, reçue du Christ, suffisamment atténuée pour ne pas être aveuglé, suffisamment brillante pour discerner les dangers de la navigation.
« Par une hymne du VIIe-IXe siècle, donc depuis plus de mille ans, l’Église salue Marie, Mère de Dieu, comme « étoile de la mer »: Ave maris stella. La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin ? Comment en trouvons-nous la route ? La vie est comme un voyage sur la mer de l’histoire, souvent obscur et dans l’orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route.
Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d’espérance.
Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l’histoire. Mais pour arriver jusqu’à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches – de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée.
Et quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l’étoile de l’espérance? «
Benoît XVI, encyclique Spe Salvi, § 49
En ce 15 août, prions Marie, Étoile de la mer : qu’elle soit pour nous un repère plus sûr que le GPS l’est aux navigateurs…
Marie, étoile de la mer (St Bernard ? 1153)
L’image de l’astre
« Et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1,27).
Disons quelque chose aussi sur ce nom, qui est interprété : « étoile » de la mer et qui convient à merveille à la mère restée vierge.
Oui, on la compare à un astre, et rien de plus juste : comme l’astre, sans être altéré, émet son rayon, ainsi, sans lésion intime, la Vierge met au monde son Fils. Le rayon n’amoindrit pas la clarté de l’astre, pas plus que le fils ne diminue l’intégrité de la vierge.
Oui, elle est cette noble étoile issue de Jacob dont les rayons illuminent l’univers entier, dont la splendeur étincelle sur la cime et pénètre jusqu’aux ombres profondes, dont la chaleur répandue sur la terre réchauffe les âmes plus que les corps, mûrit les vertus et consume les vices.
Elle est cette brillante et merveilleuse étoile qui se lève, glorieuse et nécessaire au-dessus de cet océan immense, dans la splendeur de ses mérites et de ses exemples.
Dans la tempête, regarde l’étoile, invoque Marie !
O toi, qui que tu sois, qui dans cette marée du monde, te sens emporté à la dérive parmi orages et tempêtes, plutôt que sur la terre ferme, ne quitte pas les feux de cet astre, si tu ne veux pas sombrer dans la bourrasque.
Quand se déchaînent les rafales des tentations, quand tu vas droit sur les récifs de l’adversité, regarde l’étoile, appelle Marie !
Si l’orgueil, l’ambition, la jalousie te roulent dans leurs vagues, regarde l’étoile, crie vers Marie !
Si la colère ou l’avarice, si les sortilèges de la chair secouent la barque de ton âme, regarde vers Marie !
Quand, tourmenté par l’énormité de tes fautes, honteux des souillures de ta conscience, terrorisé par la menace du jugement, tu te laisses happer par le gouffre de la tristesse, par l’abîme du désespoir, pense à Marie.
Dans les dangers, dans les angoisses, dans les situations critiques, pense à Marie, crie vers Marie !
Que son nom ne quitte pas tes lèvres, qu’il ne quitte pas ton c?ur, et pour obtenir la faveur de ses prières, ne cesse d’imiter sa vie.
Fais ta propre expérience de Marie !
Si tu la suis, point ne t’égares.
Si tu la pries, point ne désespère.
Si tu la gardes en pensée, point de faux pas.
Qu’elle te tienne, plus de chute.
Qu’elle te protège, plus de crainte.
Sous sa conduite, plus de fatigue.
Grâce à sa faveur, tu touches au port.
Et voilà comment ta propre expérience te montre combien se justifie la parole : Le nom de la Vierge était Marie (Lc 1, 27).
_______________________________________________________________________
1. Saint-John Perse, Amers, 1957.
2. Ibid.
Messe du jour
1ère lecture : La Femme de l’Apocalypse, image de l’Église comme Marie (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Le Temple qui est dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’Alliance du Seigneur apparut dans son Temple.
Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles.
Elle était enceinte et elle criait, torturée par les douleurs de l’enfantement.
Un autre signe apparut dans le ciel : un énorme dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes,et sur chaque tête un diadème.
Sa queue balayait le tiers des étoiles du ciel, et les précipita sur la terre. Le Dragon se tenait devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance.
Or, la Femme mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place.
Alors j’entendis dans le ciel une voix puissante, qui proclamait : « Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! »
Psaume : 44, 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16
R/ Heureuse es-tu, Vierge Marie, dans la gloire de ton Fils.
Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.
Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.
Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.
Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.
2ème lecture : Le Christ nous entraîne tous dans la vie éternelle ( 1 Co 15, 20-27a)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. C’est lui en effet qui doit régner jusqu’au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.
Evangile : « Heureuse celle qui a cru ! » (Lc 1, 39-56)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte :
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Marie dit alors :
« Mon âme exalte le Seigneur,
mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !
Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. »
Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick Braud