La pierre noire du pardon
La pierre noire du pardon
Homélie du 16° Dimanche du temps ordinaire / Année C
16/06/2013
Connaissez-vous la « pierre noire » des Pères Blancs ?
Elle est célèbre dans les pays d’Afrique où ils sont passés. Imaginez que vous soyez mordus par un serpent très venimeux comme il s’en cache dans les broussailles en été. À partir de la morsure, le temps est court. Si on ne fait rien, le venin se répand dans les veines, va bientôt empoisonner les muscles, puis paralyser le coeur, atteindre le cerveau. La pierre noire, c’est un antidote sûr et pratique à cette diffusion du venin dans le corps. C’est comme une pierre ponce, très poreuse, très absorbante * : on l’applique immédiatement sur la plaie laissée par ce serpent. Elle vient se coller à la chair, et par un effet ventouse, elle commence aussitôt à stopper la course du poison. Puis elle se gorge du venin qu’elle pompe, par capillarité. Après plusieurs heures, elle se détache d’elle-même de la morsure, saturée de poison mais laissant la chair vidée du venin.
Le pardon dont les trois textes de ce Dimanche nous parlent ressemble à cette pierre noire.
Lorsque le mal vous a mordu, que ce soit par la violence d’un proche, l’infidélité d’un conjoint, la dépendance à une drogue quelconque ou le démon de la jalousie, lorsque ce mal vous a mordu, vous avez en vous comme un venin qui va être instillé dans tout votre être, et qui peut devenir mortel pour votre vie spirituelle.
Ne rien faire, c’est devenir complice du mal subi ou commis.
Croire qu’on va y arriver tout seul (à surmonter l’épreuve) c’est serrer la plaie sans la soigner.
Seul le recours à un autre – la pierre noire par exemple – permet de faire sortir de soi le poison qui me gâche la vie. Seul le pardon permet de stopper, puis d’absorber hors de moi le mal qui circulait en moi.
Paul est un bon témoin de la « pierre noire » du pardon lorsqu’il nous en conjure :« Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu. En effet, si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors le Christ serait mort pour rien ». C’est-à-dire : acceptez que Dieu lui-même vienne vous soigner, à travers le pardon donné au nom du Christ. Ne restez pas seul avec votre blessure : laissez-vous approcher par un Autre, laissez-vous purifier de ce qui vous empoisonne.
Lorsqu’on n’a pas de pierre noire sous la main, on peut en urgence aspirer soi-même le venin pour un autre, en osant aspirer le poison avec ses lèvres à même la plaie. Eh bien : laissez le Christ approcher ses lèvres de votre cœur, de votre intelligence, de votre histoire ; laissez-le prendre en lui la violence, la dépendance, la jalousie, tout péché qui vous paralyse dans votre course spirituelle.
L’initiative ne vient pas de nous. C’est Dieu qui par le Christ a le désir de se réconcilier chacun de nous. Les prêtres, comme Paul, ne sont dans le sacrement de réconciliation que les ambassadeurs de Dieu. Or une ambassade, c’est déjà un peu du pays représenté qui est présent chez nous. Le terrain de l’ambassade de Chine à Paris est considéré comme territoire chinois et non français. Si le confessionnal est un peu l’ambassade du Dieu de la réconciliation, si le prêtre qui donne l’absolution est là en ambassadeur du Christ, alors c’est que le Royaume de Dieu est déjà là au milieu de nous. Il vient nous visiter à travers cette initiative de réconciliation, et nous, nous refuserions d’accueillir sa visite ? Nous renverrions l’ambassadeur sans même voir ses lettres de créance ? Nous nous détournerions de ce sacrement comme si l’ambassade de Dieu n’avait rien à faire chez nous ?
Un Dimanche, c’est court pour stopper l’avance de tout poison de nous. C’est une affaire de longue haleine que de laisser le Christ appliquer la pierre noire de son pardon sur nos morsures, jusqu’à ce qu’elle boive tout notre venin intérieur. Ne passons pas à côté de cet appel pressant, presque angoissé, de Jésus : « Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».
Nous pouvons toujours redécouvrir la force du pardon : pardon reçu de Dieu ou des autres, pardon donné à ceux qui nous ont fait du mal.
Stoppons au plus vite la course de la rancune, de la vengeance, ou – à l’inverse – de l’indifférence.
« Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».
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* La pierre noire est en fait un os qu’il faut découper, ensuite limer et puis carboniser. Les petits carrés d’os devenus noirs doivent alors être chauffés dans du lait pendant une heure pour finalement reposer dans du lait froid pendant 48 heures. L’os ayant absorbé le calcium du lait est alors prêt à l’usage. Il suffit de le poser sur la blessure occasionnée par la morsure de serpent et l’os absorbe tout le venin.
1ère lecture : David reconnaît sa faute et Dieu lui pardonne (2S 12, 7-10.13)
Lecture du second livre de Samuel
Après le péché de David, le prophète Natan vint le trouver et lui dit : « Ainsi parle le Seigneur Dieu d’Israël: Je t’ai sacré roi d’Israël, je t’ai sauvé de la main de Saül,
puis je t’ai donné la maison de ton maître, je t’ai donné les épouses du roi ; je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda et, si ce n’est pas encore assez, j’y ajouterai tout ce que tu voudras.
Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé par l’épée Ourias le Hittite ; sa femme, tu l’as prise pour femme ; lui, tu l’as fait périr par l’épée des fils d’Ammon.
Désormais, l’épée ne cessera plus de frapper ta maison, pour te punir, parce que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Ourias le Hittite pour qu’elle devienne ta femme.
David dit à Nathan : « J’ai péché contre le Seigneur ! » Nathan lui répondit : « Le Seigneur a pardonné ton péché, tu ne mourras pas. »
Psaume : Ps 31, 1-2, 5abcd, 5ef.7, 10bc-11
R/ Pardonne-moi, mon Dieu, relève-moi !
Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude !
Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur
en confessant mes péchés. »
Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
Tu es un refuge pour moi,
mon abri dans la détresse,
de chants de délivrance tu m’as entouré.
L’amour du Seigneur entourera
ceux qui comptent sur lui.
Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !
2ème lecture : C’est par la foi au Christ que nous sommes sauvés (Ga 2, 16.19-21)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates
Frères, nous le savons bien, ce n’est pas en observant la Loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ ; c’est pourquoi nous avons cru en Jésus Christ pour devenir des justes par la foi au Christ, mais non par la pratique de la loi de Moïse, car personne ne devient juste en pratiquant la Loi.
Grâce à la Loi (qui a fait mourir le Christ) j’ai cessé de vivre pour la Loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis fixé à la croix : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi.
Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu. En effet, si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors le Christ serait mort pour rien.
Evangile : La pécheresse pardonnée à cause de son grand amour (brève : 36-50) (Lc 7, 36-50; 8, 1-3)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Auprès du Seigneur est la grâce, près de lui, la pleine délivrance. Alléluia. (Ps 129, 7)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table.
Survint une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait appris que Jésus mangeait chez le pharisien, et elle apportait un vase précieux plein de parfum.
Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum.
En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. »
Jésus prit la parole : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. ? Parle, Maître. »
Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l’aimera davantage ? »
Simon répondit : « C’est celui à qui il a remis davantage, il me semble. ? Tu as raison », lui dit Jésus.
Il se tourna vers la femme, en disant à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi, et tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis son entrée, elle n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. Tu ne m’as pas versé de parfum sur la tête ; elle, elle m’a versé un parfum précieux sur les pieds. Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »
Puis il s’adressa à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. »
Les invités se dirent : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? »
Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »
Ensuite Jésus passait à travers villes et villages, proclamant la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Les Douze l’accompagnaient, ainsi que des femmes qu’il avait délivrées d’esprits mauvais et guéries de leurs maladies : Marie, appelée Madeleine (qui avait été libérée de sept démons), Jeanne, femme de Kouza, l’intendant d’Hérode, Suzanne, et beaucoup d’autres, qui les aidaient de leurs ressources.
Patrick BRAUD