Exigeante et efficace : la non-violence
Exigeante et efficace : la non-violence
Homélie du 13e dimanche du temps ordinaire/ Année C
30/06/013
Les affrontements politiques à l’occasion de la loi sur le « mariage pour tous » ont mis en lumière deux façons de combattre pour ses idées.
L’une, faite de convictions, de drapeaux, de pancartes et de familles en cortège paisible, et l’autre, en marge de cette foule, faite de vitrines brisées, de provocations à la bagarre, se terminant en jets de cocktails Molotov et charges musclées des CRS. Hélas, cette deuxième forme de militance peut aller jusqu’à tuer. La mort de Clément Méric début juin rappelle que la violence des extrêmes devient vite meurtrière.
Pourtant, dans l’entreprise comme en politique, beaucoup vous diront qu’il faut rendre coup pour coup. Qu’on n’est pas dans le monde des Bisounours. Que tendre l’autre joue fait encore plus mal et n’arrête pas l’injustice.
Bref : que les cathos sont de doux rêveurs à parler de non-violence et d’amour des ennemis.
Regardons-y de plus près.
Éliminer ses ennemis ?
« Veux-tu que nous fassions tomber sur eux le feu du ciel ? » demandent Jacques et Jean en désignant leurs adversaires. C’est donc que l’évangélisation suscite toujours hostilité et opposition farouche. Faut-il répondre aux violents avec leurs propres armes ? La tentation séduit les disciples. Après tout, persuadés qu’ils sont d’être dans la vérité, pourquoi ne pas l’imposer par la force ?
C’est le piège dans lequel est tombé Mohamed lors de sa reconquête de la Mecque et de l’Arabie tout entière. C’est l’erreur fatale de l’Inquisition, du stalinisme ou de tout autre idéologie sûre d’elle-même.
Le Christ réfute vigoureusement ce remède pire que le mal : répondre à la violence par la violence n’engendre qu’un cycle infernal de vengeance et de représailles, dans chaque camp alternativement.
La seule exception tolérée ensuite à ce principe non-violent est celle de la légitime défense : devant Hitler envahissant la Pologne ou déportant les juifs, il est légitime de recourir à la violence pour arrêter la barbarie. À condition toutefois de n’avoir pas la haine au coeur, fut-ce contre Eichmann ou Goebbels, mais la volonté de sauver les plus faibles. Car la haine nous fait ressembler aux bourreaux que nous détestons. Car la vengeance nous ravale au rang des criminels dont nous dénonçons les actes, pas la personne.
Ne pas confondre une personne avec ses actes ? quels qu’ils soient – reste en effet le socle de l’éthique chrétienne. Jésus a cru en l’autre quoi qu’il fasse. C’est pourquoi il pardonne à ceux qui le condamnent et le crucifient. C’est pourquoi nous sommes contre la peine de mort. C’est pourquoi nous croyons que la rédemption d’un être est toujours possible.
Le Christ ne veut pas utiliser la puissance pour s’imposer.
Lors de son arrestation, il dit à Pierre qui veut s’y opposer par la force : « Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26,52-53). Dans l’évangile aujourd’hui, il refuse de faire tomber le feu du ciel, le « feu de Dieu », sur ses ennemis. Il sait qu’il s’expose ainsi à être lui-même broyé par la violence qu’il refuse d’utiliser. Mais c’est en allant jusqu’au bout de sa non-violence que le Christ pourra nous libérer de l’emprise que la violence exerce sur nous dès l’origine (cf. le premier homicide d’Abel par Caïn).
Une non-violence terriblement exigeante.
Reste que le Christ n’est pas tendre avec ceux qui veulent le suivre. Il place la barre très haut. Il est presque plus exigeant avec ses amis que ses ennemis ! C’est que combattre la violence à l’extérieur de soi commence par la débusquer d’abord en soi. Elle provient d’attachements trop exclusifs, d’identités trop marquées, de racines culturelles ou familiales trop exclusives et donc jalouses.
Trop ou mal à posséder empêchent d’être non-violent : « le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête ».
Trop ou mal honorer sa famille empêche d’être libre, détaché : « laisse les morts enterrer leurs morts ».
Trop ou mal s’attacher à son passé empêche d’être disponible à l’avenir de l’autre : « celui qui regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu ».
Ces paroles sont dures, et il ne faut surtout pas en émousser l’exigence.
La non-violence du Christ est d’abord un combat intérieur, pour éliminer non pas ses ennemis du dehors, mais ces adhérences du dedans qui nous maintiennent complices de la violence passée ou possible.
Une non-violence terriblement efficace.
Ce combat intérieur vaut la peine. Car au bout de ce pèlerinage intime il y a la terrible efficacité de la non-violence.
La pression que Gandhi et Martin Luther King ont su mettre sur leurs adversaires a changé le cours de l’histoire : en émancipant une société coloniale, en réformant des lois raciales injustes.
La lutte non violente du syndicat Solidarnosc en Pologne (1981 – 1989) est exemplaire. Qui pouvait imaginer dans ces années 80 que le communisme – si meurtrier, si inhumain – pourrait tomber autrement que sous les obus et les missiles de l’Ouest ? Pourtant, comme l’écrivait Jean Paul II, acteur essentiel de ce bouleversement :
« Parmi les nombreux facteurs de la chute des régimes oppressifs, certains méritent d’être rappelés d’une façon particulière. Le facteur décisif qui a mis en route les changements est assurément la violation des droits du travail. On ne saurait oublier que la crise fondamentale des systèmes qui se prétendent l’expression du gouvernement et même de la dictature des ouvriers commence par les grands mouvements survenus en Pologne au nom de la solidarité. Les foules ouvrières elles-mêmes ôtent sa légitimité à l’idéologie qui prétend parler en leur nom, et elles retrouvent, elles redécouvrent presque, à partir de l’expérience vécue et difficile du travail et de l’oppression, des expressions et des principes de la doctrine sociale de l’Église.
Un autre fait mérite d’être souligné : à peu près partout, on est arrivé à faire tomber un tel « bloc », un tel empire, par une lutte pacifique, qui a utilisé les seules armes de la vérité et de la justice. Alors que, selon le marxisme, ce n’est qu’en poussant à l’extrême les contradictions sociales que l’on pouvait les résoudre dans un affrontement violent, les luttes qui ont amené l’écroulement du marxisme persistent avec ténacité à essayer toutes les voies de la négociation, du dialogue, du témoignage de la vérité, faisant appel à la conscience de l’adversaire et cherchant à réveiller en lui le sens commun de la dignité humaine.
Apparemment, l’ordre européen issu de la deuxième guerre mondiale et consacré par les Accords de Yalta ne pouvait être ébranlé que par une autre guerre. Et pourtant, il s’est trouvé dépassé par l’action non violente d’hommes qui, alors qu’ils avaient toujours refusé de céder au pouvoir de la force, ont su trouver dans chaque cas la manière efficace de rendre témoignage à la vérité. Cela a désarmé l’adversaire, car la violence a toujours besoin de se légitimer par le mensonge, de se donner l’air, même si c’est faux, de défendre un droit ou de répondre à une menace d’autrui. Encore une fois, nous rendons grâce à Dieu qui a soutenu le coeur des hommes au temps de la difficile épreuve, et nous prions pour qu’un tel exemple serve en d’autres lieux et en d’autres circonstances. Puissent les hommes apprendre à lutter sans violence pour la justice, en renonçant à la lutte des classes dans les controverses internes et à la guerre dans les controverses internationales ! » (Centesimus Annus n° 23)
La liste est longue de ces campagnes de non-violence qui ont abouti à rétablir l’être humain dans sa dignité :
- les ‘folles de la place de mai’ en Argentine dans les années 70
- le ‘people power’ aux Philippines contre le règne du dictateur Marcos en 1986
- la longue traversée du désert de Nelson Mandela (27 ans de prison !) aboutissant au pardon et à une réconciliation au-delà de l’apartheid.
- la ‘révolution de velours’ avec Waclav Havel en Tchécoslovaquie et RDA en 1989
- le mouvement du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi en Birmanie
- les printemps arabes récents (dont le combat n’est pas terminé hélas)
- etc.
Ne laissons plus dire que la non-violence est faite pour les doux rêveurs dans un monde de Bisounours !
C’est au contraire l’arme la mieux adaptée à l’éradication du mal et non de ceux qui le commettent.
C’est la seule stratégie qui combat la cause et non pas les symptômes.
C’est l’attitude qui peut changer le coeur du bourreau et l’aider à se détourner de la violence commise.
Appliquez-la au couple ou à l’entreprise, et vous verrez que, alliée au pardon - cas de légitime défense mise à part - elle est largement plus efficace que la revanche ou la stricte justice.
« Veux-tu que nous fassions tomber sur eux le feu du ciel ? »
Laissons le Christ nous interpeller vivement lorsque cette tentation sauvage de détruire l’autre résonnera à nos oreilles…
1ère lecture : Élisée abandonne tout pour suivre Élie (1R 19, 16b.19-21)
Lecture du premier livre des Rois
Le Seigneur avait dit au prophète Élie : « Tu consacreras Élisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder. »
Élie s’en alla. Il trouva Élisée, fils de Shafate, en train de labourer. Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
Alors Élisée quitta ses boeufs, courut derrière Élie, et lui dit : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai. » Élie répondit : « Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait. »
Alors Élisée s’en retourna ; mais il prit la paire de boeufs pour les immoler, les fit cuire avec le bois de l’attelage, et les donna à manger aux gens. Puis il se leva, partit à la suite d’Élie et se mit à son service.
Psaume : Ps 15, 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b-11
R/ Dieu, mon bonheur et ma joie !
Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »
Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon c?ur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.
Mon c?ur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.
Je n’ai pas d’autre bonheur que toi.
Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !
2ème lecture : L’Esprit s’oppose à la chair et nous rend libres(Ga 5, 1.13-18)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates
Frères,
si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage.
Vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres.
Car toute la Loi atteint sa perfection dans un seul commandement, et le voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
Je vous le dis : vivez sous la conduite de l’Esprit de Dieu ; alors vous n’obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair.
Car les tendances de la chair s’opposent à l’esprit, et les tendances de l’esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.
Mais en vous laissant conduire par l’Esprit, vous n’êtes plus sujets de la Loi.
Evangile : Suivre Jésus sans condition sur la route de la Croix(Lc 9, 51-62)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui le Seigneur nous appelle. Suivons-le sur les chemins de l’Évangile. Alléluia. (cf. 1 S 3, 9 ; Lc 9, 59)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem.
Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? »
Mais Jésus se retourna et les interpella vivement.
Et ils partirent pour un autre village.
En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. »
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
Jésus lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » Patrick Braud