Carême : quand le secret humanise
Carême : quand le secret humanise
Homélie du Mercredi des Cendres Année C
13/02/2013
6 fois le mot secret revient dans cette page d’évangile, ou plutôt 3 fois 2 fois ; comme un leitmotiv :
« Ton Père est là, dans le secret
Ton Père voit ce que tu fais en secret ».
N’agis donc pas pour la façade, essaie plutôt de mettre ce qui est caché dans ta vie en conformité avec ce que tu crois.
Le secret…
. Il y a des secrets qui détruisent.
Est secret ce que nous avons écarté de notre vue et de celle des autres pour le laisser dans l’ombre, ou bien ce qui à l’insu de notre volonté s’est caché de lui-même dans notre inconscient.
Devant les autres, nous donnons souvent le change. Nous jouons un rôle, nous avons des masques comme les masques du Carnaval d’avant Carême.
Seul dans notre chambre, déjà beaucoup de choses changent. On sait bien qu’il y a des secrets de couples, heureux ou terribles, que personne ne peut deviner de l’extérieur.
Chacun de nous peut se retrouver, grâce à la solitude, face à ses secrets.
Il y a les secrets qu’on n’ose pas regarder en face, ceux que l’on porte comme un fardeau.
Il y a des secrets auxquels on s’est habitué et qui nous font accepter une double vie pourtant peu glorieuse.
Il y a des secrets de famille, si lourds à porter qu’ils empoisonnent ceux qui en sont tenus à l’écart (ex : des avortement cachés, manifestés des années après…).
Il y a des secrets d’État, au nom desquels on emprisonne ou élimine des gens, arbitrairement.
Et puis il y a ces secrets qui nous échappent à nous-mêmes, ces vagues silhouettes impossibles à nommer qui traversent notre histoire, et qui tirent des ficelles cachées…
. Il y a également des secrets qui humanisent.
Le secret d’un aveu qui permet une parole libératrice.
Le secret d’une intimité partagée, où chacun se reçoit de l’autre.
Le secret d’un don fait à l’autre qui ignore qui lui a fait ce don (cf. la parabole du bon Samaritain).
La joie secrète et si personnelle de la communion avec la nature, la musique, l’intelligence?
Les 3 secrets du Carême
Secrets qui détruisent / humanisent?
. Le Christ nous livre encore 3 secrets qui « divinisent » pourrait-on dire.
Le secret de l’aumône, car c’est reconnaître que je dois tout à Dieu et que je ne possède ma vie.
Le secret de la prière, car c’est l’intimité partagée avec Dieu et en Lui.
Le secret du jeûne, car c’est avoir faim et soif de Dieu avant tout, de Dieu plus que tout.
Ces 3 secrets sont « comme une ancre jetée dans les cieux » (He 6,19) : ils nous enracinent en Dieu, ils nous donnent d’aimer à partir « du Père qui est aux cieux » et non à partir de nous-mêmes.
L’ambivalence du secret
Quel est le statut du secret dans le Nouveau Testament ?
Comme toujours, la réalité du secret est ambivalente, et décrite comme telle par Jésus.
- C’est dans le secret que Marie accueille l’incroyable nouvelle de la vie divine déposée en elle. Malgré son amour pour Joseph, Marie ne lui a rien dit de la transformation secrète de son corps, ni de l’origine étonnante de sa grossesse (Lc 1, 18-25).
Joseph découvre que sa fiancée est enceinte, d’un autre que lui. Et parce qu’il est « juste », il décide de la répudier en secret, « sans bruit ». Ici, la justice et le secret sont donc liés en la personne de Joseph. À l’inverse de la volonté de tout étaler ou presque sur la place publique (qui caractérise bien les réseaux sociaux actuels), Joseph veut préserver la réputation de Marie, et accepte de ne pas dévoiler sa faute apparente.
Mais tout cela l’a tellement travaillé qu’il en rêve la nuit, et un songe lui permet de découvrir la vérité de ce secret. L’Esprit Saint lui-même est à l’oeuvre en Marie, mais c’est « en secret ». Joseph choisit alors de coopérer à ce secret de Dieu agissant en Marie. Il assume la paternité de cet enfant qui n’est pas de lui, en gardant le secret de son origine, jusqu’à ce que Jésus lui-même lève le voile.
- C’est le même secret dont Jésus a entouré cette période de 40 jours qu’est le Carême pour nous préparer à Pâques : « Ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le revaudra » (Mt 6, 4.6.18). Il n’y a que 7 usages du mot « secret » en Mt, 7 étant le chiffre de la Création (les 7 jours de la Genèse) : c’est en secret que la création du monde s’accomplit en nous.
- Il n’y a rien de secret qui ne doive être un jour être proclamé sur les toits (Lc 8,17 ; Mc 4,22 ; 1Co 4,5 ; 14,25). Les paroles prophétiques ne doivent pas être tenues secrètes (Ap 22,10), et Jésus revendique de parler au grand jour (Jn 18,20).
- Mais il y a pourtant des paroles qui doivent rester secrètes (Ap 10,4). Jésus lui-même monte « en secret » à Jérusalem pour une fête de pèlerinage (Jn 7,10), alors qu’on lui demande de se manifester au grand jour, pas « en secret » (Jn 7,4). Et surtout, il y a l’appel de Jésus à agir « dans le secret », que ce soit pour l’aumône, la prière où le jeune : « ton Père est là, dans le secret, il te le revaudra ». (Mt 6,1-18).
Saint François de Sales en tirera la maxime célèbre : « le bien ne fait pas de bruit ; le bruit ne fait pas de bien ». Jésus déjà avait recommandé: « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète…» (Mt 6,3)
C’est donc à un discernement que le Christ se livre : certains secrets sont garants de l’action de Dieu, d’autres doivent impérativement être levés.
Secret et discernement
Le mot secret vient d’un mot latin qui veut dire « séparé », « écarté ».
Travailler sur la part de secret qui est en soi, en latin cela s’appelle discerner.
C’est la même racine « cenere » : dis-cenere = discerner qui a forgé le terme se-« cenere » = secret.
Le discernement a donc quelque chose à voir avec le secret, avec la mise à jour de nos secrets. Le discernement spirituel aide à mettre la part secrète de nos vies en accord, autant que possible, avec la part publique. Ne pas être un autre, à l’intérieur, de celui/celle qui parait à l’extérieur. L’enjeu de la vie spirituelle passe alors par là : descendre en moi, dans les oubliettes où j’ai rangé des habitudes, des blessures, des sentiments que je ne veux plus voir, alors qu’elles sont bien là. Si, dans ce secret-là, je laisse le Christ m’initier au don (à l’aumône), à la prière et au jeûne, alors le renouveau viendra du plus profond et pas seulement de mes lèvres. « Ton Père voit ce que tu fais dans le secret, et il te le revaudra ».
Au début de ce Carême, Christ nous invite : « travaille sur la part de secret qui est en toi. Dieu mieux que toi connaît les secrets de ton c?ur ; c’est lui qui t’a façonné dans le secret du ventre de ta mère ; c’est lui qui sonde les reins et les c?urs, dévoilant ainsi les secrets que nous voudrions laisser dans l’ombre. »
Que ce Carême nous aide à évangéliser nos profondeurs secrètes !
Alors nous découvrirons l’autre sens du mot secret : le secret d’amour du Père, qui est inépuisable, infini, au-delà des mots : le secret de la vie éternelle, à partir de nos secrets réduits en cendres aujourd’hui?.
1ère lecture : Appel à la pénitence (Jl 2, 12-18)
Lecture du livre de Joël
Parole du Seigneur : « Revenez à moi de tout votre coeur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! »
Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment.
Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et vous combler de ses bienfaits : ainsi vous pourrez offrir un sacrifice au Seigneur votre Dieu.
Sonnez de la trompette dans Jérusalem : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une solennité, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre !
Entre le portail et l’autel, les prêtres, ministres du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : ‘Où donc est leur Dieu?’»
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.
Psaume : Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17
R/ Donne-nous, Seigneur, un coeur nouveau,
mets en nous, Seigneur, un esprit nouveau.
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un c?ur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
2ème lecture : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20-21; 6, 1-2)
Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu.
Et puisque nous travaillons avec lui, nous vous invitons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu.
Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je suis venu à ton secours. Or, c’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut.
Evangile : Les trois secrets du Carême (Mt 6,1-6.16-18)
Acclamation : Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Fais-nous revenir à toi, Seigneur,
jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous revenir, et nous serons sauvés.
Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Ps 79, 8.19-20)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer. Autrement, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle : quand ils font leurs prières, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et les carrefours pour bien se montrer aux hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle : ils se composent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra. »
Patrick Braud