Non-violence : la voie royale
Non-violence : la voie royale
Homélie pour la fête du Christ Roi
25/11/2012
La preuve suprême de la puissance, c’est de ne pas l’utiliser
« Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. » (Jn 18,36)
La preuve suprême de la royauté de Jésus réside ici dans sa non-violence.
« Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26,53)
Le refus d’utiliser la force armée, la contrainte, la puissance pour se faire reconnaître cause à la fois sa perte et sa grandeur.
À la différence des rois d’Israël qui voyaient dans leurs succès militaires la preuve de l’élection divine, à la différence de Mahomet qui imposa par l’épée l’islam aux pays arabes, Jésus – lui – a préféré perdre son procès plutôt que de s’imposer, être rayé du monde des vivants plutôt que de tuer lui-même, être assimilé à un maudit plutôt que de maudire.
Or il avait cette puissance, et il aurait pu l’exercer pour dominer ses accusateurs. Mais il préfère garder le silence, se laisser maltraiter, éliminer, plutôt que d’obliger Hérode à croire en lui grâce à des prodiges époustouflants, plutôt que de forcer Pilate à s’incliner devant lui en se montrant dans toute sa gloire.
Étonnante stratégie que cette non-violence royale.
Seul les forts qui n’ont pas de doute sur leur identité peuvent ainsi accepter de ne pas recourir à la violence pour l’imposer.
Seul les forts ne se sentent pas déstabilisés par l’agression d’autrui, au point de n’avoir pas besoin de rétablir la vérité qui finira toujours par triompher d’elle-même tôt ou tard.
Cette non-violence fut caractéristique des premiers témoins du Christ : les martyrs dans l’arène romaine ne criaient pas leur haine et ne se débattaient pas violemment contre leurs ennemis. Non : ils chantaient, ils priaient pour ceux qui les persécutaient. Ils ne prêchaient pas le soulèvement armé pour résister à Néron, car ils savaient que la violence n’aurait alors fait que changer de maître, pas de nature. À la différence des djihadistes et autres kamikazes qui croient servir leur Dieu à travers des attentats, des suicides explosifs, des violences terroristes, les martyrs chrétiens témoignent depuis 2000 ans que la violence ne sert finalement à rien. Elle est non seulement inefficace, mais également contre-productive : la violence nourrit le sentiment de revanche, la force nourrit la haine, la victoire des armes prépare la défaite dans les coeurs.
Et surtout, la violence est contraire à la royauté du Christ : la façon dont le Christ désire régner est celle de l’amour, librement choisi et donné.
Explorons le rôle qu’a joué la violence dans la vie de Jésus, en pensant à la nôtre bien sûr.
La violence comme réponse à l’Évangile
Dès sa naissance, Jésus semble déchaîner la violence autour de lui par sa seule présence. Le massacre des innocents rapporté par Luc a sûrement pour but de faire un parallèle inversé entre la naissance de Jésus et la libération d’Égypte marquée par la 10° plaie où les premiers-nés égyptiens sont exterminés par l’ange de la mort. Quoi qu’il en soit de la réalité historique, la réaction du roi Hérode à la bonne nouvelle de la naissance du Messie est passée rapidement de la curiosité à la jalousie meurtrière.
Voilà donc un roi qui envoie ses gardes contre celui qui refusera de faire de même…
Par la suite, les paroles et les actes de Jésus susciteront tellement de crainte de la part des puissants qu’ils vont s’allier pour conspirer contre lui, et le faire tomber sous de fausses accusations. Plusieurs fois on veut lapider ce prophète si radical ; plusieurs fois on lui manifeste mépris et exclusion. Et bien sûr, toute cette opposition culminera lors du procès et de la Passion en violence physique, morale, religieuse d’une intensité indicible.
La violence de l’Évangile
Jésus refuse de s’imposer par la force, et pourtant il n’hésite pas à utiliser une certaine forme de violence au service de l’Évangile. Quand il chasse les vendeurs du Temple de Jérusalem à coups de fouet (Jn 2,15), on est loin d’un doux Jésus sulpicien et un peu guimauve. Quand il traite les pharisiens d’hypocrites (Mt 23, 13-29) et les scribes de sépulcres blanchis (Mt 23,27) on ne peut pas dire qu’il soit mièvre ou « peace and love » ; quand il défie Hérode, « ce renard » (Lc 13,32), ou les juifs qu’il accuse d’avoir le diable, le menteur pour Père (Jn 8,44), il est plus proche du Jésus de Pasolini (dans le film l’Évangile selon Matthieu, 1964) que de celui de Zeffirelli (dans le film Jésus de Nazareth, 1977).
D’ailleurs Jésus a diagnostiqué que le royaume de Dieu souffre violence : « le Royaume de Dieu est annoncé, et tous s’efforcent d’y entrer par violence » (Lc 16,16).
S’il est non violent, Jésus n’en est pas pour autant dépourvu de combativité : son fighting spirit se traduit en gestes symboliques perçus comme scandaleux et en paroles tranchantes.
Le roi non-violent
Reste que la formidable puissance dont il dispose, Jésus n’a jamais voulu l’utiliser contre ses détracteurs. Il a déçu nombre de ses disciples à cause de cela, en refusant de les lancer dans la lutte armée contre l’occupant romain. Judas en sera tellement meurtri qu’il le livrera aux chefs du peuple.
Piètre révolutionnaire qui n’organise pas ses troupes pour la conquête du pouvoir !
Sans doute Jésus sait-il d’expérience – la longue expérience d’Israël remplie de sang et de vengeance – que l’usage de la force n’engendre qu’injustice et ressentiment de génération en génération : « Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » (Mt 26,52)
Plus encore, parce qu’il reçoit sa royauté de son Père, Jésus est non violent par nature.
Car Dieu règne lorsque la libre adhésion de ses amis les fait entrer dans son intimité. Pas lorsqu’on veut imposer la foi en forçant les consciences et les libertés.
La non-violence de Jésus, en ce sens, ne ressemble pas à celle de Gandhi ou de Martin Luther King : c’est plutôt l’inverse. La non-violence du Christ est à la source de notre courage non-violent. C’est en le contemplant que nous pouvons trouver la force de ne pas céder à la violence. C’est en le suivant que nous pouvant endurer sans répondre au mal par le mal. C’est en communiant à son être que nous adopterons une juste attitude vis-à-vis de ceux qui nous font souffrir.
Ni vengeance ni lutte armée : la royauté du Christ nous indique une autre voie pour régler nos conflits, nos inévitables dissensions.
Alors, devant Pilate, Jésus est lucide : la violence de la justice romaine va le broyer, il le sait bien ; la haine des responsables juifs va l’humilier, il en a transpiré du sang à Gethsémani ; l’aveuglement de la foule va demander sa crucifixion, il y est préparé. Ce n’est pas en luttant par les armes que lui ou ses disciples pourraient renverser la situation. C’est en aimant jusqu’au bout ceux qui le détestent que la royauté du Christ vaincra le déferlement de violence qui s’abat sur lui.
Le concile Vatican II le dira en une formule-clé : « le Concile déclare [?] que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » (Dignitatis Humane 1)
La non-violence évangélique est encore une idée neuve dans notre humanité.
De nos familles aux peuples des nations, en passant par nos entreprises ou nos quartiers, c’est la voie royale pour devenir avec le Christ de véritables artisans de paix autour de nous.
1ère lecture : La royauté du Fils de l’homme (Dn 7, 13-14)
Lecture du livre de Daniel
Moi, Daniel,
je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui.
Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
Psaume : 92, 1abc, 1d-2, 5
R/ Jésus Christ, Seigneur, tu règnes dans la gloire.
Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.
Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.
Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.
2ème lecture : Le sacerdoce royal des sauvés (Ap 1, 5-8)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Que la grâce et la paix vous soient données, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts, le souverain des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen.
Voici qu’il vient parmi les nuées, et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé ; et, en le voyant, toutes les tribus de la terre se lamenteront. Oui, vraiment ! Amen !
Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, je suis celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.
Evangile : « Je suis roi » (Jn 18, 33-37)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le règne de David notre Père, le Royaume des temps nouveaux ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Alléluia. (cf. Mc 11, 10)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Lorsque Jésus comparu devant Pilate, celui-ci l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? »
Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick Braud