Signes extérieurs de religion
Signes extérieurs de religion
22° dimanche ordinaire année B
02/09/2012
AQMI, Alaouites, salafistes, hassidim, djihadistes, Frères musulmans, wahhabites…: les traditionalistes religieux de tous poils prospèrent comme jamais !
Égypte, Libye, Tunisie, Syrie : les révolutions du printemps arabe lentement étouffent sous la pression des partis musulmans les plus conservateurs. Les traditionalistes prennent le pouvoir sur ces sociétés qui espéraient autre chose. On voit notamment les Frères musulmans vouloir imposer à nouveau le port de la barbe et du voile, un vêtement pour les femmes qui se baignent, des lois s’inspirant de la charia etc.
Jésus aurait fulminé contre ces pouvoirs religieux qui imposent des coutumes purement humaines.
De même qu’il conteste dans l’évangile ce dimanche les lavages des cruches, de plats et de mains que les pharisiens présentaient comme des actes religieux indispensables, il contesterait aujourd’hui les coutumes que les hommes ont rajoutées au fil des siècles comme autant de sédiments emprisonnant la Révélation.
Ne pas manger de porc, ne pas boire d’alcool, porter chapeau et papillotes, barbe ou voile, se déchausser et faire ostensiblement ses ablutions rituelles… : autant de signes extérieurs de religion que le prophète de Nazareth n’a cessé de relativiser. « Revenez à l’essentiel », disait-il, « ne vous laissez pas arrêter par ce que les traditions humaines vous présentent comme « religieux » ».
« Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous. Mais malheur à vous, les Pharisiens, qui acquittez la dîme de la menthe, de la rue et de toute plante potagère, et qui délaissez la justice et l’amour de Dieu ! Il fallait pratiquer ceci, sans omettre cela » (Lc 11, 41-42)
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’écuelle, quand l’intérieur en est rempli par rapine et intempérance ! Pharisien aveugle ! purifie d’abord l’intérieur de la coupe et de l’écuelle, afin que l’extérieur aussi devienne pur » (Mt 23,25-26).
« Rien de ce qui pénètre du dehors dans l’homme ne peut le souiller, parce que cela ne pénètre pas dans le coeur, mais dans le ventre, puis s’en va aux lieux d’aisance » (ainsi il déclarait purs tous les aliments) » (Mc 7,18-19).
Discours politiquement incorrect, du temps de Jésus comme au nôtre, car il heurte de plein fouet la prétention des hommes à mettre la main sur Dieu, et les intérêts des groupes qui exploitent ainsi la soif religieuse des peuples. Jésus brave régulièrement les lois sur le pur et l’impur inventées au fil des siècles pour se rassurer sur le salut des uns et la perdition des autres : il touche des cadavres, il touche les lépreux et les femmes en état d’impureté rituelle, il autorise ses disciples à cueillir du blé un jour de shabbat et lui-même se proclame maître du shabbat ; il fréquente des païens et ose s’asseoir à leur table. Il mange de tout et fait scandale en déclarant que tous les aliments sont purs. Pour lui, ce n’est pas ce qui est extérieur à l’homme (barbe, voile, nourriture etc.) qui peut le purifier, mais c’est de l’intérieur que vient l’attitude juste. Comme le dira saint Augustin plus tard : « aime, et fais ce que tu veux ».
Jésus s’est présenté lui-même comme un réformateur de la religion juive : en la débarrassant de ses surcouches traditionnelles, il manifestait la racine, le coeur de la Révélation donnée à Israël. Dieu désire associer l’homme à sa divinité, et Jésus en personne en est le signe et les prémices. Or les traditions qu’inventent les hommes en croyant faire plaisir à Dieu vont en sens inverse. Les ablutions rituelles répètent que le corps humain est trop sale pour comparaître devant Dieu. Les interdits alimentaires mettent des barrières entre ceux qui mangent et ceux qui ne mangent pas, ceux qui boivent et ceux qui ne boivent pas. Les obligations vestimentaires séparent les hommes et femmes, les El Hadj des autres, les purs des impurs.
Ces coutumes sont si fortes qu’il a fallu l’intervention de l’Esprit Saint « en direct » pour libérer Pierre de ces préjugés (Ac 10). En rêvant d’une nappe où tous les aliments sont enfin déclarés purs, en allant manger chez le centurion Romain Corneille – alors que c’est interdit par les rabbins – Pierre a affranchi l’Église naissante de l’obsession rituelle et traditionnelle qui avait gangrené le judaïsme.
Actes 10,9-18 : Pierre monta sur la terrasse, vers la sixième heure, pour prier. Il sentit la faim et voulut prendre quelque chose. Or, pendant qu’on lui préparait à manger, il tomba en extase. Il voit le ciel ouvert et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors: « Allons, Pierre, immole et mange. » Mais Pierre répondit: « Oh non! Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur! » De nouveau, une seconde fois, la voix lui parle: « Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé. » Cela se répéta par trois fois, et aussitôt l’objet fut remporté au ciel. Tout perplexe, Pierre était à se demander en lui-même ce que pouvait bien signifier la vision qu’il venait d’avoir, quand justement les hommes envoyés par Corneille, s’étant enquis de la maison de Simon, se présentèrent au portail. Ils appelèrent et s’informèrent si c’était bien là que logeait Simon surnommé Pierre.
Paul en tirera la conclusion logique : « tout m’est permis » (1Co 6,12) (mais il rajoutera : « tout n’est pas profitable »), et encore : « Tout est pur pour les purs » (Tite 1,15).
Il ira même jusqu’à gronder gentiment Timothée pour ses excès d’ascèse : « Cesse de ne boire que de l’eau. Prends un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquents malaises. » (1Ti 5,23)
Le christianisme est la religion de toutes les libertés :
- alimentaire, car c’est du dedans et non pas du dehors que vient l’impur ;
- vestimentaire, car Dieu ne juge pas selon les apparences ;
- rituelle, car l’Esprit Saint ne cesse d’inspirer à l’Église comment s’inculturer et faire évoluer ses traditions.
Bref, Jésus appelait à ne pas confondre la Tradition et les traditions.
La Tradition porte le souffle de la Révélation. Les traditions humaines, changeantes et relatives, essaient d’inscrire cette Tradition dans une société donnée. Mais la Tradition chrétienne porte en elle une attitude critique vis-à-vis des traditions humaines.
Prenons un exemple : la grande Tradition chrétienne est de faire parler à l’Église toutes les langues de la terre, fidèle à sa naissance le jour de Pentecôte. Dans cet esprit, célébrer en latin fut dans le premier siècle une audace formidable, car c’était la langue vulgaire (vulgus = ce qui est commun), la langue du peuple par opposition au grec qui était la langue des élites. Au fil des siècles, cette audace pour rejoindre la culture du peuple s’est lentement figée en amoncellement de rubriques et d’obligations où le latin fut changé en langue sacrée, à la manière de langues païennes initiatiques.
Il aura fallu un siècle de recherches exégétiques et patristiques et un concile pour revenir à la Tradition la plus authentique : célébrer dans toutes les langues fait partie de l’identité même de l’Église.
Mais les tenants des petites traditions humaines s’accrochent à elles, figeant le temps, oubliant qu’elles ne sont qu’un moment dans l’histoire du salut. Alors se lèvent régulièrement d’autres réformateurs, d’autres prophètes fidèles à l’esprit du Christ dénonçant violemment tous les actes extérieurs par lesquels l’homme essaie de se rassurer.
Ni les ablutions rituelles, ni le port de la barbe ou du voile, ni l’abstention de porc ou de vin, ni tant d’autres obligations soi-disant religieuses ne peuvent conduire à Dieu.
C’est au coeur de l’homme, au plus intime, que se joue sa relation à Dieu : pas dans ce qu’il mange ni ce dont il est vêtu.
En ces temps d’intégrisme de tous bords, la libération apportée par le Christ est vraiment une bonne nouvelle pour tous ceux qui étouffent sous le joug des groupes religieux qui veulent imposer leur tradition.
À nous d’en témoigner, ici comme là-bas, quitte comme Jésus à susciter l’hostilité des pouvoirs en place.
1ère lecture : Valeur incomparable de la loi du Seigneur (Dt 4, 1-2.6-8)
Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les commandements et les décrets que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, et vous entrerez en possession du pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères.
Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les ordres du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris.
Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces commandements, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’
Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ?
Et quelle est la grande nation dont les commandements et les décrets soient aussi justes que toute cette Loi que je vous présente aujourd’hui ? »
Psaume : 14, 1a.2, 3bc-4ab, 5
R/ Tu es proche, Seigneur ; fais-nous vivre avec toi.
Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son c?ur.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.
À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
L’homme qui fait ainsi
demeure inébranlable.
2ème lecture : La parole de Dieu, semence de la vie chrétienne (Jc 1, 17-18.21b-22.27)
Lecture de la lettre de saint Jacques
Frères bien-aimés, les dons les meilleurs, les présents merveilleux, viennent d’en haut, ils descendent tous d’auprès du Père de toutes les lumières, lui qui n’est pas, comme les astres, sujet au mouvement périodique ni aux éclipses passagères.
Il a voulu nous donner la vie par sa parole de vérité, pour faire de nous les premiers appelés de toutes ses créatures.
Accueillez donc humblement la parole de Dieu semée en vous ; elle est capable de vous sauver.
Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion.
Devant Dieu notre Père, la manière pure et irréprochable de pratiquer la religion, c’est de venir en aide aux orphelins et aux veuves dans leur malheur, et de se garder propre au milieu du monde.
Evangile : Loi divine et traditions humaines (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Dieu ne regarde pas l’apparence, comme font les hommes : il sonde les reins et les coeurs. Alléluia. (cf. 1 S 16, 7)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Les pharisiens et quelques scribes étaient venus de Jérusalem. Ils se réunissent autour de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées.
? Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, fidèles à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de cruches et de plats. ?
Alors les pharisiens et les scribes demandent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas sans s’être lavé les mains. »
Jésus leur répond : « Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous, hypocrites, dans ce passage de l’Écriture : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi.
Il est inutile, le culte qu’ils me rendent ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Puis Jésus appela de nouveau la foule et lui dit : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du coeur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.
Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
Patrick Braud