Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
Homélie pour la fête de Pentecôte
27/05/2012
Si l’Esprit Saint n’existait pas, est-ce que cela changerait quelque chose à votre existence ?
En cette fête de Pentecôte, la question n’est pas seulement une provocation pleine d’humour. C’est une question vitale. Beaucoup de chrétiens en effet vivent comme si l’Esprit Saint n’existait pas, alors qu’au contraire et paradoxalement beaucoup de non-chrétiens vivent en pratique en se laissant conduire par ce même Esprit.
Que veut dire vivre comme si l’Esprit Saint n’existait pas ?
C’est par exemple ne le prier jamais.
Nous sommes tellement habitués à dire « Seigneur, Seigneur » dans nos prières que nous ne savons plus très bien à qui elle s’adresse : au Père ? au Fils ? Mais l’Esprit également est Seigneur (cf. le credo : « il est Seigneur et il donne la vie »). Alors, pourquoi s’adresser à lui aussi rarement ?
Heureusement la liturgie a gardé les trésors où l’élan vers l’Esprit est porté par celui-là même qu’il implore : notre séquence de Pentecôte (« Viens Esprit Saint en nos coeurs »), le Veni Creator Spiritus qui accompagne toute ordination, les deux épiclèses (invocation à l’Esprit Saint) qui accompagnent normalement toute prière eucharistique (sauf la numéro 1 à qui elles manquent cruellement) etc.
Fêter Pentecôte, c’est d’abord retrouver cette place de la prière à l’Esprit Saint : avant la prière mariale, bien avant la prière confiante dans l’intercession des saints, la prière à l’Esprit Saint est la marque caractéristique de la prière chrétienne. C’est une exultation de joie telle que l’a connue Jésus (« il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint » Lc 10,21) ou Marie dans son Magnificat.
Elle est une supplication pour se laisser entraîner dans une vie « spirituelle » :
« Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide,
réchauffe ce qui est froid,
rends droit ce qui est faussé ». (séquence de Pentecôte)
Elle est le trait d’union entre une conduite purement humaine et une aventure inspirée.
Que signifie encore : vivre comme si l’Esprit Saint n’existait pas ?
C’est en pratique assimiler Dieu à une vague déité sans visage, où l’on croit en une force toute-puissante, impersonnelle. Sans l’Esprit Saint, notre Dieu est au mieux celui du judaïsme (bien que la tradition juive parle de la Ruah YHWH = souffle de Dieu, et ait bien des intuitions de l’existence de cette figure divine), au pire celui des religions païennes environnantes, et au milieu le Dieu de l’islam, solitaire à force d’être unique.
Si notre foi n’est pas trinitaire, alors toute la révélation accomplie en Jésus-Christ n’est qu’anecdotique.
Sans l’Esprit, pas de communion en Dieu, et donc pas de communion entre les hommes. Car c’est lui qui est le lien vivant unissant le Père et le Fils, « en un seul baiser d’amour » osaient dire les Pères de l’Église.
Sans l’Esprit pas de diversité en Dieu, pas d’altérité chez le tout-Autre. Et l’amour promeut la différence, en l’homme comme en Dieu. Dieu ne peut pas être amour s’il n’est pas communion de deux personnes ouvertes sur une autre qu’elles-mêmes, et c’est l’Esprit qui est ce flux intime assurant l’échange permanent entre le Père et le Fils, comme entre Dieu et nous.
C’est donc non seulement notre identité proprement chrétienne (et pas seulement croyante) qui est en jeu dans la fête de Pentecôte et de la Trinité qui s’ensuit, mais aussi notre capacité à entrer en communion profonde les uns avec les autres, avec le monde créé, avec Dieu.
Le phénomène des langues étrangères qui sont comprises et se comprennent dans Ac 2 relèvent de cette annonce : l’effet de l’effusion de l’Esprit est de rendre possible la communication entre ceux qui étaient étrangers les uns aux autres. Toute activité humaine qui contribue à ce résultat est sans aucun doute inspirée par l’Esprit : la musique lorsqu’elle rassemble au-delà des barrières et des frontières, la science (et singulièrement le langage mathématique qui est universel) lorsqu’elle stimule le génie de chaque scientifique à s’unir aux autres pour progresser, l’économie même lorsqu’elle favorise une mondialisation respectueuse de la différence de chaque peuple.
Que voudrait dire encore vivre comme si l’Esprit ça n’existait pas ?
L’Esprit « souffle où il veut » (Jn 3,8) et il se moque des étiquettes ecclésiales. Si la foi en l’Esprit Saint s’affaiblit (comme chez les intégristes où elle est remplacée par l’obsession de la tradition à répéter), alors on devient incapable de reconnaître qu’il y ait du salut en dehors de l’Église. On se crispe sur des replis identitaires où seuls les purs seraient sauvés. Mais Moïse lui-même a reconnu que l’Esprit du Seigneur pouvait agir librement en dehors de lui (cf. l’épisode avec Eldad et Médad [1]), et Jésus a bien été obligé de reconnaître cette même liberté de l’Esprit (cf. l’épisode où quelqu’un libère au Nom de Jésus sans faire partie du groupe des disciples [2]). Sans l’Esprit, l’histoire humaine n’est plus le lieu d’une aventure commune où Dieu et l’homme inventent ensemble un pas de danse propre à chaque génération. Si l’histoire n’est plus spirituelle, elle devient idéologique (à la manière des idéologies meurtrières du XX° siècle) ou traditionnelle (au sens le plus fixiste du terme : il n’y a plus d’histoire lorsqu’il faut seulement observer ce qui a été commandé, et répéter ce qui a été fait).
Vous le voyez, les enjeux de Pentecôte sont impressionnants.
Prier l’Esprit, le laisser nous révéler un Dieu trinitaire, le laisser inspirer des liens de communion entre nous, le laisser être le partenaire d’une histoire vivante : nous n’en serons pas quitte avec une seule fête par an ; mais qu’au moins elle nous mène sur un chemin plus inspiré…
[1]. Moïse sortit pour dire au peuple les paroles de Yahvé. Puis il réunit 70 anciens du peuple et les plaça autour de la Tente. Yahvé descendit dans la nuée. Il lui parla, et prit de l’Esprit qui reposait sur lui pour le mettre sur les 70 anciens. Quand l’Esprit reposa sur eux ils prophétisèrent, mais ils ne recommencèrent pas. Deux hommes étaient restés au camp; l’un s’appelait Eldad et l’autre Médad. L’Esprit reposa sur eux; bien que n’étant pas venus à la Tente, ils comptaient parmi les inscrits. Ils se mirent à prophétiser dans le camp. Un jeune homme courut l’annoncer à Moïse: « Voici Eldad et Médad, dit-il, qui prophétisent dans le camp. » Josué, fils de Nûn, qui depuis sa jeunesse servait Moïse, prit la parole et dit: « Moïse, Monseigneur, empêche-les! » Moïse lui répondit: « Serais-tu jaloux pour moi? Ah! puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit! » Puis Moïse regagna le camp, et avec lui les anciens d’Israël. (Nb 11, 24-30)
[2]. Jean lui dit: « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, quelqu’un qui ne nous suit pas, et nous voulions l’empêcher, parce qu’il ne nous suivait pas. » Mais Jésus dit: « Ne l’en empêchez pas, car il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous. (Mc 9,38-40)
1ère lecture : La venue de l’Esprit Saint sur les disciples (Ac 2, 1-11)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva la Pentecôte (le cinquantième jour après Pâques), ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent : toute la maison où ils se tenaient en fut remplie. Ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d’eux. Alors ils furent tous remplis de l’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, séjournant à Jérusalem, des Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel. Lorsque les gens entendirent le bruit, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient dans la stupéfaction parce que chacun d’eux les entendait parler sa propre langue. Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Ces hommes qui parlent ne sont-ils pas tous des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d’Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye proche de Cyrène, Romains résidant ici, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu. »
Psaume : Ps 103, 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34
R/ O Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes ?uvres, Seigneur !
La terre s’emplit de tes biens.
Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.
Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses ?uvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.
2ème lecture : « Laissons-nous conduire par l’Esprit » (Ga 5, 16-25)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates
Frères, je vous le dis : vivez sous la conduite de l’Esprit de Dieu ; alors vous n’obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair.
Car les tendances de la chair s’opposent à l’esprit, et les tendances de l’esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.
Mais en vous laissant conduire par l’Esprit, vous n’êtes plus sujets de la Loi.
On sait bien à quelles actions mène la chair : débauche, impureté, obscénité,
idolâtrie, sorcellerie, haines, querelles, jalousie, colère, envie, divisions, sectarisme,
rivalités, beuveries, gloutonnerie et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui agissent de cette manière ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu.
Mais voici ce que produit l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi,
humilité et maîtrise de soi. Face à tout cela, il n’y a plus de loi qui tienne.
Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses tendances égoïstes.
Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit.
sequence :
Viens, Esprit-Saint, en nos c?urs,
et envoie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres.
Viens, dispensateur des dons.
Viens, lumière en nos c?urs.
Consolateur souverain,
hôte très doux de nos âmes,
adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ;
dans la fièvre, la fraîcheur ;
dans les pleurs, le réconfort.
O lumière bienheureuse,
viens remplir jusqu’à l’intime
le c?ur de tous tes fidèles.
Sans ta puissance divine,
il n’est rien en aucun homme,
rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide,
réchauffe ce qui est froid,
rends droit ce qui est faussé.
À tous ceux qui ont la foi
et qui en toi se confient,
donne tes sept dons sacrés.
Donne mérite et vertu
donne le salut final
donne la joie éternelle. Amen.
Evangile : « L’Esprit de vérité vous guidera » (Jn 15, 26-27; 16, 12-15)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Pénètre le c?ur de tes fidèles ! Qu’ils soient brûlés au feu de ton amour! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi depuis le commencement.
J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : il redira tout ce qu’il aura entendu ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Il me glorifiera, car il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce qui appartient au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : Il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Patrick Braud