Le pain perdu du Jeudi Saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
La recette du pain perdu
Les générations qui avaient traversé la pénurie et le rationnement sous l’occupation nazie en avait gardé un réflexe : on ne jette pas la nourriture. Même le pain dur n’était pas gaspillé. La recette était simple : on fait tremper les tartines de pain sec dans un peu de jaune d’œuf mêlé de lait, on fait griller à la poêle, et on sert bien chaud nappé de sucre en poudre (avec de la cassonade, c’est encore meilleur; et si on y ajoute un trait de chocolat fondu…)
Ce pain perdu se fait-il encore ?
En tout cas – si on pardonne la métaphore culinaire – c’est bien la recette du Christ pour le repas du Jeudi Saint.
Lui, le Pain de vie, va accepter dans sa Passion d’être perdu avec les perdus. Mais c’est pour les envelopper de l’amour du Père ; c’est pour que la chaleur de l’Esprit vienne réchauffer ce qui est dur et sec en eux ; c’est pour que tous ceux qui se croyaient perdus découvrent qu’ils sont promis à devenir Dieu, rien moins que cela !
Le pain de misère juif
Le pain que Jésus a entre ses mains le soir du Jeudi Saint est un « pain de misère », selon la tradition juive. C’est un pain azyme, c’est-à-dire sans levain, car les hébreux n’ont pas eu le temps de le faire lever lorsqu’ils ont fui l’esclavage de l’Égypte en toute hâte.
Aucune trace de pâte levée (chomez qui veut dire aussi ?force’) ne doit rester dans les maisons : tout le levain doit disparaître des maisons (Ex 12,18-19) et il est interdit d’en manger pendant les sept jours de la fête juive de Pessah (Ex 12,20). La signification est claire: il s’agit d’abord de faire mémoire de la hâte avec laquelle les hébreux sont sortis d’Égypte, sans même avoir eu le temps de faire cuire leur pain; enracinement historique dans l’événement lui-même donc.
Mais c’est aussi le symbole de l’humilité dans laquelle Israël doit fêter Pessah: c’est dans la faiblesse que Dieu l’a sauvé, l’a formé comme son peuple. Ce n’est pas à sa propre ?force’ qu’Israël est devenu un peuple, et un peuple libre. Le « pain de misère » (les pains azymes ou mazzoth) mangé à Pâque symbolise cette faiblesse et cette impuissance, dans laquelle la puissance de Dieu va se déployer.
Connaissant cette coutume, Jean prend bien soin de préciser que la mort de Jésus coïncide avec le jour de la Préparation de la Pâque (Jn 19,31), quand justement on fait cette inspection minutieuse pour éliminer toute trace d’aliment impur. Jésus est ainsi implicitement identifié à ce chomez qu’il faut mettre dehors, au rebut de l’humanité. Ce qui donne une théologie de la Croix où l’identification de Jésus au dernier des derniers, aux impurs et aux exclus de ce monde (le chomez), dans la faiblesse (mazzoth), est le véritable ?sacrifice’ pascal qui libère et fait vivre.
Le pain azyme chrétien
Le Nouveau Testament parle de la Pâque environ une trentaine de fois, et presque toujours dans un contexte indicatif et allusif (Lc 22, 1-11; 14-18; Jn 2,13…); en l’appelant aussi la fête des Azymes (Mt 26,17). Le rapprochement avec la mort du Christ est fortement souligné: « la Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié » (Mt 26,17). La réinterprétation christique du rituel de la fête viendra très vite: « Christ notre Pâque a été immolé. Ainsi donc célébrons la fête, non pas avec du vieux levain ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité » (1 Co 5,7-8). Ainsi le Christ est le nouvel Agneau Pascal, les chrétiens sont les vrais mazzoth (azymes) en qui ne reste plus le ?levain’ du péché, mais la lumière de la vérité.
Ce « pain de misère », sec et dur, est ce soir transformé en repas de fête. Le pain perdu de nos vies est transfiguré en savoureux dessert. « La pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. » (Ps 118,22 ; Lc 20,17 ; Ac 4,11)
En recevant ce pain perdu sur la paume de nos mains ouvertes, croyons ce soir qu’il n’y a rien de si dur et si sec – en nous comme chez les autres – qui ne puisse être enveloppé de l’Esprit du Christ.
Ne jetez plus vos tranches de pain dur et, tout en faisant dorer ces tartines de pain perdu, méditez sur ce que fait l’eucharistie en vous…
1ère lecture : L’agneau pascal (Ex 12,1-8.11-14)
Lecture du livre de l’Exode
Dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d’un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur.
Cette nuit-là, je traverserai le pays d’Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. »
Psaume : Ps 115, 12-13, 15-16ac, 17-18
R/ Bénis soient la coupe et le pain, où ton peuple prend corps
Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.
2ème lecture : Le repas du Seigneur (1Co 11, 23-26)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
Evangile : Le lavement des pieds (Jn 13, 1-15)
Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. « Tu nous donnes un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! »
Jésus lui déclara : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, … mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.
Patrick Braud