Le jeu du qui-perd-gagne
Le jeu du qui-perd-gagne
Homélie du 22° Dimanche ordinaire / Année A
« Qui veut garder sa vie la perdra, qui la donne avec moi la trouvera ».
Étonnante, cette loi évangélique du qui-perd-gagne.
Paradoxale, cette stratégie qui mise sur le perdant apparent? Et pourtant?
Qui perd gagne !
· Il y a quelque temps, j’étais invité au repas d’un baptême. Entre le foie gras et le Loupiac, nous découvrons avec mon voisin de table que nous avons été coopérants dans le même pays d’Afrique.
D’où d’interminables souvenirs en commun, et des bouffées africaines qui nous remontaient en pleine figure : les relations humaines si humaines là-bas, les tournées en brousse, le temps vécu si différemment etc. Arrivés au St. Émilion accompagnant la volaille principale, mon voisin regarde soudain la table, son assiette pleine, et se confie à mi-voix : « maintenant, j’ai presque honte de ce que je fais. Je parcours la France entière pour grappiller des marges commerciales (il est VRP), démarcher des clients, séduire pour plus de résultats? Quand les rencontres africaines me reviennent à la mémoire, je me demande si j’ai fait les bons choix? Il y a des moments où l’existence sonne creux, lorsqu’on s’aperçoit qu’on court après du vent? »
Ce VRP nostalgique redécouvrait en fait l’étrange loi formulée par un obscur rabbi juif en Palestine : les vraies richesses sont celles qui nous sont redonnées au-delà de la perte. Comme le dira St Bernard : « au ciel, nous ne possèderons que ce nous aurons donné ». Encore faut-il apprendre à ne pas posséder. Encore faut-il se laisser initier à ce qu’est la « perte » au sens de l’Évangile.
* Savoir perdre, par amour (et non seulement parce que c’est une coutume, comme le fameux fair play britannique).
Par amour, ne pas retenir, mais offrir même ce qui paraît essentiel.
La veuve de Sarepta offre son peu d’huile et de vin. Un fils lui sera donné, au-delà de ses espérances.
Abraham accepta de ne pas posséder le fils de la Promesse. Il en reçut une descendance innombrable.
Jésus ira jusqu’au bout du don de soi, par amour, jusqu’à accepter de mourir. Il en recevra une vie éternelle.
* Savoir perdre, par amour?
Qui croirait que cela intéresse encore ?
Et pourtant?
* Savoir perdre, par amour?
Laissons le poète Pierre-Olivier FINELTIN trouver les mots pour dire combien ces pertes sont fécondes :
Qui perd gagne
Les pertes sont habituelles
Dit l’insouciant étourdi.
Les pertes sont dans la norme
Dit l’efficace militaire.
La perte est grande
Dit le prêtre au bord de la fosse.
Les pertes sont exceptionnelles
Dit le déficitaire banquier.
La perte est une racine de victoire
Dit le politicien battu.
Et – dit le poète -
Que les pertes font du bonheur,
Quand celles des eaux précèdent la naissance !
Que les pertes font du bonheur
Quand l’égaré est retrouvé !
Quand la boucle d’oreille retrouve sa paire !
Et dit – le poète -
Que les pertes font du bonheur,
Quand la perte déguise un don !
Quand l’oubli fait renaître
Quand le démuni rapporte l’objet perdu !
On perd courage
On perd du temps
On perd-dure on perd-siffle
Mais on ne perd jamais d’expérience.
Pas de gain sans perte?
· Une autre histoire très connue dit cela sous forme de conte :
« J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d’or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois !
Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais prêt dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.
Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis : « Qu’as-tu à me donner ? »
Ah ! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe ; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai.
Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : « Que n’ai-je eu le coeur de te donner mon tout ! »
Rabindranath Tagore
L’offrande Lyrique Ed. Gallimard (trad. André Gide)
· Et vous, quel grain de blé vous est-il possible de perdre ?…
1ère lecture : Le prophète doit souffrir pour son Dieu (Jr 20, 7-9)
Lecture du livre de Jérémie
Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ; tu m’as fait subir ta puissance, et tu l’as emporté. A longueur de journée je suis en butte à la raillerie, tout le monde se moque de moi.
Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et pillage ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’injure et la moquerie.
Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir.
Psaume : Ps 62, 2, 3-4, 5-6, 8-9
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu
Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.
Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !
Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.
2ème lecture : Le culte spirituel (Rm 12, 1-2)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable.
Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.
Evangile : Le disciple du Christ doit souffrir avec son Maître (Mt 16, 21-27)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ illumine nos c?urs : qu’il nous fasse voir quelle espérance nous ouvre son apple. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Pierre avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. »
A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. »
Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera.Quel avantage en effet un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paye de sa vie ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ?
Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »
Patrick Braud
Mots-clés : Afrique, gagner, perdre, Tagore