Les trois soifs dont Dieu a soif
Les trois soifs dont Dieu a soif
Homélie pour le 3° dimanche de Carême / Année A
Dimanche 27 Mars 2011
Jésus, épuisé, au puits
Curieuse histoire de puits en effet…
Déjà, il faut être un peu fou dans un pays chaud comme Israël pour marcher sur la route en plein midi *, en plein ?cagnard’. Mais c’est le signe que, en Jésus, Dieu parcourt nos routes humaines même dans la fournaise la plus intense.
En outre, à midi, il n’y a pas d’ombre, et rien ne fera obstacle à la manifestation de l’identité de Jésus.
Évidemment, dans ces conditions, il n’y a pas grand monde à se risquer sur la route en plein soleil ! Fatigué, Jésus s’assoit au bord d’un puits, présent comme par hasard sur le chemin. Le jeu de mots est facile à faire : Jésus est é-puisé au bord de ce puits. Il se vide de lui-même en parcourant nos routes, car il ne rencontre personne à qui se donner.
Personne ? Si : cette Samaritaine qui va au puits toute seule, presque honteusement, à l’écart des autres femmes dont elle endure sans doute le mépris à cause de sa situation conjugale.
Se déroule alors un chassé-croisé évolutif dont l’évangéliste Jean est si expert et si friand dans ses récits :
- « Donne-moi à boire » / « c’est toi qui devrais me demander à boire »
- « ton mari » / les six compagnons
- Jérusalem / Garrizim / « en esprit et en vérité »
- « viens manger » / « ma nourriture est autre »
Le texte va de la soif de Jésus à sa vraie nourriture, en passant par la vérité sur la soif amoureuse de cette femme, sur la soif d’adoration des juifs et des samaritains.
Dieu a soif de notre soif
Le thème central de ce récit se situe donc autour de la soif : celle de la femme (soif de se désaltérer, soif d’aimer, soif d’adorer), celle du Christ (soif de pouvoir donner à boire à l’humanité).
De la même manière que Jésus se nourrit de la volonté de son Père, ainsi il se désaltère de la soif des hommes. Ce n’est qu’en rencontrant des êtres assoiffés, des êtres de désir, qu’il peut faire « couler de son sein des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 38-39) c’est-à-dire la vie « en Esprit et en vérité ».
Les désirs de l’âme ont devant Dieu un grand prix. Dieu a soif de notre soif. Il semblerait qu’on lui procure un avantage quand on lui demande quelque bien. Il a plus de joie à donner que les autres à recevoir (saint Grégoire de Naziance : Discours XL 27).
« J’ai soif », supplie Jésus sur la Croix : cette soif est sans doute le ressort le plus intime de sa passion pour l’homme. Et nous ne lui donnons le plus souvent que du vinaigre…
Les trois soifs
Les trois soifs qui animent la Samaritaine sont toujours les nôtres.
1. Soif d’être dés-altéré
Ce qui d’ailleurs est assez bizarre ici, car un puits est plutôt rempli d’eau dormante que d’eau vive ! Sauf à être directement relié à une source qui le traverse…
Se désaltérer, c’est être rendu à soi-même (s’altérer = devenir un autre / se dés-altérer = ne plus être un autre) : « il m’a dit tout ce que j’ai fait ».
Cette femme, en buvant les paroles de Jésus, peut enfin être elle-même, assumer son histoire (compliquée !), sans honte ni détour.
Elle est si heureuse de pouvoir enfin être elle-même (sans ombre, en plein midi) qu’elle en devient rayonnante, au point d’intriguer les habitants de sa ville, qui voudront du coup eux aussi s’approcher du puits-Jésus.
2. Soif d’aimer et d’être aimé
De façon étonnante, Jésus aide cette femme à être vraie sur sa situation amoureuse, sans pour autant la condamner, ni lui demander de changer quoi que ce soit ! Il ne lui demande pas de revenir à son 1° ou à son 5° mari. Il lui permet simplement d’assumer sa situation actuelle sans peur des avis des autres. Et c’est efficace ! Elle qui venait en catimini à ce puits à une heure où elle serait sûre d’être seule, elle va ensuite inviter tous les habitants de la ville à venir avec elle rencontrer Jésus !
La première missionnaire dans l’Évangile de Jean est bien cette femme, peu recommandable, à qui Jésus a donné la capacité d’être elle-même, sans honte.
3. Soif d’adorer
Cette soif-là nous paraît plus étrangère dans notre culture actuelle. Qui se pose aujourd’hui la question de savoir qui adorer et où ? Jérusalem ou Garrizim, christianisme ou islam, méditation zen ou New Age, la question de l’adoration semble reléguée au mieux dans la sphère privée, au pire dans l’insignifiance.
Et pourtant…
À y regarder de plus près, la question de savoir ce qui est le plus important, ce qui doit passer avant tout le reste, est bien au coeur des inquiétudes modernes. Le marché où les droits de l’homme ? La famille ou la liberté morale ? La sécurité ou la bienveillance ? La croissance économique (au prix de l’énergie nucléaire par exemple) ou bien la sécurité de notre énergie (au risque d’une décroissance difficile à supporter) ?
Un théologien, Paul Tillich, a montré que nos sociétés occidentales n’ont pas supprimé la question de l’absolu – ce devant quoi on se prosterne - mais l’ont déplacé ailleurs (sur d’autres monts Garrizim…). Chacun se prosterne – même sans le savoir - devant des petits dieux qu’il adore à mesure de l’énergie et du temps qu’il met à les poursuivre. Chacun a son « ultimate concern », ce par quoi il se sent absolument concerné, de manière ultime. Que ce soit le football ou l’écran, la famille ou le boulot, le pouvoir ou l’argent, la reconnaissance sociale ou l’engagement altruiste, cet « ultimate concern » désigner de façon concrète ce que chacun adore, même sans le savoir…
Quelle soif puis-je offrir à celle du Christ ?
C’est bien l’interrogation devant laquelle ce texte nous place.
Si, en Jésus, Dieu a soif de nos soifs (se désaltérer / aimer / adorer), où en suis-je de ces trois quêtes fondamentales ?
Nous ne savons pas que s’il nous demande, c’est pour avoir l’occasion de nous donner bien plus largement que tout ce que nous aurons pu faire pour lui (saint Augustin : « Tractatus in Johannis évangelium » XV 12).
Si je suis repu au point de ne plus avoir soif, il est temps que ce carême vienne réveiller en moi mes insatisfactions les plus fortes.
Si je m’égare à chercher dans des flaques d’eau dormante et boueuses l’eau vive que le Christ laisse couler de son côté en abondance, il est temps de réorienter mon énergie et mon temps loin de Jérusalem, loin du mont Garrizim, « en Esprit et en vérité ».
Prenons le temps cette semaine d’habiter cette question, sans y répondre trop vite :
quelle soif puis-je offrir à celle du Christ ?
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* la « 6° heure » après le lever du soleil dans le texte, soit midi : 6 est le chiffre de l’incomplétude, comme les 6 jours de la Création non achevés, comme les 6 compagnons de cette femme.
1ère lecture : Par Moïse, Dieu donne l’eau à son peuple (Ex 17, 3-7)
Lecture du livre de l’Exode
Les fils d »Israël campaient dans le désert à Rephidim, et le peuple avait soif. Ils récriminèrent contre Moïse : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? »
Moïse cria vers le Seigneur : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! »
Le Seigneur dit à Moïse : « Passe devant eux, emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël, prends le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va !
Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! »
Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël.
Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Défi) et Mériba (c’est-à-dire : Accusation), parce que les fils d’Israël avaient accusé le Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis au défi, en disant : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? »
Psaume : Ps 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9
R/ Aujourd’hui, ne fermons pas notre coeur, mais écoutons la voix du Seigneur !
Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !
Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre coeur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
2ème lecture : L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs (Rm 5, 1-2.5-8)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères,
Dieu a fait de nous des justes par la foi ; nous sommes ainsi en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a donné, par la foi, l’accès au monde de la grâce dans lequel nous sommes établis ; et notre orgueil à nous, c’est d’espérer avoir part à la gloire de Dieu.
Et l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions.
- Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien.
Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs.
Evangile : La Samaritaine et le don de l’eau vive (Jn 4, 5-42 [lecture brève: 4, 5-15.19b-26.39a.40-42])
Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Le Sauveur du monde, Seigneur, c’est toi ! Donne-nous de l’eau vive, et nous n’aurons plus soif. Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Jn 4, 42.15)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Jésus arrivait à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph, et où se trouve le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était assis là, au bord du puits. Il était environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.
Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
(En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger.)
La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.)
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l’eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari : là, tu dis vrai. »
La femme lui dit : « Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors, explique-moi : nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l’adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.
Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit : « Moi qui te parle, je le suis. »
Là-dessus, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que demandes-tu ? » ou : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :
« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers Jésus.
Pendant ce temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se demandaient : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre.
Ne dites-vous pas : ‘Encore quatre mois et ce sera la moisson’ ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson.
Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit avec le moissonneur.
Il est bien vrai, le proverbe : ‘L’un sème, l’autre moissonne.’
Je vous ai envoyés moissonner là où vous n’avez pas pris de peine, d’autres ont pris de la peine, et vous, vous profitez de leurs travaux. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause des paroles de la femme qui avait rendu ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y resta deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de ses propres paroles, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant ; nous l’avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »
Patrick Braud