L'homélie du dimanche (prochain)

12 février 2011

Accomplir, pas abolir

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Accomplir, pas abolir 

 

Homélie pour le 6° dimanche ordinaire / Année A

Dimanche 13 Février 2011

 

« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ».

Si les Églises s’étaient davantage souvenues de cette phrase de Jésus en Mt 5, elles n’auraient sans doute pas diabolisé les rites chinois, supprimé autant de coutumes africaines, ou imposé tant de points de vue orientaux au début puis occidentaux ensuite… Heureusement, certains ne l’ont pas oublié : des missionnaires ont sauvé les langues locales en les mettant par écrit, avec dictionnaires et grammaire. D’autres ont magnifié les coutumes locales dignes d’admiration et les ont fait entrer dans le trésor chrétien. D’autres encore cherchent dans la musique contemporaine, ou la culture numérique, ou la mondialisation… ce qui peut être « accompli » en le « baptisant » en Christ.

 

Mais justement qu’est-ce que accomplir pour Jésus ?

 

Mt 5 ne développe ce thème de l’accomplissement que pour la Loi. C’est à la fois peu et beaucoup. En suivant quelques étapes du travail d’accomplissement auquel Jésus se livre par rapport à la Loi, nous aurons quelques indications pour les autres éléments à accomplir (les prophètes, la sagesse, la culture d’un peuple…).

 

·       Accomplir c’est d’abord connaître

Pour Jésus, c’est clair : la lettre de la loi est très importante. « Pas un iota n’en disparaîtra » annonce-t-il. Il la connaît par coeur, par le coeur, cette version littérale de la Torah.

Il est capable de citer l’Écriture au diable qui le tente au désert par trois fois avec d’autres citations (Mt 4).

Il est même assez habile pour aller chercher dans la Torah ce qui est contraire à la Torah ! Ainsi, lorsque les fanatiques de la loi juive se scandalisent du non-respect du shabbat par ses disciples qui cueillent des épis pour manger ce jour-là, il leur propose un autre passage de la Loi où David et ses compagnons osent manger les pains consacrés réservés aux seuls prêtres (Lc 6,2-5).

 

« Nul n’est censé ignorer la loi ». Parce qu’il la connaît mieux que quiconque, de l’intérieur, Jésus peut à la fois appeler à son respect et jouer de sa sophistication. Parce qu’il connaît la Loi, il peut en manifester la subtile complexité, qui appelle à un discernement. Il peut même faire apparaître des contradictions internes qui appellent à un dépassement de la lettre de la Loi…

 

Il faut donc connaître par le coeur ce que l’on désire « accomplir ».

Voilà pourquoi les Pères Blancs passent tant de temps à apprendre une langue locale africaine, ou pourquoi Charles de Foucauld est resté tant d’années à étudier le touareg et la culture touarègue.

Accomplir c’est d’abord connaître.

 

·       Accomplir, c’est ensuite relativiser

Non pas au sens de fragiliser, ou diminuer. Mais au sens de replacer dans son contexte (car tout est relatif !), de retrouver la relation que la loi voulait restaurer lorsqu’elle a été promulguée. Pour cela, Jésus n’absolutise la lettre de la Loi. Il revient à la tradition orale, vivante, évolutive, attentive à l’humain.

« Vous avez entendu qu’il a été dit… » « Eh bien moi je vous dis » : ce leitmotiv  revient cinq fois dans ce discours sur la montagne. Il se réfère à la tradition orale plus qu’à l’écrit ici, pour 5 questions disputées : le meurtre, l’adultère et le divorce, le serment, la vengeance, l’attitude face aux ennemis. Or 5 est le chiffre de la Loi, des cinq livres de Moïse constituant la Torah, le Pentateuque.

Accomplir ce n’est donc pas répéter sans rien changer de la lettre.

Accomplir, c’est retrouver une tradition vivante qui fait face aux questions contemporaines en sachant « tirer du neuf de l’ancien ». (Mt 13,52)

 

·  Accomplir, c’est radicaliser

Radicaliser : revenir à la racine de l’intuition de la loi.

C’est ce que fait Jésus ici par rapport aux cinq points évoqués. Pour ces questions de meurtre / d’adultère-divorce / de serment / de vengeance / ou d’amour des ennemis, Jésus ne se satisfait pas du légal, mais il veut retrouver ce qui était à la racine de la Loi : rétablir la communion entre les êtres.

Pas seulement sanctionner, pas seulement être ?en règle’, mais faire surgir une communion plus grande qu’avant le conflit.

 

Il est à noter d’ailleurs que cette radicalisation n’est jamais dirigée contre les autres, mais envers soi-même.

Le drame des intégristes ou des fanatiques de la loi (de la charia aux idéologies sécuritaires actuelles…) c’est de faire de la loi une machine de guerre contre les autres : contre les délinquants, contre la ?racaille’, contre les ?impies’, contre les ?blasphémateurs’, contre la finance ou contre les multinationales…

Or Jésus renverse ce mouvement de radicalisation : c’est envers soi-même qu’il appelle à être radical.

« Si ton frère a quelque chose contre toi ». « Si ton oeil t’entraîne à pécher ». « Quand vous dites oui… ». « Ne jure pas sur ta tête ». « Aimez vos ennemis »?

Cette radicalisation-là ne vise pas à éliminer l’autre, supposé mauvais, mais bien à éliminer le mal en soi d’abord.

Tout le contraire d’une dérive autoritaire ou légaliste…

 

·  Le sommet de la loi c’est la miséricorde

Allant chercher en soi la racine du mal à guérir, chacun pourra alors considérer l’autre bien autrement que sous le seul angle du droit.

C’est un frère, pas un « crétin » ou un adversaire. (v22)

C’est une compagne, plus qu’une femme adultère. (v 32)

C’est un compagnon de route avec qui faire le double du chemin, et pas un « méchant » à abattre. (v 41)

C’est un ennemi à aimer, pas à éliminer. (v 44)

 

« Allez donc apprendre ce que veut dire cette parole : c’est la miséricorde que je désire et non les sacrifices » (Mt 9,13 ; 12,7; cf. Os 6,6). Voilà la clé d’interprétation de la Loi que Jésus est allé chercher dans la Loi.

La miséricorde est le sommet de la Loi.

Toute « radicalisation » qui s’éloignerait de cette perspective deviendrait vite inhumaine, à la manière des régimes autoritaires et policiers (même au nom d’alibis  religieux…).

 

·    Connaître, relativiser, radicaliser, orienter vers la miséricorde : voilà quelques étapes de l’accomplissement de la Loi par Jésus, avec lui et en lui.

Cet accomplissement n’est jamais figé.

Il ne vise pas que la loi. Le Christ est venu accomplir ce qu’il y a de meilleur en chacun, en chaque peuple.

La mission de l’Église est essentiellement une mission d’accomplissement :

accomplir la culture , l’intelligence, les sciences et techniques, en  « tout homme, tout l’homme, tous les hommes » (Paul VI, Popularum Progressio).

 

Pour ne pas céder aux sirènes identitaires et légalistes, répétons-nous souvent cette phrase-clé de Jésus : « je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ».

 

 

 

1ère lecture : « Tu peux observer les commandements » (Si 15, 15-20)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle.

Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères.

La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix.

Car la sagesse du Seigneur est grande, il est tout-puissant et il voit tout.

Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes.

Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher.

 

Psaume : 118, 1-2, 4-5, 17-18, 33-34

R/ Heureux qui règle ses pas sur la parole de Dieu.

Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout coeur ! 

Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements ! 

Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j’aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l’observe de tout coeur.

2ème lecture : La sagesse de Dieu est ignorée du monde (1 Co 2, 6-10)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
c’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent.

Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.

Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.

Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu.

Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, a révélé cette sagesse. Car l’Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Accomplir, pas abolir. (Mt 5, 17-37)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. La loi du Seigneur est joie pour le c?ur, lumière pour les yeux. Alléluia. (cf. Ps 18, 9)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu’un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu’un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.  Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.


Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l’adultère avec elle dans son coeur. Si ton oeil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.

Il a été dit encore : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère. 

Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites ‘oui’, que ce soit un ‘oui’, quand vous dites ‘non’, que ce soit un ‘non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

      Patrick Braud

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