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9 octobre 2010

Quel sera votre sachet de terre juive ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Quel sera votre sachet de terre juive ?


Homélie du 10/10/2010

28° Dimanche du temps ordinaire / Année C

 

 

L’esclave qui veut que son maître guérisse

Extrait de l'affiche du film Au début de l’histoire de Naaman, il y a une esclave, une jeune juive captive qui fait partie du butin de l’armée syrienne en Israël. « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi… »  (1Co 1,27) dira Saint Paul. Cette esclave – paradoxalement – va chercher à guérir le général étranger qui est responsable de son malheur ! « Ne rendez pas le mal pour le mal » (1P 3,9 vs 1M 2,68), « Aimez vos ennemis » (Lc 6,27), dira Jésus dans l’Évangile. Cette jeune esclave aiguille Naaman vers « le prophète qui est à Samarie », c’est-à-dire qui vit en terre hérétique pour les juifs orthodoxes de l’époque.

Quelle largesse d’esprit extraordinaire : reconnaître que de Samarie peut venir le salut pour les païens, même ceux qui nous oppriment… !

 

Quels sont les esclaves, les captives autour de nous qui pourraient nous aiguiller vers un autre salut ?

Ou bien, si je suis moi-même captif, comment désirer la guérison de ceux qui m’exploitent ?

 

Première méprise : erreur sur la personne

Le roi de Syrie envoie Naaman vers le roi d’Israël, croyant sans doute que le prophète est aux ordres du roi, ou que le prophète ne peut être que le roi en personne. D’où la réaction du roi d’Israël, reconnaissant avec réalisme et humilité qu’il n’est pas Dieu, qu’il ne peut faire « mourir et ressusciter », bref qu’il n’a pas droit de vie et de mort sur ses sujets, et encore moins le pouvoir de guérir de la lèpre.

 

La petite esclave juive avait discerné correctement à qui il fallait s’adresser pour guérir. Quel sera votre sachet de terre juive ? dans Communauté spirituelle compendium-doctrine-sociale-eglise-13Le puissant roi de Syrie – lui – se trompe de personne. C’est cela la force de ce que nous appelons aujourd’hui « l’option préférentielle pour les pauvres » dans la doctrine sociale de l’Église : il ne s’agit pas seulement de faire la charité, par compassion, mais de discerner, grâce à la parole des pauvres et à leur expérience, d’où peut venir le salut pour l’ensemble de la société (y compris pour les puissants et les riches).

Si une jeune esclave juive voit plus clair qu’un puissant roi de Syrie, alors on devine que les exclus et les laissés-pour-compte de notre société verront plus clair sur notre avenir que bien des puissants du monde politique ou économique…

 

Comment accorder aux plus pauvres un droit de parole, pour qu’ils discernent avec nous d’où peut venir le salut ?

 

Deuxième méprise : l’argent n’achète pas tout

Naaman, en bon païen que nous sommes, croit que tout s’achète.

Il vient demander sa  gratuit dans Communauté spirituelleguérison avec de l’argent, de l’or, des vêtements luxueux…

Or la guérison ne s’achète pas. Elle sera donnée gratuitement, « par-dessus le marché » (Lc 12,31), au-delà de toute démarche calculatrice et mercantile.

Pas de donnant-donnant chez Dieu !

D’ailleurs Élisée a refusé les cadeaux que Naaman voulait lui offrir pour le remercier. Alors que le serviteur d’Élisée, Guéhazi, va devenir lépreux pour avoir voulu tirer profit de cette guérison en soutirant de l’argent et des habits à Naaman ans après sa guérison.

 

Puis-je croire aujourd’hui que la guérison m’est offerte gratuitement ?

Puis-je en témoigner auprès d’autres, en offrant à mon tour un salut gratuit, sans calcul ?

 

Troisième méprise : la foi n’est pas magique

Naaman s’attendaient à des paroles mystérieuses, comme celle d’un guérisseur africain ou d’un marabout autoproclamé de nos petites annonces. Il imaginait des gestes magiques, avec des « passes » sur son corps, des postures savantes et mystérieuses, une technique digne des meilleures thérapies du bien-être corporel d’aujourd’hui.

Rien de tout cela en Dieu : Élisée ne se déplace même pas physiquement auprès de Naaman. Il guérit sur parole, avec une ordonnance à distance : se baigner sept fois dans le Jourdain.

 

Comment prendre conscience, pour l’éradiquer, de la dimension « magique » de mon rapport à Dieu ?

 

Quatrième méprise : le salut n’est pas chez soi

carte_israel_bis-432 lèpreNaaman « méprise » le Jourdain, petit fleuve juif qui ne lui apportera aucune renommée. Il aurait préféré se baigner dans « les rivières de Damas » qui l’auraient rendu célèbre chez lui. ?J’ai les mêmes eaux à la maison’ semble-t-il se dire, furieux : pourquoi se plonger dans les eaux juives de ce petit peuple que j’ai vaincu ?

Heureusement, là encore des esclaves interviennent. Décidément, sans les esclaves, pas de guérison possible ! Ils le convainquent : ?qui peut le plus peut le moins. Tu te serais baigné à Damas ? Cela ne coûte rien alors de te baigner ici’.

 

 

Passer par Israël, par des esclaves… : comment abaisser mon orgueil pour accepter de recevoir des plus petits ?

 

 

La reconnaissance

Naaman veut montrer sa gratitude. Puisque Élisée refuse tout cadeau, le général syrien merci1 reconnaissancemanifestera sa reconnaissance envers le Dieu d’Israël en rapportant un peu de terre juive chez lui, en Syrie.

Point de conversion spectaculaire. Il continuera à accompagner son maître au temple du dieu (de l’idole) Rimmon. Naaman manifestera pourtant un attachement intérieur, privé : il sait d’où lui vient son salut, mais il n’en fera pas étalage.

 

Dans notre évangile, un seul des dix lépreux guéris par Jésus manifeste ce même type de gratitude : un étranger, comme Naaman.

 

ä Que pourrait signifier pour nous actuellement : « emporter un peu de la terre d’Israël » dans notre univers ?

Saint Jean appelle cela : « être dans le monde sans être du monde » (Jn 17).

 

En entreprise, en famille, avec nos amis, comment faire ce qu’il faut pour être avec les autres, loin de toute attitude sectaire (comme Naaman accompagnant son roi au temple païen), sans pour autant trahir ce que l’on est, sans devenir infidèles à nos convictions ?

Un petit sachet de terre d’Israël a suffi à Naaman pour lui rappeler sans cesse sa double appartenance.

Certains aujourd’hui utilisent une icône, un dizainier, « Prions en Église » ou « Magnificat » dans ce même esprit : être présent à ses responsabilité profanes ordinaires, tout en étant présent au Dieu de Jésus-Christ, qui guérit gratuitement les bons comme les méchants, les familiers comme des étrangers.

petit_sachet_copie salut

Quel sera votre sachet de terre juive ? Quel symbole chrétien vous aidera à « être dans le monde sans être du monde » ?

 

 

 

1ère lecture : Guéri de sa lèpre, Naaman le Syrien croit au Dieu d’Israël (2R 5, 14-17)

Lecture du second livre des Rois

Naaman, chef de l’armée du roi d’Aram, était un homme en grande considération et faveur auprès de son maître, car c’était par lui que Yahvé avait accordé la victoire aux Araméens, mais cet homme était lépreux.  Or les Araméens, sortis en razzia, avaient enlevé du territoire d’Israël une petite fille qui était entrée au service de la femme de Naaman.  Elle dit à sa maîtresse: « Ah! si seulement mon maître s’adressait au prophète de Samarie! Il le délivrerait de sa lèpre. »  Naaman alla informer son seigneur: « Voilà, dit-il, de quelle et quelle manière a parlé la jeune fille qui vient du pays d’Israël. »  Le roi d’Aram répondit: « Pars donc, je vais envoyer une lettre au roi d’Israël. » Naaman partit, prenant avec lui dix talents d’argent, 6.000 sicles d’or et dix habits de fête.  Il présenta au roi d’Israël la lettre, ainsi conçue: « En même temps que te parvient cette lettre, je t’envoie mon serviteur Naaman, pour que tu le délivres de sa lèpre. »  A la lecture de la lettre, le roi d’Israël déchira ses vêtements et dit: « Suis-je un dieu qui puisse donner la mort et la vie, pour que celui-là me mande de délivrer quelqu’un de sa lèpre? Pour sûr, rendez-vous bien compte qu’il me cherche querelle! »  Mais quand Elisée apprit que le roi d’Israël avait déchiré ses vêtements, il fit dire au roi: « Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements? Qu’il vienne donc vers moi, et il saura qu’il y a un prophète en Israël. »

Naaman arriva avec son attelage et son char et s’arrêta à la porte de la maison d’Elisée,  et Elisée envoya un messager lui dire: « Va te baigner sept fois dans le Jourdain, ta chair redeviendra nette. »  Naaman, irrité, s’en alla en disant: « Je m’étais dit: Sûrement il sortira et se présentera lui-même, puis il invoquera le nom de Yahvé son Dieu, il agitera la main sur l’endroit malade et délivrera la partie lépreuse.  Est-ce que les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël? Ne pourrais-je pas m’y baigner pour être purifié? » Il tourna bride et partit en colère.  Mais ses serviteurs s’approchèrent et s’adressèrent à lui en ces termes: « Mon père! Si le prophète t’avait prescrit quelque chose de difficile, ne l’aurais-tu pas fait? Combien plus, lorsqu’il te dit: « Baigne-toi et tu seras purifié. »  Il descendit donc et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole d’Elisée: sa chair redevint nette comme la chair d’un petit enfant.

  Il revint chez Elisée avec toute son escorte, il entra, se présenta devant lui et dit: « Oui, je sais désormais qu’il n’y a pas de Dieu par toute la terre sauf en Israël! Maintenant, accepte, je te prie, un présent de ton serviteur. »  Mais Elisée répondit: « Aussi vrai qu’est vivant Yahvé que je sers, je n’accepterai rien. » Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa.  Alors Naaman dit: « Puisque c’est non, permets qu’on donne à ton serviteur de quoi charger de terre deux mulets, car ton serviteur n’offrira plus ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’à Yahvé.  Seulement, que Yahvé pardonne ceci à ton serviteur: quand mon maître va au temple de Rimmôn pour y adorer, il s’appuie sur mon bras et je me prosterne dans le temple de Rimmôn en même temps qu’il le fait; veuille Yahvé pardonner cette action à son serviteur! »

  Elisée lui répondit: « Va en paix », et Naaman s’éloigna un bout de chemin.  Géhazi, le serviteur d’Elisée, se dit: « Mon maître a ménagé Naaman, cet Araméen, en n’acceptant pas de lui ce qu’il avait offert. Aussi vrai que Yahvé est vivant, je cours après lui et j’en obtiendrai quelque chose. »  Et Géhazi se lança à la poursuite de Naaman. Lorsque Naaman le vit courir derrière lui, il sauta de son char à sa rencontre et demanda: « Cela va-t-il bien? »  Il répondit: « Bien. Mon maître m’a envoyé te dire: A l’instant m’arrivent deux jeunes gens de la montagne d’Ephraïm, des frères prophètes. Donne pour eux, je te prie, un talent d’argent et deux habits de fête. »  Naaman dit: « Veuille accepter deux talents », et il insista; il lia les deux talents d’argent dans deux sacs, avec les deux habits de fête, et les remit à deux de ses serviteurs qui les portèrent devant Géhazi.  Quand il arriva à l’Ophel, il les prit de leurs mains et les déposa dans la maison; puis il congédia les hommes, qui s’en allèrent.  Quant à lui, il vint se tenir près de son maître. Elisée lui demanda: « D’où viens-tu, Géhazi? » Il répondit: « Ton serviteur n’est allé nulle part. »  Mais Elisée lui dit: « Mon coeur n’était-il pas présent lorsque quelqu’un a quitté son char à ta rencontre? Maintenant tu as reçu l’argent, et tu peux acheter avec cela jardins, oliviers et vignes, petit et gros bétail, serviteurs et servantes.  Mais la lèpre de Naaman s’attachera à toi et à ta postérité pour toujours. » Et Géhazi s’éloigna de lui blanc de lèpre comme la neige. 

 

 

Psaume : Ps 97, 1, 2-3ab, 3cd-4a.6b

 

R/ Dieu révèle sa puissance à toutes les nations

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire. 

Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière.
Acclamez votre roi, le Seigneur !

2ème lecture : Etre fidèles au Christ toujours fidèle (2Tm 2, 8-13)

 

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Souviens-toi de Jésus Christ, le descendant de David : il est ressuscité d’entre les morts, voilà mon Évangile.
C’est pour lui que je souffre, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu !
C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salut par Jésus Christ, avec la gloire éternelle.
Voici une parole sûre : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons.
Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera.
Si nous sommes infidèles, lui, il restera fidèle, car il ne peut se rejeter lui-même. »

 

Evangile : Guéri de sa lèpre, un Samaritain rend gloire à Dieu (Lc 17, 11-19)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance
et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
En les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »En cours de route, ils furent purifiés.
L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus demanda : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ?
On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n’y a que cet étranger ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Patrick BRAUD

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2 octobre 2010

L’injustifiable silence de Dieu

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L’injustifiable silence de Dieu

Homélie du 03/10/2010
27° Dimanche du temps ordinaire / Année C

 

« Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! »

 Le cri du prophète Habacuc est toujours le nôtre.

Comment se fait-il que Dieu garde le silence devant tant d’injustices ? Il reste apparemment silencieux, impuissant devant le mal qui fait des ravages.

Le tremblement de terre en Haïti, les inondations au  Pakistan, la galère des « moins que rien » chez nous, la maladie terrible, la mort trop jeune… Comment croire en un Dieu muet et indifférent ?

 

Comment espérer se sortir de cette question qui génère tant d’athéisme fort raisonné ?

Nietzsche écrivait:  » Si je connais le pourquoi, je peux endurer tous les comment »… Mais si Dieu se tait, comment connaître le pourquoi ?

 

Une réponse juive : la transcendance absolue

L'injustifiable silence de Dieu dans Communauté spirituelle _1963DifficileLiberte_mEmmanuel Levinas, philosophe juif marqué par la Shoah, en appelle à la révélation biblique d’un Dieu qui ne veut pas se substituer à la responsabilité éthique de l’homme. 

« Que signifie cette souffrance des innocents ? Ne témoigne-t-elle pas d’un monde sans Dieu, d’une terre où l’homme seul mesure le Bien et le Mal ?

La réaction la plus simple, la plus commune consisterait à conclure à l’athéisme.

Réaction la plus saine aussi pour tous ceux à qui jusqu’alors un Dieu, un peu primaire, distribuait des prix, infligeait des sanctions ou pardonnait des fautes et, dans sa bonté, traitait les hommes en éternels enfants. Mais de quel démon borné, de quel magicien étrange avez-vous donc peuplé votre ciel, vous qui, aujourd’hui le déclarez désert ? Et pourquoi sous un ciel vide cherchez-vous encore un monde sensé et bon ?

[?] Un Dieu d’adulte se manifeste précisément par le vide du ciel enfantin. Moment où Dieu se retire du monde et se voile la face. [?]  [1]

cf. http://www.akadem.org/sommaire/themes/philosophie/1/4/module_2451.php  

 

Si le silence de Dieu permet d’évacuer les représentations magiques, enfantines, providentialistes dans lesquelles les hommes veulent l’enfermer pour l’utiliser, alors ce silence est effectivement salutaire?

 

Bon nombre de chrétiens s’arrêtent à cette « solution » pour contourner le paradoxe dramatique d’un Dieu tout-puissant et pourtant silencieux. Ils privilégient alors – avec des accents très profonds – la thèse que François Varillon a magnifiée dans son très beau livre : « l’humilité de Dieu ». Dieu est désarmé, dit-il, par amour. Parce que sa toute-puissance n’est que celle de l’amour, il doit lui-même passer par la souffrance, la faiblesse, l’impuissance devant le mal qui jaillit du coeur de l’homme.

 

Si cette position contient de forts accents de vérité sur l’infini respect d’un Dieu qui ne s’impose pas à l’homme, elle oublie peut-être un peu vite le fondement spécifiquement juif de cette thèse sur l’impuissance de Dieu. Levinas précise ainsi ce fondement :

« Là se manifeste, au contraire, la physionomie particulière du judaïsme : le rapport entre Dieu et l’homme n’est pas une communion sentimentale dans l’amour d’un Dieu incarné, mais une relation entre esprits, par l’intermédiaire d’un enseignement, par la Thora. C’est précisément une parole non incarnée de Dieu qui assure un Dieu vivant parmi nous. » (ibid.)

 

Comment croire en un Dieu si transcendant qu’il en deviendrait absent et impuissant ?

Un ancien SDF disait : « en 11 années passées à vivre dans la rue, de foyer en foyer, avec l’alcool, les anxiolytiques, le mépris… Dieu n’a jamais rien dit. Dieu n’a jamais rien fait. Comment pourrais-je croire en lui ? »

Même s’il a des aspects de grandeur qui fascine les croyants pour qui tout va bien, les pauvres, sur qui s’accumulent les galères de logement, de santé, de solitude, d’inutilité… ne peuvent absoudre ce silence de Dieu qui demeure un scandale.

 

Le silence n’est pas le dernier mot de Dieu

9782750901318 blasphème dans Communauté spirituellePour les chrétiens, le dernier mot de Dieu / sur Dieu n’est pas sa transcendance, mais l’incarnation en personne d’un Dieu, qui, en Jésus, justement ne garde pas le silence…

Certes, Jésus semble silencieux parfois : devant les accusateurs de la femme adultère, dans la barque de la tempête déchaînée, devant Pilate et la foule du procès selon l’évangéliste Jean… Mais d’abord, ce silence ne dure pas, car après il parle et il agit : pour sauver la femme adultère, pour calmer la tempête, pour témoigner à son procès. Parce qu’il est la Parole en personne, Jésus parle à ceux qui souffrent, il agit pour les petits et pour les exclus, il guérit les malades… Et ensuite, le silence de Dieu après la mort de Jésus ne se termine pas par le silence et l’impuissance, mais par la résurrection, éclatante victoire sur les forces de mal et sur la mort, avec des paroles fortes qui libèrent la parole des apôtres.

Non vraiment, Jésus n’a rien d’un Dieu silencieux qui se défausse sur l’homme.

 

Plus encore, Jésus a assumé les terribles cris des psaumes, semblables à ceux du prophète ou du SDF, accusant Dieu de son silence :

 « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné et t’éloignes-tu de moi sans me secourir, sans écouter ma plainte, pourquoi ton silence ? Mon Dieu, je t’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas… » (Ps 22,3)

« Écoute, Seigneur, réponds-moi, car je suis pauvre et malheureux. » (Ps 86,9)

« Vite, réponds-moi, Seigneur. Je suis à bout de souffle ! Ne me cache pas ton visage. » (Ps 143,7)

 « Fais que j’entende au matin ton amour » (Ps 143,8).

« Vers toi, Seigneur, j’appelle ; mon rocher, ne sois pas sourd! Que je ne sois, devant ton silence, comme ceux qui descendent à la fosse! » (Ps 28,1)

« Ô Dieu, ne reste pas muet, plus de repos, plus de silence, ô mon Dieu ! » (Ps 83,2)

Saint Paul évoque « Jésus Christ, révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels », mais en prédisant aussitôt que ce mystère est « aujourd’hui manifesté » (Rm 16,24-25). Luther lui fait écho : « La foi est donc en quelque sorte connaissance, ou ténèbres, elle ne voit rien. Et cependant, saisi par la foi, Christ se tient en ces ténèbres ».

Christ se tient en ces ténèbres, comme la Parole se tient au creux du silence de Dieu :

« Nous nous trouvons ici face au « langage de la croix » (1 Co 1, 18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s’est « dit » jusqu’à se taire, ne conservant rien de ce qu’il devait communiquer. De manière sugges­tive, les Pères de l’Église (St Maxime le Confesseur), contemplant ce Mystère, mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu cette expression : « Sans parole est la parole du Père, la­quelle a créé toute la nature parlante, sans mouve­ment sont les yeux éteints de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se meut » (Benoît XVI, Verbum Domini, 30/09/2010, n°12).

« Comme le montre la croix du Christ, Dieu parle aussi à travers son silence. Le silence de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puis­sant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27,46). Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46).

Cette expérience de Jésus est comparable à la situation de l’homme qui, après avoir écouté et reconnu la Parole de Dieu, doit aussi se mesurer avec son silence. Bien des saints et des mystiques ont vécu une telle expérience qui aujourd’hui encore fait partie du cheminement de nombreux chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles précédemment énoncées. Dans ces moments obscurs, il parle dans le mystère de son silence. C’est pourquoi, dans la dynamique de la Révélation chrétienne, le silence apparaît comme une expression importante de la Parole de Dieu. » (n° 20)

  

Inexplicable silence

Devant la Passion, devant la Shoah, devant le malheur innocent, nulle explication ne satisfait celui qui – comme Job – refuse de s’arrêter aux paroles trop faciles de ceux qui veulent innocenter Dieu de son silence.

Le pasteur Poujol insiste sur le côté inexplicable du silence de Dieu, à partir de l’histoire de Job :

« Job, contrairement au silence d’Abraham, n’obtient aucune explication, il ne lui est donné aucune promesse, aucune parole. Il est précipité dans la mort des siens, la maladie, la souffrance, et il est entouré du silence. Ce silence durera, selon certains commentateurs, quarante ans. De plus Job doit se battre contre les paroles vaines de ses amis, de ceux qui veulent rompre ce silence insoutenable pour la raison. Job leur dit : « Que n’avez-vous gardé le silence ! »

Que de bavardages, face aux Job d’aujourd’hui ! Que de paroles vaines qui finalement montrent la peur du silence, la peur de la rencontre avec soi-même. Si Abraham retrouve son fils après l’épreuve du silence, Job après son épreuve, ne retrouve pas ses enfants. Il en aura d’autres, mais les enfants ne sont pas interchangeables, nous le savons bien. Job garde la blessure du silence. En tout cela, nous dit la Bible, « Job ne pécha point ».

Job, s’il est placé face au silence de Dieu, ne reste pas, lui, dans le silence ! Il parle, il crie, il dit sa colère, son malheur à Dieu. Job apprend à ne pas tout comprendre de Dieu, il apprend que Dieu ne se réduit à l’image qu’il se fait de lui. Dans nos silences, dans nos conflits intérieurs, nous expérimentons bien souvent « la paix qui surpasse toute intelligence ».

Au fond de son silence de la nuit inexplicable, celle dont parle Jean de la Croix, Job dit : « Je sais que mon Rédempteur est vivant et qu’il se lèvera le dernier ».

Les silences de Dieu dans notre vie nous posent un conflit intérieur, d’autant plus que nous vivons dans une société de communication. Mais pour nous, le silence de Dieu n’est pas l’absence de Dieu. Le conflit dans lequel il nous place est un temps de profonde mutation personnelle. » [2]

 

Les pauvres demandent des réponses concrètes, pas des théories sur l’impuissance de Dieu.

Dans le livre d’Habacuc d’ailleurs, Dieu ne garde pas le silence en fait : il répond aux critiques des malheureux par la vision du prophète, communiquées clairement à tous.

Cette parole est plus sûre que le silence, incompréhensible. Ce serait blasphémer que de rendre le silence compréhensible.

 

Si la force de la résurrection n’est pas à l’oeuvre dans l’histoire, alors ce Dieu-là n’est plus le Dieu des pauvres; il n’est plus Dieu du tout…

  • Élie Wiesel à Genève le 20 avril 2009 constatait amèrement que l’humanité n’avait rien appris de la Shoah. Il n’acceptait pas de dédouaner Dieu de cette absence de pourquoi, de son silence? :

« - La culture ne nous a pas aidés. Moi qui crois que l’éducation est un bouclier qui nous protège contre certains actes que l’être humain cultivé ne peut pas, ne pourrait pas commettre. Non, ça n’a servi à rien, comment est-ce possible ?
- Maintenant on sait comment c’est arrivé. Tout, on sait déjà. Les historiens, les musées, les archives, on sait comment. Mais ce qu’on ne sait pas c’est le pourquoi. Pourquoi c’est arrivé.
- Ça a servi à quoi ? Et là, bien sûr, la seule réponse, c’est Dieu seul qui pourrait la donner. Humblement et sincèrement, je vous le dis que cette réponse-là, si elle existe, je la récuse. Il n’y a pas de réponse. Il faut vivre avec la question. Mais cette question-là s’étend au-delà du temps. Est-ce que le monde apprendra jamais ? Est-ce qu’il apprendra finalement ce que cela signifie de permettre à des hommes d’anéantir d’autres hommes, sans raison ? Moi, je pense que l’homme, que le monde n’a pas appris. Si le monde avait appris, il n’y aurait pas eu le Cambodge, il n’y aurait pas eu la Bosnie, il n’y aurait pas eu le Rwanda, il n’y aurait pas eu le Darfour, il n’y aurait pas eu de racisme, pas d’antisémitisme. » 

Le scandale du silence de Dieu du reste entier, même s’il est provisoire.
Peut-être n’y a-t-il pas d’autre attitude que celle de Job à la fin de son long réquisitoire contre Dieu :

« Et Job fit cette réponse à Yahvé :

Je sais que tu es tout-puissant: ce que tu conçois, tu peux le réaliser. J’étais celui qui voile tes plans, par des propos dénués de sens. Aussi as-tu raconté des oeuvres grandioses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j’ignore. Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur la cendre. »  (Jb 42,1-6)

 

Peut-être n’y a-t-il pas d’autre courage devant ce silence incompréhensible que la plainte des psaumes avec laquelle Jésus a fait corps ?

 

La foi chrétienne n’explique pas le silence de Dieu.
Elle espère juste qu’à la fin de ce silence, il agisse…

 


[1]. Emmaunel, Lévinas, Aimer la Thora plus que Dieu in Difficile Liberté, Livre de Poche, 1973, pp. 219-223

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3; 2, 2-4)

Lecture du livre d’Habacuc

« Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas !

Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Je guetterai ce que dira le Seigneur. »

Alors le Seigneur me répondit : « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment.

Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé ; elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, à son heure.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. »

 

Psaume : Ps 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

 

R/ Aujourd’hui, ne fermons pas notre coeur, mais écoutons la voix du Seigneur !

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,

acclamons notre Rocher, notre salut !

Allons jusqu’à lui en rendant grâce,

par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,

adorons le Seigneur qui nous a faits.

Oui, il est notre Dieu ;

nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?

« Ne fermez pas votre coeur comme au désert,

où vos pères m’ont tenté et provoqué,

et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

2ème lecture : Le chef de communauté doit rester fidèle dans le service de l’Évangile (2Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,

je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains.

Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison.

N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis en prison à cause de lui ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.

Règle ta doctrine sur l’enseignement solide que tu as reçu de moi, dans la foi et dans l’amour que nous avons en Jésus Christ.

Tu es le dépositaire de l’Évangile ; garde-le dans toute sa pureté, grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

Evangile : La puissance de la foi – L’humilité dans le service (Lc 17, 5-10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »

Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite à table’ ?

Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.’

Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?

De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir.’ »
Patrick Braud

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