« Passons aux barbares »…
« Passons aux barbares »…
Homélie du 4° Dimanche de Pâques / année C
25/04/2010
« Nous nous tournons vers les païens ».
Ce tournant historique, Paul et Barnabé l’ont pris à Antioche. Pressés par l’hostilité – et même les poursuites – d’un certain nombre de juifs « furieux » de leur succès, ils vont emmener les autres à se tourner vers les « païens » de l’époque, c’est-à-dire ceux que justement les croyants convaincus considéraient comme des idolâtres, des gens impurs.
Comme quoi les difficultés rencontrées dans la mission peuvent devenir une source d’élargissement de celle-ci !
La persécution d’Étienne avait déjà engendré une « heureuse » dispersion des disciples hors de Jérusalem.
Puis la manière dont Pierre et ses compagnons ont enduré les persécutions impressionneront leurs adversaires et en convertiront beaucoup.
De même pour les innombrables martyrs qui donneront leur vie avec tant d’amour et de paix – même pour ceux qui les livraient au tribunal et aux lions – que les foules des arènes en seront bouleversées…
« Nous nous tournons vers les païens ».
Ce virage est toujours à renégocier.
Cette docilité à l’Esprit Saint qui mène les apôtres dans d’autres cultures est toujours à réactualiser.
· Le passage à la philosophie.
On se souvient du « passage de la philosophie » qu’ont représenté les conciles oecuméniques des premiers siècles. Adopter le langage grec de « nature » et de « substance » pour évoquer l’humanité et la divinité de Jésus (1) : c’est assurément un audacieux tournant !
· La chute de l’empire romain.
On se souvient encore de Saint Augustin : le bruit des armées barbares à la porte de Rome effrayait les chrétiens, qui croyaient que tout était perdu. Augustin les invite courageusement à accepter la fin d’un monde – l’empire romain – et à évangéliser le Nouveau Monde barbare venu d’ailleurs.
· La révolution industrielle.
On se souvient plus près de nous de la célèbre formule d’Ozanam : « passons aux barbares ! »
La révolution industrielle avait engendré des misères effroyables. La Révolution de 1848 éclate avec son cortège de malheurs de toutes sortes. Il faut mettre en oeuvre, et de toute urgence, la charité chrétienne.
Ozanam s’écrie: « Passons aux Barbares et suivons Pie IX. » Ce cri ne fut pas compris et Ozanam dut s’expliquer: « Aller au peuple c’est à l’exemple de Pie IX, s’occuper de ce peuple qui a trop de besoins et pas assez de droits, qui réclame une plus grande part raisonnable dans les affaires publiques, des garanties pour son travail, des assurances contre sa misère… qui, sans doute, suit de mauvais chefs, mais faute de trouver ailleurs de bons… »
« Passer au peuple, ce n’est pas faire le jeu des Mazzini, des Ochsenhein et des Henri Heine, mais passer au service des masses en y comprenant celles des campagnes aussi bien que des villes. Voilà comment, passer au peuple, c’est passer aux Barbares, mais pour les arracher à la barbarie, faire d’eux des citoyens en en faisant des chrétiens, les faire monter dans la vérité et dans la moralité, pour les rendre ainsi dignes et capables de la liberté des enfants de Dieu. »
Homme ouvert, il ne veut pas que la religion se cantonne dans une minorité bourgeoise, ni dans un parti, elle doit aller aux masses, aux pauvres que le Christ a déclarés bienheureux.
« Passons aux Barbares ! »
Cet accent prophétique sera peu écouté. Mais Ozanam demeure un des pionniers du catholicisme social qui sera confirmé par « Rerum novarum » en 1891. Béatifié lors des JMJ de Paris en 1997, il laisse un témoignage de la vitalité du catholicisme social lorsqu’il se passionne pour les cultures de son temps.
· Et aujourd’hui ?
Maintenant encore, vers quels « païens » devons-nous nous tourner pour rester fidèles à Paul et Barnabé ? Vers quelle culture « barbare » nous tourner pour l’illuminer de l’Évangile, tout en récoltant ce que l’Esprit y a déjà semé ?
- On pourrait penser à la culture scientifique et technique, dont l’Église a eu si peur aux siècles précédents (alors qu’elle avait enfantée !).
- Ou encore à la culture économique, où la « barbarie » peut toujours faire des merveilles et des dégâts immenses, selon l’orientation donnée à la création de richesses…
- Ou encore à la culture médiatique, si loin apparemment des valeurs évangéliques ; et pourtant les formidables moyens de liaison et de communication entre les hommes représentent une chance historique pour y annoncer un évangile de communion, de relation…
« Je parie sur l’avenir du christianisme précisément parce que, en tant qu’historien, j’ai constaté qu’au cours des siècles, et malgré des pesanteurs, il avait manifesté un extraordinaire dynamisme et de très remarquables possibilités d’évolution. Il est parvenu à s’intégrer dans la civilisation gréco-romaine avant de « passer aux Barbares » (pour reprendre la formule d’Ozanam). Cette « conversion » aux Barbares a été extrêmement enrichissante, puisqu’elle a permis la création d’une civilisation chrétienne. Je reste persuadé que le rôle du christianisme a été majeur dans trois domaines, qui sont, il est vrai, objets de discussion : la naissance de la science ; l’épanouissement des droits de l’homme ; l’amélioration du statut de la femme. Le christianisme a su être porteur de culture et s’adapter. Rien n’indique qu’il soit arrivé à la fin de son parcours et qu’il ait achevé ses adaptations aux périodes successives et à la diversité des civilisations. Je parie sur cette capacité d’adaptation, et c’est la raison pour laquelle je ne désespère pas de son avenir. »
(Jean Delumeau ; cf. http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=ETU_005_0689)
Passons donc aux barbares !
- Collectivement : en discernant dans les cultures environnantes les « pierres d’attente » de l’Évangile, les « semences du Verbe » comme disaient les Pères de l’Église pour désigner les aspirations barbares toutes proches de l’Évangile.
- Personnellement : en étant attentif à ce que des non-chrétiens manifestent autour de moi comme attentes profondes, comme sagesse remarquable, comme capacité d’accueil du message évangélique.
« Pour la gloire de Dieu et le salut du monde », répétons-nous à chaque eucharistie en écho aux apôtres à Antioche : « pour que le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ».
Que l’Esprit du Ressuscité nous entraîne à nous tourner vers les païens d’aujourd’hui !
« Passons aux barbares »…
1. . Une seule personne divine assumant les deux natures, divine et humaine : c’est ce qu’on appelle « l’union hypostatique » dans le vocabulaire philosophique des conciles, s’inspirant des Grecs.
1ère lecture : L’Évangile annoncé aux païens (Ac 13, 14.43-52)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Paul et Barnabé étaient arrivés à Antioche de Pisidie. Le Jour du sabbat, ils entrèrent à la synagoque.
Quand l’assemblée se sépara, beaucoup de Juifs et de convertis au judaïsme les suivirent. Paul et Barnabé, parlant avec eux, les encourageaient à rester fidèles à la grâce de Dieu.
Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur.
Quand les Juifs virent tant de monde, ils furent remplis de fureur ; ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures.
Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il fallait adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les païens.
C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi,le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre.
En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle devinrent croyants.
Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.
Mais les Juifs entraînèrent les dames influentes converties au judaïsme, ainsi que les notables de la ville ; ils provoquèrent des poursuites contre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire.
Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium,
tandis que les disciples étaient pleins de joie dans l’Esprit Saint.
Patrick BRAUD