Et plus si affinité…
ET PLUS SI AFFINITÉ ?
Homélie du 1° Dimanche de Carême / Année C
21/01/10
Les trois tentations de notre page d’évangile sont construites autour de la même structure:
SI tu es le fils de Dieu, Alors ordonne à cette pierre de devenir du pain
tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela
tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas.
Comme quoi cela peut être particulièrement « diabolique » d’utiliser nous aussi cette structure de langage ! C’est ce que nous faisons hélas lorsque nous disons à nos proches ou à nos collaborateurs :
- Si tu es mon enfant, alors tu dois réussir en classe.
- Si tu m’obéis aveuglement, tu auras de l’avancement.
- Si tu es chrétien, tu dois tout partager…
On perçoit l’ombre du chantage qui pèse sur ces déclarations radicales.
Si tu es ce que tu prétends être, je te prends au mot, et tu es coincé : tu dois correspondre à l’image que je me fais de cette identité.
C’est presque à un débat sur l’identité nationale que nous assistons entre le démon est Jésus !
Le démon lui parle de son identité filiale pour amener Jésus à tomber dans la folie du pouvoir, démesuré, magique, tout-puissant : transformer les pierres en pain, voler dans le vide sans se faire mal…
Et Jésus lui répond justement à partir de son identité la plus intime : être fils, c’est se recevoir, et non faire tout ce dont j’ai envie.
- Recevoir sa nourriture, la vraie : la Parole qui sort de la bouche d’un Autre.
- Recevoir la gloire des mains de Dieu, à sa manière, et non pas magouiller pour obtenir une gloire trop humaine (« la gloire de ces royaumes »).
- Recevoir sans maîtriser, ce qui implique de ne pas mettre Dieu à l’épreuve en l’utilisant pour faire du spectaculaire.
L’identité, qu’elle soit française ou filiale, ne s’obtient pas à l’issue d’un chantage ou d’un marchandage.
Elle résulte d’un don gratuit : la nation donne à un enfant de faire partie de la communauté française, ou bien Dieu donne à celui qui croit – et qui le proclame – d’être sauvé et de devenir enfant de Dieu.
La deuxième lecture utilise elle aussi une structure conditionnelle : si tu crois… si tu affirmes de ta bouche… alors tu seras sauvé. Mais ce n’est pas ici pour faire pression, ce n’est pas un chantage, ce n’est pas une instrumentalisation de l’identité de l’autre, c’est au contraire une invitation à recevoir gratuitement le salut offert sans condition ! Il suffit de vouloir le recevoir pour qu’il soit réel.
Tout l’inverse du démon qui voudrait pousser Jésus à conquérir par lui-même une identité contestée : si tu es le fils de Dieu, montre-le moi, et à tous !
Le travail de sape des tentations est donc de nous faire croire que l’amour serait toujours au conditionnel, suspendu à telle ou telle performance.
Si tu fais cela, alors je croirai en toi : avouons que nous mettons souvent Dieu à l’épreuve de cette manière !
- Si tu m’épargnes la maladie, alors j’irai à pied à Saint-Jacques-de-Compostelle…
- Si tu es Dieu, tu dois m’éviter ce licenciement.
- Si tu es Dieu, tu aurais dû éviter au peuple haïtien ce terrible tremblement de terre…
Du coup, nous reproduisons ce chantage au conditionnel avec nos collègues de travail :
- Si tu apportes de bons résultats, tu auras ta place parmi nous ;
ou avec nos familles :
- Si tu es mon mari / ma femme, tu dois m’apporter tout ce qui me manque ;
ou avec notre Église :
- Si tu es vraiment évangélique, tu dois être meilleure que les autres… (sinon je te quitte !)
Alors que Jésus renverse la perspective :
- Tu es enfant de Dieu… nourris-toi de sa Parole.
- Tu as déjà le salut et la vie : pourquoi te prosterner devant des idoles qui ne peuvent rien pour toi ?
- Tu es déjà aimé de Dieu : pourquoi en voudrais-tu des preuves magiques et extraordinaires ?
Ce renversement de perspective rejaillit donc sur nos propres comportements :
- Tu es mon collaborateur : appuie-toi sur cette confiance pour donner le meilleur de toi-même.
- Tu as mon affection, ma reconnaissance, et ce qui est à moi est à toi : appuie-toi sur ce pouvoir partagé pour te mettre au service des autres.
- Tu es mon enfant / mon conjoint / mon parent : tu n’as rien à prouver, sois libre d’être toi-même, n’écoute pas ce qui veulent te mettre à l’épreuve et Dieu avec…
Alors au début de ce carême, ne soyons pas des tentateurs, de ceux qui mettent une pression insupportable sur leurs proches en leur faisant un chantage permanent, comme si tout était « sous condition ».
Combattons cette tendance sournoise à tout marchander.
Car « tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent ».
1ère lecture : La profession de foi du peuple d’Israël (Dt 26, 4-10)
Moïse disait au peuple d’Israël : Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes, le prêtre recevra de tes mains la corbeille et la déposera devant l’autel du Seigneur ton Dieu.
Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu : « Mon père était un Araméen vagabond, qui descendit en Égypte : il y vécut en immigré avec son petit clan. C’est là qu’il est devenu une grande nation, puissante et nombreuse.
Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ; ils nous ont imposé un dur esclavage.
Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés.
Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte par la force de sa main et la vigueur de son bras, par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges.
Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel.
Et voici maintenant que j’apporte les prémices des produits du sol que tu m’as donné, Seigneur. »
Psaume : Ps 90, 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab
R/ Reste avec nous, Seigneur, dans notre épreuve
Quand je me tiens sous l’abri du Très Haut
et repose à l’ombre du Puissant
Je dis au Seigneur: » Mon Refuge
mon Rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »
Le malheur ne pourra te toucher
ni le danger approcher de ta demeure
Il donne mission à Ses anges
de te garder sur tous tes chemins
Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres
tu marcheras sur la vipère et le scorpion
tu écraseras le lion et le dragon
« Puisqu’il s’attache à Moi, Je le délivre
Je le défends car il connaît Mon Nom
il m’appelle et Moi Je lui réponds
Je suis avec lui dans son épreuve «
2ème lecture : La profession de foi en Jésus Christ (Rm 10, 8-13)
Frère, nous lisons dans l’Ecriture : La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur. Cette Parole, c’est le message de la foi que nous proclamons.
Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé.
Celui qui croit du fond de son coeur devient juste ; celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut.
En effet, l’Écriture dit : Lors du jugement, aucun de ceux qui croient en lui n’aura à le regretter.
Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent.
Il est écrit en effet, tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés.
Evangile : La tentation de Jésus (Lc 4, 1-13)
Après son baptême, Jésus, rempli de l »Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l »Esprit à travers le désert
où, pendant quarante jours, il fut mis à l’épreuve par le démon. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le démon lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »
Le démon l’emmena alors plus haut, et lui fit voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre.
Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux.
Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ;
car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ;
et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus répondit : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.
Patrick BRAUD